Risques littoraux, l’exemple du Pas-de-Calais

Dossier : Le changement climatique ........................ 1ere partie : Les ImpactsMagazine N°679 Novembre 2012
Par Julien HENIQUE (02)

Au début des années 1990, c’est l’érosion du trait de côte par­ti­c­ulière­ment mar­quée qui focalise l’attention des acteurs du ter­ri­toire, notam­ment le con­seil région­al et le syn­di­cat mixte de la Côte d’Opale. Cette prise de con­science aboutit, en 2003, à la réal­i­sa­tion du Plan lit­toral d’actions pour la ges­tion de l’érosion. Faute de maître d’ouvrage, ce plan d’actions ne ver­ra cepen­dant pour ain­si dire aucune de ses propo­si­tions se concrétiser.

REPÈRES
De la fron­tière belge à la baie de Somme s’étend le lit­toral du Nord-Pas-de-Calais. Sur ces 140 kilo­mètres de côtes, la diver­sité des lit­toraux ren­con­trée est excep­tion­nelle : longues plages et dunes des Flan­dres, falais­es de craie du Boulon­nais, estu­aires de la Slack, du Wimereux, de la Can­che, de l’Authie.
Au sein de ce pat­ri­moine naturel remar­quable, les pres­sions anthropiques sont cepen­dant nom­breuses. Près de 800 000 per­son­nes rési­dent sur le lit­toral et les zones bass­es arrière lit­torales, faisant de la Côte d’Opale la deux­ième frange côtière la plus dense de France. Par ailleurs, 40 % des côtes sont occupées par des infra­struc­tures por­tu­aires et des ouvrages de pro­tec­tion con­tre la mer.

Les risques de submersion

Au début des années 2000, les dif­férents rap­ports du Groupe­ment inter­gou­verne­men­tal d’experts sur le cli­mat (GIEC) met­tent en évi­dence un autre risque : la hausse prévis­i­ble du niveau moyen de la mer et son corol­laire, l’aggravation des risques de sub­mer­sion marine pour les ter­ri­toires littoraux.

Une zone de pold­ers quadrillée par un réseau hydraulique

La topogra­phie par­ti­c­ulière du lit­toral Nord-Pas-de-Calais sem­ble alors un fac­teur sup­plé­men­taire de vul­néra­bil­ité à ces change­ments qui s’annoncent. Dans un tri­an­gle situé entre Dunkerque, Calais et Saint-Omer s’étendent près de 800 km2 de zones pro­gres­sive­ment gag­nées par la mer depuis le Moyen Âge. Ces ter­res agri­coles, par­mi les plus pro­duc­tives de France, se trou­vent ain­si pour la plu­part en dessous du niveau de mer atteint lors d’une marée de fort coefficient.

Cette zone poldérisée (les wateringues) est quadrillée par un vaste réseau hydraulique qui per­met d’évacuer les eaux con­ti­nen­tales lors des marées basses.

San­gat­te, des levers topographiques de haute précision.

Un programme d’études

En 2005, le préfet de région com­mande un rap­port interne sur l’exposition du ter­ri­toire aux risques de sub­mer­sion marine et sur l’évolution de ces risques due aux change­ments cli­ma­tiques annon­cés. Le rap­port con­clut à l’absence de risque (asser­tion qui se révélera erronée) mais pré­conise d’étudier plus pré­cisé­ment l’impact du change­ment cli­ma­tique sur la région, en s’inspirant notam­ment de la prise de con­science néer­landaise face à cette problématique.

Un pro­gramme d’études est lancé en 2006. Piloté par la direc­tion régionale de l’environnement, répar­ti entre les dif­férents ser­vices de l’État en région, il débute par une syn­thèse bib­li­ographique qui com­plète le rap­port de 2005 et une étude régionale des effets du change­ment cli­ma­tique sur le niveau de la mer. Les mesures locales cor­ro­borent les ten­dances observées au niveau mon­di­al, avec une hausse observée de 15 à 30 cm par siè­cle dans le détroit Manche-mer du Nord.

Une campagne topographique

Simuler les tempêtes
Aboutisse­ment du pro­gramme d’études, une étude hydro­dy­namique est lancée en 2009 pour simuler les effets de tem­pêtes sur le lit­toral, dans les con­di­tions actuelles et pour dif­férents scé­nar­ios d’évolution du niveau moyen de la mer. Comme dans toute étape de mod­éli­sa­tion néces­si­tant un calage, un tra­vail appro­fon­di de recherche d’événements his­toriques est mené. Les archives révè­lent alors l’exposition régulière du lit­toral région­al à des tem­pêtes majeures depuis le Moyen Âge, provo­quant des rup­tures d’ouvrage et l’inondation de plusieurs dizaines d’hectares de ter­res lit­torales. L’absence d’événement majeur depuis cinquante ans dans la région a cepen­dant effacé le sou­venir et la per­cep­tion de ces risques.

S’ensuit une cam­pagne d’acquisition topographique de grande ampleur.

Sur les 1 200 km2 de lit­toral et de zones bass­es, l’altitude du ter­ri­toire est depuis 2009 con­nue à 10 cm près, pré­ci­sion indis­pens­able sur un ter­ri­toire où l’écart entre le point le plus haut et le plus bas est de l’ordre d’une dizaine de mètres. Le pro­gramme se pour­suit par une inspec­tion de l’ensemble des pro­tec­tions lit­torales con­tre la mer, qu’elles soient naturelles (dunes) ou arti­fi­cielles (digue et per­ré). Le con­stat est alors inquié­tant, mais il recoupe celui apporté par le plan de 2003 : près de 90% des cor­dons dunaires et 25% des ouvrages arti­fi­ciels néces­si­tent une inter­ven­tion à court terme, voire en urgence.

Une grande fragilité

D’abord prospec­tif et focal­isé sur l’étude du change­ment cli­ma­tique, le pro­gramme d’études dévoile pro­gres­sive­ment la fragilité actuelle du lit­toral région­al. Les résul­tats obtenus sont, en con­séquence, portés à la con­nais­sance des acteurs du lit­toral lors de réu­nions annuelles présidées par le préfet de région. Fin jan­vi­er 2010 sont présen­tés les résul­tats de l’inspection des ouvrages de défense et l’analyse his­torique des tem­pêtes. La prise de con­science qui pou­vait être atten­due de la présen­ta­tion de ces élé­ments ne se pro­duit pas à ce moment, mais l’actualité met­tra peu après au coeur du débat la préven­tion des sub­mer­sions marines.

Les conséquences de Xynthia

La tem­pête Xyn­thia s’est pro­duite le 28 févri­er 2010. Le lende­main, nom­breux sont ceux qui décou­vrent la vio­lence des phénomènes et l’exposition par­ti­c­ulière de cer­tains ter­ri­toires en France. Les médias relaient les cartes des zones bass­es en France, qui font appa­raître la région Nord-Pas-de-Calais comme l’une des plus exposées à ces phénomènes.

Les ouvrages de pro­tec­tion sont sys­té­ma­tique­ment con­sid­érés comme défaillants

Le gou­verne­ment ne tarde pas à pren­dre des mesures con­ser­va­toires : début avril, une cir­cu­laire demande aux préfets des départe­ments lit­toraux d’interdire toute con­struc­tion dans les zones situées un mètre en dessous des niveaux de mer atteints lors d’une tem­pête don­née. Cette instruc­tion con­duisant, dans la région Nord-Pas-de-Calais, à gel­er toute urban­i­sa­tion du lit­toral jusqu’à Saint-Omer, aggloméra­tion située à près de 40 kilo­mètres de la côte, les ser­vices de l’État accélèrent le rythme de l’étude hydro­dy­namique pour avoir au plus vite des résul­tats sur l’exposition réelle du ter­ri­toire aux sub­mer­sions marines. Les hypothès­es de sim­u­la­tion n’ont cepen­dant plus le temps d’être con­certées, notam­ment celles qui sont rel­a­tives à la prise en compte des ouvrages de pro­tec­tion, sys­té­ma­tique­ment con­sid­érés comme défaillants.

Une concertation limitée

Ces pre­miers résul­tats seront présen­tés aux élus du lit­toral en octo­bre 2010, dans un con­texte par­ti­c­ulière­ment peu prop­ice à une com­mu­ni­ca­tion sere­ine sur la ges­tion des risques. Le zon­age effec­tué en Vendée et Char­ente-Mar­itime pour l’acquisition, voire l’expropriation des maisons les plus exposées est en effet en toile de fond des car­togra­phies réal­isées dans la région Nord-Pas-de-Calais. La com­mu­ni­ca­tion des résul­tats, aupar­a­vant large­ment dif­fusés auprès de l’ensemble des acteurs du lit­toral, est désor­mais restreinte aux seuls élus du lit­toral. La con­cer­ta­tion et les débats sont en con­séquence lim­ités, le partage et l’enrichissement mutuel des con­nais­sances entre les acteurs du lit­toral sont mis entre par­en­thès­es. Cette pre­mière dif­fu­sion restreinte octroie néan­moins un peu de sérénité pour les ser­vices de l’État. Les pri­or­ités nationales sont respec­tées, et les pre­miers élé­ments pro­duits, même per­fectibles, sont bien plus réal­istes que l’approche topographique pré­con­isée dans la cir­cu­laire du mois d’avril 2010. Les événe­ments de Vendée et de Char­ente-Mar­itime, encore dans les esprits, facili­tent par ailleurs la récep­tion par les élus du dis­cours de préven­tion tenu par les ser­vices de l’État.

Un « Plan digues »

Équili­br­er le trip­tyque « échéance, scé­nario, recommandations »

Ce con­texte est mis à prof­it au niveau local et nation­al pour repenser la ges­tion de ce risque par­ti­c­uli­er. Dif­férents chantiers sont lancés au niveau nation­al, regroupés au sein du « Plan sub­mer­sion rapi­de », con­nu du grand pub­lic sous le nom de « Plan digues ». Est notam­ment prévue la révi­sion du guide d’élaboration des plans de préven­tion des risques lit­toraux, la ver­sion antérieure remon­tant à 1997. Le pro­gramme de tra­vail lancé en région Nord-Pas-de-Calais inspir­era en grande par­tie cer­taines pro­duc­tions nationales : méth­ode d’inspection des ouvrages de défense con­tre la mer, lance­ment d’une cam­pagne d’acquisition topographique de grande ampleur, prise en compte des ouvrages de défense, méth­ode dynamique de car­ac­téri­sa­tion des aléas de sub­mer­sion marine.

La refonte des guides nationaux

Durant cette péri­ode, favor­able à la remise à plat de la préven­tion de ces risques, l’élaboration de la stratégie nationale d’adaptation au change­ment cli­ma­tique per­met d’intégrer la hausse prévis­i­ble du niveau moyen de la mer dans les travaux de refonte des guides nationaux.

Une servi­tude d’utilité publique
Dans la région Nord-Pas-de-Calais, l’approbation des plans de préven­tion des risques lit­toraux est prévue pour fin 2014. Ils vau­dront alors servi­tude d’utilité publique, seront annexés aux plans locaux d’urbanisme (PLU) réal­isés par les com­munes, seront pris en compte dans les sché­mas de cohérence ter­ri­to­ri­aux (SCOT).

Objec­tif ini­tial du pro­gramme prospec­tif lancé en Nord-Pas-de-Calais, la car­ac­téri­sa­tion des effets du change­ment cli­ma­tique prend alors une dimen­sion régle­men­taire, beau­coup plus poli­tique. Les débats por­tent sur l’équilibre du trip­tyque suiv­ant : échéance (2050 ou 2100) – élé­va­tion du niveau de la mer (scé­nario à retenir) – impli­ca­tions régle­men­taires (recom­man­da­tions, pre­scrip­tions, inter­dic­tions). Une hypothèse trop pes­simiste asso­ciée à des con­traintes régle­men­taires strictes con­traindrait forte­ment le développe­ment des ter­ri­toires lit­toraux, par­mi les plus attrac­t­ifs de France. Inverse­ment, si l’on est trop opti­miste sur le scé­nario ou trop lâche sur le règle­ment, les objec­tifs de préven­tion et d’adaptation ne seront sans doute jamais atteints.

Un relèvement des niveaux critiques

In fine, l’intégration du change­ment cli­ma­tique sera décidée dans les plans de préven­tion des risques de sub­mer­sion marine, via dif­férents ajouts. On relève de 20 cm les niveaux marins actuels de tem­pête, déf­i­ni­tion des aléas actuels à laque­lle est asso­cié un règle­ment strict sim­i­laire à ceux util­isés dans les autres plans de préven­tion des risques d’inondation. Le principe est l’inconstructibilité de toute zone exposée à des aléas forts (hau­teur d’eau supérieure à 1 m ou vitesse de sub­mer­sion impor­tante) et des zones non urban­isées, quel que soit l’aléa, ain­si que la con­structibil­ité sous réserve de pre­scrip­tion en zones urban­isées soumis­es à des aléas faibles ou moyens. On ajoute 60 cm aux niveaux marins actuels de tem­pête, déf­i­ni­tion des aléas à l’horizon 2100, représen­tant l’hypothèse médi­ane de l’ONERC, jugée pes­simiste (entre opti­miste et extrême). À cette déf­i­ni­tion des aléas est asso­cié un règle­ment légère­ment plus per­mis­sif que celui des zones exposées à un aléa actuel. À titre d’exemple, les zones urban­isées soumis­es à un aléa fort en 2100 restent con­structibles moyen­nant pre­scrip­tion et dès lors que l’aléa actuel n’est pas fort.

Pour une stratégie globale

Examen de la digue de Sangatte
San­gat­te, inspec­tion des ouvrages de pro­tec­tion.

Ces mesures de préven­tion par l’urbanisme sont donc les pre­miers élé­ments de la stratégie française d’adaptation au change­ment cli­ma­tique. Les expéri­ences belges et néer­landais­es mon­trent cepen­dant que d’autres axes de tra­vail restent à explor­er, notam­ment l’évolution des dis­posi­tifs de pro­tec­tion, la réduc­tion de la vul­néra­bil­ité des con­struc­tions, axes sur lesquels la France peine déjà à pren­dre en compte les aléas actuels.

En com­para­i­son avec les Pays-Bas, par exem­ple, la France accuse un retard et un manque d’ambition cer­tains : 500 mil­lions d’euros ont été budgétés jusqu’en 2015 (soit dix fois moins qu’aux Pays-Bas) pour une stricte remise à niveau des digues, dans le cadre du « Plan sub­mer­sion rapi­de » mis en place par le gou­verne­ment suite à Xynthia.

Un appel à pro­jet d’un mil­lion d’euros a été lancé pour soutenir des ini­tia­tives de col­lec­tiv­ités sur le recul stratégique, c’est-à-dire la pos­si­bil­ité de laiss­er la mer recon­quérir cer­tains espaces. Ces ini­tia­tives sont encore trop tim­o­rées pour pré­par­er un pays dont 10 % de la pop­u­la­tion réside sur le lit­toral, avec 6000 kilo­mètres de côte.

Trois chantiers majeurs

La stratégie française d’adaptation à la mon­tée du niveau de la mer ne pour­ra se lim­iter unique­ment à des mesures de préven­tion qui ne trait­ent pour le moment qu’une par­tie du prob­lème, la non-aggra­va­tion du risque. Pour met­tre en sécu­rité les enjeux humains et économiques déjà implan­tés et qui fer­ont face dans quelques décen­nies à la mon­tée du niveau de la mer, trois chantiers majeurs sem­blent donc inéluctables.

Associ­er des sol­i­dar­ités nationales aux oblig­a­tions des riverains

D’abord, le ren­force­ment de l’ingénierie et de l’expertise publique pour favoris­er l’émergence de solu­tions inno­vantes et adaptatives.

Ensuite, une clar­i­fi­ca­tion, voire une redéf­i­ni­tion, des rôles et respon­s­abil­ités de l’État et des col­lec­tiv­ités en matière d’aménagement du ter­ri­toire, de ges­tion du trait de côte, de con­struc­tion et d’entretien des dis­posi­tifs de protection.

D’autre part, en lien avec cette clar­i­fi­ca­tion juridique, une redéf­i­ni­tion des par­tic­i­pa­tions finan­cières de l’État, des col­lec­tiv­ités et des riverains. Selon la loi du 16 sep­tem­bre 1807, tou­jours en vigueur, le finance­ment des dis­posi­tifs de pro­tec­tion con­tre les inon­da­tions incombe en effet aux pro­prié­taires riverains. Si leur par­tic­i­pa­tion peut paraître légitime sous cer­tains aspects, en con­cour­ant notam­ment à l’information et à la préven­tion (sig­nal-prix dans les zones à risques), il sem­ble néan­moins néces­saire d’y associ­er des sol­i­dar­ités nationale et locale.

Enfin, l’objectif de préven­tion et d’adaptation néces­sit­erait de repenser l’équilibre des finance­ments entre indem­ni­sa­tion (garantie cat­a­stro­phes naturelles) et préven­tion (fonds de préven­tion des risques naturels majeurs), actuelle­ment net­te­ment en faveur de l’indemnisation.

Vivre avec l’eau aux Pays-Bas
Aux Pays-Bas, l’exposition aux sub­mer­sions est certes plus prég­nante qu’en France. Avec le plan DELTA 2, les Néer­landais sont en train de dévelop­per une ingénierie de pointe dans le domaine de la pro­tec­tion lit­torale, et plus large­ment dans le domaine de l’eau : digues évo­lu­tives, main­tien du trait de côte par réens­able­ment, con­struc­tion sur pilo­tis, réou­ver­ture con­trôlée d’une par­tie du ter­ri­toire pour laiss­er plus de place à la mer et aux riv­ières. Un mil­liard d’euros sera investi annuelle­ment jusqu’en 2100 pour pré­par­er les Pays-Bas aux défis du change­ment cli­ma­tique, pour « vivre avec l’eau ». La répar­ti­tion des rôles entre l’État et les dif­férents niveaux de col­lec­tiv­ité est de plus par­ti­c­ulière­ment claire, chaque niveau se voy­ant attribuer un niveau de com­pé­tences en adéqua­tion avec ses moyens et ses intérêts. À l’État les grands travaux, aux water­scrapen l’entretien courant des ouvrages hydrauliques de sec­ond ordre.

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