Une action des pouvoirs publics : encourager l’innovation socio-économique

Dossier : Défricher des voies nouvellesMagazine N°552 Février 2000
Par Hughes SIBILLE

Schum­peter définis­sait cinq sujets d’innovation dans le domaine économique et tech­nique : la fab­ri­ca­tion d’un bien nou­veau, l’introduction d’une nou­velle façon de pro­duire, l’ouverture de nou­veaux débouchés, de nou­veaux modes d’organisation, de nou­velles sources de matières premières.

Pour avoir par­ticipé à la rédac­tion du pro­jet de loi “ Nou­veaux ser­vices emplois jeunes ”, j’ai pu con­stater que l’on pou­vait appli­quer les mêmes thèmes à l’innovation sociale. On y retrou­ve, notam­ment, la prob­lé­ma­tique des besoins, des débouchés, des ser­vices qui n’existent pas. Mais ce tra­vail de réflex­ion, voire de con­cep­tu­al­i­sa­tion sur l’innovation socio-économique, reste à faire.

Caractéristiques de l’innovation socio-économique

Elles sont, à mon avis, les suivantes :

  • l’innovation socio-économique naît du décloi­son­nement entre les acteurs : par exem­ple, la col­lab­o­ra­tion entre l’entreprise et l’association con­naît des débuts prometteurs ;
  • elle passe par des approches col­lec­tives : on le voit aujourd’hui avec les pro­grammes d’aménagementréduction du temps de tra­vail (ARTT). Je ne crois pas à la vision de l’innovateur, seul avec son idée géniale, qui aurait rai­son con­tre tous. Au con­traire, dans l’innovation socio-économique, l’innovateur est un “ ensem­bli­er ” : une per­son­ne capa­ble de tra­vailler en parte­nar­i­at, d’établir des liens entre un cer­tain nom­bre de gens ;
  • elle se joue de façon crois­sante, enfin, au niveau local : notre pays accuse un cer­tain retard en la matière, dû aux “ tra­di­tions ” françaises.

Les étapes de l’innovation socio-économique

1. L’émergence de l’innovation en est le pre­mier temps. La notion essen­tielle ici est celle de “ por­teur d’initiative ”, d’innovateur.

On peut recon­naître trois caté­gories d’innovateurs :

  • les “ entre­pre­neurs soci­aux ”, per­son­nes physiques ou morales qui ne restent pas sur le seul ter­rain de l’économie clas­sique. Les entre­pris­es d’insertion et les “ Nou­veaux ser­vices emplois jeunes ” sont de ce type. Tout un tra­vail est à faire dans cette direc­tion pour appuy­er et faciliter leur for­ma­tion et leur action ;
  • les “ intrapre­neurs ”, qui font l’innovation au sein des organ­i­sa­tions et sont peut-être les mieux connus ;
  • les “ pro­mo­teurs de l’innovation ”, qui ont voca­tion à don­ner des moyens aux inno­va­teurs pour qu’ils puis­sent pour­suiv­re leurs ini­tia­tives. Je me range, per­son­nelle­ment, dans cette caté­gorie, dont le tra­vail est de favoris­er l’émergence.

Cela implique un droit à l’expérimentation. Nous avons à peine entamé une réflex­ion là-dessus, et elle n’est pas sim­ple. Il sem­ble que des prob­lèmes de droit, ou des con­traintes admin­is­tra­tives ou régle­men­taires, con­stituent un frein au développe­ment de l’innovation. Je suis per­son­nelle­ment très attaché au droit du tra­vail, car écarter toutes les con­traintes ne me paraît pas aller dans le sens du pro­grès social.

Cepen­dant, il est néces­saire que les inno­va­teurs aient la pos­si­bil­ité, à cer­tains moments, de met­tre de côté cer­taines con­traintes, dans cer­taines con­di­tions, avec le con­sen­te­ment et sous le con­trôle de l’administration, et d’en tir­er les enseigne­ments. Les poli­tiques publiques, les admin­is­tra­tions, les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales n’ont pas encore l’habitude de cette notion ; cepen­dant, les choses évolu­ent dans le bon sens.

Il y faut aus­si une intel­li­gence sociale. Les entre­pris­es investis­sent encore très peu dans ce domaine. L’analyse des nou­veaux besoins, et l’aptitude à un tra­vail de veille sur ceux-ci, sont des sujets sur lesquels il y a beau­coup à faire. On pour­ra dès lors savoir sur quoi tra­vailler et quels types d’activités sont sus­cep­ti­bles d’être créés. La notion d’observatoire, ou tout ce qui procède de l’intelligence économique, paraît être un sujet de tra­vail pertinent.

Si l’on part du principe que le développe­ment n’est pas sim­ple­ment de la généra­tion spon­tanée, ou que l’approche du marché n’est pas la seule régu­la­tion, alors un tra­vail d’anticipation de cette dimen­sion d’intelligence sociale est à faire.

2. La sec­onde étape est le développe­ment de l’innovation. Il pose la ques­tion du parte­nar­i­at, trop sou­vent encore lim­ité, en France, à une con­ven­tion avec les insti­tu­tions. Un vrai “parte­nar­i­at de pro­jet ” présente un aspect financier et un aspect juridique.

Sur l’aspect financier, un tra­vail impor­tant reste à faire. La Délé­ga­tion encour­age l’inscription de lignes “inno­va­tion sociale ” dans les con­trats de plan État/Région. Du point de vue de l’État et des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, la présence de ces lignes budgé­taires, ayant voca­tion à financer de l’innovation socio-économique, est une recon­nais­sance de son bien-fondé et des moyens qui y sont affec­tés. Du point de vue des pou­voirs publics, on essaie de s’y employ­er et de s’avancer pro­gres­sive­ment. Au regard des moyens mis en œuvre pour l’innovation tech­nologique, on peut imag­in­er d’en prélever quelques mil­lièmes pour pou­voir tra­vailler sur l’innovation socio-économique, avec des moyens net­te­ment supérieurs à ceux dont on dis­pose aujourd’hui.

Je crois en out­re qu’il y a lieu de mobilis­er d’autres sources de finance­ment. Nous devons pren­dre très au sérieux le tra­vail des fon­da­tions (fon­da­tions d’entreprises et autres fon­da­tions). Elles doivent être con­sid­érées comme des financeurs d’innovations socio-économiques ; et, pour ce faire, les dif­férents acteurs doivent appren­dre à mieux tra­vailler avec elles. Et d’autres out­ils de finance­ment exis­tent égale­ment, par exem­ple les fonds com­muns de place­ment pour l’innovation : ici aus­si les choses évolu­ent dans le bon sens.

L’aspect juridique est aus­si à creuser. Un sim­ple exem­ple (il en existe d’autres) : y a‑t-il besoin, entre le statut asso­ci­atif de la loi de 1901 et le statut de société com­mer­ciale de la loi de 1968, d’un statut juridique sui gener­is val­able pour des activ­ités ayant à la fois une dimen­sion com­mer­ciale, marchande, et en même temps une final­ité de type social ? Nos cadres juridiques devront être adap­tés aux entre­pre­neurs de l’innovation.

3. Le trans­fert de l’innovation. Une fois iden­ti­fiées les “bonnes pra­tiques” et la capac­ité de les dif­fuser, on n’ira plus loin que s’il existe une fonc­tion de type infor­ma­tion, c’est-à-dire un repérage des ini­tia­tives, des expéri­ences, des inno­va­tions. Ensuite, cha­cun s’en saisit comme il l’entend. Je crois cepen­dant à la néces­sité de poli­tiques plus volon­taristes de dif­fu­sion et de transfert.

À l’image de l’ANVAR dans le domaine tech­nique et tech­nologique, il me paraît néces­saire de tra­vailler sur les expéri­ences mis­es au point et de procéder à leur développe­ment. Il s’agit de pass­er de l’unité à la petite série et éventuelle­ment à la grande. Mais il faut par­fois de nom­breux échecs et des années de dif­fu­sion pour que l’on passe de quelques expéri­ences à une série significative.

Le pro­gramme “ Nou­veaux ser­vices emplois jeunes” en four­nit un exem­ple, puisqu’il per­met d’expérimenter, d’innover et de repér­er ces expéri­ences en vue d’en dif­fuser cer­taines sur l’ensemble du ter­ri­toire. Ceci peut être un axe de travail.

L’action de la Délégation

La Délé­ga­tion, je l’ai dit plus haut, a fait inscrire dans les con­trats de plan État/région (CPER) un cer­tain nom­bre de pro­jets à l’innovation sociale ou socio-économique, avec des finance­ments à la clé. Des fich­es ont été élaborées sur les cas pro­posés à la négo­ci­a­tion des CPER ; on peut les con­sul­ter. Cette notion con­tractuelle, qu’elle s’exerce dans le cadre des CPER ou d’autres poli­tiques con­tractuelles comme le con­trat de ville, doit mobilis­er non seule­ment l’État et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, mais aus­si les autres acteurs impliqués dans l’innovation, et favoris­er les initiatives.

La Délé­ga­tion favorise aus­si l’innovation dans le secteur asso­ci­atif en réfor­mant le fonds de développe­ment qui finance les expéri­men­ta­tions en ce domaine. À cela s’ajoute le pro­gramme “Nou­veaux ser­vices emplois jeunes”, dont le pre­mier employeur est devenu le secteur asso­ci­atif, et qui néces­site un tra­vail de suivi sur la ges­tion de l’innovation, dans le cadre de la péren­ni­sa­tion des emplois et des activités.

Elle essaie de réu­nir cer­taines fon­da­tions sur cer­tains sujets, pour un tra­vail mieux con­certé, afin d’appuyer les trois phas­es de l’innovation. De cette façon, ces fon­da­tions seront aus­si mieux connues.

Elle finance enfin des travaux sur le bilan socié­tal, en com­mençant par les entre­pris­es de l’économie sociale : mesure de l’implication de l’entreprise dans son envi­ron­nement ter­ri­to­r­i­al et glob­al, et appré­ci­a­tion de son apport, posi­tif ou négatif, à cet environnement.

Depuis décem­bre 1999 et jusqu’en mars, des con­sul­ta­tions régionales sur l’économie sociale et sol­idaire sont organ­isées par les préfets dans toutes les régions de France ; leurs enseigne­ments seront étudiés en une journée de syn­thèse nationale.

Ces con­sul­ta­tions sont donc l’occasion de faire tra­vailler ensem­ble davan­tage de gens issus des dif­férents secteurs qui touchent à l’innovation socio-économique (le monde asso­ci­atif, le monde de l’entreprise et les élus locaux), mais aus­si de dégager des propo­si­tions qui pour­raient don­ner lieu à un tra­vail gou­verne­men­tal sur l’année 2000 ou 2001.

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