Le vin de paille, un nectar de patience

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°607 Septembre 2005Rédacteur : Laurens DELPECH

Dans les croy­ances pop­u­laires du Jura, le vin de paille est asso­cié à l’idée de force, d’énergie vitale : c’est le vin des jeunes mar­iés et celui qu’on donne aux con­va­les­cents, on l’appelle “ vin de paille ” parce que les raisins étaient autre­fois séchés sur un lit de paille avant d’être vinifiés.

On trou­ve des vins de paille dans le Jura et un peu sur l’appellation Her­mitage, dans les Côtes-du-Rhône septen­tri­onales. Ils font par­tie de la famille des vins liquoreux, que l’on obtient par trois méth­odes, qui don­nent des résul­tats très dif­férents. Une pre­mière méth­ode con­siste à ajouter de l’alcool au moût, avant pen­dant ou après la fer­men­ta­tion, selon les cas, c’est ain­si qu’on obtient les por­tos, banyuls, mau­ry, les mus­cats du Rous­sil­lon et le pineau des Char­entes. Les autres méth­odes per­me­t­tent d’obtenir des vins naturelle­ment doux, soit par la “ pour­ri­t­ure noble ” qui repose sur l’action d’un champignon micro­scopique qui con­cen­tre le sucre dans le raisin en élim­i­nant l’eau, soit à par­tir de raisins séchés au soleil ou sur claie (cas du vin de paille). Ces trois méth­odes ont cha­cune leur ver­tu et pro­duisent des résul­tats excel­lents. Dans tous les cas, les vins pro­duits sont mag­nifique­ment tail­lés pour la garde.

À la dif­férence du vin jaune, issu du seul sav­agnin, le vin de paille est élaboré à par­tir de tous les cépages du vig­no­ble du Jura (sauf le pinot). L’assemblage varie d’année en année, en fonc­tion des con­di­tions cli­ma­tiques, pour com­bin­er la puis­sance et l’acidité. Il y a sou­vent un peu de raisins rouges. On remar­que d’ailleurs que le vin de paille du Jura est plus col­oré que le sauternes ou que les sélec­tions de grains nobles alsa­ci­ennes. Ven­dan­gées à la main, les grappes sont mis­es à séch­er pen­dant plusieurs mois sur des claies. Après pres­sur­age de ces baies gorgées de sucre, on obtient de 15 à 18 kilos de moût pour 100 kilos de raisin. La fer­men­ta­tion, très lente, en rai­son de la con­cen­tra­tion en sucre, dure plusieurs mois. Après trois ans à compter du pres­sur­age (dont un min­i­mum de dix-huit mois en fût), le vin, qui titre alors entre 15 et 18° d’alcool, est mis dans des petites bouteilles de 37,5 cl, dont le poten­tiel de garde peut être estimé à au moins cinquante ans.

Seuls les vins d’appellation con­trôlée “ Arbois ”, “ L’Étoile ” et “ Côtes du Jura ” peu­vent présen­ter sur l’étiquette la men­tion “ vins de paille ”. Ce sont des vins agréables à boire, très doux, avec des arômes fruités (raisins de Corinthe, fruits exo­tiques, agrumes, fruits con­fits, mais aus­si poires cuites et con­fi­ture de fram­boise) et des notes de caramel et d’épices. Le vin de paille de l’Hermitage est pro­duit dans des con­di­tions iden­tiques, mais ses cépages sont très dif­férents : essen­tielle­ment la marsanne, avec par­fois un peu de rous­sane. On trou­ve sou­vent dans les vins de paille du Jura des évo­ca­tions de vin jaune (notes de Xérès, de noy­aux d’amande) qu’on ne retrou­ve pas dans celui de l’Hermitage, où les saveurs miel­lées pré­domi­nent. Les deux sont d’excellents pro­duits, rares et recherchés.

Il faut servir le vin de paille à une tem­péra­ture de 7 ou 8°, il sera frais mais pas trop, pour bien exprimer ses arômes com­plex­es et sub­tils. On peut le boire à l’apéritif, sur un foie gras (en ter­rine ou cuis­iné), sur des fro­mages bleus ou sur des desserts : l’accord avec le choco­lat amer est somptueux, mais les accords avec des desserts à base d’agrumes ou d’amandes (pithiviers) ne sont pas moins intéressants.

Au Moyen Âge, on prê­tait au vin de paille la fac­ulté de “ tourn­er la cru­auté en pitié, l’avarice en largesse, l’orgueil en humil­ité, la paresse en dili­gence, la peur en hardiesse ”. Si on don­nait du vin de paille à tous ceux qui doivent trans­former leurs vices en ver­tus, il est prob­a­ble que la pro­duc­tion actuelle n’y suf­fi­rait pas, mais rien ne vous empêche de tester sub­rep­tice­ment les pou­voirs du vin de paille sur les cas les plus cri­tiques de votre entourage : vous com­binerez ain­si l’utile et l’agréable.

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