Découvertes à l'est

Découvertes (à l’Est)

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°795 Mai 2024
Par Jean SALMONA (56)

Une noix
Qu’y a‑t-il à l’intérieur d’une noix
Qu’est-ce qu’on y voit
Quand elle est ouverte
On n’a pas le temps d’y voir
On la croque et puis bonsoir
On n’a pas le temps d’y voir
On la croque et puis bonsoir
Les décou­vertes.

Charles Tre­net, Une noix

George Enescu – SymphoniesGeorge Enescu – Symphonies

Enes­cu est connu comme chef et comme vio­lo­niste – qui n’a été ému aux larmes à l’écoute du Concer­to pour deux vio­lons de Bach avec un Yehu­di Menu­hin de 16 ans ? – moins comme com­po­si­teur. Or son œuvre ne se limite pas à la Rap­so­die rou­maine n° 1, pièce à l’enthousiasme com­mu­ni­ca­tif : il aura été un grand sym­pho­niste, comme on peut le décou­vrir à l’écoute des trois Sym­pho­nies enre­gis­trées par son conci­toyen Cris­tian Măce­la­ru à la tête de l’Orchestre natio­nal de France. Écrites toutes trois dans les pre­mières années du XXe siècle, elles carac­té­risent bien l’évolution du lan­gage musi­cal à cette époque char­nière, de la pre­mière dans la lignée de Brahms à la ‑troi­sième, avec chœurs – la plus belle à notre avis –, contem­po­raine de La Mer de Debus­sy et de Daph­nis et Chloé de Ravel, dont elle s’inspire clai­re­ment. Ce que révèlent ces trois œuvres sin­gu­lières, c’est un talent d’orchestrateur qui ne le cède en rien à Ravel et Richard Strauss. Les deux Rap­so­dies rou­maines – la deuxième très rare­ment jouée, autre décou­verte – com­plètent cet album, qui ravi­ra les ama­teurs de belle ‑archi­tec­ture musi­cale et de riche orchestration.

3 CD Deutsche Grammophon

Gidon Kremer – Chants du destinGidon Kremer – Chants du destin

Gidon Kre­mer est un musi­cien des plus extra­or­di­naires du XXe siècle ; à la fois let­ton, russe, alle­mand, sué­dois et, par-des­sus tout cela, juif. C’est pré­ci­sé­ment cette judéi­té qui consti­tue le cadre de l’album Chants du des­tin qu’il a enre­gis­tré à la tête de son célèbre orchestre de chambre Kre­me­ra­ta Bal­ti­ca, com­po­sé de musi­ciens des pays baltes. Il pré­sente d’abord des pièces de com­po­si­teurs baltes contem­po­rains : Ceci aus­si pas­se­ra, de Rymantė Šerkš­nytė, pour vio­lon, vio­lon­celle, vibra­phone et orchestre à cordes ; des chants dont la Lamen­ta­tion de David, Pré­lude Kad­dish, etc., avec une sopra­no, de Gie­drius Kupre­vičius, Lignum de Jēkabs Jančevs­kis. L’autre moi­tié du disque est consa­crée au grand Miec­zysław Wein­berg, dis­ciple de Chos­ta­ko­vitch, dont il a été ques­tion à plu­sieurs reprises dans ces colonnes : Noc­turne et Kuja­wiak, pour vio­lon et orchestre, des chants yid­dish et une sublime Aria pour qua­tuor à cordes. Toutes ces musiques sont mar­quées du sceau du tra­gique qui empreint la culture des Juifs d’Europe de l’Est et, en même temps, de cette espé­rance qui n’a jamais aban­don­né le peuple juif tout au long de son histoire.

1 CD ECM

Weinberg – Sonates pour violoncelle seulWeinberg – Sonates pour violoncelle seul

C’est pré­ci­sé­ment à Gidon Kre­mer que le vio­lon­cel­liste ita­lien Mario Bru­nel­lo doit sa décou­verte de la musique de Wein­berg, dont il vient d’enregistrer les quatre Sonates pour vio­lon­celle seul. On sait que Wein­berg a eu une exis­tence dif­fi­cile, fuyant sa Pologne natale pour échap­per aux nazis pour trou­ver, en Union sovié­tique, les purges sta­li­niennes aux­quelles seule la pro­tec­tion de son ami Chos­ta­ko­vitch lui a per­mis d’échapper. Aucune joie, aucune insou­ciance dans ces quatre Sonates, musique pure et dure « en noir et blanc » comme l’écrit ‑Bru­nel­lo, que l’on écoute en pen­sant aux Suites de Bach dont elles s’inspirent clai­re­ment. Une œuvre pro­fon­dé­ment ori­gi­nale et qui mérite la découverte.

1 CD ARCANA

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