14 May, nouvelle lauréate du concours X Mines Auteur

14 may : nouvelle lauréate du 25e concours X Mines Auteurs

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°784 Avril 2023Par Brigitte CALOT

Avec 14 May, Brigitte Calot (Mines de Nan­cy 1990) a rem­porté le 25e con­cours X Mines Auteurs (automne 2022) qui avait pour thème : « Les tribu­la­tions d’un hon­nête homme du XVIIe siè­cle dans la France d’aujourd’hui ». Nous vous pro­posons ici de décou­vrir son texte. Nous vous invi­tons aus­si à décou­vrir L’égaré du vil­lage d’Auteuil, de Jean-François Guil­bert (X67), qui est arrivé 2e du con­cours et Hubert, de François-Xavier Mar­tin (X63), arrivé 3e. Les 17 autres nou­velles peu­vent être lues sur le site de XMA : http://www.xm-auteurs.com (rubrique « Con­cours »). 


« Je naquis le 14 may 1610. La guéris­seuse de nos­tre vil­lage, Aliénor, déclara ces­te date mau­dite qui ver­rait de grands mal­heurs pour le roy. Ce mesme jour, nos­tre bon roy Hen­ri IV mouroit poignardé par un fou1. Si bien qu’en gran­dis­sant, à cha­cun de mes anniver­saires, je trem­blois que le roy ne meure.

Début may 1643, la rumeur enfla que le roy Louis XIII était très malade, mor­du par un renard à la chas­se. Je me sen­tis investi du des­sein d’empêcher son tré­pas et, le 14 may, jour de mon anniver­saire, je me pré­cip­i­tai au Lou­vre. J’avisai alors une étrange vieille femme me faisant signe avec insis­tance : la guéris­seuse Aliénor ! Je travar­sois la rue pour la rejoin­dre lorsqu’un cheval, arrivant au galop, me per­cu­ta. Il y eut un hen­nisse­ment puis une aveuglante lumière.

Je revins à moi au milieu d’une grande clameur. D’énormes cubes de métal se pré­cip­i­taient sur moi. Je me jetai de côté pour les éviter et remar­quai alors, au milieu de la cour du Lou­vre, une immense pyra­mide trans­par­ente ne ressem­blant à rien de con­nu. De nom­breux gen­til­shommes bizarrement vêtus déam­bu­loient, regar­dant fix­e­ment des sortes de petits miroirs lumineux.

Passée ma frayeur ini­tiale, j’entendis estre, par quelque magie improb­a­ble, dans un monde futur foi­son­nant d’inventions et de machines incon­nues aux fab­uleux pou­voirs mag­iques. Nos­tre Seigneur Dieu m’offrait-il un moyen de sauver mon roy ?

Etour­dis, je bous­cu­lois un chien qui me mordit vio­le­ment le mol­let avant de s’enfuir. Je tombai au sol, saig­nant abon­dam­ment. Alen­tour, cha­cun regar­doit fix­e­ment son petit miroir, sourd à mes appels du fait de curieux petits bou­chons d’oreilles blancs. Drôle d’époque où per­son­ne n’aide un hon­nête homme blessé. J’entendis néan­moins quelqu’un dire à son miroir : « Cours du Lou­vre… Mor­du par un chien ». J’allois me relever lorsqu’arriva une autre gigan­tesque boite, crachant des feux bleus dans un vacarme du diable.

Deux hommes vêtus de blanc en sor­tirent qui se mirent à me ques­tion­ner sur ma mésaven­ture et mes blessures. Ils s’exprimoient d’une manière curieuse et je n’entendois rien de leur insis­tante ques­tion : « Etes-vous vac­ciné con­tre la Rage ? ». Comme je restois coi, l’un d’eux prit un clystère minia­ture duquel il me piqua le bras avant que je ne puisse réa­gir. Curieux de cette pra­tique, je les ques­tion­nais sans faiblir.

Ils m’expliquèrent qu’ils m’avaient vac­ciné con­tre la rage, mal­adie trans­mise par les mor­sures ani­males. Les médecins savaient en effet immu­nis­er les gens en leur injec­tant un peu de matière de la mal­adie. Assuré­ment, ce prodi­ge pou­vait sauver mon roy. Il me fal­loit l’estudier. Je refu­sai donc tout net l’offre de me con­duire à l’hospital car je n’avais pas une minute à per­dre. Aus­si m’orientèrent-ils vers une librairie où je pour­rai me documenter.

La librairie était immense. Après de longues recherch­es, j’y trou­vai un livre inti­t­ulé « Pas­teur, inven­teur du vac­cin con­tre la rage » que je me mis à lire. Le mot Vac­cin avait été inven­té par un anglais, un cer­tain Edward Jen­ner en 17961. L’une des références bib­li­ographiques fit bat­tre mon cœur : « His­toires du 14 mai ». Nous étions le 14 may, ces­te date mau­dite. Cela ne pou­vait être une coïncidence !

Je cher­chois en vain cet ouvrage. Je hélai un vieil homme qui m’ignora, puis un damoi­seau qui fit de mesme. Quelle époque incivile ! Enfin, une damoi­selle vint à mon aide. Seules les dames avaient-elles un com­porte­ment digne à cette époque ? Elle se mit à utilis­er une sorte d’appareil d’imprimerie lumineux qui sem­bloit lui don­ner accès à une source infinie d’information. Après un long moment, elle local­isa par prodi­ge un exem­plaire, pro­priété d’une excen­trique col­lec­tion­neuse à qui elle par­la au tra­vers d’un de ces étranges miroirs, négo­ciant que je con­sul­tasse le livre.

A la nuit tombante, j’arrivois à l’adresse qu’elle m’avait indiquée, le Pavil­lon du Roi Hen­ri IV, rue de Birague. Je fus con­duit au tra­vers d’un couloir som­bre bor­dé d’improbables piles de livres jusqu’au pla­fond. Dans une salle éclairée de chan­delles, au cen­tre d’une grande table, se trou­voit l’ouvrage.

Je l’ouvris sans atten­dre. Il destail­loit tous les faits occur­rés un 14 May au fil de l’histoire.

J’y trou­vois les détails de l’invention du vac­cin. En 1796, Edward Jen­ner avait immu­nisé un garçon­net, James Philip, l’inoculant, par une inci­sion au bras, d’un peu de pus prélevé sur un bou­ton de Var­i­ole1. Je tenois la maniesre de sauver mon roy et ses descendants !

Par­courant les pages, je décou­vris aus­si la source de ma malé­dic­tion. Lors de la bataille de Lewes le 14 may 12641, Aliénor de Provence, épouse du roy Hen­ry III d’Angleterre1, vain­cu par Simon de Mon­fort1, avait mau­dit ces­te date en con­damnant deux roys de France à y mourir. Mais, prise de remords, cette pieuse dame avait prédit à cette mesme date une inven­tion qui sauverait des vies.

Deux roys devaient mourir ? J’avais donc échoué et Louis XIII était mort. J’étais glacé mais je déte­nais un savoir capa­ble de sauver tous les roys à venir !

Soudain, je remar­quai à l’entrée de la pièce une vieille dame aux yeux pétil­lants de jeunesse. Elle ressem­blait trait pour trait à la guéris­seuse Aliénor. Je balbutiai : 

— Vous ? Mais com­ment est-ce…

— Vous avez une mission.

— Oui, je dois sauver le…

— Non, c’est trop tard puisque vous êtes là.

— Je l’entends. Mais alors quelle…

— Rap­portez le savoir pour sauver les suiv­ants. Allez‑y, oust !

— Mais com­ment ? où …

— Comme tous les héros, là d’où vous venez, avant minuit !

Elle restoit à me regarder sans rien dire, souri­ant, la tête légère­ment penchée, atten­dant que j’y entende quelque chose. Et soudain je sus : … Au Lou­vre, je dois retourn­er au Lou­vre ! Tout y a com­mencé ce matin et c’est là que tout va finir ce soir.

Je ne marche pas, je bondis. Je ne bondis pas, je courre. Je ne cours plus, je vole. Dans les escaliers, dans les couloirs, dans les rues, à tra­vers les lam­padaires et les objets, les véhicules et les pas­sants. Je tra­verse sans un regard, je saute les bar­rières, j’enjambe les ponts. Mes poumons sont en feu, mes jambes sont en pierre.

Il fait nuit noire main­tenant. La pyra­mide de verre éclaire la cour. Où aller ? Tour­nant la tête, je vois la rue qui vrom­bit de ces étranges cubes métalliques se déplaçant par magie sans aucun cheval de trait. Alors, je tra­verse la chaussée et une aveuglante lumière me désoriente.

Lorsque je rou­vre les yeux la pyra­mide de verre a dis­paru. Je suis revenu en 1643 avecque toute la mes­moire de mes tribu­la­tions. Puisque ce roy est mort, c’est main­tenant au médecin roy­al que… »

***

Edward Jen­ner, sidéré, avait reposé le man­u­scrit qui, déchiré, s’arrêtait là. De manière improb­a­ble, Guil­laume Le Mon­nier, ancien pre­mier médecin du roi Louis XVI1, le lui avait remis en ce 14 mai 1792 car Jen­ner y était cité. Ce doc­u­ment, vieux de 150 ans, avait per­mis au médecin d’immuniser le roy Louis XVI con­tre la Var­i­ole dès 17781, le sauvant de la mort qui avait emporté son père, une pre­mière en France.

Sur la base du man­u­scrit, Jen­ner pour­suiv­it ses travaux. Il était porté par une exal­ta­tion fab­uleuse. Il avait, effec­tive­ment, appelé ce procédé Vac­ci­na­tion, en référence à la Var­i­ole de la vache ou Vac­cine1. Une ver­sion rudi­men­taire avait sauvé Louis XVI. La Vac­ci­na­tion sauverait d’autres rois et chang­erait la face du monde !

Après quelques années, Jen­ner fut prêt à procéder. Il vac­ci­na, avec suc­cès, le fils de son jar­dinier, un garçon­net de 8 ans, appelé, comme dans le man­u­scrit, James Philip. C’était en 1796, le 14 mai1.


1. Fait historique.

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