Apprendre avec les robots : futile ou indispensable ?

Dossier : La RobotiqueMagazine N°655 Mai 2010
Par Bruno BONNELL

Un vecteur d’en­seigne­ment des matières traditionnelles

Les années 2000 ont instal­lé l’In­ter­net dans notre quo­ti­di­en. L’é­cole, un temps débor­dée par cette nou­velle tech­nique de col­lab­o­ra­tion et d’in­for­ma­tion, a pro­gres­sive­ment refait son retard en pro­posant des proces­sus péd­a­gogiques en ligne. Elle a intro­duit avec suc­cès le temps réel, l’ac­tu­al­ité, la wiki­cul­ture dans les salles de classe.

Après l’ère de l’outil et de la machine, bien­v­enue dans l’ère du robot. Cette révo­lu­tion tech­nologique, cette robo­lu­tion, doit égale­ment être com­prise et accom­pa­g­née. Il faut ini­ti­er des réflex­es et des habi­tudes de tra­vail avec les robots. Le pre­mier pas vers cette col­lab­o­ra­tion homme-robot est d’u­tilis­er la robo­t­ique comme vecteur d’en­seigne­ment des matières traditionnelles.

REPÈRES
Dans les années qua­tre-vingt, à la nais­sance des ordi­na­teurs per­son­nels, les jeux ludoé­d­u­cat­ifs ont voulu ouvrir la voie de nou­veaux modes d’ap­pren­tis­sage. L’ini­tia­tive du Plan infor­ma­tique pour tous, tant cri­tiqué, est à ce titre un remar­quable exem­ple d’an­tic­i­pa­tion sco­laire des boule­verse­ments de la société. Il a per­mis à des mil­lions d’en­fants d’avoir accès à des ordi­na­teurs pour être pré­parés à leur société future.

Com­ment cap­i­talis­er sur les expéri­ences numériques précé­dentes pour réus­sir l’en­trée du robot à l’é­cole ? L’u­til­i­sa­tion de l’or­di­na­teur à l’é­cole sem­ble déjà une vieille idée même si elle n’est qu’à peine trente­naire. Pour que son exten­sion à la robo­t­ique ne soit pas qu’une répéti­tion de l’his­toire, il con­vient d’en tir­er un bilan péd­a­gogique. Nul ne doute que les jeux vidéo en milieu sco­laire ont démon­tré leur impact posi­tif sur la moti­va­tion des élèves, l’ac­qui­si­tion accrue de cer­taines com­pé­tences (sociales, spa­tiotem­porelles, intel­lectuelles) et la créa­tion d’une dynamique col­lab­o­ra­tive pos­i­tive entre les enfants, les par­ents et les enseignants.

Ludoé­d­u­catif
Les pre­miers jeux vidéo édu­cat­ifs tels que Snoop­er Troops, en 1982, pour la réso­lu­tion de prob­lèmes ou Where in the world is Car­men Sandiego ? en 1985, pour l’ap­pren­tis­sage de la géo­gra­phie rem­plis­saient cette mis­sion. Les ter­mes de edu­tain­ment en Amérique du Nord et de ” ludoé­d­u­catif ” en France définis­saient alors un nou­veau marché.

Toute­fois, les chercheurs en sci­ences de l’é­d­u­ca­tion se sont posé la ques­tion du réel poten­tiel édu­catif des jeux sur ordi­na­teurs dont l’ap­proche ini­tiale con­sis­tait sim­ple­ment à dévelop­per des inter­ac­tions ludiques pour faire appren­dre dif­férents con­tenus. En effet, ils repo­saient sou­vent sur un mod­èle sim­pliste dans lequel alter­naient des prob­lèmes édu­cat­ifs à résoudre et des sys­tèmes de récom­pens­es. La pau­vreté des mod­èles cog­ni­tifs sous-jacents était leur prin­ci­pale faiblesse. 

Trente-six principes d’apprentissage

Dans les années 2000, une recherche dif­férente par­tant de l’ob­ser­va­tion des jeux vidéo non édu­cat­ifs s’est mise en place. Elle a souligné 36 principes d’ap­pren­tis­sage employés instinc­tive­ment par les con­cep­teurs de jeux. Les modes de grat­i­fi­ca­tion notam­ment pou­vaient être trans­férables aux activ­ités éduca­tives et amélior­er les val­i­da­tions d’ac­quis. Ils demeurent encore aujour­d’hui large­ment ignorés. En 2005, après une phase de repli du marché ludoé­d­u­catif, le seri­ous game annonçait le retour en grâce du développe­ment de jeux conçus pour favoris­er des appren­tis­sages. Néan­moins, l’é­cart fla­grant entre l’am­bi­tion et l’exé­cu­tion de la plu­part des jeux décrédi­bil­i­sait leur valeur pédagogique.

Des capac­ités non exploitées
Les logi­ciels ludoé­d­u­cat­ifs, pour l’essen­tiel, tran­scrivent les méth­odes clas­siques d’ap­pren­tis­sage. Ils n’ex­plorent pas les capac­ités intrin­sèques des nou­veaux moyens tech­nologiques. Les nou­veaux usages liés à la 3D, la con­nex­ion en réseau ou la géolo­cal­i­sa­tion ne sont pas exploités. Ces tech­nolo­gies sont employées comme un habil­lage nou­veau par exemple.

L’u­til­i­sa­tion des tech­nolo­gies numériques n’a finale­ment que trans­posé l’an­cien vers le nou­veau. Peut-on aller plus loin avec d’autres out­ils ? Mais tout d’abord, pourquoi la robo­t­ique pren­delle du sens à l’école ? 

Connaissances déclaratives ou procédurales

Tous les savoirs ne sont pas équiv­a­lents. On dis­tingue deux types de con­nais­sances, qual­i­fiées de déclar­a­tives ou procé­du­rales. Les pre­mières, déclar­a­tives, sont descrip­tives et explic­a­bles ver­bale­ment. L’ap­pren­tis­sage du vocab­u­laire en fait par­tie comme celui des noms de pays. Les con­nais­sances procé­du­rales con­cer­nent tous les phénomènes met­tant en jeu des habiletés ou des savoir-faire comme pédaler sur un vélo ou accorder des verbes au sujet. Les proces­sus actuels d’ac­qui­si­tion, notam­ment dans le domaine des matières sci­en­tifiques, pèchent par divers­es lim­ites pra­tiques comme la représen­ta­tion ou la local­i­sa­tion. Ces con­nais­sances ne sont en effet pas ” visu­al­is­ables ” par les out­ils tra­di­tion­nels de l’en­seigne­ment (texte, dia­gramme, pho­to). Les phénomènes com­plex­es, tels que le repérage

Une approche parcellaire
Cer­taines notions souf­frent d’une approche par­cel­laire ou réduite. L’é­cosys­tème naturel, par exem­ple, n’est com­préhen­si­ble que dans son ensem­ble et néces­site d’ap­préhen­der dif­férents ” lieux ” qui sont rarement vis­i­bles et surtout manip­u­la­bles depuis la salle de classe.

dans l’e­space et le temps ou le cycle de l’eau par exem­ple, man­quent ain­si de représen­ta­tion. L’in­tro­duc­tion de la robo­t­ique dans le champ d’ex­péri­ence péd­a­gogique est une réponse crédi­ble à la trans­mis­sion de ce type de savoirs. On con­state de plus une nette désaf­fec­tion pour les matières sci­en­tifiques et tech­niques qui représente un risque à la fois pour le renou­velle­ment des cadres sci­en­tifiques et tech­niques, mais aus­si pour l’in­dus­trie et la com­péti­tiv­ité. Divers­es démarch­es pro­posent ain­si de favoris­er un enseigne­ment fondé sur les démarch­es d’in­ves­ti­ga­tion sci­en­tifique où la robo­t­ique prend tout son sens. 

Une évolution majeure de la société

On ne peut enfin ignor­er la pré­pa­ra­tion des enfants à leur quo­ti­di­en de demain. Des signes forts indiquent une évo­lu­tion majeure d’une société des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion vers un monde d’in­tel­li­gence avec des robots, futurs com­pagnons de vie, que ce soit pour nos loisirs, nos appren­tis­sages ou à notre ser­vice. L’usage de la robo­t­ique en milieu sco­laire est là, un ter­rain de jeu pour expéri­menter des rela­tions aux machines qui seront très dif­férentes de celles d’aujourd’hui.

Les con­nais­sances procé­du­rales met­tent en jeu des habiletés ou des savoir-faire

La robo­t­ique à l’é­cole apporte donc des out­ils de meilleure appré­ci­a­tion d’un monde com­plex­i­fié et induit un nou­veau rap­port à la machine néces­saire à la con­struc­tion de notre société future. Mais quels pro­duits met­tre en place et dans quel but pré­cis ? Un robot se définit comme un sys­tème qui intè­gre des cap­teurs, un processeur et des action­neurs, et opère de façon autonome ou semi­au­tonome en coopéra­tion avec les humains. Il développe au tra­vers d’une intel­li­gence arti­fi­cielle une capac­ité d’adap­ta­tion aux envi­ron­nements imprévis­i­bles. Com­ment les robots peu­vent effi­cace­ment apporter des solu­tions pédagogiques ?

Un sup­port pédagogique
L’essen­tiel des objets robo­t­iques d’en­seigne­ment se présente sous la forme de kits ou plate­formes robo­t­iques à mon­ter soi-même ou pré­mon­tés avec des capac­ités de pro­gram­ma­tion. Les robots ser­vent alors de sup­port péd­a­gogique pour appréhen­der et appli­quer les notions de mécanique, élec­tron­ique, ou pro­gram­ma­tion informatique.

Une motivation accrue

Les pro­fesseurs ayant util­isé des robots dans un cadre péd­a­gogique témoignent certes de cer­taines dif­fi­cultés dans la mise en place du cours ou du pro­jet inclu­ant l’ex­péri­ence robo­t­ique, mais surtout des aspects posi­tifs de leur expéri­ence : moti­va­tion des élèves accrue (ancrage dans le monde réel et rela­tion ” émo­tion­nelle ” à l’ob­jet) ; amélio­ra­tion des appren­tis­sages des con­cepts sci­en­tifiques “abstraits” (tan­gi­bil­i­sa­tion des con­cepts); mul­ti­dis­ci­pli­nar­ité c’est-à-dire développe­ment de l’e­sprit col­lab­o­ratif et de l’in­tel­li­gence émo­tion­nelle (rela­tion­nel, con­fi­ance en soi, réso­lu­tion de problèmes). 

Agir sur le réel

Les robots sont donc perçus comme des out­ils effi­caces d’ap­pren­tis­sage qui tis­sent un lien émo­tion­nel avec les élèves. Mais cela n’est que la par­tie émergée de l’ice­berg qu’il faut com­pléter par des logi­ciels béné­fi­ciant du savoir-faire des jeux ludoé­d­u­cat­ifs. Mix­er la com­plex­ité des mécan­ismes d’im­mer­sion et

Le mariage raté des robots et des jeux vidéo
Une pre­mière approche con­siste à utilis­er le robot en tant que périphérique d’en­trée ou de sor­tie d’un jeu. Le dis­posi­tif robo­t­ique est alors à la fois pro­posé comme out­il en tant que tel et comme moyen d’a­gir sur les per­son­nages ou événe­ments d’un jeu vidéo. L’une des rares ini­tia­tives dans ce sens fut ROB (Robot­ic Oper­at­ing Bud­dy) pour la con­sole Nin­ten­do. Son échec com­mer­cial dans les années 1980 s’ex­plique par le peu de logi­ciels prévus pour ce dis­posi­tif. L’é­tat actuel de la robo­t­ique et le développe­ment du jeu vidéo online per­me­t­tent une approche beau­coup plus riche que ce qui était disponible à l’époque.

de grat­i­fi­ca­tion de jeux vidéos et les inno­va­tions robo­t­iques appa­raît comme la syn­thèse des expéri­ences péd­a­gogiques numériques. On ne se con­tente plus de regarder par la fenêtre de l’écran des sim­u­la­tions virtuelles mais on agit sur le réel avec une com­mu­ni­ca­tion et des for­mules logi­cielles sophis­tiquées. Pour aller plus loin, con­necter un robot à l’In­ter­net pour l’u­tilis­er comme son ” supercerveau “, à la fois cen­tre de traite­ment, base de don­nées, cap­tage d’in­for­ma­tion à dis­tance ou émet­teur d’or­dre sur des action­neurs dis­tants (caméras, son­des) per­me­t­tra d’u­tilis­er un robot capa­ble de voir et d’a­gir au-delà de la salle de classe et de percevoir et manip­uler des don­nées ou des objets à distance.

Des out­ils effi­caces d’ap­pren­tis­sage qui tis­sent un lien émo­tion­nel avec les élèves

À l’in­verse, le pilotage d’un robot à dis­tance donne aux élèves la pos­si­bil­ité d’ex­plor­er des ter­ri­toires extérieurs à leur envi­ron­nement direct. Le robot devient alors une exten­sion de l’ac­tion humaine et ouvre le champ d’ex­péri­men­ta­tions sans risque, sources majeures d’apprentissage. 

Amplifier le champ d’expérience

L’u­til­i­sa­tion de la robo­t­ique dans l’en­seigne­ment ampli­fie con­sid­érable­ment le champ d’ex­péri­ence des élèves que l’on peut résumer en quelques points majeurs : 1) la pos­si­bil­ité d’en­gager des apprenants dans des activ­ités fondées sur un nou­veau mode de grat­i­fi­ca­tion, provenant des jeux vidéo, et basé sur les mécaniques ludiques ; 2) la per­ti­nence des robots dans l’ap­pren­tis­sage des con­nais­sances procé­du­rales et leur apti­tude à faciliter le trans­fert aux apprenants des savoirs non descrip­tifs et en lien avec des phénomènes com­plex­es ; 3) l’in­ter­face inno­vante que représente la robo­t­ique en tant que mode d’ap­préhen­sion du monde grâce à des cap­teurs nomades ouvre la voie à un con­tact direct avec l’e­space physique et le renou­veau des instru­ments de col­lecte ou de mesure ; 4) la mise en place de sit­u­a­tions col­lab­o­ra­tives d’ap­pren­tis­sage puisqu’elles ont prou­vé leur valeur péd­a­gogique, mais sont peu employées dans les jeux sérieux ; 5) l’in­tro­duc­tion à l’é­cole d’un appareil tech­nologique attrac­t­if et inno­vant afin de pré­par­er la généra­tion d’au­jour­d’hui à l’en­vi­ron­nement tech­nologique de demain et de sus­citer un intérêt renou­velé des enfants, y com­pris des jeunes filles, pour les matières sci­en­tifiques et tech­niques. Tous ces avan­tages ne peu­vent néan­moins être mis en évi­dence qu’avec une volon­té poli­tique de mise en place de robots dans l’enseignement. 

Un Plan robotique à l’école

Il faut une volon­té poli­tique de mise en place de robots dans l’enseignement

La France a l’op­por­tu­nité de saisir la robo­lu­tion en marche pour pré­par­er les généra­tions futures au défi de demain. Au regard des atouts de l’in­tro­duc­tion des robots en milieu sco­laire, une prise de con­science de leur intérêt n’est qu’un pre­mier pas.

Suite à la volon­té poli­tique et à l’im­plan­ta­tion des ordi­na­teurs dans les écoles, les ingénieurs français en génie logi­ciel font référence dans le monde entier. Établir les bases d’un véri­ta­ble Plan robo­t­ique à l’é­cole don­nerait un nou­v­el élan à l’in­térêt pour la sci­ence, per­me­t­trait la for­ma­tion de roboti­ciens et d’établir notre pays en leader de ce secteur majeur du XXIe siècle.

La Corée en pointe
Un rapi­de tour du monde démon­tre que seule l’Asie a déjà inté­gré la robo­t­ique dans son cur­sus sco­laire. Aux États-Unis, l’u­til­i­sa­tion de robots pour l’é­d­u­ca­tion est con­cen­trée essen­tielle­ment au sein des grandes uni­ver­sités comme le MIT, Carnegie Mel­lon ou Stan­ford. Elle reste embry­on­naire et réservée aux clubs robo­t­iques dans le reste du sys­tème sco­laire améri­cain. En Europe, la robo­t­ique est très peu présente et prin­ci­pale­ment au sein d’u­ni­ver­sités ou étab­lisse­ments d’en­seigne­ment supérieur à dom­i­nantes sci­en­tifiques et tech­niques. En Asie, le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion et la volon­té d’ex­cel­lence tech­nologique ont amené les gou­verne­ments à dévelop­per des pro­grammes nationaux robo­t­iques ambitieux. En Corée, le plan gou­verne­men­tal “21st Cen­tu­ry Ini­tia­tive ” engage l’É­tat à inve­stir 1 mil­liard de dol­lars sur dix ans de 2002 à 2012 pour la recherche et l’é­d­u­ca­tion dans le domaine de la robo­t­ique. Cet investisse­ment sans précé­dent a eu une con­séquence immé­di­ate dans le monde de l’é­d­u­ca­tion avec la présence de robots à l’é­cole dès la mater­nelle et l’of­fre par 80% des cur­sus d’After Class d’un pro­gramme spé­ci­fique robo­t­ique. L’ob­jec­tif de ce pays est de devenir le pre­mier pro­duc­teur de robots de ser­vice au monde en 2020 et ils for­ment une généra­tion pour cela.

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