Rouge / Jaune / rouge / jône / rouJe / oRanJe…

Dossier : TraditionsMagazine N°Rouge / Jaune / rouge / jône / rouJe / oRanJe…
Par Serge DELWASSE (X86)

Il ne s’agit bien sûr pas ici d’égyptologie, mais d’une autre énigme suff­isam­ment ardue pour résis­ter à la sagac­ité de généra­tions de poly­tech­ni­ciens : pourquoi la jône ? pourquoi la rou­je ?

Au commencement était le bonnet de police

Bon­net de sapeur.

L’histoire com­mence en 1823, l’École rede­vient mil­i­taire avec la Restau­ra­tion. Les élèves sont dotés de deux cha­peaux, l’un dur, le bicorne, l’autre mou, le bon­net de police. Dans le cas d’espèce, le règle­ment ne fai­sait que repren­dre celui de 1804.

Qu’est-ce qu’un bon­net de police ? C’est la coif­fure de repos (de « salle de police ») car, pour jouer à la belote, le casque n’est pas très pratique.

C’est égale­ment celle des forçats, des marins, bref, de tous ceux qui ont besoin d’avoir la tête cou­verte pour se tenir chaud. Le bon­net est « ter­miné par une touffe de fils », qui a don­né d’un côté le pon­pon des marins, et de l’autre le grand du bon­net de police.

Il a per­duré dans les armées sous forme de calot, le calot de tra­di­tion des sapeurs pom­piers ayant con­servé la couleur bleue et le passe­poil rouje.

Du troupier au bazoff

Ce bon­net de police chan­té, par exem­ple, par Claris dans Notre École Poly­tech­nique, était d’ailleurs du mod­èle régle­men­taire de la troupe du Génie, c’est à dire avec passe­poil et gland écar­lates1.

Bonnet de Police de sous-officier
Bon­net de Police de sous-officier

En sec­onde année, l’Argot de l’X nous indique que les élèves l’échangeaient con­tre un « élé­gant bon­net de police à gland d’or », coif­fure des sous-officiers, les bazoffs comme on les appelait à l’époque. Est-ce parce qu’ils étaient nom­més ser­gents ? Négatif ! Seuls les mieux classés, faisant office de chef de caserts, les cro­tales, avaient droit aux galons de sergents.

Il faut ici se sou­venir que le cha­peau était, au XIXe siè­cle, une signe de recon­nais­sance sociale. Que les X se promè­nent dans Paris avec une coif­fure de sous-off était somme toute assez nor­mal. Les élèves de l’École Navale, les bor­daches, ont échangé leur bachi et pom­pon rouge en sec­onde année con­tre une cas­quette de sec­ond maître jusqu’en 1923. Et puis, après tout, le bicorne de l’X, lui-même, est du mod­èle sous-offici­er.2

Puis vint le Képi

En 1843, le bon­net de police à pom­pon est rem­placé par un plus rigide – je ferai un jour un bil­let sur la ten­dance qu’ont les coif­fures mil­i­taires à se rigid­i­fi­er avec le temps – à visière : le képi. Les X con­ser­vent leur bon­net, mais n’ont plus le droit de sor­tir avec ! On peut aisé­ment imag­in­er la dou­ble con­séquence sachant que les élèves, à cette époque, payaient leur trousseau :

Calot de Sapeur pompier – moderne
Calot de Sapeur pom­pi­er (mod­erne)

  • Plus besoin de pay­er le gland « or », rem­placé à moin­dre coût par le jône – aus­si appelé jon­quille par les textes.
  • Plus besoin de chang­er de couleur après la pre­mière année.

C’est ain­si que la rou­je et la jône, à l’origine la pre­mière et la sec­onde année – je rap­pelle à ce sujet que les gen­darmes par­lent de la jaune pour désign­er la gen­darmerie mobile qui a des pare­ments et des bou­tons or par oppo­si­tion à « la blanche », la départe­men­tale – se sont mis­es à altern­er, à un moment entre 1843 et 18583.

En 1874, on rem­place le bon­net de police par un képi dit « de petite tenue », dont la grenade est bien enten­du alter­na­tive­ment rou­je ou jône. Hélas, le min­istre se trompe en rédi­geant le règle­ment puisqu’il écrit « elle est de couleur jon­quille pour les élèves de 1ère année, et écar­late pour ceux de 2e année ». On cor­rige enfin par le règle­ment de 1887 qui pré­cise « sur le devant du ban­deau est placée une grenade(hauteur 25 mm), brodée en laine jon­quille pour les élèves d’une divi­sion ; en laine écar­late pour les élèves de l’autre divi­sion, et ain­si de suite en alternant. »

Chouchous et cagoules, le triomphe du rouje

Uniformes du second Empire
Uni­formes du sec­ond Empire. Le pom­pon jône sur le bon­net de police est bien vis­i­ble, à droite. Col­lec­tion de l’auteur

Après plus d’un siè­cle de stricte alter­nance dans des domaines aus­si var­iés que les mail­lots de sport, les K‑ways, la pucelle des cadres, la pat­te de cuir qui sou­tient la pucelle des cadres, voire le titre de La Jaune et la Rouge, qui ne finale­ment l’a emporté devant La Rouge et la Jaune qu’au nom de la com­mis­sion par­i­taire sur la presse, les ban­des de l’amphi Poin­caré, le rou­je sem­ble s’imposer défini­tive­ment sur deux élé­ments d’uniforme : le chou­chou des Xettes, et les défuntes cagoules de la défunte Khômiss

L’orange, ultime avatar

Enfin, parce que les tra­di­tions de l’X sont vivantes, une nou­velle couleur est apparue : l’oRanJe. Le terme sem­ble être apparu dans les années 1990. Les oranges sont les cama­rades qui, ayant eu la chance de faire par­tie de deux pro­mos suc­ces­sives, sont à la fois jônes et rou­jes. On s’éloigne de l’équipe de fooball des années 60, mélange de deux pro­mo­tions, qui jouait avait un mail­lot orange…

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1. Le pre­mier bon­net de police, celui de 1796, avait, lui, un passe­poil et une grenade… jônes, puisque l’uniforme de l’école était sem­blable à celui de la garde nationale.
2. Voir par exem­ple l’illustration page 45 de Le grand uni­forme des élèves de l’École Poly­tech­nique.
3. Mémoires de Joseph Barba

Bibliographie

L’Argot de l’X, illus­tré par les X, Albert-Lévy et Gas­ton Pinet.
Notre École poly­tech­nique, Claris.
Le Grand Uni­forme des élèves de l’École poly­tech­nique, « Bib­lio­thèque de l’X », Lavauzelle.

Un Casert de la promo 1901 à l'école polytechnique
Un Casert de la pro­mo 1901. Le bon­net de police, galon­né or a survécu. Le pom­pon, lui, a disparu

Des oranges dans le bureau du Directeur des études
Ce Directeur des Etudes aimait trop les oRanJes

6 Commentaires

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X. Michel (72)répondre
30 septembre 2012 à 17 h 53 min

Bra­vo
Vivent les cagoules rouges !

X. Michelrépondre
30 septembre 2012 à 22 h 23 min

bra­vo
J’ai tou­jours aimé les cagoules de la Khômiss
Vivent les cagoules roujes

X. Michelrépondre
30 septembre 2012 à 22 h 34 min

les com­men­taires le la J&R sont mod­érés a pri­ori main­tenant
bon­soir à tous,
c’est une excel­lente initiative
ça évit­era aux mis­saires d’usurp­er l’i­den­tité de tel ou tel offici­er général
non mais !

Russier Rol­land (67)répondre
1 octobre 2012 à 9 h 06 min

Pom­pon rouge et bon­net jaune
Tout arrive dans les tra­di­tions, même des excep­tions. Con­cer­nant la couleur de la cagoule des mis­saires, celle de la Kh 67 était “jône”
Et mer­ci de nous instru­ire sur ce que nous ne viv­ions que comme un folk­lore à l’époque, et qui est en fait la trace de nos racines.

15 octobre 2012 à 9 h 19 min

bon­net de police
le dernier avatar du bon­net de police était, je pense, le calot, dis­tribué jusqu’à la pro­mo 61 (jôsne et fière de l’être), mais retiré au bout de trois semaines ou un mois, pour le rem­plac­er par un bérêt, qui était devenu régle­men­taire dans l’Ar­mée de Terre. L’usage fai­sait qu’on le por­tait pas, encore moins sans doute que le calot.

Stéphane Gasserrépondre
15 octobre 2012 à 14 h 59 min

Enfin !
Bon­jour Serge,

enfin, une expli­ca­tion crédi­ble à cette tra­di­tion ! C’est net­te­ment plus con­va­in­quant que les his­toires de soleils de cours d’as­tronomie peints alter­na­tive­ment en rou­je pour mieux le voir ou en jône parce que c’est la vraie couleur du soleil, ou autres expli­ca­tions fan­tai­sistes dont j’ai per­du le souvenir. 

Mer­ci !

SG

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