transformation numérique des territoires

Poursuivre et réussir la transformation numérique des territoires

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°789 Novembre 2023
Par Philippe LE GRAND

En matière de déploie­ment des infra­struc­tures numé­riques, en Europe ain­si que dans le monde entier, le suc­cès de la France en la matière fait l’unanimité. Grâce à une concer­ta­tion fruc­tueuse entre l’ensemble des par­ties pre­nantes, le pays pour­suit le déploie­ment du numé­rique afin que tous les Fran­çais puissent en béné­fi­cier. Phi­lippe Le Grand, Pré­sident d’Infra­Num, la fédé­ra­tion qui regroupe les entre­prises de la filière des infra­struc­tures numé­riques, nous en dit plus et revient éga­le­ment sur les chan­tiers qui vont mobi­li­ser les acteurs de ce sec­teur, l’État et les col­lec­ti­vi­tés. Rencontre.

Qui est InfraNum ? 

Créée il y a main­te­nant 10 ans, Infra­Num est la fédé­ra­tion qui regroupe l’ensemble des acteurs des infra­struc­tures numé­riques et des entre­prises enga­gées sur le déploie­ment et l’exploitation des infra­struc­tures numé­riques. Nous repré­sen­tons le sec­teur devant les pou­voirs publics, mais éga­le­ment devant les autres sec­teurs d’activité afin de per­mettre à la filière d’être enten­due, de se coor­don­ner et de faire en sorte que ses acti­vi­tés puissent se développer. 

Infra­Num regroupe près de 230 membres : des opé­ra­teurs com­mer­ciaux, des opé­ra­teurs d’infrastructures, des inté­gra­teurs qui déploient les réseaux, des fonds d’investissement, des orga­nismes de for­ma­tion, des bureaux d’études, des équi­pe­men­tiers… Toutes les com­po­santes de la filière sont ain­si repré­sen­tées au sein de la fédé­ra­tion. Les entre­prises qui nous rejoignent sont des grands groupes, des ETI, mais aus­si des PME. 

Afin de représenter la filière auprès de vos différentes parties prenantes, quelles sont les grandes lignes de la feuille de route d’InfraNum ?

Nous cou­vrons le sec­teur des infra­struc­tures numé­riques qui est iden­ti­fié comme la réponse indus­trielle au Plan France Très Haut Débit qui a été lan­cé en 2013, il y a déjà plus de 10 ans. Nous sommes ain­si asso­ciés au déploie­ment de la fibre en France, qui est, par ailleurs, un très grand succès ! 

En paral­lèle, les infra­struc­tures numé­riques couvrent un péri­mètre plus large qui va au-delà de la fibre optique : les infra­struc­tures mobiles, les data cen­ters, les réseaux 5G pri­vés qui servent au déve­lop­pe­ment de l’industrie 4.0… Nous sommes aus­si très impli­qués dans les pro­jets de ter­ri­toires connec­tés et durables ain­si que dans le déve­lop­pe­ment du mar­ché entre­prises… Autant de sujets qui sont au cœur de l’avenir de notre filière et qui mobi­lisent de nom­breux acteurs afin que ces déve­lop­pe­ments se concré­tisent et deviennent une réalité. 

Alors qu’InfraNum fête son 10e anniversaire, quels sont les principaux chantiers qui vous ont mobilisé au cours de cette décennie ? 

Le Plan France Très Haut Débit est bien évi­dem­ment le prin­ci­pal chan­tier qui nous a mobi­li­sé et occu­pé au cours de cette décen­nie. L’ambition por­tée par ce plan était le déploie­ment de la fibre sur l’ensemble du ter­ri­toire natio­nal. À son lan­ce­ment du plan, la France était clas­sée en der­nière posi­tion à une échelle euro­péenne. Aujourd’hui, notre pays se posi­tionne comme le lea­der en matière de déploie­ment de la fibre optique. C’est un suc­cès recon­nu et envié par nos voi­sins européens ! 

Tou­te­fois, nous sommes face à trois enjeux majeurs. Le pre­mier consiste à aller au bout du plan pour que l’ensemble du ter­ri­toire béné­fi­cie de la fibre optique. Deuxiè­me­ment, il nous faut garan­tir que les réseaux que nous avons construits et déployés soient pérennes et sécu­ri­sés. Et enfin, troi­siè­me­ment, nous devons pou­voir nous ados­ser à des modèles éco­no­miques d’exploitation de ces réseaux dans les zones rurales qui per­mettent de faire face à tous les éven­tuels aléas de la vie du réseau. 

En paral­lèle, nous avons aus­si tra­vaillé sur le déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal de notre filière, le déve­lop­pe­ment des ter­ri­toires connec­tés, les réseaux hert­ziens ter­restres, les réseaux 5G pri­vés, les data centers. 

Reve­nons sur ce Plan Trés Haut Débit. Afin d’enraciner ce plan et rele­ver les défis qui per­sistent en matière de très haut débit, vous mili­tez en faveur de la mise en place d’un Good Deal du numé­rique. Quelques mots sur cette prise de posi­tion en faveur de l’égalité numé­rique des territoires : 

C’est une posi­tion que nous par­ta­geons avec l’ensemble des col­lec­ti­vi­tés et leurs repré­sen­tants, dont l’Avicca (Asso­cia­tion des villes et col­lec­ti­vi­tés pour les com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques et l’audiovisuel). Pour ce Good Deal du numé­rique, nous nous sommes ins­pi­rés du New Deal mobile qui avait été ini­tié par Julien Denor­man­die, secré­taire d’État auprès du ministre de la Cohé­sion des Ter­ri­toires, et qui consis­tait à exo­né­rer les opé­ra­teurs de rede­vance pour l’utilisation des fré­quences mobiles en échange d’un inves­tis­se­ment des opé­ra­teurs mobiles pour assu­rer le déploie­ment dans les zones rurales non ren­tables. Dans cette logique, notre Good Deal du numé­rique repose sur trois piliers. 

Tout d’abord, les rac­cor­de­ments com­plexes. On parle de rac­cor­de­ment com­plexe lorsque, pour rac­cor­der un foyer, nous ne dis­po­sons pas du génie civil néces­saire : un poteau télé­pho­nique ou élec­trique aérien dis­po­nible pour y accro­cher la fibre, ou bien des four­reaux sou­ter­rains pour tirer un câble optique. Cette carence d’infrastructures d’accueil peut entraî­ner des coûts très oné­reux, par­fois même jusqu’à 100 000 euros. 

L’enjeu est donc de trou­ver des solu­tions tech­niques et éco­no­miques pour lever ces freins. Dans ce cadre, nous pro­po­sons de créer un acteur neutre, un inves­tis­seur avi­sé, qui réa­li­se­rait ces opé­ra­tions de génie civil et qui se rému­né­re­rait sur une très longue durée en louant ces infra­struc­tures à ceux qui vont les uti­li­ser. Ce prin­cipe visant à finan­cer ces rac­cor­de­ments com­plexes per­met­trait éga­le­ment de pro­mou­voir l’égalité ter­ri­to­riale, de rac­cor­der tous les foyers et d’éviter, in fine, des dis­pa­ri­tés selon les zones géographiques. 

Deuxiè­me­ment, la France a réus­si la prouesse de conce­voir et déployer rapi­de­ment ses réseaux. Si nous sommes bien évi­dem­ment très fiers de ce suc­cès, il faut tout de même noter que plus de 50 % des réseaux dans les zones rurales ont été déployés en aérien, ce qui peut impli­quer un risque de dégra­da­tion lors d’un évé­ne­ment cli­ma­tique. Concrè­te­ment, face à un aléa cli­ma­tique, ces réseaux peuvent tom­ber ce qui pri­ve­rait des mil­lions de foyers de l’accès à inter­net pen­dant des heures, voire des jours. Or, ces ser­vices sont vitaux pour la san­té de nos conci­toyens et leur bon déve­lop­pe­ment. Nous avons aujourd’hui plu­sieurs prio­ri­tés mais en pre­mier lieu, il est vital de sécu­ri­ser les infra­struc­tures névral­giques, c’est-à-dire les nœuds de rac­cor­de­ment optique, les points de mutua­li­sa­tion, les câbles de grande capa­ci­té qui sont en aérien. 

Enfin, le troi­sième axe consiste à accom­pa­gner les col­lec­ti­vi­tés dans la défi­ni­tion de modèles éco­no­miques qui leur per­met­tront de péren­ni­ser l’exploitation des réseaux, y com­pris dans les zones rurales. Il n’est pas pos­sible d’exploiter un réseau en zone rurale au même coût que dans une zone urbaine. Actuel­le­ment, aucun méca­nisme ne prend en compte cette dif­fé­ren­cia­tion. Il nous semble néces­saire de prendre des dis­po­si­tions au regard de l’évolution des tarifs d’exploitation payés dans les zones rurales par les opé­ra­teurs d’infrastructures qui doivent assu­mer la vie du réseau et en garan­tir le bon état de fonctionnement. 

L’idée est d’augmenter les tarifs de gros de ces réseaux en zone rurale de façon à leur per­mettre de trou­ver un équi­libre éco­no­mique à long terme. 

Avec l’Avicca, nous avons pro­po­sé un plan de plus de 20 mil­liards sur 20 ans qui est auto­fi­nan­cé par le sec­teur, qui ne néces­site aucune sub­ven­tion sup­plé­men­taire grâce à la réaf­fec­ta­tion de la taxe, la mise en place d’un pré­lè­ve­ment sur l’exploitation des réseaux, la géné­ra­tion d’un inves­tis­se­ment pri­vé à flé­cher sur des zones non ren­tables à date. 

Votre actualité en 2023 est aussi marquée par la signature du nouveau contrat stratégique de filière infrastructure numérique. Dites-nous en plus. 

Emma­nuel Macron, le pré­sident de la Répu­blique, a accep­té notre sug­ges­tion de créa­tion d’un comi­té stra­té­gique de filière. Un pre­mier cycle de trois ans, entre 2019 et 2022, a per­mis de réunir la filière autour de ce comi­té stra­té­gique et de nous mettre en rela­tion avec l’ensemble des acteurs de l’État, ce qui a contri­bué à flui­di­fier signi­fi­ca­ti­ve­ment les rela­tions et de construire ensemble l’avenir des Fran­çais en matière des infra­struc­tures numériques.

“Le comité stratégique de filière est un lieu de concertation formalisé entre l’État et l’ensemble de la filière. C’est une autre illustration de la pertinence du modèle français qui a réussi à réunir autour de la table l’État, les collectivités et l’industrie du numérique.”

Nous avons conclu et signé un nou­veau contrat de filière avec l’État sur la période 2023 à 2025. Il s’articule autour de six axes stra­té­giques que nous avons tenus à ins­crire et à décli­ner avec des orien­ta­tions précises : 

  • le déve­lop­pe­ment de la 5G et des réseaux de futur au ser­vice de la réin­dus­tria­li­sa­tion et de l’industrie 4.0, dont nous enten­dons beau­coup parler ; 
  • le déve­lop­pe­ment de l’industrie des ter­ri­toires connec­tés au ser­vice des usa­gers et pour le bien des collectivités ; 
  • le déve­lop­pe­ment d’un éco­sys­tème dyna­mique d’innovation pour per­mettre et ren­for­cer l’avancée de notre pays dans ces domaines ; 
  • la prise en compte de la tran­si­tion éco­lo­gique dans le déve­lop­pe­ment des nou­veaux réseaux ; 
  • l’attractivité des emplois et le déve­lop­pe­ment des com­pé­tences au sein de notre filière qui peine à atti­rer les talents, fémi­ni­ser ses métiers… ; 
  • le déve­lop­pe­ment de l’offre fran­çaise à l’international : aujourd’hui, par­mi nos membres, un tiers des entre­prises ont une acti­vi­té à l’export. Plus de la moi­tié des pays euro­péens béné­fi­cient des déploie­ments réa­li­sés par des entre­prises fran­çaises. Par exemple, en Alle­magne et au Royaume-Uni, plus d’un quart des prises FTTH, c’est-à-dire les prises en fibre optique déployées dans ces pays, sont déployées par des entre­prises françaises. 

Le comi­té stra­té­gique de filière est un lieu de concer­ta­tion for­ma­li­sé entre l’État et l’ensemble de la filière. C’est une autre illus­tra­tion de la per­ti­nence du modèle fran­çais qui a réus­si à réunir autour de la table l’État, les col­lec­ti­vi­tés et l’industrie du numérique. 

Quels sont les autres chantiers qui vous mobilisent en 2023 ? 

Nous avons défi­ni de grandes orien­ta­tions autour de l’export. La France a su, au tra­vers de sa filière infra­struc­tures numé­riques et donc d’InfraNum, bâtir une approche concer­tée qui nous per­met de pro­po­ser aux pays des solu­tions clé-en-main, qui vont de l’apport d’expertises tech­no­lo­giques avé­rées au finan­ce­ment de pro­jets. Dans ce cadre, nous nous ins­cri­vons véri­ta­ble­ment dans une logique gagnant-gagnant. Ain­si, dès notre arri­vée dans un pays, nous créons des orga­nismes de for­ma­tion. C’est notam­ment ce que nous avons fait au Bénin ce qui per­met de for­mer et d’orienter les talents béni­nois vers les métiers des infra­struc­tures numé­riques. Cette démarche per­met éga­le­ment aux entre­prises et aux ingé­nieurs béni­nois de prendre en charge le déploie­ment des opé­ra­tions grâce aux solu­tions glo­bales que nous met­tons à leur disposition. 

Par ailleurs, nous réflé­chis­sons d’ores et déjà à la recons­truc­tion des infra­struc­tures numé­riques en Ukraine, tou­jours dans cette logique gagnant-gagant en nous appuyant en prio­ri­té sur les com­pé­tences numé­riques locales. Nous tra­vaillons aus­si sur la struc­tu­ra­tion appro­fon­die des data cen­ters, une acti­vi­té de la filière extrê­me­ment dyna­mique en France. 

En paral­lèle, nous nous concen­trons aus­si sur l’émergence des pro­jets de col­lec­ti­vi­té sur les ter­ri­toires connec­tés et durables. 2023 est véri­ta­ble­ment l’année de l’IoT ou inter­net de objets avec un nombre crois­sant d’appels d’offres qui sont lancés. 

Et pour conclure ? 

La France n’est rien sans son indus­trie. Et même si son indus­trie reven­dique un cer­tain libé­ra­lisme, l’appui de l’État et des col­lec­ti­vi­tés res­tent stra­té­giques. Le suc­cès d’une filière indus­trielle comme la nôtre ne peut être qu’un suc­cès partagé. 

Au fil des décen­nies, nous avons déve­lop­pé une véri­table exper­tise en matière de pla­ni­fi­ca­tion. Et ses béné­fices sont encore plus forts quand l’ensemble des par­ties pre­nantes se mettent d’accord. Dans le déploie­ment de la fibre, c’est jus­te­ment ce qui explique notre suc­cès et notre plus grande dif­fé­ren­cia­tion à une échelle mon­diale. Certes, les concer­ta­tions ont été longues, mais le résul­tat est là et il est mon­dia­le­ment reconnu ! 

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