Robot humanoïde

Quelle robotique humanoïde en 2020 ?

Dossier : Robotique et intelligence artificielleMagazine N°750 Décembre 2019
Par Pierre-Brice WIEBER (93)

La science-fic­tion ima­gine sou­vent une humani­té entou­rée de robots l’assistant dans ses tâches quo­ti­diennes. L’imagination dans ces œuvres quant à ce que pour­raient être ces robots, leurs formes, leurs fonc­tions, revient pour­tant sou­vent à une forme huma­noïde. Mais pour­quoi construire des robots huma­noïdes ? et vers quoi vont-ils ?

Un constat : les Japo­nais, mais aus­si les Amé­ri­cains et les Euro­péens déve­loppent des robots ser­vi­teurs huma­noïdes. Par exemple, tous les com­po­sants de la Sta­tion spa­tiale inter­na­tio­nale et de futurs avant-postes lunaires ou mar­tiens doivent pou­voir être uti­li­sés par des astro­nautes. Ces sys­tèmes doivent donc être conçus avant tout pour des êtres humains. La Nasa en est alors venue à déve­lop­per des Robo­nauts huma­noïdes, capables d’interagir avec ces sys­tèmes comme les astro­nautes le font eux-mêmes, dans l’objectif de les déles­ter de tâches banales (ins­pec­tion, entre­tien, manu­ten­tion…), pour qu’ils se concentrent sur les tâches requé­rant réel­le­ment leurs com­pé­tences. L’Europe a de son côté finan­cé récem­ment une Action de recherche et inno­va­tion inti­tu­lée Coma­noid, fai­sant la démons­tra­tion de robots capables de se dépla­cer dans un site d’assemblage Air­bus, avec ses esca­liers et son sol encom­bré, pour déles­ter les opé­ra­teurs humains de tâches de mani­pu­la­tion simples. Dans ce cas comme dans le pré­cé­dent, une forme huma­noïde per­met au robot de s’intégrer faci­le­ment à un envi­ron­ne­ment et des pro­ces­sus conçus avant tout pour des êtres humains.


REPÈRES

On peut appe­ler huma­noïde tout robot repro­dui­sant tout ou par­tie de la forme et des capa­ci­tés d’un humain, mais nous consi­dé­re­rons ici le robot huma­noïde « com­plet », consti­tué de deux bras, deux jambes, un tronc et une tête, capable de sai­sir des objets avec ses mains, de se dépla­cer en mar­chant avec ses pieds. 


Robots humanoïdes et robots prothèses : des problématiques communes

L’assistance aux humains consti­tue l’essence même des robots pro­thèses et orthèses. Or, pour agir au contact même du corps humain, ils doivent en reprendre la forme. L’exemple le plus emblé­ma­tique à ce jour est peut-être le tra­vail réa­li­sé par l’entreprise pari­sienne Wan­der­craft, dont les robots enve­loppent le corps de per­sonnes para­plé­giques pour per­mettre de mar­cher de façon auto­nome, sans besoin d’aide ou d’appuis supplémentaires. 

Le corps joue aus­si un rôle de pre­mier plan dans la com­mu­ni­ca­tion non ver­bale. L’être humain pré­sente une capa­ci­té natu­relle à inter­pré­ter les pos­tures et les mou­ve­ments du corps humain. Un robot huma­noïde peut en tirer par­ti pour com­mu­ni­quer plus effi­ca­ce­ment avec nous. Ain­si, des robots huma­noïdes sont uti­li­sés avec suc­cès comme inter­mé­diaires ras­su­rants entre des enfants autistes et leur entou­rage. Il convient évi­dem­ment de faire atten­tion au risque d’autant plus pro­non­cé de pro­je­ter sur le robot des moti­va­tions, voire des émo­tions, qu’il ne res­sent pas. 

La forme huma­noïde n’est évi­dem­ment pas la seule pos­sible. Après la catas­trophe de Fuku­shi­ma, on a envoyé des robots télé­opé­rés, équi­pés de che­nilles et de bras arti­cu­lés, habi­tuel­le­ment voués au démi­nage. Mais le corps de ces robots, bien que télé­opé­rés par des êtres humains, n’avait pas tou­jours la dex­té­ri­té requise. Des opé­ra­teurs humains ont donc été envoyés mal­gré la radio­ac­ti­vi­té de l’environnement. Car l’extraordinaire effi­cience humaine réside autant dans sa tête que dans son corps et dans sa dex­té­ri­té naturelle.

“Les sciences de l’ingénieur ont encore
de beaux jours devant elles.”

Où en sommes-nous de la mise en œuvre de robots humanoïdes ?

Le mou­ve­ment huma­noïde (équi­libre, dépla­ce­ment, mani­pu­la­tion) est main­te­nant com­pris dans les grandes lignes. Les démons­tra­tions les plus fameuses sont cer­tai­ne­ment celles réa­li­sées par les robots de Bos­ton Dyna­mics, qui vont jusqu’à réa­li­ser des sauts périlleux. Mais ces capa­ci­tés impres­sion­nantes ont un coût déme­su­ré. Le simple coût de fabri­ca­tion de ces robots, n’incluant pas le coût de mise en œuvre ou d’entretien, cor­res­pond à plus d’un siècle de salaire mini­mum. Pour autant, ces mêmes robots res­tent incroya­ble­ment peu fiables. 

Car, pour posi­tion­ner et orien­ter indé­pen­dam­ment ses pieds, ses mains, son tronc et sa tête, chaque jambe, chaque bras d’un robot huma­noïde doit être équi­pé d’au moins six axes de rota­tion indé­pen­dants. Puisqu’il faut des mobi­li­tés sup­plé­men­taires dans le tronc, le cou, les mains (pour la pré­hen­sion), un robot huma­noïde finit par devoir être équi­pé d’au moins trente axes de rota­tion indé­pen­dants. Cela veut dire autant de moteurs, autant d’électronique de contrôle, qui intro­duisent autant de fra­gi­li­tés, autant de com­plexi­té, autant de consom­ma­tion éner­gé­tique, autant de coûts de concep­tion, de fabri­ca­tion, d’entretien. Et ces moteurs doivent être par­fai­te­ment coor­don­nés pour réa­li­ser cor­rec­te­ment le moindre mou­ve­ment, ce qui néces­site des cap­teurs et des action­neurs pré­cis et donc coû­teux, mais aus­si des cal­culs d’une com­plexi­té telle que la consom­ma­tion éner­gé­tique du cal­cu­la­teur seul peut être com­pa­rable à la consom­ma­tion éner­gé­tique de tous les moteurs réunis !

Ces pro­blèmes de coût et de fia­bi­li­té sont inti­me­ment liés, en ce que nous ne savons tou­jours pas défi­nir quelles spé­ci­fi­ca­tions garan­tissent un niveau de per­for­mance don­né. On conti­nue ain­si à conce­voir des robots huma­noïdes dont cer­tains com­po­sants sont sur­dimensionnés, d’autres sous-dimen­sion­nés, et dont ni le coût ni le niveau de per­for­mance ne sont plei­ne­ment maî­tri­sés. En ce temps de crise éco­lo­gique, tout pro­jet d’ingénierie se doit pour­tant d’être éco­nome en ressources. 

Robot humanoïde Toro
Le DLR, agence aéro­spa­tiale alle­mande, a conçu le robot huma­noïde Toro pour éva­luer de nou­velles approches pour l’exploration spa­tiale et l’industrie aéronautique.

Une application pour les méthodes d’apprentissage artificiel ? 

Tous les résul­tats obte­nus à ce jour résultent d’une appli­ca­tion clas­sique de sciences de l’ingénieur : théo­ries des méca­nismes et des sys­tèmes dyna­miques, méthodes numé­riques asso­ciées. Le pro­blème est com­plexe mais, en tirant par­ti d’hypothèses sim­pli­fi­ca­trices rai­son­nables, on peut obte­nir de bons résul­tats. L’équilibre et les dépla­ce­ments peuvent ain­si être ana­ly­sés et syn­thé­ti­sés en par­tant d’une poi­gnée de concepts simples : les équa­tions du mou­ve­ment relient le centre de masse du robot et son moment angu­laire à ses dif­fé­rents points d’appui et au centre de pres­sion des forces qui en résultent. 

Un robot ne peut-il pas « apprendre à mar­cher » par lui-même, en tâton­nant, en enre­gis­trant ses suc­cès et ses erreurs ? C’est ce que vise l’apprentissage par ren­for­ce­ment, uti­li­sé avec suc­cès par exemple pour le jeu de go. Un robot qua­dru­pède a pu tout récem­ment « apprendre » à gar­der l’équilibre de cette manière à l’École poly­tech­nique fédé­rale de Zurich. Mais la grande limite de cette approche est qu’elle consiste ni plus ni moins à régler un nombre fara­mi­neux de para­mètres (des mil­lions) dont on peut dif­fi­ci­le­ment tirer le moindre ensei­gne­ment. De ce point de vue, ces méthodes d’apprentissage arti­fi­ciel sont insuf­fi­santes et les sciences de l’ingénieur ont encore de beaux jours devant elles. 

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