Orientations pour les politiques publiques de lutte contre le chômage de longue durée

Dossier : L'emploiMagazine N°527 Septembre 1997Par : Anne GAUVIN, économiste

C’est bien logi­que­ment l’a­na­lyse fine de l’ex­pé­rience pas­sée qui per­met de déga­ger des orien­ta­tions nou­velles pour les poli­tiques de lutte contre le chô­mage de longue durée. La com­pré­hen­sion des pro­grammes de lutte contre le chô­mage de longue durée ini­tiés en France depuis le milieu des années 80, le rap­pel des résul­tats des éva­lua­tions qui ont été réa­li­sées, ain­si que des débats rela­tifs à l’ap­pré­cia­tion de ces résul­tats, consti­tuent ain­si un détour pour débou­cher sur quelques pro­po­si­tions d’in­flexion de la poli­tique de lutte contre le chô­mage de longue durée dans notre pays.

1) Les politiques de lutte contre le chômage de longue durée : un démarrage assez tardif, des programmes massifs, des orientations relativement permanentes

On date géné­ra­le­ment le démar­rage de pro­grammes mas­sifs de lutte contre le chô­mage de longue durée au tour­nant des années 1985–19871, moment où l’on observe, pour cer­tains un peu tard, que le niveau du chô­mage de longue durée, défi­ni par une ancien­ne­té de chô­mage supé­rieure à un an, amorce une mon­tée qui semble irré­ver­sible. Le chô­mage de longue durée (DEFM ayant plus d’un an d’ins­crip­tion) a connu l’é­vo­lu­tion sui­vante : il est pas­sé de 64 000 en 1974 à 350 000 en 1980, et près de 900 000 en 1987 ; puis après une baisse, il a aug­men­té de nou­veau pour atteindre 1 113 000 en 1994 ; et atteint envi­ron 1 mil­lion de per­sonnes aujourd’­hui. En part rela­tive, cela repré­sente une évo­lu­tion de 12 % des DEFM en 1974 à 23 % en 1980, puis à 32,5 % en 1984. Depuis dix ans la part des chô­meurs de longue durée oscille entre 30 % à 36 % en fonc­tion de la conjonc­ture et des dis­po­si­tifs publics mis en place, année après année.

Depuis le milieu des années 80, les pro­grammes de lutte contre le chô­mage de longue durée se sont en effet déve­lop­pés de façon mas­sive, avec des orien­ta­tions à peu près per­ma­nentes, en com­bi­nant actions de for­ma­tion, inci­ta­tions visant à inflé­chir les com­por­te­ments d’embauches des entre­prises par des baisses de coût du tra­vail (exo­né­ra­tions et sub­ven­tions pour favo­ri­ser les flux d’embauches de publics cibles), et créa­tions d’emplois par la créa­tion d’ac­ti­vi­tés ou le sou­tien à des struc­tures inter­mé­diaires d’in­ser­tion. Au cours de la période 1987 à 1996, les effec­tifs de béné­fi­ciaires de dis­po­si­tifs ciblés sur les chô­meurs de longue durée (ou dont les chô­meurs de plus de douze mois, puis de plus de douze mois dans les dix-huit mois, puis de plus de dix-huit mois dans les vingt-quatre mois, sont consi­dé­rés comme des publics prio­ri­taires) ont aus­si connu une crois­sance qui ne s’est guère inflé­chie : de 180 000 béné­fi­ciaires envi­ron au cours de l’an­née en 1987, à près de 500 000 en 1990, plus de 750 000 en 1992, puis envi­ron 1 mil­lion depuis 19942. La part des contrats aidés dans le sec­teur mar­chand et dans le sec­teur non mar­chand s’est net­te­ment accrue au début des années 90 ; et cette ten­dance s’est par ailleurs ren­for­cée après 1993. Ces pro­grammes enga­gés en quan­ti­tés lar­ge­ment crois­santes entraînent une mon­tée en charge assez consé­quente des efforts finan­ciers consen­tis par la col­lec­ti­vi­té nationale.

Les dis­po­si­tifs s’a­daptent donc et leurs concep­tions com­binent conti­nui­té et inflexion avec les dis­po­si­tifs pré­cé­dents. Ces évo­lu­tions res­tent en réa­li­té tou­jours lar­ge­ment fon­dées sur des repré­sen­ta­tions du mar­ché du tra­vail et des chô­meurs de longue durée datant du milieu des années 80. On peut ain­si résu­mer la suc­ces­sion des pro­grammes de lutte contre le chô­mage de longue durée en iden­ti­fiant les axes d’in­flexion sui­vants, notam­ment quant aux pro­cé­dures de mise en œuvre : ten­ta­tives de sim­pli­fi­ca­tions ; dési­gna­tions de publics prio­ri­taires plus larges, se sub­sti­tuant aux seuls publics cibles ; décon­cen­tra­tion et glo­ba­li­sa­tion d’une par­tie des cré­dits afin d’as­su­rer plus d’au­to­no­mie et de res­pon­sa­bi­li­té aux acteurs locaux ; mises en réseau des acteurs locaux et des com­pé­tences des ins­ti­tu­tions du ser­vice public de l’emploi.

La confron­ta­tion des évo­lu­tions du chô­mage de longue durée et des effec­tifs de béné­fi­ciaires de mesures ciblées sur les chô­meurs de longue durée n’est guère encou­ra­geante, ni convain­cante quant à l’ef­fi­ca­ci­té de la poli­tique mise en œuvre. Mais on n’est pas en mesure d’ap­pré­cier aujourd’­hui ce qui se serait pro­duit si les dis­po­si­tifs n’a­vaient pas été déployés. Il est pro­bable que la sélec­ti­vi­té pro­fonde du mar­ché du tra­vail aurait œuvré plus for­te­ment encore que ce que l’on a consta­té au cours de la période. Et l’on connaît l’im­por­tance des poli­tiques spé­ci­fiques d’emploi pour régu­ler à court terme le mar­ché du tra­vail, sauf si l’on accepte la forte hausse du chô­mage et les graves effets sociaux, qui seraient immé­dia­te­ment et inévi­ta­ble­ment entraî­nés par leur dis­pa­ri­tion, ou leur réduction.

La ques­tion des effets quan­ti­ta­tifs des dis­po­si­tifs est une ques­tion dif­fi­cile : selon les esti­ma­tions de la DARES en 1996, alors que dans l’en­semble de l’é­co­no­mie, ce sont envi­ron 80 000 emplois nets qui ont été sup­pri­més, les effets de l’en­semble des dis­po­si­tifs de poli­tique de l’emploi3 sont les sui­vants : effet de créa­tion nette d’emplois de 26 000 (avec une contri­bu­tion contras­tée entre l’é­vo­lu­tion de l’emploi dans le sec­teur mar­chand, + 61 000, et l’é­vo­lu­tion de l’emploi dans le sec­teur non mar­chand, – 35 000 ; effet plus fort sur le chô­mage que l’an­née pré­cé­dente : – 45 000)4. On se situe là dans les limites des poli­tiques spé­ci­fiques de l’emploi, dont le rôle prin­ci­pal consiste à orga­ni­ser « une rota­tion dans la file d’at­tente du chô­mage », plus que de contri­buer direc­te­ment à l’ac­crois­se­ment net du volume de l’emploi.

Sin­gu­liè­re­ment, d’as­sez nom­breux pro­grammes d’é­va­lua­tions « glo­bales« 5 se sont suc­cé­dé, depuis le milieu et la fin des années 80. Pour l’es­sen­tiel, les cri­tères d’ap­pré­cia­tion et les résul­tats de tous ces tra­vaux convergent. Il est assez frap­pant de consta­ter que tout au long de ces années les appré­cia­tions glo­bales sur ces dis­po­si­tifs, issues de leurs éva­lua­tions suc­ces­sives, n’ont guère évolué.

2) Les principales conclusions des travaux d’évaluation initient des débats assez récurrents

Le rap­pel de ces débats per­met d’i­den­ti­fier les voies d’é­vo­lu­tion pos­sibles des poli­tiques publiques de lutte contre le chô­mage de longue durée. On peut en dres­ser le bref inven­taire sui­vant, qui sera bien sûr incomplet.

  • Une pro­gram­ma­tion et une « logis­tique » des pro­grammes de lutte contre le chô­mage de longue durée trop instables : cet ensemble fait réfé­rence aux appré­cia­tions rela­tives à la com­plexi­té des ins­tru­ments dis­po­nibles, à leur insta­bi­li­té, au manque de lisi­bi­li­té du conte­nu des divers dis­po­si­tifs pour les béné­fi­ciaires poten­tiels (entre­prises, main-d’œuvre), et même pour les agents du ser­vice de l’emploi.
     

Les mesures ont au cours des douze années été modi­fiées maintes fois, rem­pla­cées par d’autres aux moda­li­tés voi­sines, délais­sées, puis réac­ti­vées ; ceci dans un contexte géné­ral et constant d’ap­pel à la sim­pli­fi­ca­tion. Des vagues suc­ces­sives de sim­pli­fi­ca­tion sont effec­ti­ve­ment inter­ve­nues (en 1990 et en 1993 par exemple), mais elles ont pu être sui­vies de l’ad­di­tion de nou­veaux dis­po­si­tifs. Par ailleurs, les pro­grammes de lutte contre le CLD existent par­mi d’autres dis­po­si­tifs, des­ti­nés aux jeunes, ayant pour visée d’ai­der les restruc­tu­ra­tions, ou la mise en place de pro­grammes de for­ma­tion, ce qui ajoute à l’ap­pa­rente com­plexi­té. Les cri­tiques majeures sont sans doute moins celles de la com­plexi­té (redon­dante mal­gré des efforts réels de sim­pli­fi­ca­tion et d’in­for­ma­tion) ou de la mul­ti­pli­ci­té des dis­po­si­tifs, que celles de l’ins­ta­bi­li­té, qui ren­force l’im­pres­sion de foi­son­ne­ment d’une pano­plie de mesures.

  • Des conflits d’ob­jec­tifs et une seg­men­ta­tion des ins­tru­ments : la pre­mière idée qui main­te­nant a fait son che­min, dans l’ex­po­sé des motifs des dis­po­si­tifs, mais aus­si dans les approches éva­lua­tives, est celle de la mul­ti­pli­ci­té des objec­tifs que l’on peut affec­ter aux diverses mesures appar­te­nant aux pro­grammes de lutte contre le chô­mage de longue durée6 : le retour à l’emploi ; la remo­ti­va­tion ou redy­na­mi­sa­tion vis-à-vis des acti­vi­tés de tra­vail ; la reso­cia­li­sa­tion ; la qua­li­fi­ca­tion et la for­ma­tion ; le déve­lop­pe­ment et la conso­li­da­tion de nou­velles acti­vi­tés cor­res­pon­dant à de nou­veaux besoins sociaux ; la qua­li­té et l’ef­fi­ca­ci­té sociale des acti­vi­tés qui octroient des emplois aidés, en par­tie dans le sec­teur non mar­chand, associatif.
     

La seg­men­ta­tion des ins­tru­ments c’est aus­si l’i­dée d’une sélec­ti­vi­té de fait dans l’ac­cès à un « ordre de mesures », entre celles plus proches de l’emploi nor­mal, qui béné­fi­cient d’a­bord à ceux qui sont le moins en dif­fi­cul­té sur le mar­ché du tra­vail, et celles dans les­quelles entre­ront les moins « employables », qui pré­ci­sé­ment amé­lio­re­ront moins leurs chances de retour à l’emploi.

  • Une cohé­rence impar­faite dans la mise en œuvre des mesures ciblées : à la fois les diverses sortes de mesures ciblées (aides dans le sec­teur mar­chand, non mar­chand, actions de for­ma­tion) sont cen­sées se com­plé­ter ou être coor­don­nées entre elles : adap­ta­tion aux divers besoins des publics, dif­fé­rences d’ho­ri­zon tem­po­rel per­ti­nentes. Par contre, on observe des inter­fé­rences poten­tiel­le­ment néga­tives des dif­fé­rentes sortes d’in­ter­ven­tions : par exemple inci­ta­tion finan­cière à l’embauche ; optique de court terme et de gui­chet (pla­ce­ment d’un pro­duit) peu com­pa­tible avec la construc­tion de par­cours qui devrait fonc­tion­ner de façon néces­sai­re­ment négo­ciée dans un réseau coopé­ra­tif et sur un hori­zon long. De ce point vue, la logique de gui­chet paraît sou­vent plus com­pa­tible avec la volon­té de mettre en place des dis­po­si­tifs mas­sifs dont les effets obser­vables sur les indi­ca­teurs conjonc­tu­rels du mar­ché du tra­vail sont visibles. Accom­pa­gne­ment et construc­tion de par­cours s’ob­servent de fait pour des mesures plus homéo­pa­thiques dont les effets pos­sibles appré­ciables sur les tra­jec­toires des indi­vi­dus ne peuvent guère être agré­gés pour inflé­chir les dés­équi­libres du mar­ché du tra­vail à court terme.
     
  • Des dif­fi­cul­tés de for­ma­tage des ins­tru­ments : deux ques­tions sont ici évo­quées, celle du ciblage de l’aide et celle de son conte­nu. La nature du ciblage pro­vient des ana­lyses du fonc­tion­ne­ment de la sélec­ti­vi­té du mar­ché du tra­vail : ce sont sou­vent les cri­tères de durée de chô­mage, d’âge, de for­ma­tion qui sont mis en avant pour éla­bo­rer ces défi­ni­tions admi­nis­tra­tives et sta­tis­tiques. On a obser­vé cepen­dant une modi­fi­ca­tion des cibles au cours du temps, jus­qu’à aujourd’­hui annon­cer, par­mi les prio­ri­taires des dis­po­si­tifs de lutte contre le chô­mage de longue durée, les chô­meurs « dits » dif­fi­ciles à placer.
     

Or l’ob­ser­va­tion des par­cours indi­vi­duels et des effets de la tra­jec­toire pro­fes­sion­nelle anté­rieure sur les chances de retour vers l’emploi conduit bien sou­vent à rela­ti­vi­ser le poids des cri­tères socio­dé­mo­gra­phiques tra­di­tion­nels. Il y a sans doute obso­les­cence des fac­teurs habi­tuels de risque au regard des pro­ces­sus actuels d’ex­clu­sion de l’emploi. Les dis­po­si­tifs ont été, sont sans doute encore construits sur une repré­sen­ta­tion dépas­sée de la seg­men­ta­tion du mar­ché du tra­vail et sans accroche assez actuelle avec les formes du chô­mage de longue durée. Les han­di­caps et les attri­buts indi­vi­duels sont de plus en plus dif­fi­ci­le­ment décelables.

Les effets ambi­gus du ciblage, trop large ou trop étroit, sont sou­vent rap­pe­lés. Soit le ciblage est trop large et dans ce cas, la logique sélec­tive s’exer­ce­ra à l’en­contre des plus vul­né­rables. Soit le ciblage est étroit et dans ce cas, il conduit à la fois à « stig­ma­ti­ser » les publics concer­nés et à évin­cer les publics les plus proches de l’ac­cès au dispositif.

La ques­tion du conte­nu de l’aide et le choix entre prime ou sub­ven­tion, exo­né­ra­tion de charges, aides à la for­ma­tion et au tuto­rat, aide à l’embauche par acti­va­tion des dépenses d’in­dem­ni­sa­tion, concernent la logique propre de l’ap­pui tem­po­raire octroyé aux chô­meurs de longue durée. L’o­ri­gine du finan­ce­ment de ces aides (bud­get de l’É­tat, sécu­ri­té sociale dans le cas des exo­né­ra­tions de charge non com­pen­sées, régime d’as­su­rance chô­mage par exemple) tra­duit éga­le­ment les options prises dans la concep­tion de l’en­semble des instruments.

Pour l’es­sen­tiel, les ins­tru­ments de type exo­né­ra­tion ou baisse pro­vi­soire du coût du tra­vail, ou action courte de for­ma­tion sont conçus dans une logique de com­pen­sa­tion à court terme des han­di­caps sup­po­sés des publics, en dif­fi­cul­té ou risque d’ex­clu­sion (défaut de qua­li­fi­ca­tion, moindre pro­duc­ti­vi­té), et ce pour cor­ri­ger de façon tem­po­raire leur défi­cit d’employabilité.

Ces aides ne sont en revanche guère conçues pour orga­ni­ser l’offre de par­cours indi­vi­duels plus longs où les efforts de la col­lec­ti­vi­té se concen­tre­raient sur la construc­tion de réseaux, et des actions d’ac­com­pa­gne­ment, par diverses moda­li­tés de type par­rai­nage, qui ne ces­se­raient que lorsque la remise dans les rails de l’emploi est véri­ta­ble­ment acquise pour les individus.

  • Des stra­té­gies d’ac­teurs et des effets de déper­di­tion limi­tant l’ef­fi­ca­ci­té de mesures. L’a­na­lyse des com­por­te­ments et stra­té­gies des acteurs ayant usage des dis­po­si­tifs de lutte contre le chô­mage de longue durée, et en pre­mier lieu les entre­prises, sert en par­ti­cu­lier à mesu­rer les effets divers des ins­tru­ments pro­po­sés sur l’emploi, le chô­mage, la popu­la­tion active, et ce dans des dimen­sions à la fois quan­ti­ta­tives et structurelles.
     

L’es­ti­ma­tion de la mesure de ces effets au niveau micro-éco­no­mique est sou­vent com­plexe. Ceux-ci sont en outre extrê­me­ment variés : anti­ci­pa­tion, aubaine, sub­sti­tu­tion, rota­tion, évic­tion, appel, flexion, can­ni­ba­lisme et dis­tor­sion de concur­rence figurent par­mi les plus sou­vent cités. Dif­fi­ciles à iso­ler pour un éta­blis­se­ment employeur, com­plexes à obser­ver dans une zone d’emploi ou sur un ter­ri­toire, ils sont déli­cats à agré­ger lorsque l’on passe à une esti­ma­tion macro-éco­no­mique. La ten­ta­tion est sou­vent grande, c’est d’ailleurs l’exi­gence de la rigueur de l’a­na­lyse pour cer­tains, de cadrer ain­si l’a­na­lyse glo­bale sur le seul et unique cri­tère de l’im­pact d’une baisse de coût du tra­vail sur la demande de tra­vail, l’offre de tra­vail et le chô­mage. Cette démarche prête à débat. Elle est peu favo­rable à l’in­tro­duc­tion de fac­teurs plus qua­li­ta­tifs. On peut citer, par exemple, l’in­ca­pa­ci­té à inté­grer dans un tel rai­son­ne­ment les effets sur la hausse de pro­duc­ti­vi­té, et l’a­mé­lio­ra­tion des com­pé­tences, pro­pices à des gains de com­pé­ti­ti­vi­té hors prix, induits par la for­ma­tion ou la remise en situa­tion de travail.

Est alors posée la ques­tion des effets macro-éco­no­miques des poli­tiques spé­ci­fiques d’emploi dont on peut pré­sen­ter les prin­ci­paux résul­tats pro­po­sés par la DARES 7. Ces effets sont « oppo­sés » selon que l’a­na­lyse se situe à court ou à moyen terme. À court terme les fluc­tua­tions du chô­mage sont for­te­ment modi­fiées par les poli­tiques spé­ci­fiques d’emploi (sur­tout au cours de la der­nière période par les créa­tions d’emploi dans le sec­teur non mar­chand, et par les créa­tions d’emploi dans le sec­teur mar­chand, moins oné­reuses que les pré­re­traites). Dans cette même pers­pec­tive macro-éco­no­mique, l’a­van­tage de la ges­tion sociale à court terme dimi­nue for­te­ment à long terme (au pro­fit de mesures plus struc­tu­relles, telle la baisse géné­rale de coti­sa­tions sociales dans la zone des bas salaires).

  • Des inter­ro­ga­tions rela­tives aux pro­cé­dures de l’ac­tion ter­ri­to­riale : les pro­cé­dures de mise en œuvre des dis­po­si­tifs spé­ci­fiques de l’emploi peuvent s’or­ga­ni­ser autour de deux cas polaires. Soit chaque ins­tru­ment ou groupe de mesures est conçu de manière régle­men­taire et uni­forme, au niveau natio­nal, et est ren­du dis­po­nible à l’é­che­lon local, selon une pure logique de gui­chet, auquel s’a­dressent les entre­prises uti­li­sa­trices, au sein des­quelles sont « pla­cés » les béné­fi­ciaires. Soit une marge d’ap­pré­cia­tion locale plus ou moins grande est pos­sible et ce avec plu­sieurs confi­gu­ra­tions pos­sibles : des mesures stan­dard s’a­daptent aux spé­ci­fi­ci­tés locales ; les acteurs locaux, relais de poli­tiques éla­bo­rées cen­tra­le­ment, veillent à la com­plé­men­ta­ri­té, à la coor­di­na­tion d’un ensemble d’ins­tru­ments pour construire un pro­jet cohé­rent d’ac­tion ter­ri­to­riale. La seconde option sup­pose que soient ouvertes les voies de la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des éche­lons décon­cen­trés. Elle sup­pose aus­si une orga­ni­sa­tion coor­don­née, voire contrac­tuelle, entre les com­po­santes ins­ti­tu­tion­nelles du ser­vice public de l’emploi, et des par­te­na­riats entre les dif­fé­rents sec­teurs de l’ad­mi­nis­tra­tion avec les acteurs éco­no­miques, les réseaux asso­cia­tifs, les orga­nismes de for­ma­tion, et le cas échéant (et sans doute de plus en plus fré­quem­ment) les col­lec­ti­vi­tés territoriales.

3) Les conclusions de d’évaluation de la loi quinquennale de décembre 1993 actualisent les résultats des évaluations antérieures

Le conte­nu de la loi quin­quen­nale est assez lar­ge­ment dans la conti­nui­té des mesures anté­rieures de lutte contre le chô­mage de longue durée. Les inflexions appor­tées concernent la défi­ni­tion des publics cibles – publics mena­cés d’ex­clu­sion pro­fes­sion­nelle, « ren­con­trant des dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières d’ac­cès à l’emploi » – mais il s’a­git pour l’es­sen­tiel de pro­lon­ge­ment, et d’a­mé­na­ge­ment. La loi quin­quen­nale renoue éga­le­ment avec l’i­dée d’ac­com­pa­gne­ment plus per­son­na­li­sé avec la pro­mo­tion de l’i­dée de par­rai­nage : « nou­velle moda­li­té de sui­vi des publics qui ren­contrent des dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières d’ac­cès à l’emploi », repo­sant sur une conven­tion pas­sée entre l’É­tat, une col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale, un réseau asso­cia­tif d’aide à l’in­ser­tion pour accom­pa­gner la recherche d’emploi, aider au mon­tage d’ac­tions de for­ma­tion, de sui­vi des expé­riences d’emploi, et d’in­ter­ven­tion en cas de rupture.

L’ins­tance réunie dans le cadre du dis­po­si­tif inter­mi­nis­té­riel d’é­va­lua­tion des poli­tiques publiques a cher­ché à répondre aux ques­tions sui­vantes8 :

  • la loi quin­quen­nale emploi a‑t-elle per­mis de mieux répondre aux besoins des publics jugés les plus en difficulté ?
  • la loi quin­quen­nale emploi a‑t-elle amé­lio­ré la capa­ci­té des pres­crip­teurs publics à concen­trer les aides sur ces publics ?
  • la réduc­tion du coût du tra­vail et la for­ma­tion sont-ils les bons ins­tru­ments d’une poli­tique anti-sélec­tive sur le mar­ché du travail ?
  • faut-il mettre l’ac­cent sur les ins­tru­ments de la poli­tique de l’emploi ou sur les pro­cé­dures ? sur les « pro­duits » offerts ou sur les modes de pro­duc­tion et de régu­la­tion de ces produits ?
     

Les pro­duits phares de l’in­ter­ven­tion publique en faveur de l’emploi des chô­meurs de longue durée, CES et CRE, puis CIE après 1995, 9 ont fran­chi au cours de la période un nou­veau seuil quan­ti­ta­tif, suite à l’ar­bi­trage des pou­voirs publics qui a octroyé de nou­veaux moyens, pour répondre à la conjonc­ture et à la nou­velle mon­tée du chô­mage, déployant ain­si un pilo­tage bud­gé­taire de court terme.

Certes, on constate que le nombre de chô­meurs de longue durée a bais­sé avec la mon­tée en charge du CIE. Mais on sait aus­si que l’ef­fet sur la struc­ture du chô­mage est de courte durée. En outre la période obser­vée est assez trou­blée par l’é­cou­le­ment de pro­mo­tions très nom­breuses de chô­meurs, entrés notam­ment au cours de l’an­née 1993, année de très faible conjoncture.

Les enquêtes réa­li­sées montrent que les aides jouent en défi­ni­tive peu sur les com­por­te­ments ; dans plus de la moi­tié des cas, les embauches se seraient réa­li­sées sans l’aide. L’u­ti­li­sa­tion des aides et les pré­fé­rences des employeurs pour l’embauche de per­sonnes « consi­dé­rées comme les plus aptes à l’emploi » n’ont guère été modi­fiées. On doit tou­jours res­ter pru­dent sur l’in­ter­pré­ta­tion de ces résul­tats, car ils reposent sur des décla­ra­tions des employeurs for­mu­lées a pos­te­rio­ri. Ceux-ci ont sou­vent ten­dance à sous-esti­mer l’im­pact des aides et à recons­truire a pos­te­rio­ri les moti­va­tions de leur recrutement.

Notons cepen­dant quelques résul­tats des études réalisées :

  • Enquête Louis Harris/Bipe : 7 fois sur 10 l’en­tre­prise a recru­té le béné­fi­ciaire d’un emploi aidé à l’is­sue du contrat ; 6 fois sur 10, les per­sonnes auraient été recru­tées sans aide ; 4 fois sur 10, soit l’embauche n’au­rait pas eu lieu, soit elle aurait eu lieu pour un public dif­fé­rent ; 4 fois sur 10 le res­pon­sable d’en­tre­prise inter­ro­gé indique que la per­cep­tion qu’il a du public a chan­gé ; plus de la moi­tié des employeurs ayant uti­li­sé les aides estiment que le tuto­rat est la condi­tion prin­ci­pale de l’in­té­gra­tion réus­sie, et ce loin devant la formation.
  • Enquête IFOP sur le CIE (réa­li­sée pour la DARES en juin 1996) : 9 employeurs sur 10 se déclarent satis­faits ou très satis­faits du sala­rié recru­té : 8 entre­prises auraient embau­ché en l’ab­sence de l’aide.
  • Enquête TERSUD : une enquête paral­lèle auprès des béné­fi­ciaires des aides a d’ailleurs mon­tré que dans 9 cas sur 10 ils esti­maient utiles et très utiles les dis­po­si­tifs dont ils béné­fi­ciaient. Même si le degré de connais­sance des dis­po­si­tifs par les publics béné­fi­ciaires eux-mêmes était assez faible. Beau­coup déclarent ne pas savoir que le fait d’être chô­meur de longue durée donne droit à une aide à l’embauche.
     

En outre, toutes les entre­prises ne recourent pas éga­le­ment aux dis­po­si­tifs d’embauches exo­né­rées ou sub­ven­tion­nées. Certes les embauches sub­ven­tion­nées consti­tuent de plus en plus les voies habi­tuelles de recru­te­ment : 40 % des éta­blis­se­ments de 10 sala­riés ou plus qui ont recru­té en 1994 ont eu recours aux dis­po­si­tifs de poli­tique de l’emploi. Les contrats aidés ne repré­sentent que 15 % des embauches des éta­blis­se­ments uti­li­sa­teurs. Et cette moyenne dis­si­mule des situa­tions contras­tées : la part des contrats aidés dans les embauches est plus éle­vée dans les éta­blis­se­ments ayant peu recru­té ou peu accru leurs effec­tifs. Mais les sec­teurs qui recrutent peu ou qui pra­tiquent de fortes rota­tions de main-d’œuvre uti­lisent plus inten­sé­ment les contrats aidés. On observe que ce sont plu­tôt les pro­fils sui­vants qui recourent aux embauches sous contrats aidés : très petites entre­prises, indus­trie de consom­ma­tion cou­rante, construc­tion, « ter­tiaire mobile », sec­teurs où la qua­li­fi­ca­tion est plu­tôt faible et la rota­tion de la main-d’œuvre impor­tante10.

Comme si « les sub­ven­tions à l’embauche contri­buaient de fait à accom­pa­gner un mou­ve­ment lar­ge­ment spon­ta­né de sélec­tion et de renou­vel­le­ment de la main-d’œuvre, sans en modi­fier véri­ta­ble­ment les moda­li­tés ».

Ces constats ont ame­né l’ins­tance à s’in­ter­ro­ger sur la per­ti­nence des dis­po­si­tifs : l’at­tri­bu­tion auto­ma­tique des aides peut être source de larges effets d’au­baine (CRE/CIE), ou contri­buer à consti­tuer un com­por­te­ment sub­si­diaire et de nou­velles posi­tions « encla­vées » sur le mar­ché du tra­vail (CES-CEC) ; si les cri­tères d’i­den­ti­fi­ca­tion des publics à risques res­tent lar­ge­ment per­ti­nents, la défi­ni­tion admi­nis­tra­tive des cri­tères d’é­li­gi­bi­li­té est par­fois trop étroite pour prendre en compte cer­taines situa­tions d’ex­clu­sion ; ces cri­tères d’at­tri­bu­tion des aides peuvent d’ailleurs aus­si être trop larges. L’ins­tance a esti­mé que les choix de recru­te­ment et l’ordre des licen­cie­ments conti­nuaient de s’exer­cer à l’en­contre des moins for­més, des plus âgés, des chô­meurs de longue durée. L’in­ci­ta­tion finan­cière, les actions de for­ma­tion paraissent insuf­fi­santes pour modi­fier ces fonc­tion­ne­ments sélec­tifs des mar­chés. Le doute sur l’ef­fi­ca­ci­té des aides à l’emploi est donc jus­ti­fié, « si l’on entend par là sub­ven­tion aveugle à l’embauche, ou mon­tage d’ac­tions pal­lia­tives sans effets durables sur l’insertion ».

Mais la néces­si­té d’une poli­tique en direc­tion des publics les plus en dif­fi­cul­té doit être pour­tant réaf­fir­mée : les aides doivent être main­te­nues en tant que dis­po­si­tifs de mise en rela­tion, de tran­si­tion, d’ac­com­pa­gne­ment, que le fonc­tion­ne­ment spon­ta­né des mar­chés du tra­vail n’est plus à même de don­ner aux publics concer­nés ; et les moda­li­tés de mise en œuvre de la poli­tique en direc­tion des publics chô­meurs de longue durée doivent être modifiées.

4) De nouvelles orientations pour les politiques de lutte contre le chômage de longue durée sont possibles

En cher­chant à résu­mer les posi­tions des experts quant à leurs appré­cia­tions glo­bales des poli­tiques menées jus­qu’à pré­sent, on peut les clas­ser comme suit 11 :

  • pour cer­tains, domine un constat d’im­puis­sance. Tout a été fait et ten­té ; mais il n’y aurait rien à faire. Cela se joue ailleurs, dans la sphère macro-éco­no­mique, la mon­dia­li­sa­tion, les tran­si­tions que connaissent aujourd’­hui notre sys­tème éco­no­mique euro­péen et plus lar­ge­ment l’é­co­no­mie mondiale ;
  • pour d’autres, l’ar­se­nal des mesures déve­lop­pées, de façon frag­men­taire et désor­don­née, pré­fi­gure des alter­na­tives col­lec­tives aux formes d’emploi d’hier, qui se sta­bi­li­se­ront quand la période de tran­si­tion s’a­chè­ve­ra, dès lors qu’il ne serait plus pos­sible aujourd’­hui ni demain d’in­té­grer le plus grand nombre dans les contours de l’emploi d’hier ;
  • pour d’autres encore, les pro­grammes mis en œuvre sont inter­ve­nus comme pal­lia­tifs ; ils ont de ce point de vue été effi­caces en atté­nuant les consé­quences sociales les plus dou­lou­reuses et en orga­ni­sant des variantes « pas­sives » face au chô­mage, dans des situa­tions en attente, ou en retrait du noyau dur de l’emploi ; une variante de cette appré­cia­tion insiste sur le « tru­cage » sta­tis­tique, et l’on pour­rait même dire « juri­dique » de ces pro­cé­dures. On a mul­ti­plié les sta­tuts et les « sous-caté­go­ries » sur le mar­ché du tra­vail. On a orga­ni­sé les règles juri­diques, par sta­tuts déro­geant au droit pri­vé, et ain­si on a diver­si­fié les formes de halos autour du chô­mage et de l’emploi ; ceci a abou­ti à une mul­ti­pli­ca­tion et une bana­li­sa­tion de sta­tuts inter­mé­diaires d’in­ser­tion et de réin­ser­tion, à la « désta­bi­li­sa­tion de la rela­tion sala­riale » ; 12
  • pour une der­nière caté­go­rie la rela­tive effi­ca­ci­té à ces pro­grammes doit être recon­nue. Certes les objec­tifs affi­chés n’ont pas été atteints, mais d’autres plus com­plexes, non expli­cites, ont trou­vé des voies de réa­li­sa­tion ; c’est là une inter­pré­ta­tion posi­tive de la der­nière appré­cia­tion citée : faire entrer par une porte un peu dis­si­mu­lée l’as­sou­plis­se­ment de la déré­gle­men­ta­tion sociale, et le recours à plus de flexi­bi­li­té, qui s’est jouée, sur le mar­ché du tra­vail fran­çais, autour d’une assez faible rota­tion d’une par­tie de la main-d’œuvre.
     

Il y a sans doute un peu de vrai dans toutes ces for­mu­la­tions13. La recon­nais­sance d’un cer­tain essouf­fle­ment domine et conduit même à s’in­ter­ro­ger au fond sur la légi­ti­mi­té de l’exis­tence du retour vers un emploi pour les chô­meurs de longue durée, et même sur la légi­ti­mi­té de l’ob­jec­tif et/ou du concept d’in­ser­tion. Mais si l’on sou­tient la per­ti­nence de pro­grammes de lutte contre le chô­mage de longue durée, que peut-on dire ?

Trois prin­cipes géné­raux sous-tendent le rai­son­ne­ment qui va suivre. Pre­mier prin­cipe : les poli­tiques de lutte contre le chô­mage de longue durée doivent pour­suivre l’ob­jec­tif de redis­tri­bu­tion des chances indi­vi­duelles d’ac­cès à l’emploi et cher­cher à modi­fier les choix d’embauche des employeurs. Deuxième prin­cipe : il serait erro­né de consi­dé­rer que la réa­li­sa­tion de cet objec­tif n’est pas faci­li­tée par l’é­lar­gis­se­ment du volume de l’emploi dis­po­nible, par la crois­sance, le conte­nu en emplois de la crois­sance, le déve­lop­pe­ment d’ac­ti­vi­tés nou­velles répon­dant à des besoins non satis­faits ou par la créa­tion d’ac­ti­vi­té d’u­ti­li­té col­lec­tive dans le sec­teur public ou asso­cia­tif. Enfin, troi­sième prin­cipe : un tel objec­tif de lutte contre le chô­mage de longue durée néces­site une ins­crip­tion néces­saire dans la durée (pour les publics béné­fi­ciaires ; les par­cours indi­vi­duels longs), le moyen terme (pour le déci­deur public et les acteurs éco­no­miques), la déci­sion pro­gram­mée et des stra­té­gies coor­don­nées pour les acteurs locaux ins­ti­tu­tion­nels, éco­no­miques, associatifs.

De ceci découle plu­sieurs orien­ta­tions briè­ve­ment pré­sen­tées qui fondent de nou­velles pers­pec­tives. Cer­taines de ces orien­ta­tions sont d’ores et déjà ins­crites dans des mises en œuvre concrètes. D’autres doivent être plus lar­ge­ment initiées.

- Évi­ter les ajus­te­ments quan­ti­ta­tifs de court terme des dis­po­si­tifs en faveur des CLD.

Les concep­tions et mises en œuvre des dis­po­si­tifs dans l’ur­gence nuisent à leur effi­ca­ci­té. Le pilo­tage de court terme pour répondre au plus près à la conjonc­ture éco­no­mique (sto­ckage et désto­ckage des dis­po­si­tifs) éga­le­ment. Ou bien, ils ne sont conci­liables qu’a­vec un sys­tème de pilo­tage de tableau de bord, et non avec une pro­gram­ma­tion par pro­jets et objec­tifs. On l’a obser­vé à plu­sieurs reprises et rap­pe­lé pré­cé­dem­ment, l’ef­fet des poli­tiques de court terme est de courte durée et s’es­tompe dès que les moyens bud­gé­taires s’estompent.

- Trou­ver une autre arti­cu­la­tion entre les mesures dites géné­rales, visant à amé­lio­rer la posi­tion de la main-d’œuvre la moins rému­né­rée sur le mar­ché du tra­vail14 et les mesures ciblées, des­ti­nées à lut­ter contre la sélec­ti­vi­té du mar­ché du tra­vail. Les deux ins­tru­ments sont com­plé­men­taires15.

La ten­ta­tion d’une réal­lo­ca­tion des moyens affec­tés aujourd’­hui aux mesures ciblées visant l’embauche des chô­meurs de longue durée et aux autres publics en dif­fi­cul­té, pour ren­for­cer la poli­tique de baisses géné­rales du coût du tra­vail pour les emplois les moins rému­né­rés, n’est pas écar­tée pour tout le monde (cf. les conclu­sions de la com­mis­sion d’en­quête Novel­li Péri­card). Envi­ron 18 mil­liards au bud­get 1997 pour le CIE, près de 15 mil­liards pour les CES, CEC et les emplois-ville, 3,3 mil­liards pour les SIFE, désor­mais réser­vés aux chô­meurs ren­con­trant les plus graves dif­fi­cul­tés d’ac­cès à l’emploi. Cer­tains sou­hai­te­raient uti­li­ser ces moyens pour ren­for­cer encore l’in­ten­si­té de la poli­tique d’a­bais­se­ment des charges sur les bas salaires qui pèse déjà aujourd’­hui pour 38 mil­liards de francs dans le bud­get de l’É­tat16. Ce serait un leurre de consi­dé­rer que le seul levier « struc­tu­rel » ayant des effets escomp­tés à moyen terme per­met­trait de réduire la sélec­ti­vi­té du mar­ché du travail.

Les mesures spé­ci­fiques en faveur des CLD, ciblées, en assu­rant une rota­tion sur le mar­ché du tra­vail assurent un rôle indis­pen­sable. Même si on le sait c’est la dyna­mique de la demande de tra­vail au niveau macro-éco­no­mique, comme au niveau local, qui consti­tue l’élé­ment déter­mi­nant. La lutte contre le chô­mage de longue durée ne se réduit d’ailleurs pas aux dis­po­si­tifs cura­tifs des­ti­nés aux chô­meurs de longue durée. Elle doit aus­si se tra­duire dans des dis­po­si­tifs dont l’ob­jec­tif est de pré­ve­nir l’ap­pa­ri­tion des pro­ces­sus d’ex­clu­sion par la for­ma­tion et la mobi­li­té au sein des entreprises.

La cohé­rence « tech­nique » de l’ar­ti­cu­la­tion entre les mesures géné­rales auto­ma­tiques qui s’ap­pliquent sur le stock des emplois dans la zone des bas salaires et les mesures ciblées d’exo­né­ra­tion tem­po­raire pour l’embauche des CLD peut d’ailleurs poser pro­blème. En effet, les exo­né­ra­tions tem­po­raires portent sou­vent elles-mêmes sur des emplois rela­ti­ve­ment peu rému­né­rés et l’a­van­tage rela­tif offert aux employeurs est alors réduit. L’a­van­tage rela­tif des mesures ciblées dans la zone de salaires plus éle­vés va alors en crois­sant. Le légis­la­teur conti­nue à rai­son­ner comme si la situa­tion de droit com­mun cor­res­pon­dait encore au paie­ment inté­gral des coti­sa­tions, ce qui n’est plus le cas et l’est de moins en moins depuis 1993.

- Pas­ser d’un sys­tème de pilo­tage de tableau de bord à des résul­tats mesu­rés à l’aune et objec­tifs finaux clai­re­ment négo­ciés et énon­cés : pro­gram­ma­tion d’une baisse du CLD ; pro­gram­ma­tion de déve­lop­pe­ment d’ac­ti­vi­tés pour répondre à des besoins iden­ti­fiés, ou à un pro­jet éco­no­mique, par exemple un chantier.

Une telle démarche demande un autre mode de coor­di­na­tion entre le niveau cen­tral et le niveau local, le pre­mier accen­tuant son rôle d’a­ni­ma­tion, d’im­pul­sion, d’ap­pui métho­do­lo­gique. Une telle démarche exige aus­si le déve­lop­pe­ment d’une fonc­tion de diag­nos­tic sur les coor­don­nées de l’emploi local, et la construc­tion de variables stra­té­giques d’u­ti­li­sa­tion de la palette des aides par les acteurs éco­no­miques. Enfin pour atteindre les résul­tats finaux, il convient de réa­li­ser un accom­pa­gne­ment des publics béné­fi­ciaires allant au-delà de la seule période d’un contrat aidé ou d’un stage de for­ma­tion auquel il accède. Une telle démarche sup­pose de mettre en place de solides sys­tèmes d’é­va­lua­tion des politiques.

- Orga­ni­ser une coor­di­na­tion entre les acteurs publics, éco­no­miques, asso­cia­tifs, les col­lec­ti­vi­tés locales sur le ter­ri­toire au niveau natio­nal et au niveau local. Les acteurs publics sont en pre­mière ligne pour la concep­tion des poli­tiques de l’emploi. L’É­tat doit conser­ver un rôle cen­tral en la matière ain­si que pour ce qui concerne la déter­mi­na­tion et le finan­ce­ment des aides directes à l’emploi.

Ceci n’ex­clut nul­le­ment bien sûr l’i­dée d’une meilleure coor­di­na­tion entre l’É­tat, les ser­vices décon­cen­trés, les col­lec­ti­vi­tés locales et les autres acteurs pour mettre en œuvre les poli­tiques d’in­ser­tion et de for­ma­tion pro­fes­sion­nelle. Ce qui doit abou­tir à conci­lier la défi­ni­tion natio­nale des orien­ta­tions glo­bales, ceci signi­fie des outils et la mise en place au plus près du ter­rain. Au niveau natio­nal, ceci signi­fie de pas­ser d’une logique d’é­non­cé de cir­cu­laire et de contrôle à une démarche d’a­ni­ma­tion, d’aides et d’ap­puis métho­do­lo­giques. Sur le ter­rain, ceci passe par une pos­sible expé­ri­men­ta­tion tout en étant assu­ré de l’é­va­lua­tion sys­té­ma­tique, préa­lable à toute consolidation.

Dans le rap­port de l’ins­tance d’é­va­lua­tion de la loi quin­quen­nale emploi, il est dit : « Plus de sou­plesse paraît indis­pen­sable dans la mise en œuvre de mesures inci­ta­tives ou des pro­grammes de for­ma­tion : dès lors que l’on recon­naît le carac­tère pour par­tie arbi­traire des cri­tères usuels de défi­ni­tion des publics ciblés, et que l’on sou­haite au sur­plus déve­lop­per les capa­ci­tés de négo­cia­tion et de coor­di­na­tion de l’ad­mi­nis­tra­tion, il appa­raît néces­saire de la doter d’une boîte à outil moins com­par­ti­men­tée, où les cri­tères d’at­tri­bu­tion seraient lais­sés dans une plus large mesure à l’ap­pré­cia­tion locale, comme d’ailleurs la répar­ti­tion des moyens dis­po­nibles entre les dif­fé­rents ins­tru­ments et la capa­ci­té de pas­ser contrat ».

- S’as­su­rer de la com­plé­men­ta­ri­té entre l’u­ti­li­sa­tion des mesures CLD et les autres facettes de la ges­tion de la main-d’œuvre dans les entre­prise, et bien sûr les autres dis­po­si­tifs consa­crés au déve­lop­pe­ment de l’emploi. Il s’a­git là tout sim­ple­ment de coor­don­ner de façon expli­cite l’u­ti­li­sa­tion des aides en faveur du déve­lop­pe­ment de l’emploi avec l’embauche par les entre­prises des chô­meurs les plus en dif­fi­cul­té. On a plu­sieurs exemples pos­sibles de cet appui coor­don­né, par­mi les mesures exis­tantes : loi de Robien ; ARPE ; déve­lop­pe­ment des acti­vi­tés et ser­vices (CES, CEC, emplois-ville) ; déve­lop­pe­ment des territoires.

Ceci signi­fie aus­si qu’il est tou­jours pré­fé­rable que les aides plu­tôt que d’être pro­po­sées à « gui­chet ouvert » soient gérées à par­tir d’une régu­la­tion négo­ciée des déci­sions d’embauche : fonc­tion de conseil, d’é­va­lua­tion des besoins d’emploi, d’o­rien­ta­tion de la ges­tion de l’emploi. Cette impli­ca­tion plus cohé­rente avec les modes de ges­tion des entre­prises évi­te­rait au sur­plus que des entre­prises puissent com­bi­ner, comme c’est encore le cas aujourd’­hui, ges­tion très radi­cale des sur­ef­fec­tifs par licen­cie­ments mas­sifs et mise en place d’i­ni­tia­tives péri­phé­riques aidant à l’in­ser­tion assez lar­ge­ment décon­nec­tées du « noyau dur » stra­té­gique de l’emploi. L’i­dée est simple ; c’est celle de l’im­bri­ca­tion plus cohé­rente évi­tant la coha­bi­ta­tion de la pro­duc­tion de l’ex­clu­sion et de dis­po­si­tifs paral­lèles, et sou­vent homéo­pa­thiques, de répa­ra­tion de cette exclusion.

- Enfin, dans un ordre plus pros­pec­tif, orga­ni­ser et ratio­na­li­ser le sys­tème « tran­si­tion­nel » qui mène par des phases et tra­jec­toires suc­ces­sives du chô­mage pro­lon­gé vers l’emploi. L’i­dée ici est de désen­cla­ver et reva­lo­ri­ser les posi­tions sur le mar­ché du tra­vail, résul­tant de l’en­chaî­ne­ment de dis­po­si­tifs spé­ci­fiques pour les chô­meurs. Les pro­grammes de for­ma­tion courte, les créa­tions de postes aidés dans le sec­teur non mar­chand abou­tissent pro­gres­si­ve­ment à ajou­ter un nou­veau seg­ment, consti­tuant des posi­tions de second rang sur le mar­ché du travail.

La réfé­rence alter­na­tive au « contrat d’ac­ti­vi­té » peut ain­si venir à l’es­prit17 en tant que com­pro­mis entre la dis­con­ti­nui­té des par­cours indi­vi­duels et le constat crois­sant de la flexi­bi­li­té des orga­ni­sa­tions pro­duc­tives. Cette démarche, fixant par contrat de réseau et d’ac­tion une nou­velle rela­tion par­te­na­riale pour l’emploi, se construit par la mise en rela­tion de grou­pe­ment local d’en­tre­prises, d’as­so­cia­tions, d’or­ga­nismes de for­ma­tion, de col­lec­ti­vi­tés publiques, d’ins­ti­tu­tions du ser­vice public pour l’emploi, met­tant en place un cer­tain nombre de droits et de devoirs (obli­ga­tion de for­mer, de rému­né­rer, de recon­naître la qua­li­fi­ca­tion par la rému­né­ra­tion…,). Elle a pour effet l’in­tro­duc­tion d’un sui­vi coopé­ra­tif des par­ti­ci­pants du réseau ; la redé­fi­ni­tion de la res­pon­sa­bi­li­té sociale des employeurs ; l’i­den­ti­fi­ca­tion de la col­lec­ti­vi­té comme par­tie pre­nante dans la rela­tion d’emploi. C’est au fond un enjeu redis­tri­bu­tif et coopé­ra­tif qui per­met de réin­té­grer des phases tran­si­tion­nelles sur le mar­ché du tra­vail dans un conti­nuum orga­ni­sé à moyen terme, dont le cœur est la rela­tion d’emploi, et non de façon péri­phé­rique à celle-ci comme c’est sou­vent le cas aujourd’hui.

Cette vision pros­pec­tive exige de mul­tiples inflexions de com­por­te­ments et stra­té­gies, une refon­da­tion du cadre juri­dique de la rela­tion d’emploi et des droits sociaux qui l’en­tourent, le ren­for­ce­ment de toutes formes de négo­cia­tions entre acteurs pri­vés et publics, par­te­naires sociaux, et le renou­veau des formes de régu­la­tions du niveau natio­nal au niveau local.

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1. Le pre­mier pro­gramme date en réa­li­té de 1982, 1983, moment où ont été réa­li­sées les pre­mières cam­pagnes d’en­tre­tien de l’ANPE en direc­tion des CLD.
2. On tient compte ici de l’en­semble regrou­pant actions de for­ma­tion, contrats aidés dans le sec­teur mar­chand, contrats aidés dans le sec­teur non mar­chand, mesures de for­ma­tion liées à la pré­ven­tion d’al­lon­ge­ment du chô­mage. Pour des rai­sons de mesure au cours de la période les actions d’in­ser­tion par l’ac­ti­vi­té éco­no­mique ne sont pas comp­ta­bi­li­sées. Mais elles ont une moindre impor­tance quantitative.
3. Il s’a­git là de l’en­semble des dis­po­si­tifs de la poli­tique de l’emploi tels que les comp­ta­bi­lise le minis­tère du Tra­vail, et non des seuls dis­po­si­tifs des­ti­nés aux chô­meurs de longue durée.
4. A. Gubian, O. Mar­chand, 1996 : pre­mier bilan de l’emploi et du chô­mage, Pre­mières syn­thèses 97–06.
5. Les dis­po­si­tifs d’in­ser­tion et de réin­ser­tion des deman­deurs d’emploi : élé­ments d’é­va­lua­tion. Annexe au rap­port de la Com­mis­sion rela­tions sociales et emploi, pré­si­dée par M. Aubry dans le cadre de la pré­pa­ra­tion du Xe Plan, La Docu­men­ta­tion fran­çaise, juin 1989 ; Le chô­mage de longue durée : com­prendre, agir, éva­luer, textes réunis par P. Bouilla­guet, C. Guit­ton, Édi­tions Syros 1992 ; La loi quin­quen­nale rela­tive au tra­vail, à l’emploi et à la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle : rap­port d’é­va­lua­tion, Com­mis­sion pré­si­dée par Pierre Cabanes, La Docu­men­ta­tion fran­çaise, 1997 ; 40 ans de poli­tique de l’emploi, DARES, minis­tère du Tra­vail et des Affaires sociales, La Docu­men­ta­tion fran­çaise, 1996 ; Les aides à l’emploi, rap­port de la Com­mis­sion d’en­quête pré­si­dée par M. Péri­card et H. Novel­li, Assem­blée natio­nale, 1996.
6. Voir en par­ti­cu­lier « Que faut-il attendre des poli­tiques de l’emploi ? » J.-L. Dayan, Revue de l’IRES n° 18, prin­temps-été 1995.
7. Voir le cha­pitre 3 de 40 ans de poli­tique de l’emploi, « Impact macro-éco­no­mique des poli­tiques spé­ci­fiques de l’emploi. Le cas de la France 1974–1994 », F. Chou­vel, E. Confais, G. Cor­nilleau, A. Gubian, B. Roguet, 1996.
8. « La loi quin­quen­nale rela­tive au tra­vail, à l’emploi et à la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle : rap­port d’é­va­lua­tion », Com­mis­sion pré­si­dée par P. Cabanes, La Docu­men­ta­tion fran­çaise, 1997. Les études réa­li­sées pour l’ins­tance d’é­va­lua­tion de la loi quin­quen­nale (por­tant plus spé­ci­fi­que­ment sur les mesures de lutte contre la sélec­ti­vi­té du mar­ché du tra­vail) ont été les sui­vantes : – Enquête BIPE-conseil, Louis HARRIS : enquête sur la per­cep­tion par les employeurs des publics cibles de la poli­tique de l’emploi et les dis­po­si­tifs d’in­ser­tion. – Enquête TERSUD : étude de la per­cep­tion des dis­po­si­tifs d’in­ser­tion et de for­ma­tion par les publics en dif­fi­cul­té. – Cabi­net DUBOUCHET : enquête sur la mise en œuvre des dis­po­si­tifs de la loi quin­quen­nale par les ser­vices ins­truc­teurs. – Ber­nard BRUNHES Consul­tants : enquête sur la mise en œuvre des dis­po­si­tifs de la loi quin­quen­nale par les ser­vices ins­truc­teurs. – CREDOC : ana­lyse des effets sur l’emploi des mesures d’a­bais­se­ment du coût du travail.
9. CIE qui marque une triple inflexion dans le « dosage » d’un dis­po­si­tif du même ordre que le CRE : élar­gis­se­ment du public cible, affi­chage d’ob­jec­tifs quan­ti­ta­tifs jamais atteints jus­qu’a­lors, plus fort abais­se­ment du coût de l’embauche – près de 4 000 F d’aide par mois.
10. Voir à ce sujet « Les com­por­te­ments d’embauche en 1994 des éta­blis­se­ments de 10 sala­riés et plus : quelle uti­li­sa­tion des aides publiques » – C. Daniel, S. Le Minez, 1re syn­thèses, février 1997 ; dans cette étude est prise en compte une palette de dis­po­si­tifs de poli­tique de l’emploi plus large que celle uni­que­ment des­ti­née aux chô­meurs de longue durée. Il s’a­git du contrat d’a­dap­ta­tion, du contrat de qua­li­fi­ca­tion, du contrat d’ap­pren­tis­sage, du contrat de retour à l’emploi et de l’a­bat­te­ment temps partiel.
11. Voir « Que faut-il attendre des poli­tiques de l’emploi ». J.-L Dayan – op. cit.
12. Voir Les méta­mor­phoses de la ques­tion sociale, une chro­nique du sala­riat, R. Cas­tel, Fayard, 1995.
13. Les appré­cia­tions pro­po­sées ne relèvent pas toutes de la même fac­ture doc­tri­nale, et cha­cun sou­hai­te­ra peut-être reje­ter cer­taines d’entre elles.
14. Que l’on assi­mile sou­vent à tort ou à rai­son aux sala­riés les moins rému­né­rés ; il existe aus­si lar­ge­ment des phé­no­mènes de déclas­se­ment, de non-recon­nais­sance des qualifications.
15. Voir Les exo­né­ra­tions de coti­sa­tions sociales, D. Wel­comme, Droit social 1994.
16. Ces chiffres sont ceux de la loi de finance initiale.
17. Voir Le tra­vail dans 20 ans, rap­port du groupe pré­si­dé par J. Bois­son­nat, Com­mis­sa­riat géné­ral du Plan, Odile Jacob, La Docu­men­ta­tion fran­çaise, 1995.

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