Les lauréats du prix Dargelos 2015

Dossier : ExpressionsMagazine N°710 Décembre 2015
Par Francis BERNARDEAU (85)
Par Emmanuel BEAUREPAIRE

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Fran­cis Bernardeau (85) est directeur de l’Institut d’astrophysique de Paris, chercheur au CEA, et pro­fesseur chargé de cours à l’X. L’étude des grandes struc­tures de l’Univers est restée longtemps coincée entre con­struc­tions spécu­la­tives et sim­u­la­tions numériques.

Mon tra­vail a con­tribué à l’enrichir d’approches et d’outils théoriques orig­in­aux », dit-il.

La répartition de la matière dans l’univers

Son tra­vail s’inscrit dans un vaste pro­jet sci­en­tifique qui vise à établir le scé­nario de for­ma­tion et d’évolution de ces struc­tures, la manière dont la matière se répar­tit aux plus grandes échelles de l’univers en galax­ies, amas de galax­ies, fil­a­ments, grands murs, etc.

“ À la croisée de la théorie quantique des champs et de la relativité générale ”

Les élé­ments du mod­èle actuel se sont mis en place à par­tir des années 1980 avec l’identification du mécan­isme d’instabilité grav­i­ta­tion­nelle comme moteur de for­ma­tion. Une belle illus­tra­tion en est la car­ac­téri­sa­tion de la sig­na­ture typ­ique du cou­plage grav­i­ta­tion­nel atten­du dans un flu­ide de pous­sière auto­grav­i­tant dans un univers en expansion.

Les résul­tats récents obtenus avec le satel­lite Planck démon­trent main­tenant que les fluc­tu­a­tions de métriques vues sur la sur­face de dernière dif­fu­sion, à un moment où l’univers était très jeune, sont bien les précurseurs des grandes struc­tures de l’univers local. Les mesures offrent un autre résul­tat fan­tas­tique : ces fluc­tu­a­tions n’ont pas pu être générées par un mécan­isme causal.

« Les seules expli­ca­tions invo­quent un mécan­isme dit d’inflation. Une par­tie de mon tra­vail a con­sisté à en rechercher les sig­na­tures pos­si­bles, en con­frontant les pré­dic­tions des mod­èles d’univers pri­mor­dial et celles venant de la physique causale. »

Matière noire et énergie noire

Le pro­gramme sci­en­tifique entre­pris dès les années 1960 n’est pas achevé. Deux ingré­di­ents indis­pens­ables au mod­èle, la « matière noire » (des par­tic­ules sans doute mais sans sig­na­ture élec­tro­mag­né­tique) et l’« énergie noire » (respon­s­able de l’accélération tar­dive de l’expansion de l’univers) n’ont pas été iden­ti­fiés par la physique des par­tic­ules, lais­sant des trous dans le puzzle.

On con­naît déjà de la matière noire sous forme de neu­tri­nos – mais en nom­bre insuff­isant pour ren­dre compte des obser­va­tions. Le cas de l’énergie noire est plus dra­ma­tique : nou­velle forme de la matière ? mod­i­fi­ca­tion de la grav­ité ? « Essay­er d’en savoir davan­tage est l’enjeu de nom­breux développe­ments visant à utilis­er les grandes struc­tures comme laboratoire.

C’est le volet le plus impor­tant du pro­gramme sci­en­tifique du satel­lite Euclid en cours de con­struc­tion et dont je fais par­tie », dit-il. « Nous pour­rons alors peut-être com­pren­dre la phase d’inflation pri­mor­diale pen­dant laque­lle sont nées les fluc­tu­a­tions de métriques.

Le mécan­isme pro­posé, et le seul aujourd’hui cor­roboré par les obser­va­tions, met en oeu­vre la théorie quan­tique des champs et la rel­a­tiv­ité générale, les deux fonde­ments de la physique fon­da­men­tale con­stru­its au XXe siè­cle, mais dans un régime inédit : l’ensemble des grandes struc­tures de l’univers serait vu comme une fluc­tu­a­tion quantique.

C’est révo­lu­tion­naire. Je ne crois pas que la portée de cette idée, si elle devait être con­fir­mée par les obser­va­tions futures, ait été encore pleine­ment appréciée. »

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Emmanuel Beau­re­paire est directeur de recherche au CNRS, en poste au lab­o­ra­toire d’Optique et Bio­sciences (LOB) de l’X. « Le domaine de la micro­scopie des tis­sus est pas­sion­nant car, à l’interface de plusieurs dis­ci­plines telles que la physique, l’embryologie, les neu­ro­sciences voire la bio­médecine, il vise à imag­in­er des méth­odes per­me­t­tant de ren­dre com­préhen­si­ble ce qui est encore caché », dit-il.

Visualiser le développement des cellules dans leur environnement

L’équipe du LOB est aujourd’hui recon­nue dans le domaine de la micro­scopie optique non-linéaire, ou mul­ti­pho­tonique, et ses appli­ca­tions. Cette méthode dévelop­pée à par­tir des années 1990 repose sur l’utilisation de lasers fem­tosec­on­des infrarouges.

On visu­alise ain­si les tis­sus biologiques intacts sur des pro­fondeurs de l’ordre du demi-mil­limètre avec pré­ci­sion, dans les trois dimen­sions, et on peut donc étudi­er les cel­lules dans leur envi­ron­nement naturel.

On peut réalis­er une imagerie sans mar­quage en exploitant les pro­priétés optiques non-linéaires naturelles des tis­sus : par exem­ple pour visu­alis­er des struc­tures fib­ril­laires (col­lagène, mus­cles, tubu­line) par généra­tion de sec­ond har­monique, et les inter­faces et accu­mu­la­tions de lipi­des par généra­tion de troisième harmonique.

« Nous avons effec­tué l’analyse théorique de ces con­trastes, et dévelop­pé des appli­ca­tions en der­ma­tolo­gie, oph­tal­molo­gie et embryologie. »

Un domaine d’application que le LOB a con­tribué à ouvrir est l’imagerie des tis­sus en développe­ment. On étudie ain­si de petits organ­ismes au stade embry­on­naire, ou des tis­sus plus com­plex­es comme le sys­tème nerveux.

« Nous avons obtenu la pre­mière descrip­tion quan­ti­ta­tive des divi­sions cel­lu­laires au cours des trois pre­mières heures du développe­ment du pois­son zèbre en col­lab­o­ra­tion avec le cen­tre CNRS de Gif-sur-Yvette, et mis en évi­dence une boucle de rétroac­tion mécanique-géné­tique dans le développe­ment pré­coce de la drosophile en col­lab­o­ra­tion avec l’Institut Curie. »

Des méthodes de marquage multicouleurs

“ Analyser la formation du cerveau avec une précision inédite ”

Des inno­va­tions tech­nologiques ont per­mis d’accélérer la vitesse d’imagerie (d’une image par sec­onde à 50) et de visu­alis­er simul­tané­ment de nom­breux sig­naux dif­férents (imagerie « en couleur »). Un pro­jet en cours avec l’Institut de la vision étudie la for­ma­tion du sys­tème nerveux chez la souris avec des méth­odes de mar­quage multicouleurs.

L’enregistrement d’images de grands vol­umes (plusieurs mil­limètres cubes) de tis­su cérébral avec une réso­lu­tion cel­lu­laire doit per­me­t­tre d’analyser la for­ma­tion du cerveau en ter­mes de con­nec­tiv­ité et de lig­nages cel­lu­laires avec une pré­ci­sion inédite.

« Ces prob­lé­ma­tiques, et le développe­ment des méth­odes d’imagerie, amè­nent des prob­lèmes con­sid­érables et nou­veaux de ges­tion et d’analyse de grandes quan­tités de données. »

Des projets collaboratifs en marche

Grâce à un réseau de col­lab­o­ra­tions, d’autres appli­ca­tions sont en cours d’exploration, en biolo­gie fon­da­men­tale (mor­phogénèse embry­on­naire, bio­mé­canique, développe­ment car­diaque pré­coce) ou sur des pro­jets à portée plus bio­médi­cale (imagerie de la peau et de la cornée ocu­laire humaines).

Les avancées en biolo­gie du développe­ment per­me­t­tent égale­ment une meilleure com­préhen­sion de patholo­gies can­céreuses ou neurologiques.

Les méth­odes dévelop­pées au LOB trou­vent aus­si des appli­ca­tions indus­trielles, par exem­ple en cosmétique.

Enfin, cette activ­ité s’inscrit dans la dynamique du cam­pus Paris-Saclay : « Notre équipe coor­donne notam­ment un pro­jet d’équipement d’excellence sélec­tion­né dans le cadre des investisse­ments d’avenir : la mise en place d’une plate-forme d’innovation méthodologique en micro­scopie mul­ti-échelle du vivant. »

Et l’extension récente du cen­tre de recherche de l’X va per­me­t­tre d’attirer de nou­veaux chercheurs tra­vail­lant à l’interface entre la biolo­gie et d’autres domaines sci­en­tifiques et tech­nologiques, et de con­tin­uer à pro­duire des con­tri­bu­tions importantes. »

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