Screenact

La start-up qui réduit les inégalités d’accès aux essais cliniques au bénéfice des patients

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Sébastien MOUREY

En misant sur l’IA et les algo­rithmes, Scree­nACT apporte une solu­tion inno­vante et per­for­mante pour faci­li­ter le mat­ching entre des essais cli­niques en cours et des patients éli­gibles en faci­li­tant notam­ment la décen­tra­li­sa­tion des essais cli­niques. Sébas­tien Mou­rey, CEO de la start-up, nous en dit plus.

Quels constats vous ont conduit à la création de ScreenACT ?

J’ai créé Scree­nACT en 2021 après avoir évo­lué pen­dant près de 20 ans dans l’industrie phar­ma­ceu­tique. Au cours de cette expé­rience pro­fes­sion­nelle, mais éga­le­ment au contact de méde­cins et de patients, j’ai eu l’occasion de consta­ter à plu­sieurs reprises com­bien il est dif­fi­cile et com­plexe pour les indus­triels phar­ma­ceu­tiques de recru­ter des patients pour leurs essais cli­niques. Mais, para­doxa­le­ment, il y a aus­si tou­jours plus de patients volon­taires pour y participer.

En créant Scree­nACT, j’ai sou­hai­té appor­ter une solu­tion capable de résoudre ce para­doxe. Pour ce faire, je me suis spé­cia­li­sé en immu­no-onco­lo­gie afin d’en com­prendre toutes les dimen­sions, mais aus­si dans le domaine de l’intelligence arti­fi­cielle afin de faci­li­ter et d’optimiser le « mat­ching » entre les essais cli­niques et les patients en fonc­tion de leurs carac­té­ris­tiques médi­cales. En effet, jusque-là, la démarche de recru­te­ment consiste à trou­ver des patients qui cor­res­pondent à des essais cli­niques. Au sein de Scree­nACT, nous avons fait le choix d’inverser le pro­ces­sus en par­tant des carac­té­ris­tiques médi­cales du patient afin d’identifier les essais cli­niques qui lui correspondent.

Pourquoi le recrutement pour les essais cliniques représente-t-il un enjeu pour les acteurs de la pharma ?

Le recru­te­ment des patients repré­sente, assu­ré­ment, un enjeu pri­mor­dial pour les indus­triels du médi­ca­ment puisque cette étape va condi­tion­ner par la suite l’accès au mar­ché. Aujourd’hui, il existe trois phases dans un essai cli­nique, dont deux qui sont incom­pres­sibles. A l’inverse, la phase de recru­te­ment des patients, appe­lé délai d’inclusion, peut s’étendre de plu­sieurs mois à plu­sieurs années pour arri­ver à recru­ter le nombre de can­di­dats néces­saires. En effet, l’étude cli­nique ne peut être publiée qu’après l’obtention des résul­tats du der­nier patient à rejoindre l’essai. Par consé­quent, plus le délai d’inclusion est allon­gé, plus l’accès au mar­ché est retardé.

Pour les indus­triels cela repré­sente une perte finan­cière, et pour les patients, sur un plan socié­tal, cela repré­sente des trai­te­ments qui tardent à arri­ver sur le mar­ché. Dans un sec­teur mar­qué par une très grande com­pé­ti­ti­vi­té inter­na­tio­nale, il est stra­té­gique d’accélérer les délais, d’adapter les pro­ces­sus et les para­mètres pour être plus per­for­mants et d’augmenter l’efficacité alors qu’on estime à l’heure actuelle, que 9 essais cli­niques sur 10 n’atteignent pas leurs objec­tifs de recru­te­ment dans les délais.

Vous vous êtes aussi donné la mission de réduire les inégalités d’accès aux essais cliniques en favorisant l’information sur les essais en cours d’inclusion auprès des professionnels de santé et des patients. Dites-nous en plus.

Aujourd’hui, 90 % des essais cli­niques sont répar­tis dans 10 % des centres et des éta­blis­se­ments. Nous nous retrou­vons donc d’une part, avec des centres sub­mer­gés par les essais cli­niques avec de réelles dif­fi­cul­tés à trou­ver des patients et d’autre part, avec des centres qui n’ont pas d’essais cli­niques à pro­po­ser à leurs patients.

Pour que ces centres péri­phé­riques aient un accès plus large aux essais cli­niques, notre pre­mier enjeu a été de mettre à leur dis­po­si­tion toutes les infor­ma­tions néces­saires pour que leurs patients puissent par­ti­ci­per à des essais cli­niques en cohé­rence avec leurs carac­té­ris­tiques médicales.

Dans cette démarche, nous avons aus­si cher­ché à « décen­tra­li­ser » ces essais cli­niques afin d’en démo­cra­ti­ser l’approche, mais aus­si pour qu’ils puissent être menés au plus près des patients. Pen­dant la pan­dé­mie et la crise du COVID-19, pour la pre­mière fois, les essais cli­niques ont dû être pour­sui­vi au domi­cile du patient qui étaient alors confi­nés. Plus récem­ment, un décret datant de mars 2022 est venu faci­li­ter l’ajout de nou­veaux centres. Ces der­nières années, il y a eu une réelle volon­té de sim­pli­fier les essais cli­niques, une démarche deve­nue indis­pen­sable pour contrer effi­ca­ce­ment la déser­ti­fi­ca­tion de la recherche cli­nique en France, où 95 % des patients sont exclus de ces oppor­tu­ni­tés. En effet, la plu­part de ces patients sont issus des centres péri­phé­riques, qui eux-mêmes ren­contrent des obs­tacles pour accé­der aux essais cliniques.

La plu­part de ces patients pro­viennent pré­ci­sé­ment des centres péri­phé­riques qui, à leur tour, ren­contrent des obs­tacles pour accé­der aux essais cliniques.

Scree­nACT a à cœur d’apporter une solu­tion per­ti­nente pour lever l’ensemble de ces freins afin de per­mettre aux patients d‘être plus nom­breux à inté­grer une étude cli­nique. Actuel­le­ment, notre pla­te­forme compte plus de 500 uti­li­sa­teurs recense plus de 1 800 essais cli­niques dans près de 450 établissements.

Sur un plan technologique, pour mener à bien cette mission sociétale, vous vous appuyez sur des technologies de screening. Quelles en sont les caractéristiques ? Que permettent-elles de faire ?

Pour réa­li­ser un scree­ning com­plet et per­ti­nent, il est indis­pen­sable de pou­voir s’appuyer sur des don­nées de qua­li­té, struc­tu­rées et stan­dar­di­sées. Or, les bases de don­nées et les annuaires qui recensent les essais cli­niques ne le sont pas. Plu­sieurs déno­mi­na­tions pour un même centre vont être retrou­vées. Dif­fi­cile donc de déter­mi­ner avec exac­ti­tude com­bien d’essais cli­niques sont en cours à Gus­tave Rous­sy, qui, dans ces annuaires, va pos­sé­der une dizaine d’autres appel­la­tions. Pour appor­ter plus de clar­té et de lisi­bi­li­té à ce niveau, nous dis­po­sons d’un algo­rithme qui a la capa­ci­té d’harmoniser les noms et les appel­la­tions des centres. Un autre a été déve­lop­pé sur la par­tie médi­cale en vue de récu­pé­rer toutes les infor­ma­tions sur les patho­lo­gies : les cri­tères d’éligibilité, l’indication, etc. Là aus­si, ces don­nées ne sont pas har­mo­ni­sées et, pour une même patho­lo­gie, il va exis­ter plu­sieurs déno­mi­na­tions. Grâce aux tech­niques de trai­te­ment auto­ma­tique du lan­gage, notre algo­rithme va trai­ter ces infor­ma­tions et les uni­for­mi­ser en une seule appel­la­tion pour caté­go­ri­ser tous les cri­tères d’éligibilité (état géné­ral du patient…). Enfin, un troi­sième algo­rithme va iden­ti­fier les essais cli­niques les plus per­ti­nent selon les cri­tères rela­tifs au pro­fil d’un patient.

Comment cela se traduit-il concrètement ? Quels sont les services que propose ScreenACT ?

Notre solu­tion s’articule autour d’une appli­ca­tion gra­tuite et sans récu­pé­ra­tion de don­nées qui grâce à l’entrée des dif­fé­rents cri­tères va faire sor­tir de la base de don­nées une liste des essais cor­res­pon­dant au pro­fil. Une ver­sion est réser­vée aux pro­fes­sion­nels de san­té tan­dis qu’une autre est à des­ti­na­tion du grand public. En paral­lèle, nous avons déve­lop­pé un troi­sième ser­vice qui s’adresse aux CROs (Contract Research Orga­ni­sa­tion) afin de les accom­pa­gner dans leur démarche de décen­tra­li­sa­tion des essais cli­niques afin qu’ils puissent être acces­sibles à l’ensemble des centres périphériques.

Aujourd’hui, comment voyez-vous l’évolution de ScreenACT ?

Nous vou­lons déve­lop­per cette offre des­ti­née aux CROs. Nous tra­vaillons actuel­le­ment sur plu­sieurs pro­jets d’essais cli­niques décen­tra­li­sés, notam­ment dans le can­cer du rein et du microbiote.

Pour mon­ter en puis­sance sur ce seg­ment, nous avons noué un par­te­na­riat avec une CRO basée sur Lyon dans l’objectif de ren­for­cer notre posi­tion­ne­ment sur le volet fai­sa­bi­li­té, études de la don­née, iden­ti­fi­ca­tion des centres, des contacts, des inves­ti­ga­teurs, etc. Cela implique aus­si de gagner en visi­bi­li­té auprès des centres afin qu’ils appré­hendent au mieux cette notion de décen­tra­li­sa­tion. Cela va nous per­mettre de cou­vrir l’ensemble de la chaîne de valeur. En amont, nous four­nis­sons aux centres les outils de scree­ning pour mat­cher leurs patients avec des essais cli­niques en cours. Par la suite, en col­la­bo­ra­tion avec la CRO, nous nous posi­tion­nons comme une SMO (Site Mana­ge­ment Orga­ni­sa­tion) qui va être en mesure d’apporter à l’établissement les res­sources néces­saires pour décen­tra­li­ser l’essai clinique.

Actuel­le­ment, nous sommes spé­cia­li­sés dans le can­cer. Nous enten­dons aus­si de nous déve­lop­per dans de nou­velles indi­ca­tions et patho­lo­gies, notam­ment sur les mala­dies rares ou neu­ro­dé­gé­né­ra­tives. Enfin, nous sou­hai­tons expor­ter notre solu­tion à l’international en nous implan­tant tout d’abord en Bel­gique, puis l’Espagne et l’Italie.

Quels sont les enjeux ou freins qui persistent ?

Nous avons une véri­table res­pon­sa­bi­li­té matière de conduite de chan­ge­ment. La France a pour ambi­tion de deve­nir le lea­der euro­péen de la recherche cli­nique. Pour atteindre cette renom­mée, elle doit s’en don­ner les moyens. Le déve­lop­pe­ment de la décen­tra­li­sa­tion des essais cli­niques, venu tout droit des États-Unis, est une piste par­ti­cu­liè­re­ment per­ti­nente pour y parvenir.

Dans ce cadre, l’enjeu pour Scree­nACT est de gagner en visi­bi­li­té dans le pay­sage de la recherche cli­nique pour accom­pa­gner cette évo­lu­tion majeure, mais nécessaire. 

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