Portrait de Mohamed Liassine

Mohammed Liassine (X55) rare polytechnicien algérien de la période coloniale

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°777 Septembre 2022
Par Sabah CHAIB

Mohammed Lias­sine (X55) fait par­tie des très rares poly­tech­ni­ciens « indigènes » de l’Algérie avant l’indépendance. Il est par­venu aux plus hautes fonc­tions du nou­v­el État algérien. 
Mais son cas per­son­nel, encore plus que d’une réus­site pro­fes­sion­nelle, témoigne de la sit­u­a­tion générale d’une sco­lar­ité indigène encore improb­a­ble en cette deux­ième moitié du XXe siè­cle, en dépit de la sup­pres­sion du Code de l’indigénat et des freins régle­men­taires posés aux Français musul­mans d’Algérie, pour l’accès aux hautes fonc­tions publiques (civiles et mil­i­taires) et aux écoles qui y pré­paraient, notam­ment l’École polytechnique.

Entre la fig­ure dom­i­nante de l’instituteur et le pres­tige des pro­fes­sions libérales, la pro­fes­sion d’ingénieur, incar­née par le « Français », était un hori­zon pro­fes­sion­nel incon­nu donc impens­able pour les élèves indigènes algériens. De fait sont rares les élèves « algériens » dans les grandes écoles, telle l’École poly­tech­nique, alors même que cette dernière s’est pour­tant ouverte aux élèves internes étrangers en 1921 (voir Anousheh Kar­var « L’École poly­tech­nique et l’international : un bilan his­torique », Bul­letin de la Sabix, 26, 2000, p. 9–19).

Les obstacles à la constitution d’une élite locale 

La rareté des élèves algériens dans les grandes écoles français­es ren­voie à la sit­u­a­tion colo­niale quant à la faible sco­lar­i­sa­tion des indigènes et aux obsta­cles poli­tiques, lég­is­lat­ifs et régle­men­taires dressés à l’encontre de la con­sti­tu­tion d’une élite d’encadrement pour les « sujets français », c’est-à-dire indigènes d’Algérie : la nat­u­ral­i­sa­tion par laque­lle les indigènes accè­dent au statut de citoyen, qui leur per­met de briguer des postes d’encadrement et d’autorité, implique l’abandon du statut per­son­nel musul­man à la majorité (21 ans). Ain­si, l’École poly­tech­nique compte seule­ment trois poly­tech­ni­ciens nat­u­ral­isés : colonel Cherif Cadi (X1887) ; Édouard (ex-Omar) Mouloud (X1919) ; Salah Bouak­ouir (X1928).

L’échec des efforts fournis dans les années 40

Une série de lois (ordon­nance du 7 mars 1944, loi Lamine Gueye du 17 mai 1946, statut de l’Algérie en 1947) recon­naît l’égalité de droit entre citoyens dans la colonie et l’abrogation du régime de l’indigénat. En matière sco­laire, les principes adop­tés d’une sco­lar­i­sa­tion totale de la jeunesse algéri­enne, à échéance de vingt ans, se révè­lent illu­soires : en 1954, seule­ment 15 % des jeunes musul­mans sont sco­lar­isés con­tre 85 % pour la pop­u­la­tion européenne, laque­lle représente 10 % de la pop­u­la­tion totale. En dépit d’un pro­grès dans le pri­maire, les pesan­teurs locales sont mul­ti­ples : ouver­tures erra­tiques de class­es ou d’écoles, ori­en­ta­tion vers des fil­ières d’études cour­tes, supéri­or­ité de la fil­ière d’enseignement français sur la fil­ière d’enseignement arabe, etc. À ces pesan­teurs s’ajoutent celles de l’histoire : les événe­ments ont un reten­tisse­ment fort sur les par­cours des indi­vidus et de leurs familles (impact de la Sec­onde Guerre mon­di­ale sur les con­di­tions de vie des pop­u­la­tions indigènes, déclenche­ment le 1er novem­bre 1954 de la guerre d’Algérie et ses bouleversements).


Repères

La com­mé­mora­tion du Soix­an­te­naire de l’indépendance algéri­enne est un temps priv­ilégié de retour mémoriel et his­to­ri­ographique sur l’histoire pas­sion­nelle fran­co-algéri­enne, y com­pris les pre­mières années de l’indépendance algéri­enne où la France et l’Algérie restent encore liées par le biais de la coopéra­tion. L’ouvrage L’aventure humaine et indus­trielle de la SNS (1964–1982), pub­lié en 2022 par l’association Mémoires SNS (Société nationale de sidérurgie) regroupant des cadres algériens et français, avec une pré­face d’Akram Belka­ïd, aux édi­tions Le Cro­quant, revient sur la genèse d’une entre­prise désor­mais dis­parue, ô com­bi­en emblé­ma­tique du tout jeune État sou­verain algérien dans son ambi­tion de se dot­er d’une sidérurgie nationale, rouage essen­tiel d’une économie en aval. Cet ouvrage donne à voir une sin­gulière Babel d’hommes et de femmes d’horizons soci­aux et nationaux dif­férents qui ont for­mé l’encadrement orig­inel de cette entre­prise, dans un con­texte général­isé postindépen­dance de départ des cadres français. Ce faisant, cette sit­u­a­tion met en lumière la réal­ité d’une his­toire française colo­niale peu prop­ice à la for­ma­tion et au développe­ment d’un encadrement indigène. Le témoignage de Mohammed Lias­sine, poly­tech­ni­cien (X55) à la tête de la SNS (1964–1977), per­met d’aborder cette his­toire dans toute son épais­seur humaine.


Un témoignage approfondi

Le par­cours sco­laire de Mohammed Lias­sine (né en 1934) débute en 1940 et con­naît ain­si des événe­ments et des con­textes sociopoli­tiques changeants. À l’instar d’autres témoins, c’est avec émo­tion qu’il a livré une auto­analyse de son par­cours sco­laire. En dépit d’un petit cap­i­tal cul­turel famil­ial (père insti­tu­teur), comme d’autres il exprime le sen­ti­ment d’un des­tin sco­laire livré au hasard, à la con­tin­gence, au mir­a­cle, autant de mots pour traduire la sit­u­a­tion générale d’une improb­a­ble sco­lar­ité indigène et, plus encore, de transfuge de classe. Nous ren­dons compte ici de son témoignage (témoignage écrit auquel s’ajoutent des entre­tiens filmés et non filmés) des petits mir­a­cles et de tout le mérite per­son­nel qui l’ont amené à vol­er le feu, selon ses mots, et inté­gr­er la pres­tigieuse École polytechnique.

“Voler le feu”, selon ses mots.

Une petite enfance marquée par l’école publique

Sa petite enfance se passe dans un hameau, à une quin­zaine de kilo­mètres de Dellys. Le père, for­mé à l’école d’instituteurs de la Bouzareah à Alger, tient l’unique classe de l’école. Pas­sant son temps dans cette salle de classe, Mohammed Lias­sine a pu avec ses frères appren­dre pré­co­ce­ment à lire, écrire et compter. Si à la mai­son on par­le arabe, à l’école on par­le la langue « pater­nelle », le français. En 1940, il est inscrit à l’école publique de Dellys, com­mune de plein exer­ci­ce, pre­mière occa­sion de fréquenter des Européens. Faute de trans­port, c’est à pied que les enfants s’y ren­dent cinq jours par semaine, et les autres jours (jeu­di, dimanche et jours de con­gés) la fratrie fréquente l’école coranique locale. En novem­bre 1942, le débar­que­ment améri­cain en Afrique du Nord a des réper­cus­sions immé­di­ates sur la vie des élèves, puisque les écoles publiques à Dellys sont réqui­si­tion­nées par l’armée améri­caine : Mohammed Lias­sine, comme d’autres, n’a pas d’autre pos­si­bil­ité que la fréquen­ta­tion de l’école coranique. La solu­tion des cours par cor­re­spon­dance, prise par des élèves européens, leur était inconnue. 

Deux « miracles »

Entre-temps, son père est nom­mé à Affre­ville (Khemis Mil­iana), à l’ouest d’Alger, et la famille le rejoint en octo­bre 1944. Il témoigne : « Bien que cela ne fût pas appar­ent sur le moment, ce fut le pre­mier mir­a­cle, car cela a ren­du pos­si­ble les mir­a­cles suiv­ants. À Affre­ville, le sys­tème sco­laire était plus dense : une école mater­nelle, des écoles de filles et de garçons pour Européens con­cen­trées au cen­tre du vil­lage, et une école indigène de garçons excen­trée de quelques cen­taines de mètres. La ren­trée s’est faite pour moi dans cette “école indigène” – dont tous les enseignants et tous les élèves étaient des Indigènes. Étant don­née la dis­tance entre les écoles français­es et l’école indigène, il n’y avait jamais eu aucun con­tact entre les deux ensem­bles. » Le sec­ond mir­a­cle se pro­duit lorsque le directeur de l’école, M. Ben­blidia, l’inscrit directe­ment en CM2 : année intense s’il en est, puisque pour le directeur d’école « un retard, ça se rat­trape en tra­vail­lant comme des mules ». L’horizon, hier lim­ité à l’école pri­maire, s’élargit avec la décou­verte de la pos­si­bil­ité de présen­ter un con­cours nation­al de bourse ouvrant l’accès à des études au col­lège et au lycée ; pour les élèves indigènes et européens, de con­di­tion mod­este, orig­i­naires de petites local­ités, cette bourse con­sti­tu­ait la seule modal­ité pour accéder à un enseigne­ment sec­ondaire. L’horizon s’ouvre donc encore, avec la prise de con­science nou­velle de pos­séder, avec ses sem­blables, des moyens de con­stru­ire leur avenir.

Le vivre ensemble de l’internat au lycée

Il réus­sit le con­cours. Alors qu’il avait pos­tulé pour le col­lège voisin de Mil­iana, le seul qu’il con­nût, un nou­veau coup du des­tin survient : « Nou­veau mir­a­cle. Erreur admin­is­tra­tive ou autre chose, je reçois une con­vo­ca­tion pour le lycée de Ben Aknoun, comme interne ! Y aller en interne surtout, ce n’était plus seule­ment étudi­er, c’était chang­er de vie. En effet c’était, pour la deux­ième fois, le con­tact avec des cama­rades “européens”, mais le con­tact était cette fois beau­coup plus “intense” puisqu’il ne s’agissait plus seule­ment d’être, comme à Dellys, dans un même lieu pour écouter des cours. Il s’agissait main­tenant de vivre ensem­ble tout le temps et, par la force des choses, les internes indigènes ont dû instan­ta­né­ment adopter le mode de vie des Européens. Ce vivre ensem­ble (qui n’était pas tou­jours idyllique et com­por­tait quelque­fois des actes car­ac­térisés de racisme) ne con­nais­sait que de brèves inter­rup­tions quo­ti­di­ennes : les repas pris à des “tables pour musul­mans”, seule pra­tique de “com­mu­nau­tarisme insti­tu­tion­nel” exis­tant d’ailleurs dans tous les inter­nats d’Algérie. Bien enten­du, le groupe con­sti­tué pour les repas con­tin­u­ait à fonc­tion­ner dans beau­coup d’actes et créait des liens par­ti­c­uliers – mais ces liens n’empêchaient pas le développe­ment de rap­ports de cama­raderie extra­com­mu­nau­taires, à l’occasion des travaux com­muns et des pra­tiques sportives. » Au fil des change­ments d’établissement sco­laire, l’horizon des fréquen­ta­tions s’élargit : des enfants de colons, de petits entre­pre­neurs, de fonc­tion­naires de province et, pour les quelques Algériens, enfants de petits fonc­tion­naires (greffiers, insti­tu­teurs, inter­prètes judi­ci­aires), jusqu’aux enfants des class­es dirigeantes, de la grande bour­geoisie ou du milieu intel­lectuel du pres­tigieux lycée Bugeaud où il fait sa ter­mi­nale. Il y décou­vre l’existence des class­es pré­para­toires, « porte d’entrée ou la clé d’un autre monde ! Le monde des écoles d’importance nationale aux­quelles on peut accéder si on réus­sit le con­cours ! » Le lycée Bugeaud comp­tait plusieurs class­es de pré­pa­ra­tion sci­en­tifique (taupe clas­sique, pré­pa­ra­tions à l’École supérieure d’électricité de Paris, à Saint-Cyr, à l’École navale, à l’École d’agronomie et à l’École vétérinaire). 

La réussite à l’X

La lim­ite d’âge fixée à 21 ans pour présen­ter les con­cours aux grandes écoles (dont l’X) était un obsta­cle pour les élèves algériens, à la moyenne d’âge plus élevée que leurs cama­rades européens, compte tenu du fait que leur cur­sus dans les écoles pri­maires indigènes prévoy­ait une année d’initiation et du fait de la rareté de trou­ver une place dès l’âge de six ans. Aus­si s’inscrivaient-ils davan­tage à l’université ou en classe de pré­pa­ra­tion de l’École supérieure d’électricité (sans lim­ite d’âge). En étant âgé de 18 ans, Mohammed Lias­sine pou­vait se présen­ter plusieurs fois au con­cours et espér­er une réus­site, qui arrive en 1955. Il fal­lut compter aupar­a­vant avec un nou­veau mir­a­cle sco­laire : en dépit d’un échec à la deux­ième par­tie du bac­calau­réat, être autorisé à inté­gr­er les class­es pré­para­toires avant d’obtenir le pré­cieux sésame. Sa pro­mo­tion en Math sup, « l’hypotaupe d’Alger », compte seule­ment deux élèves « Français musul­mans », là où dans les class­es de ter­mi­nale le taux était de 15 % à 20 %.

Le heurt de l’Histoire

Alors que le con­flit de décoloni­sa­tion prend sans cesse de l’ampleur, en 1956 une grève illim­itée des étu­di­ants est ordon­née par la direc­tion du FLN. Cette grève est mas­sive­ment suiv­ie, si bien que lycéens et étu­di­ants algériens se retrou­vent de fait dés­co­lar­isés ou dans des cir­cuits sec­ondaires, élé­ment s’ajoutant aux par­cours sco­laires « heurtés » de nom­bre d’élèves algériens. L’École poly­tech­nique étant une insti­tu­tion mil­i­taire et impli­quant trois années d’engagement pour la Défense nationale, faire grève aurait sig­nifié une déser­tion. Aus­si, Mohammed Lias­sine se rend au siège de l’Ugema (Union générale des étu­di­ants musul­mans algériens), au 115, bd Saint-Michel, pour ren­con­tr­er le respon­s­able, Belaïd Abdes­se­lam, afin de lui soumet­tre un dilemme : entr­er en clan­des­tinité ou déroger à l’obligation de grève. Il lui a été noti­fié quelques jours plus tard que l’ordre de grève ne lui était pas applic­a­ble en rai­son du statut mil­i­taire de l’institution.

Une formation au bénéfice du FLN

À l’issue de sa sco­lar­ité à Poly­tech­nique, M. Lias­sine est classé dans le corps des Ponts et Chaussées. Pour l’année de pra­tique mil­i­taire, il fait six mois d’école d’application à l’École d’artillerie de cam­pagne à Châlons-sur-Marne, puis six mois de corps de troupe. Il béné­fi­cie d’une dis­po­si­tion régle­men­taire nou­velle per­me­t­tant aux officiers musul­mans de ne pas servir en Algérie pen­dant la guerre. En 1958, c’est le retour à Paris pour y effectuer ses deux années d’école d’application aux Ponts et Chaussées. En jan­vi­er 1961, il reçoit son affec­ta­tion pour Bamako. Après en avoir infor­mé la direc­tion du FLN, il reçoit l’ordre de rejoin­dre l’organisation à Bad Godes­berg, en Alle­magne, puis Tunis où il est affec­té à l’ALN. Après le cessez-le-feu en mars 1962, il ne peut revenir à la vie civile qu’en sep­tem­bre 1962. Ren­tré à Alger, il est con­tac­té par Belaïd Abdes­se­lam, délégué à l’exécutif pro­vi­soire (dont le man­dat s’achevait) chargé de l’économie, qui le nomme directeur de l’industrialisation. Il occupe ce poste jusqu’en décem­bre 1964, en ayant ain­si servi tour à tour le min­istre de l’Industrialisation, Larous­si Khe­li­fa, et le min­istre de l’Économie nationale, Bachir Boumaaza.

Le soutien de ses camarades polytechniciens dans l’aventure de la SNS

C’est en tant que directeur de l’industrie qu’il est amené à pren­dre à bras-le-corps le dossier sidérurgique : en 1963, il fait appel à son cama­rade Pierre Bois­son, de la même pro­mo­tion de l’X, pour le sec­on­der et le nomme à la Société bônoise de sidérurgie (SBS) ; société précédem­ment con­sti­tuée pour met­tre en œuvre un pro­jet de sidérurgie à Bône (Anna­ba), relancé avec le Plan de Con­stan­tine (1958) et défendu par Salah Bouak­ouir (1908–1961), poly­tech­ni­cien comme on l’a vu et rare haut fonc­tion­naire au poste stratégique de directeur général aux affaires économiques et de l’industrialisation à la Délé­ga­tion générale à Alger. Le 3 sep­tem­bre 1964, la SNS est offi­cielle­ment créée, avec Mohammed Lias­sine à sa tête, et avec pour fil­iale la SBS, pour la réal­i­sa­tion de la divi­sion fonte et la reprise des études pour les autres ate­liers du com­plexe. P. Bois­son par­ticipe, sous statut de coopérant, à l’équipe pio­nnière des cadres de la SNS (Zahir Abder­rahim, Rez­ki Hocine, Dji­lali Sansal). D’autres poly­tech­ni­ciens, Serge Des­fontaines (X55) en 1966 et Bernard Gen­til (X60) en 1968, rejoignent une équipe plus étof­fée et diver­si­fiée, con­sti­tuée de cadres algériens ayant achevé leurs études à l’étranger après l’indépendance, notam­ment à l’École poly­tech­nique (Djamel Moste­faï, Ahmed Tifous et Lahcène Bence­ba, pro­mo­tion X63), mais aus­si de jeunes diplômés de l’université algéri­enne ain­si que des coopérants et autres con­tractuels. L’encadrement orig­inel de la SNS est mar­qué ain­si d’une empreinte forte : jeunes diplômés ou sans grande expéri­ence pro­fes­sion­nelle, venant d’horizons très divers, mais par­ti­c­ulière­ment motivés car mus par un même désir de par­ticiper à un défi indus­triel et, bien plus, au développe­ment de l’Algérie.

“Mus par un même désir de participer au développement de l’Algérie.”

Après l’âge d’or et le déclin de la SNS, une carrière dans la haute administration

Par­tant avec un hand­i­cap lourd (faib­lesse du tis­su indus­triel, des infra­struc­tures ou des for­ma­tions à l’industrie sous la péri­ode colo­niale), l’épopée indus­trielle de la SNS témoigne de l’immense défi dans lequel l’Algérie indépen­dante s’engageait, se sin­gu­lar­isant au niveau mon­di­al, par un bud­get mas­sif en matière sco­laire et indus­trielle. L’année 1969 fut une date clé avec l’inauguration du haut-fourneau à El Had­jar (Anna­ba), suiv­ie pour la SNS par une crois­sance rapi­de dans les années 1970 : aciérie, laminoirs et pre­mière tuberie pour un com­plexe sidérurgique inté­gré à El Had­jar et diver­si­fi­ca­tion des activ­ités à la suite de nation­al­i­sa­tions ou de rachats de sociétés (embal­lages métalliques, tuberies, récupéra­tion de métaux fer­reux, arti­cles en alu­mini­um, gaz indus­triels, etc.). Après avoir instal­lé la SNS dans le paysage entre­pre­neur­ial algérien (effec­tifs portés à 40 000 per­son­nes, dont 20 000 pour le com­plexe d’Annaba en 1980), Mohammed Lias­sine est appelé à la fonc­tion de min­istre de l’Industrie lourde (1977–1981). Le début des années 1980 est mar­qué par « la restruc­tura­tion organique des entre­pris­es publiques » (sic), soit l’amorce de leur déman­tèle­ment (la SNS étant restruc­turée en 18 entités indépen­dantes en 1982). En 1984, Mohammed Lias­sine se retrou­ve à la tête de l’Institut supérieur de ges­tion et de plan­i­fi­ca­tion (ISGP), nou­velle­ment créé par le min­istère de la Plan­i­fi­ca­tion. Il a à cœur, en syn­ergie avec les Com­mis­sari­ats à la réforme des entre­pris­es publiques et de l’administration, de faire de l’ISGP un lieu de réflex­ion sur les caus­es de l’inefficacité des acteurs économiques du pays. Il a fait partager ses points de vue, pointant ces caus­es non pas chez les ges­tion­naires d’entreprise publique, que l’on a pour­tant dure­ment sanc­tion­nés, mais essen­tielle­ment dans les pra­tiques insti­tu­tion­nelles généra­tri­ces de la bureau­cratie et de la « ver­ti­cal­ité » de la régu­la­tion économique. L’ISGP a con­tribué à la réforme économique, sans toute­fois adhér­er aux final­ités ultra­l­ibérales exprimées dès le début du proces­sus et au pro­gres­sif dépérisse­ment du secteur pub­lic indus­triel. Son dernier poste fut celui de directeur de cab­i­net des Pre­miers min­istres, Sid Ahmed Ghoza­li puis Belaïd Abdes­se­lam (1991–1993).

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