SYSNAV

Transformer les essais cliniques à l’aide de capteurs innovants

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Alexis TRICOT (X14)

L’utilisation de cap­teurs de haute pré­ci­sion pour amé­lio­rer la mesure de l’efficacité des trai­te­ments pro­met une révo­lu­tion dans la recherche thé­ra­peu­tique et les essais cli­niques à venir. Ren­contre avec Alexis Tri­cot (X14), ingé­nieur chez Sys­nav, res­pon­sable de l’équipe de déve­lop­pe­ment des algo­rithmes cli­niques, pour mieux com­prendre la trans­for­ma­tion en cours du monde des essais thérapeutiques.

Qu’est-ce qu’une variable clinique ?

Une variable cli­nique est un mar­queur uti­li­sé dans un essai cli­nique pour éva­luer l’efficacité d’un trai­te­ment. C’est un concept vaste qui peut aller du taux de sur­vie à l’évolution de la gly­cé­mie ou de l’indice de masse cor­po­relle en pas­sant par la perte de l’usage de cer­taines facul­tés comme la marche ou la mémoire en fonc­tion des mesures d’intérêt pour une patho­lo­gie don­née. Chez Sys­nav, les variables cli­niques que nous déve­lop­pons sont spé­ci­fiques de la qua­li­té de vie des patients, et plus pré­ci­sé­ment de la fonc­tion motrice. 

Quels sont les bénéfices du développement de variables cliniques à partir de capteurs ?

Tra­di­tion­nel­le­ment, pour mesu­rer la fonc­tion motrice, les essais cli­niques ont recours à des tests d’effort et des tests de marche, réa­li­sés en cli­nique et en pré­sence d’un thé­ra­peute. Le recours à des cap­teurs por­tables pour mesu­rer la fonc­tion motrice pas­si­ve­ment et en conti­nu pré­sente des avan­tages clés. D’abord, la pos­si­bi­li­té de réa­li­ser les mesures depuis chez soi en por­tant un cap­teur pen­dant quelques semaines, offre plus de confort et éli­mine le besoin d’aller à l’hôpital. Ensuite, une mesure objec­tive basée sur la vie réelle n’est pas impac­tée par la moti­va­tion ou la fatigue. La mesure en conti­nu ren­force la robus­tesse sta­tis­tique en éli­mi­nant les biais ins­tan­ta­nés et en cap­tu­rant les chan­ge­ments plus rapi­de­ment. Cela per­met une mesure plus pré­cise et sen­sible qui faci­lite la détec­tion pré­coce des chan­ge­ments cau­sés par un trai­te­ment, condui­sant à des essais plus courts et moins coûteux. 

Comment la maladie impacte-t-elle la complexité du développement de variables cliniques et comment adaptez-vous vos variables à différentes maladies ? 

Les mala­dies neu­ro­mus­cu­laires ou neu­ro­dé­gé­né­ra­tives sur les­quelles nous tra­vaillons influencent la fonc­tion motrice de dif­fé­rentes manières et nous les consi­dé­rons cha­cune comme un pro­blème unique. Pour déve­lop­per une variable, nous nous basons sur la com­pré­hen­sion des symp­tômes de chaque mala­die, des limi­ta­tions phy­siques, et des pro­blèmes spé­ci­fiques tels que le contrôle, la coor­di­na­tion, l’équilibre, l’asymétrie, ou la fai­blesse mus­cu­laire. Nous construi­sons des variables pré­cises en fonc­tion de ces élé­ments cli­niques et ciblons un aspect par­ti­cu­lier de la fonc­tion motrice pour mesu­rer de manière spé­ci­fique chaque pathologie. 

Par exemple, pour la myo­pa­thie de Duchenne, le symp­tôme le plus révé­la­teur est l’évolution de la fonc­tion ambu­la­toire : les patients sont d’abord limi­tés dans leurs capa­ci­tés à cou­rir, puis à mar­cher et uti­lisent ensuite des trot­ti­nettes ou des fau­teuils rou­lants pour se dépla­cer. Nous avons donc déve­lop­pé une mesure de la vitesse : le 95e cen­tile de la vitesse de marche (SV95C). Cette variable cli­nique reflète mieux la situa­tion, l’évolution des patients et la réa­li­té cli­nique que les tests de marche effec­tués en clinique. 

Quels types de comportements d’un patient ou de propriétés pouvez-vous relever à travers une variable ?

Les aspects tels que la fai­blesse mus­cu­laire, qui est sou­vent liée à la vitesse de dépla­ce­ment, peuvent être direc­te­ment mesu­rés grâce aux variables que nous déve­lop­pons. Cela per­met d’estimer les dif­fi­cul­tés à atteindre une per­for­mance nor­male en com­pa­rant avec des don­nées de patients sains, ou d’évaluer les capa­ci­tés de marche au quo­ti­dien. Nous pou­vons éga­le­ment mesu­rer des symp­tômes plus sin­gu­liers comme des per­tur­ba­tions de l’équilibre. D’autres patients pré­sentent des alté­ra­tions de la marche, telles que l’asymétrie, signe de pro­blèmes de coor­di­na­tion, ou des dif­fi­cul­tés d’équilibre entraî­nant des com­pen­sa­tions et une marche aty­pique. Plu­tôt que de s’intéresser au pro­blème en lui-même, l’analyse de la façon dont il est com­pen­sé dans les défor­ma­tions per­met de mieux com­prendre et carac­té­ri­ser les symptômes.

Quelles sont les étapes nécessaires pour développer une nouvelle variable clinique et combien en avez-vous développé pour l’instant ?

Il y a cinq étapes impor­tantes dans le déve­lop­pe­ment d’une nou­velle variable : la com­pré­hen­sion, la construc­tion, la cap­ture de don­nées, l’agrégation et la vali­da­tion. La pre­mière étape est la com­pré­hen­sion appro­fon­die de la patho­lo­gie : à tra­vers les retours de patients et de cli­ni­ciens, les symp­tômes influant sur la qua­li­té de vie sont iden­ti­fiés. Des mesures per­ti­nentes sont ensuite construites pour obser­ver un concept spé­ci­fique dans les don­nées de nos cap­teurs. En sui­vant les patients tout au long d’une période, nous pou­vons déve­lop­per un algo­rithme pour agré­ger nos obser­va­tions en une mesure unique. Enfin, la variable cli­nique doit être vali­dée à la fois au niveau phy­sique et niveau clinique.

À ce jour, Sys­nav a déve­lop­pé plu­sieurs dizaines de variables cli­niques, dont six ont atteint un niveau de vali­da­tion signi­fi­ca­tif. Notam­ment, le SV95C est qua­li­fié par l’EMA (Agence Euro­péenne du Médi­ca­ment) en tant que cri­tère de déci­sion prin­ci­pal pour la myo­pa­thie de Duchenne. D’autres variables ont démon­tré des qua­li­tés de vali­di­té cli­nique sur des mou­ve­ments liés aux membres supé­rieurs pour obser­ver l’évolution de patients non-ambulants. 

Quelles sont les méthodes pour évaluer l’efficacité d’une variable clinique ?

L’évaluation de l’efficacité d’une variable cli­nique com­prend plu­sieurs aspects impor­tants : la robus­tesse, la qua­li­té, la vali­di­té cli­nique et la sen­si­bi­li­té au chan­ge­ment. Il faut garan­tir la robus­tesse du pro­ces­sus en l’appliquant plu­sieurs fois dans des contextes simi­laires pour obte­nir des résul­tats cohé­rents. Sur le plan qua­li­ta­tif, il est essen­tiel de véri­fier si ce qui est mesu­ré cor­res­pond à des élé­ments impor­tants pour les patients, liés à leur qua­li­té de vie. La vali­di­té est éva­luée par des com­pa­rai­sons avec des échelles exis­tantes qui mesurent des aspects. Enfin, la capa­ci­té à détec­ter le chan­ge­ment est tes­tée en obser­vant les évo­lu­tions chez les patients et en les com­pa­rant avec les évo­lu­tions atten­dues sur une échelle de temps pour une mala­die spécifique. 

Comment votre équipe est-elle divisée et quelle est la part de chaque rôle dans le développement d’une nouvelle variable ?

Chaque ingé­nieur de recherche en algo­rithme médi­cal se concentre, en géné­ral, sur le déve­lop­pe­ment de variables liées à une patho­lo­gie spé­ci­fique, cou­vrant l’ensemble du pro­ces­sus, de la com­pré­hen­sion cli­nique de la mala­die à la vali­da­tion, englo­bant la recons­truc­tion de tra­jec­toire, la bio­sta­tis­tique, les aspects logi­ciels et la vali­da­tion de l’algorithme. Une autre par­tie de l’équipe tra­vaille sur des sujets indé­pen­dants, comme la mon­tée d’escaliers ou la recons­truc­tion de tra­jec­toire qui sont trans­ver­saux à plu­sieurs pathologies. 

Au-delà de l’équipe algo­rithme, nous col­la­bo­rons avec l’équipe règle­men­taire pour faire vali­der nos variables auprès des auto­ri­tés règle­men­taires comme l’EMA et la FDA. Notre vali­da­tion cli­nique est orga­ni­sée pour répondre aux mêmes exi­gences que celles des ins­tances régle­men­taires. La construc­tion d’un dos­sier pour faire approu­ver une variable par ces auto­ri­tés est donc une appli­ca­tion directe de notre tra­vail de vali­da­tion clinique

Quels sont vos objectifs cette année pour le développement de variables cliniques ?

Cette année, nos objec­tifs sont d’approfondir notre com­pré­hen­sion de l’impact des patho­lo­gies sur la fonc­tion motrice pour trans­for­mer ces connais­sances en mesures adap­tées aux essais cli­niques. Les déve­lop­pe­ments actuels ne se limitent pas à un seul aspect, mais cap­turent plu­sieurs aspects indé­pen­dants, offrant une vue com­plète de la situa­tion du patient. Nous visons à déve­lop­per des variables cli­ni­que­ment satis­fai­santes, capables de cap­tu­rer l’évolution de la fonc­tion motrice plus fine­ment que les échelles actuelles, et à les appli­quer dans des essais cli­niques pour amé­lio­rer l’expérience vécue par les patients. 

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