« La communication de crise est essentielle pour préserver la confiance »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°792 Février 2024Par Véronique PERNIN

De plus en plus sou­vent sous le feu des pro­jec­teurs, les entre­prises en dif­fi­cul­té doivent apprendre à maî­tri­ser leur com­mu­ni­ca­tion. L’objectif ? Infor­mer, ras­su­rer et pré­ser­ver la confiance. Véro­nique Per­nin, fon­da­trice il y a plus de 15 ans de VP Strat, agence « incon­tour­nable » en com­mu­ni­ca­tion de crise avec un track record impor­tant de retour­ne­ments et reprises réus­sis, livre ses conseils.

A quoi sert la communication pour les entreprises en difficulté ou lors de situations spéciales ?

Dif­fi­cul­tés éco­no­miques, mou­ve­ments sociaux, attaques infor­ma­tiques ou média­tiques, crises sani­taires. Face à la crise, il y a une perte de ratio­na­li­té. Inquié­tudes, rumeurs, fakes news… On change alors de para­digme : on entre en « com­mu­ni­ca­tion de crise », qui ren­voie à un ensemble de tech­niques et de méthodes pour maî­tri­ser ce qui se dit sur l’entreprise. Il est alors pré­fé­rable d’être accom­pa­gnés par des pro­fes­sion­nels spé­cia­li­sés, qui vont trai­ter la crise de façon spé­ci­fique, tout en pro­té­geant les équipes de direc­tion internes. Dans les situa­tions spé­ciales, il faut aus­si inclure les ces­sions ou acqui­si­tions d’entreprises, ou le « carve out » (sépa­ra­tion d’une branche) qui doivent faire l’objet de com­mu­ni­ca­tions spé­ci­fiques et préparées.

Pouvez-vous présenter ce qu’est la communication de crise ?

La com­mu­ni­ca­tion de « crise » ou « en situa­tion spé­ciale » est une com­mu­ni­ca­tion qui anti­cipe et active un plan d’urgence sur-mesure et adap­té à une situa­tion d’urgence de l’entreprise. Elle vise à pré­ser­ver la confiance, évi­ter les phé­no­mènes de « sauve-qui-peut ». Elle peut aus­si être un levier tac­tique de négo­cia­tion lors de rap­ports de force, ou favo­ri­ser une reprise « in bonis » ou « à la barre ». Elle per­met enfin de redo­per l’entreprise dans la vision de son rebond. C’est un for­mi­dable outil pour redon­ner une « dyna­mique » vers de nou­velles pers­pec­tives pour l’entreprise.

Il y a encore quelques années, la communication de crise ne faisait pas partie des priorités des groupes dans la tourmente. Aujourd’hui a‑t-elle trouvé sa place dans ces configurations ?

Le conseil en com­mu­ni­ca­tion de crise est deve­nu un volet indis­pen­sable des opé­ra­tions de retour­ne­ment, pour pré­ser­ver la confiance et accom­pa­gner de façon struc­tu­rée les solu­tions de sor­tie de crise et leurs annonces : plan de reprise, new money, plan de conti­nua­tion, ou autre. C’est un ensemble de méthodes appli­quées avec rigueur et réac­ti­vi­té au ser­vice d’objectifs très opé­ra­tion­nels. Ceci dit, il reste encore du che­min à par­cou­rir, beau­coup d’entreprises réagissent encore un peu tard. Par exemple cer­taines nous sol­li­citent encore APRES le CSE d’annonce d’une pro­cé­dure col­lec­tive, alors que tout doit être cali­bré AVANT pour bien mai­tri­ser la com­mu­ni­ca­tion interne qui a une grande poro­si­té avec l’externe. D’autres décident de ne pas com­mu­ni­quer pen­sant que la pous­sière res­te­ra sous le tapis. Or, ne rien dire, c’est prendre le risque de lais­ser dire et que d’autres parlent à votre place.

Faut-il se préparer même quand on ne veut pas communiquer ?

Avec les dif­fé­rents médias, l’information en conti­nu, les réseaux sociaux et le digi­tal, l’entreprise est au milieu d’une chaîne de com­mu­ni­ca­tion inin­ter­rom­pue que ce soit en interne, en externe, vis-à-vis de la presse ou des influen­ceurs et réseaux sociaux. Tout com­mu­nique. Pour anes­thé­sier une situa­tion, il est impé­ra­tif d’avoir une com­mu­ni­ca­tion prête à sor­tir en cas de fuite : c’est ce que l’on appelle une stra­té­gie défen­sive. Récem­ment, pour une marque his­to­ri­que­ment connue, nous avons réus­si à ce que rien ne sorte. Ni en pro­cé­dure de pré­ven­tion, ni en redres­se­ment judi­ciaire. L’anticipation et le contexte du dos­sier nous ont per­mis de pro­té­ger la marque inter­na­tio­nale de la mai­son-mère, de pré­ser­ver la confi­den­tia­li­té dans un pro­ces­sus de reprise déjà enclen­ché (pré-pack), de construire les mes­sages clés pour être prêts en cas de fuite. Une veille très poin­tue sur les médias, réseaux sociaux, forums et blogs avait été mise en place pour anti­ci­per tous les signaux faibles et pou­voir réagir immédiatement.

Comment intervenez-vous ?

VP Strat a conçu une approche très réac­tive, tech­nique et opé­ra­tion­nelle de la com­mu­ni­ca­tion de crise. On anti­cipe les risques, on pro­tège l’entreprise et ses action­naires, on com­mu­nique un nou­vel élan. Cela passe par une ligne édi­to­riale claire por­tée par dif­fé­rentes actions pour ras­su­rer et main­te­nir la mobi­li­sa­tion du per­son­nel ; conser­ver la confiance des clients, par­te­naires et four­nis­seurs ; expli­quer la situa­tion et les stra­té­gies de redres­se­ment mises en place ; et valo­ri­ser la trans­pa­rence ain­si que les atouts et pers­pec­tives de l’entreprise. Enfin, der­rière ces pro­cé­dures, ne jamais oublier qu’il y a des hommes, des femmes, des familles, et notre action vise tou­jours à ser­vir le redres­se­ment de l’entreprise avec empa­thie, humi­li­té et un opti­misme tou­jours réaliste.

Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants ?

Il n’y a pas de véri­té abso­lue en com­mu­ni­ca­tion, science de la per­cep­tion, mais il existe quelques fon­da­men­taux inva­riables de méthodologie.
Après la créa­tion d’une cel­lule stra­té­gique ou de crise inté­grant toutes les dimen­sions utiles au trai­te­ment des dif­fi­cul­tés (juri­dique, finan­cière, sociale, RH, com­mu­ni­ca­tion, etc.), il faut immé­dia­te­ment mettre en place une veille sur les médias, réseaux sociaux, blogs et forums pour pou­voir réagir en temps réel. Dans le même temps, une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion (proac­tif, défen­sif) avec des objec­tifs clairs doivent être défi­nis en cel­lule. Il est impor­tant d’identifier les cibles et relais clés en interne et en externe. Nous éta­blis­sons un Q&A (ques­tions-réponses) sans com­plai­sance ni auto­cen­sure et avec les dates et chiffres clés, qui per­met­tra de rédi­ger des élé­ments de lan­gage cohé­rents (sta­te­ment, com­mu­ni­qué). Un porte-parole unique est dési­gné pour trans­mettre les mes­sages. La com­mu­ni­ca­tion est déployée de manière struc­tu­rée et selon un timing rapide.
Au-delà de ces quelques points, de nom­breux conseils et astuces peuvent être appli­qués à chaque situa­tion. Il nous arrive aus­si d’apporter sim­ple­ment notre vision et nos conseils de com­mu­ni­cants sur un dos­sier sans pour autant inter­ve­nir dans l’opérationnel, tout cela dans un res­pect abso­lu de confi­den­tia­li­té. Chaque dos­sier a son histoire.

Les dirigeants sont-ils suffisamment formés aux enjeux communicationnels ?

Les diri­geants sont dans l’ensemble bien for­més aux enjeux de la com­mu­ni­ca­tion, mais en période de crise, ils sont confron­tés à une hyper­sen­si­bi­li­té des équipes, accen­tuée par un fac­teur temps qui bous­cule la réflexion de fond et la ratio­na­li­té. Il est alors pré­fé­rable de se repo­ser sur des spé­cia­listes externes moins expo­sés à la situa­tion. En crise, tout s’accélère et une com­mu­ni­ca­tion non maî­tri­sée peut vite glis­ser comme le sable entre ses doigts. C’est pour­quoi il faut tou­jours anti­ci­per, par­ler en pre­mier pour expli­quer, ou tout au moins se tenir prêt.

Accompagnez-vous aussi des crises industrielles (explosions, risques sanitaires) ?

Nous met­tons en place des guides de pro­cé­dure de com­mu­ni­ca­tion de crise très opé­ra­tion­nels avec for­ma­tions des équipes pour démul­ti­plier et les rendre prêts. Récem­ment nous avons accom­pa­gné un grand groupe d’agroalimentaire dans ses pro­cess de com­mu­ni­ca­tion en cas de risques d’intoxication ali­men­taire (TIAC) pour que les équipes soient auto­nomes, immé­dia­te­ment opé­ra­tion­nelles et prêtes à réagir si cela arri­vait. Ensuite si crise, nous pou­vons inter­ve­nir en sup­port vis-à-vis de l’interne, des élus et des médias notamment.

Quelle est votre plus belle réussite professionnelle en matière de restructuring ?

Récem­ment, nous avons accom­pa­gné des groupes comme Lapeyre dans son plan de relance ou le groupe GIFI dans sa restruc­tu­ra­tion du réseau de maga­sins Tati afin de sau­ve­gar­der un maxi­mum d’emplois (1200 sur 1400), ain­si que Celio, Flunch, la reprise des maga­sins Office Dépôt par la coopé­ra­tive Alkor ou encore des groupes phar­ma­ceu­tiques, retail, ou indus­triels. Mais si je devais rete­nir un dos­sier, ce serait celui de l’aciérie Asco­val et ses 300 sala­riés. Un bel exemple du rôle que peut jouer la com­mu­ni­ca­tion pour accom­pa­gner une entre­prise en voie de redres­se­ment autour d’une « union sacrée » entre sala­riés, syn­di­cats, la direc­tion de l’usine, les poli­tiques (Bru­no Le Maire, Agnès Pan­nier, Xavier Ber­trand, Valé­rie Létard, entre autres), les médias, et les conseils en retour­ne­ment (avo­cats, admi­nis­tra­teurs judi­ciaires, audi­teurs, conseil en stra­té­gie). La com­mu­ni­ca­tion a accom­pa­gné de façon très étroite la phase judi­ciaire, les moments de ten­sion et de négo­cia­tion, et main­te­nant de redé­ploie­ment de cette filière stra­té­gique de l’acier. Aujourd’hui, Asco­val a été repris par le sidé­rur­giste Saars­tahl, et est un lea­der de l’acier « vert » recy­clé en Europe. Un film « Le Feu Sacré » raconte l’histoire de cette usine au cinéma.

Un dernier mot ?

Il faut tou­jours voir le verre à moi­tié plein. Un retour­ne­ment d’entreprise, c’est avant tout une dyna­mique posi­tive à réac­ti­ver en faveur du rebond. Il faut croire en ses forces, en son entre­prise et par­fois oser se réin­ven­ter en se fai­sant aider. Et ne jamais oublier qu’une entre­prise, c’est avant tout de l’humain. Pour sus­ci­ter l’adhésion des équipes et des par­ties pre­nantes, il faut par­ler vrai, être trans­pa­rent, tout en sachant ras­su­rer par un solide plan de relance. Une com­mu­ni­ca­tion mai­tri­sée et construc­tive est une brique essen­tielle de la sor­tie de crise.

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