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Dossier : L'emploiMagazine N°527 Septembre 1997
Par Bernard DUFAU

Où en est aujourd’hui IBM en France ? Après l’orage, votre compagnie est revenue en force. Quels impératifs stratégiques déterminent votre développement ?

Où en est aujourd’hui IBM en France ? Après l’orage, votre compagnie est revenue en force. Quels impératifs stratégiques déterminent votre développement ?

Bernard Dufau : IBM en France, en 1997, c’est trois activ­ités : la pre­mière a trait à la com­mer­cial­i­sa­tion de notre offre vis-à-vis du marché français. C’est la plus con­nue. La deux­ième con­cerne la fab­ri­ca­tion de pro­duits spé­ci­fiques (mémoires à Cor­beil-Essonnes et grands sys­tèmes à Mont­pel­li­er) où notre objec­tif est d’avoir le meilleur prix de revient. La troisième activ­ité porte sur le développe­ment de nou­veaux pro­duits de réseaux à La Gaude.

Au cours de ces dernières années, nous avons pro­fondé­ment trans­for­mé notre com­pag­nie. Nous sommes devenus très act­ifs en matière de logi­ciels et de ser­vices. Cet aspect dépasse désor­mais celui du matériel pro­pre­ment dit. Notre stratégie repose aujour­d’hui sur deux métiers fon­da­men­taux, la tech­nolo­gie et l’ac­com­pa­g­ne­ment de la tech­nolo­gie chez nos clients afin qu’ils l’utilisent.

Ce sec­ond méti­er est devenu aus­si impor­tant que le pre­mier. Il affiche de forts taux de crois­sance alors que pour notre méti­er de base, la crois­sance est plus faible voire nulle, seul l’en­vi­ron­nement PC enreg­is­trant un développe­ment satisfaisant.

Où en sont les valeurs connues et reconnues d’IBM ?

B. D. : Les valeurs d’IBM restent les mêmes : l’éthique dans les affaires, l’ex­cel­lence dans le fonc­tion­nement interne et la pré­dom­i­nance du client. Il est vrai, que la valeur client mar­que un grand retour. Elle est fon­da­men­tale. Le client est au coeur de notre éval­u­a­tion, de notre sys­tème de man­age­ment. Il doit con­duire l’évo­lu­tion d’IBM.

Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie informatique ?

B. D. : Je suis très posi­tif sur l’avenir de ce secteur. C’est d’ailleurs une énorme chance d’y tra­vailler. Il ne cesse pas de se développer.

Cette indus­trie est jeune, et doit con­naître encore des boule­verse­ments. L’in­for­ma­tique va davan­tage pénétr­er les entre­pris­es, les foy­ers, mod­i­fi­ant l’ac­qui­si­tion des con­nais­sances ou la rela­tion entre le citoyen et l’ad­min­is­tra­tion, par exemple.

La seule ques­tion que je me pose, c’est de savoir à quelle vitesse cette trans­for­ma­tion va se faire ? Il y a un véri­ta­ble dif­féren­tiel selon les con­ti­nents, les pays, les tranch­es d’âge quant à la capac­ité d’ac­cès au savoir, à l’in­for­ma­tion. Prenons Inter­net : en France, trop peu de per­son­nes l’u­tilisent, en par­ti­c­uli­er le milieu de l’en­seigne­ment y sem­ble rétif ou tout du moins les autorités com­pé­tentes ne l’inci­tent guère à se l’approprier.

Quelle sera la con­séquence d’une telle atti­tude ? Je ne le sais pas mais je con­state qu’un écart se creuse avec d’autres pays. Or, être en dehors de ce monde-là cloi­sonne très forte­ment le développe­ment des con­nais­sances. Avoir accès à l’in­for­ma­tion ne va pas à l’en­con­tre de l’e­sprit cri­tique. Il con­vient de savoir associ­er les capac­ités tech­nologiques avec la péd­a­gogie. De leur côté, les respon­s­ables des grandes admin­is­tra­tions et un nom­bre non nég­lige­able de chefs d’en­tre­prise con­sid­èrent tou­jours que l’in­for­ma­tique est un cen­tre de coûts alors qu’il s’ag­it d’un investisse­ment de compétitivité.

Notre élite n’est-elle pas, pour partie, responsable de cette situation ?

B. D. : L’élite de notre pays est un peu con­de­scen­dante vis-à-vis du monde de l’in­for­ma­tique. Pour­tant, l’in­for­ma­tique est un out­il et non une final­ité. Elle per­met d’avoir une infor­ma­tion plus réac­tive, plus rapi­de. Mais être fam­i­li­er de l’outil, se l’ap­pro­prier, ne sem­ble pas encore, en France, bien réalisé.

La France possède pourtant d’importants atouts dans le domaine de la haute technologie.

B. D. : Nous avons des capac­ités indus­trielles et tech­nologiques. Elles sont liées à la recherche, à l’in­no­va­tion, à la qual­ité de nos ingénieurs recon­nue au niveau mon­di­al. Cette indus­trie est une oppor­tu­nité pour la France. Mais nos atouts sont, pour le moment, freinés par nos hand­i­caps cul­turels. Le réflexe de la pro­tec­tion l’emporte encore trop sou­vent sur celui de l’ou­ver­ture des fron­tières. Ce qui est nou­veau rebute. Les Français restent scep­tiques devant la nouveauté.

Le défi de l’industrie informatique est de faire en sorte que les applications aient un sens pour la vie de chacun, d’être un formidable facteur de progrès humain. Comment la technologie doit-elle permettre à l’homme de conduire la machine, de lui redonner plus de valeur ajoutée, plus d’initiatives, plus de responsabilités ?

B. D. : L’échange homme-machine passe par un com­porte­ment cul­turel. Il faut dépass­er le niveau pri­maire du con­cept infor­ma­tique. On ne sait pas encore par­ler à une machine. On impose des con­traintes. Par rap­port à cela, les indi­vidus se sen­tent défen­sifs. Les pro­grès de l’in­for­ma­tique devraient faciliter cette nou­velle approche des indi­vidus. Le domaine où l’on doit faire le plus de pro­grès et qui néces­site le plus de recherche, est dans la rela­tion, le dia­logue homme-machine. Il s’ag­it de dis­ci­plin­er la tech­nolo­gie de base pour aller dans le sens de la convivialité.

Parmi les atouts de la France, vous avez fait référence à la qualité de ses ingénieurs. Pour vous, quel est le profil de l’ingénieur de demain ?

B. D. : L’un des prob­lèmes majeurs en France est l’im­por­tance accordée au diplôme. Cette sit­u­a­tion n’aide pas à inté­gr­er l’idée de change­ment. La cer­ti­tude qu’ap­por­tent les diplômes de haut niveau d’une part, et la néces­sité au change­ment d’autre part, sont deux notions antin­o­miques. L’une repose sur la pro­tec­tion, l’autre sur la remise en cause. Il y a là un prob­lème d’adapt­abil­ité, de change­ment d’é­tat d’esprit.

Il con­viendrait ici de par­ler de la ges­tion du change­ment dans les entre­pris­es. Il est impor­tant de se renou­vel­er, de s’adapter. Il faut incul­quer aux jeunes ingénieurs cet impératif d’ap­pren­dre en per­ma­nence, par eux-mêmes. Ils doivent l’in­té­gr­er dans leur emploi du temps, être curieux de ce qui se passe, et se remet­tre en cause. Ce “com­man­de­ment” doit être présent sys­té­ma­tique­ment dans leur esprit. Il con­vient de se for­mer con­stam­ment afin d’as­sim­i­l­er plus facile­ment les change­ments qui inter­vi­en­nent. C’est le con­cept de con­nais­sance et de savoir-faire.

Nos grandes écoles sont une très bonne for­ma­tion pour appren­dre le raison­nement. Mais la for­ma­tion reçue n’est pas une fin en soi. Elle n’est que le début d’une car­rière. Les pro­jets péd­a­gogiques doivent abor­der rapi­de­ment cette ques­tion déter­mi­nante, et les élèves recevoir une for­ma­tion plus ouverte, plus imag­i­na­tive, qui asso­cie la cul­ture, la tech­nolo­gie et les sci­ences humaines.

Des com­pag­nies comme les nôtres ont besoin d’ingénieurs, bien sûr, mais aus­si d’hommes de mar­ket­ing, de com­mu­ni­ca­tion, de scé­nar­istes — le monde lit­téraire doit jouer un rôle de plus en plus grand dans l’en­tre­prise -, bref de pro­fils de pen­sée, de visions dif­férentes, de com­pé­tences complémentaires.

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