Accompagner les entreprises en difficulté au cœur des territoires

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°792 Février 2024Par Laure WAREMBOURG

Laure Warem­bourg, avo­cate asso­ciée au sein du cabi­net Juri­dis 360, nous explique son posi­tion­ne­ment et son rôle actif dans sa région, les Hauts-de-France, afin d’accompagner les entre­prises qui font face à des dif­fi­cul­tés dans un contexte éco­no­mique com­plexe et for­te­ment évo­lu­tif. Entretien.

Vous vous positionnez comme une avocate des territoires spécialisée en restructuring. Dites-nous en plus.

En effet, je suis une avo­cate ancrée dans les Hauts-de-France, et j’accompagne des entre­prises en dif­fi­cul­té et/ou des repre­neurs à même de redres­ser ces entre­prises et de sau­ve­gar­der l’emploi. Ce posi­tion­ne­ment est le fruit de mon par­cours. J’ai débu­té ma vie pro­fes­sion­nelle à la Banque de France, d’abord à Paris, puis à Lille où j’occupais le poste de direc­trice des entre­prises en charge des notations.
Pen­dant la quin­zaine d’années que j’ai pas­sée à la Banque de France, je me suis inté­res­sée à la ques­tion des entre­prises en dif­fi­cul­té, car la Banque cen­trale inter­vient à divers titres et dans diverses ins­tances spé­cia­li­sées dans le trai­te­ment des dif­fi­cul­tés d’entreprise, notam­ment aujourd’hui comme média­teur du cré­dit. Dès le départ, j’ai donc tou­jours eu une double exper­tise juri­dique et finan­cière. Aujourd’hui, avec le sou­tien de mon équipe, nous trai­tons l’ensemble des ques­tions rela­tives aux dif­fi­cul­tés des entre­prises de la région des Hauts-de-France depuis Lille où je suis basée (pro­cé­dures col­lec­tives, pré­ven­tion…). Dans cette démarche, je capi­ta­lise éga­le­ment sur les exper­tises de mon cabi­net, Juri­dis 360.
Je suis, par ailleurs, membre de l’ARE et béné­fi­cie du réseau natio­nal de l’association. Si le point d’entrée de mes inter­ven­tions est tou­jours la région Hauts-de-France, je peux néan­moins accom­pa­gner des entre­pre­neurs ou des repre­neurs d’autres régions. De manière géné­rale, je n’interviens pas du côté des banques, mais je peux accom­pa­gner cer­tains créan­ciers et four­nis­seurs de pres­ta­tions de ser­vices. Alors que les Hauts-de-France sont une terre d’enseigne, je m’appuie, par ailleurs, sur une fine connais­sance en bail com­mer­cial, une com­pé­tence qui s’est avé­rée stra­té­gique dans le contexte de la pan­dé­mie et de la crise de la Covid qui ont entraî­né des fer­me­tures d’enseignes, de res­tau­rants, de commerces…
Enfin, les Hauts-de-France sont aus­si une région au fort pas­sé indus­triel et qui est aujourd’hui à la croi­sée des enjeux de réin­dus­tria­li­sa­tion et de trans­for­ma­tion alors que de nom­breux grands pro­jets sont en cours de réflexion ou de déve­lop­pe­ment dans le nord du pays. Au-delà du restruc­tu­ring, je suis éga­le­ment régu­liè­re­ment sol­li­ci­tée par des nom­breux acteurs dans le cadre de leur transformation.
Quel que soit l’enjeu ou l’objectif, la clé de la réus­site d’une restruc­tu­ra­tion ou d’une trans­for­ma­tion reste l’anticipation afin de pou­voir mobi­li­ser tous les outils et les solu­tions disponibles.

En quoi votre double expertise juridique et financière est-elle particulièrement pertinente dans le monde du restructuring de manière générale ?

À mon sens, cette dis­ci­pline néces­site une approche plu­ri­dis­ci­pli­naire. En ma qua­li­té d’avocat, je suis un point d’entrée pri­vi­lé­gié pour les chefs d’entreprise. Au-delà, mon expé­rience au sein de la Banque France me per­met de lire et de com­prendre très vite les comptes, les pré­vi­sions de tré­so­re­rie, les busi­ness plans… Si je ne réa­lise pas de diag­nos­tic finan­cier, je suis néan­moins en capa­ci­té de poser un pré-diag­nos­tic et d’évaluer le niveau de cri­ti­ci­té des dif­fi­cul­tés de l’entreprise afin de pou­voir action­ner les leviers adé­quats et mobi­li­ser les bons outils afin de trai­ter ces dif­fi­cul­tés ou dépas­ser une crise.

“Quel que soit l’enjeu ou l’objectif, la clé de la réussite d’une restructuration ou d’une transformation reste l’anticipation afin de pouvoir mobiliser tous les outils et les solutions disponibles.”

Comment se porte le tissu industriel et entrepreneurial dans les Hauts-de-France ?

Comme pré­cé­dem­ment men­tion­né, la région est une terre d’enseignes qui a été for­te­ment impac­tée par la crise de la Covid. J’ai ain­si notam­ment été l’avocat dans la sau­ve­garde de la chaîne de res­tau­ra­tion Flunch, un dos­sier d’envergure natio­nale. Le sec­teur du prêt-à-por­ter et de l’habillement a éga­le­ment été for­te­ment tou­ché. Dans le dos­sier de Camaïeu, j’ai notam­ment accom­pa­gné un client qui por­tait une offre de reprise.
La pan­dé­mie est venue révé­ler et ampli­fier des dif­fi­cul­tés jusque-là sous-jacentes, alors que l’évolution et la trans­for­ma­tion des modes de consom­ma­tion pen­dant la crise sani­taire ont por­té à mal le sec­teur de la dis­tri­bu­tion et du retail de manière géné­rale. À cela s’est ajou­tée la ques­tion des baux com­mer­ciaux, du paie­ment des loyers, des fer­me­tures des com­merces. Dans le cadre des négo­cia­tions avec les bailleurs, j’ai pu avoir recours aux outils de la pré­ven­tion, man­dat ad hoc et conci­lia­tion. Par ailleurs, j’ai capi­ta­li­sé sur la com­pé­tence his­to­rique du cabi­net Juri­dis 360 en la matière et ma propre exper­tise en matière de bail en pro­cé­dure col­lec­tive. Avec les arrêts de la Cour de Cas­sa­tion du 30 juin 2022 en faveur des bailleurs, toutes les entre­prises qui n’avaient pas réus­si à négo­cier un accord avec leurs bailleurs avant cette date se sont retrou­vées en dif­fi­cul­té. En effet, ces dettes de loyer se sont ajou­tées aux dettes rela­tives au PGE. Aujourd’hui, de nom­breuses entre­prises sont for­te­ment fra­gi­li­sées et l’enjeu est de les aider à obte­nir des négo­cia­tions à l’amiable pour faire face à leurs difficultés.
Les entre­prises indus­trielles, au-delà de la baisse de la consom­ma­tion, ont, quant à elles, dû faire face à des pro­blé­ma­tiques de pénu­rie et de rup­ture de leur chaîne d’approvisionnement. En paral­lèle, dans de nom­breux sec­teurs, comme l’automobile, elles doivent tota­le­ment repen­ser leur busi­ness model et se réin­ven­ter dans un contexte qui est éga­le­ment mar­qué par l’accélération des tran­si­tions (digi­tale, tech­no­lo­gique, éner­gé­tique, éco­lo­gique, envi­ron­ne­men­tale). Plus récem­ment, la guerre en Ukraine, l’inflation, la hausse des coûts et la remon­tée des taux ont accé­lé­ré la dégra­da­tion d’un contexte éco­no­mique déjà très complexe.
Cette situa­tion éco­no­mique qui n’est pas le propre de ma région, mais est la réa­li­té de l’ensemble des ter­ri­toires, impacte éga­le­ment la qua­li­té des négo­cia­tions qui sont plus longues, dures et dif­fi­ciles pour l’ensemble des par­ties prenantes.

“Nous voyons de plus en plus de sociétés positionnées sur des marchés porteurs et profitables qui n’arrivent pas à se développer pleinement. ”

Qu’attendent les chefs d’entreprise de leur conseil dans un contexte aussi dégradé, incertain et complexe ?

Je pense qu’ils ont, tout d’abord, besoin d’être écou­tés et d’avoir un inter­lo­cu­teur qui a une réelle capa­ci­té à com­prendre la crise qu’ils tra­versent. Dans ces phases dif­fi­ciles de la vie d’un entre­pre­neur, d’un diri­geant et d’un chef d’entreprise, il est impor­tant qu’ils puissent nouer une rela­tion de confiance et trans­pa­rente avec leur avo­cat, qui, je le rap­pelle, est tenu au secret professionnel.
À par­tir de là, mon rôle est de m’assurer que mon inter­lo­cu­teur com­prenne que son entre­prise est en dif­fi­cul­té ou en crise selon la situa­tion. En effet, dans cette dis­ci­pline, il y a une forte dimen­sion psy­cho­lo­gique, car cer­tains chefs d’entreprise ont du mal à entendre et assi­mi­ler que leur entre­prise fait face à des dif­fi­cul­tés. Ils ont besoin de sou­tien face à cette situa­tion qui est sou­vent vécue comme un échec personnel.
Sur un plan plus opé­ra­tion­nel, les besoins et les attentes des clients dif­fèrent en fonc­tion de la situa­tion : une crise à dépas­ser, des dif­fi­cul­tés à trai­ter ou une trans­for­ma­tion à réus­sir. Quel que soit l’enjeu, nous devons pou­voir mobi­li­ser et tra­vailler avec les autres acteurs de l’écosystème afin de mobi­li­ser avec effi­ca­ci­té tous les outils et solu­tions exis­tants. Au-delà, dans le restruc­tu­ring, les avo­cats sont ce que j’appelle « des urgen­tistes du droit », car nous devons tra­vailler très vite et dans des délais extrê­me­ment ser­rés, mais aus­si avoir recours à des trai­te­ments de choc !

Et pour conclure ?

Aujourd’hui, les entre­prises qui font face à des dif­fi­cul­tés ne sont pas uni­que­ment des entre­prises qui ont des pro­blé­ma­tiques finan­cières. Nous voyons de plus en plus de socié­tés posi­tion­nées sur des mar­chés por­teurs et pro­fi­tables qui n’arrivent pas à se déve­lop­per plei­ne­ment, car elles peinent à recru­ter dans un monde du tra­vail post-Covid où les rap­ports de force entre les entre­prises, les col­la­bo­ra­teurs et les can­di­dats à l’emploi ont changé.

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