Cinéma, les films de mars 2024

A Man / Pauvres créatures / May December / Le dernier des juifs / la tête froide

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°793 Mars 2024
Par Christian JEANBRAU (63)

Tan­dis qu’Yvan Attal (Un coup de dés – 1 h 25) ratait abso­lu­ment son affaire, Domi­nique Abel et Fio­na Gor­don (L’Étoile filante – 1 h 38) tis­saient un trop abs­cons délire pour ini­tiés et Quen­tin Dupieux (Daaaaaalí ! – 1 h 18) nous fai­sait un sym­pa­thique mais très « dis­pen­sable » clin d’œil. En res­taient cinq sur le plateau.

A manA Man

Réa­li­sa­teur : Kei Ishi­ka­wa – 2 h 01

Inat­ten­du et fas­ci­nant. La lente, pre­nante, pas­sion­nante mise en place d’une intrigue qui évo­lue du gen­til mélo à l’enquête dérou­tante et à l’introspection désta­bi­li­sante. L’atmosphère asia­tique ins­talle son exo­tisme tou­jours sur­pre­nant fait de cour­toi­sie exquise, de déli­ca­tesse, de rete­nue. La toile d’araignée des hypo­thèses sur­prend par la décou­verte pro­gres­sive de sa com­plexi­té. De déli­cats acteurs y plient soi­gneu­se­ment leurs inter­ro­ga­tions intimes aux exi­gences de la rete­nue. On est tout du long sous le charme. Un éton­nant et magni­fique entre­lacs de riches ques­tion­ne­ments. 


Pauvres créaturesPauvres créatures

Réa­li­sa­teur : Yór­gos Lánthimos
– 2 h 21

Sacrée gageure que ce spec­tacle plein de réfé­rences et de folie. On a lu : « Entre Fran­ken­stein et Alice au pays des mer­veilles. » OK pour Fran­ken­stein, mais pour Alice c’est plu­tôt « Alice au lupa­nar ». Dans cette his­toire étour­dis­sante de décou­verte du monde, de ses codes, de son corps, de sa sexua­li­té à libé­rer, par une femme réel­le­ment enfant – puisque dotée pour retrou­ver la vie du cer­veau de celui qu’enceinte elle por­tait au jour de son sui­cide – qui a tout à réap­prendre, l’importance du volet sexuel enva­hit la démarche d’une façon qui mérite la dis­cus­sion. Tout est kitsch, baroque, exa­cer­bé et impres­sion­nant. Dés­in­hi­bée, mue par ses seules curio­si­tés pul­sion­nelles, déci­dée à tout expé­ri­men­ter, Emma Stone pul­vé­rise les obs­tacles, redres­sant in extre­mis la situa­tion dans une pirouette d’un absurde libé­ra­teur. Ce serait une erreur de rater ce film sur­réa­liste, déli­rant et extra­or­di­naire… qu’on craint de conseiller ! 


May decemberMay December

Réa­li­sa­teur : Todd Haynes – 1 h 53

May-Decem­ber, c’est l’étiquette anglo-saxonne des couples à forte dif­fé­rence d’âge. Le fait divers, réel, est hors norme. Elle est d’abord son pro­fes­seur, elle a trente-quatre ans, il est son élève, elle est mariée, quatre enfants, il est en cin­quième et ils sont amants. Elle pur­ge­ra sept ans de pri­son, conce­vra avec lui deux autres enfants qui naî­tront en cap­ti­vi­té, ils se marie­ront à sa sor­tie avant de divor­cer douze ans plus tard. Elle mour­ra d’un can­cer à cin­quante-huit ans. Sur ce cane­vas, Todd Haynes bâtit un film lent, bien fice­lé… qui ne décolle guère. L’éclairage psy­cho­lo­gique est faible, le malaise pal­pable, la ten­sion constante, la véri­té incer­taine, le mys­tère des com­por­te­ments entier, les res­sorts non élu­ci­dés. Il n’y a là que des vic­times. Julianne Moore assume cou­ra­geu­se­ment l’âge de son per­son­nage. Nata­lie Port­man doit l’incarner, film dans le film, telle que vingt ans aupa­ra­vant. Deux grands numé­ros d’actrice. Au milieu, un per­son­nage mas­cu­lin, homme-objet per­du, dépas­sé. La cri­tique n’a pas rele­vé les simi­li­tudes fac­tuelles de départ avec une situa­tion fran­çaise bien connue. Tabou ? 


Le dernier des juifsLe dernier des juifs

Réa­li­sa­teur : Noé Debré – 1 h 30

Un pos­ta­do imma­ture et lunaire, juif qui est aus­si peu concer­né que pos­sible mais qui se laisse bal­lot­ter au gré du vent et des tra­di­tions. Sa mère malade et plus casher. Une exis­tence étroite du côté de Sar­celles (?) dans le déli­te­ment de leur petite com­mu­nau­té. Il fau­drait par­tir. Le mul­ti-cultu­ra­lisme est là, avec les voi­sins noirs et arabes et le tran­quille cha­hut des proxi­mi­tés tolé­rantes dans une tein­ture de racisme bien­veillant, à quelques déra­pages près… Ose­ra-t-on dire que c’est un film plein d’idées, de bonnes inten­tions, de fines obser­va-tions, de micros­cènes tein­tées d’humour, de poé­sie, de mélan­co­lie, riche de brèves nota­tions ico­no­clastes, bien joué et fina­le­ment… un peu ennuyeux ? Curieuse impres­sion. 


La tête froideLa tête froide

Réa­li­sa­teur : Sté­phane Mar­chet­ti – 1 h 32

Tous les ingré­dients sont là, mais la recette est trop incer­taine, avec
des impré­ci­sions, des lacunes et quelques illo­gismes. Cette jeune femme encom­brée de pro­blèmes, qui
peine à gérer les suites de pré­cé­dentes in-consé­quences amou­reuses, qui vivote dans un mobile home entre un job de bar­maid et, avec l’aide d’un flic local, une contre­bande de ciga­rettes à la fron­tière ita­lienne, que le hasard et le besoin pré­ci­pitent dans un tra­fic de migrants à la petite semaine, pou­vait atta­cher et convaincre et com­mence d’ailleurs par le faire. Mais les fai­blesses scé­na­ris­tiques (flic falot, péri­pé­ties glis­sées sous le tapis…) péna­lisent la rigueur du récit et conduisent à un pseu­do-hap­py end boi­teux. Dom­mage. On y était presque. 

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