L'épargne retraite

La retraite : enjeux stratégiques et nouvelle donne

Dossier : AssuranceMagazine N°793 Mars 2024
Par Evrard de VILLENEUVE (E22)

La pro­blé­ma­tique de la retraite est beau­coup plus vaste et large qu’une simple équa­tion de comp­ta­bi­li­té publique à équi­li­brer ; c’est le signe d’une évo­lu­tion par­ti­cu­lière de notre socié­té. C’est un sujet de pré­oc­cu­pa­tion per­ma­nent de l’ensemble des Fran­çais et des gou­ver­ne­ments depuis 40 ans, avec un sou­ci per­ma­nent de l’équilibre des comptes, en uti­li­sant les variables clas­siques de l’âge du départ à la retraite, du niveau des coti­sa­tions, des régimes spé­ciaux (même si ceux-ci accueillent les réformes avec pru­dence et cir­cons­pec­tion). L’évolution de la popu­la­tion et de la pyra­mide des âges repré­sente une contrainte sup­plé­men­taire en constante évolution.

“Se constituer un complément de retraite individuelle par capitalisation, avec l’aide de l’employeur.”

Le gou­ver­ne­ment a par­tiel­le­ment avan­cé sur le sujet au tra­vers de la loi Pacte de 2019 et de la loi sur le par­tage de la valeur en 2023. En effet les dis­po­si­tifs pro­po­sés, notam­ment les dif­fé­rents PER (plan d’épargne retraite) pro­po­sés à l’ensemble des sala­riés fran­çais leur per­mettent de se consti­tuer un com­plé­ment de retraite indi­vi­duelle par capi­ta­li­sa­tion, avec l’aide de l’employeur. Cette évo­lu­tion qui intègre la consti­tu­tion d’une par­tie de leur pen­sion de retraite par capi­ta­li­sa­tion indi­vi­duelle est inévitable. 

C’est le modèle anglo-saxon qui fonc­tionne depuis de nom­breuses années. Cepen­dant ces solu­tions ne pour­ront pas rem­pla­cer les régimes par répar­ti­tion, qui devront impé­ra­ti­ve­ment être revus.

Le départ à la retraite et ses consé­quences finan­cières mono­po­lisent les gouverne­ments suc­ces­sifs et la classe poli­tique depuis de nom­breuses années. En effet, du point de vue de la struc­ture de la pyra­mide des âges, les classes les plus nom­breuses nées après-guerre (appe­lées com­mu­né­ment les boo­mers) prennent pro­gres­si­ve­ment leur retraite. De nom­breuses lois se sont suc­cé­dé pour trou­ver une solu­tion aux équi­libres démo­gra­phiques et finan­ciers, ce qui est un véri­table défi dans les mois et les années à venir. Compte tenu de la démo­gra­phie, le sys­tème par répar­ti­tion ne pour­ra absor­ber seul les chan­ge­ments démo­gra­phiques majeurs en cours. D’autres options vien­dront en com­plé­ment de la répar­ti­tion pour évi­ter l’explosion de ce sys­tème social historique.

Un état des lieux alarmant

La stra­té­gie domi­nante des poli­tiques menées depuis 40 ans vise à main­te­nir le modèle social fran­çais tel qu’il a été conçu après la Deuxième Guerre mon­diale. Après avoir connu le taux de cou­ver­ture d’un retrai­té au niveau de trois coti­sants en 1970, celui-ci s’est pro­gres­si­ve­ment réduit pour atteindre le seuil alar­mant de deux coti­sants pour un retrai­té en 2000, 1,7 coti­sant pour un retrai­té en 2023, avec une pro­jec­tion de 1,4 coti­sant pour un retrai­té à l’horizon 2030.

La France comp­tait 5 mil­lions de retrai­tés en 1981 et 18 mil­lions de retrai­tés en 2021 (en tenant compte des pen­sions de réver­sion). Dans le même temps, après une sta­bi­li­sa­tion du taux de fécon­di­té des femmes fran­çaises à 2 enfants par femme jusqu’en 2014, ce taux s’est éta­bli à 1,8 enfant par femme en 2022, ce qui n’était pas arri­vé depuis 1990. L’âge moyen de la pre­mière mater­ni­té était de 31 ans en 2022.

“Se constituer un complément de retraite individuelle par capitalisation, avec l’aide de l’employeur.”

D’un autre côté, l’espérance de vie s’établit à 85,3 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes, avec un nombre de cen­te­naires qui dépasse les 30 000, soit 30 fois plus qu’en 1970 (source Insee). Enfin, en 2022 les dépenses de retraite repré­sen­taient 13,7 % du pro­duit inté­rieur brut, soit 360,7 mil­liards d’euros.

La part des dépenses pour finan­cer les retraites de la fonc­tion publique va vers une dimi­nu­tion. Les résul­tats du der­nier rap­port du Conseil d’orientation des retraites de sep­tembre 2022 montrent que cette part (régime de la FPE, fonc­tion publique d’État, CNRACL, Caisse natio­nale de retraite des agents des col­lec­ti­vi­tés locales, et Ircan­tec, Ins­ti­tu­tion de retraite com­plé­men­taire des agents non titu­laires de l’État et des col­lec­ti­vi­tés publiques) dans le pro­duit inté­rieur brut serait en dimi­nu­tion à l’horizon de la pro­jec­tion, après une période de sta­bi­li­té : par­tant de 3,3 % entre 2015 et 2030, elle varie­rait entre 2,3 % (scé­na­rio de pro­duc­ti­vi­té de 1,6 %) et 2,8 % (scé­na­rio 0,7 %) en 2070.

Les retraites ver­sées par ces régimes repré­sen­te­raient éga­le­ment une part de moins en moins éle­vée de l’ensemble des dépenses de retraite : la baisse serait assez impor­tante jusqu’en 2055, date à laquelle la part des dépenses des régimes de la fonc­tion publique dans l’ensemble des dépenses attein­drait envi­ron 20 % selon les scé­na­rios, contre 24 % en 2020. Elle dimi­nue­rait ensuite de manière moins mar­quée, pour atteindre 19 % en 2070.


Lire aus­si : L’assurance fran­çaise en quelques chiffres


La nouvelle donne

Pour com­plé­ter et ren­for­cer le régime géné­ral, un cer­tain nombre de dis­po­si­tifs ont été créés afin de géné­rer un com­plé­ment de reve­nus lors d’un départ à la retraite, sous la forme d’une épargne consti­tuée au long d’une car­rière. Nous pro­po­sons ici de décrire les dis­po­si­tifs mis en place depuis de nom­breuses années.

L’organisation du sys­tème de retraite fran­çais s’articule autour d’un sys­tème obli­ga­toire par répar­ti­tion avec un régime de base obli­ga­toire Caisse natio­nale d’assurance vieillesse (Cnav Sécu­ri­té sociale) et un régime com­plé­men­taire obli­ga­toire Agirc Arr­co, et d’un sys­tème facul­ta­tif par capi­ta­li­sa­tion for­mant l’épargne retraite, avec un régime sup­plé­men­taire col­lec­tif (plan d’épargne retraite d’entreprise, PERO, Per­ecol, indem­ni­té de fin de car­rière, article 39 du Code géné­ral des impôts, CGI, etc.) et des régimes sup­plé­men­taires indi­vi­duels comme le plan d’épargne retraite indi­vi­duel (PER­in), les assu­rances vie, l’épargne individuelle.

« L’organisation du système de retraite français s’articule autour d’un système obligatoire par répartition avec un régime de base obligatoire et un régime complémentaire obligatoire, et d’un système facultatif par capitalisation formant l’épargne retraite. »

Nous nous inté­res­sons main­te­nant aux régimes de sys­tèmes facul­ta­tifs, et par­ti­cu­liè­re­ment aux régimes col­lec­tifs, régis notam­ment par l’article L. 141–1 du Code des assu­rances. Il existe un régime à double pos­si­bi­li­té. D’une part à coti­sa­tions défi­nies : le plan d’épargne retraite et l’article 83 du Code géné­ral des impôts sont des dis­po­si­tifs dont les coti­sa­tions sont défi­nies, dont l’adhésion des sala­riés est obli­ga­toire et qui ont un sys­tème par capi­ta­li­sa­tion – consti­tu­tion d’un capi­tal retraite pour soi-même – contrai­re­ment au régime géné­ral par répar­ti­tion (la com­mer­cia­li­sa­tion de ce dis­po­si­tif n’est plus pos­sible depuis le 1er octobre 2020).

On note­ra que les droits sont indi­vi­dua­li­sés et défi­ni­ti­ve­ment acquis, on note­ra aus­si la non-sub­sti­tu­tion à un élé­ment de rému­né­ra­tion. D’autre part à pres­ta­tions défi­nies : l’article 39 du CGI, quant à lui, pré­voit que l’employeur s’engage, lors de la mise en place du régime, sur le mon­tant qui sera ver­sé au sala­rié. Ce sont des contrats ali­men­tés exclu­si­ve­ment par des coti­sa­tions ver­sées par l’entreprise. Ils sont le plus sou­vent réser­vés à une caté­go­rie spé­ci­fique de sala­riés (en géné­ral des cadres dirigeants).


L’épargne retraite en France

PER­in : plan d’épargne retraite individuel

PERE : plan d’épargne retraite d’entreprise

PERO : plan d’épargne retraite obligatoire

Per­ecol : plan d’épargne retraite d’entreprise collectif

PERU : plan d’épargne retraite unique


La loi Pacte

La loi Pacte (plan d’action pour la crois­sance et la trans­for­ma­tion des entre­prises) a été votée le 22 mai 2019 (loi n° 2019–486) avec une entrée en vigueur le 1er octobre 2019 et a réfor­mé l’épargne retraite dans le but de la sim­pli­fier, en créant un seul plan : le PER qui se décline en PER­in pour la retraite indi­vi­duelle et en PERE pour la retraite col­lec­tive en entre­prise. Le PERE se décline lui-même en trois pro­duits d’épargne : le PERO (plu­tôt dis­tri­bué par les assu­reurs) ; le Per­ecol (plu­tôt dis­tri­bué par les banques) ; et le PERU (plu­tôt dis­tri­bué par les banques).

La loi du 29 novembre 2023

La loi du 29 novembre 2023, por­tant trans­po­si­tion de l’accord natio­nal inter­pro­fes­sion­nel rela­tif au par­tage de la valeur au sein de l’entreprise, trans­pose l’accord natio­nal inter­pro­fes­sion­nel (ANI) sur le par­tage de la valeur en entre­prise, conclu en février 2023 entre les syn­di­cats et le patro­nat. Cet accord vise à mieux asso­cier les sala­riés aux per­for­mances des entre­prises, notam­ment dans les PME. La loi a été pro­mul­guée le 29 novembre 2023. Elle a été publiée au Jour­nal offi­ciel du 30 novembre 2023.

La loi trans­pose, de manière fidèle, les mesures de niveau légis­la­tif de l’accord natio­nal inter­profes­sionnel qui a été signé, le 10 février 2023, entre le Medef, la CPME, Confé­dé­ra­tion des petites et moyennes entre­prises, l’U2P, Union des entre­prises de proxi­mi­té, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC. Cet accord a pour objec­tif de dyna­mi­ser le par­tage de la valeur en entre­prise, tout en rap­pe­lant le prin­cipe de non-sub­sti­tu­tion, en ver­tu duquel les sommes ver­sées au titre du par­tage de la valeur ne doivent pas se sub­sti­tuer aux salaires. La loi s’articule autour de quatre axes : ren­for­cer le dia­logue social sur les clas­si­fi­ca­tions des emplois ; faci­li­ter la géné­ra­li­sa­tion des dis­po­si­tifs de par­tage de la valeur ; sim­pli­fier la mise en place de dis­po­si­tifs de par­tage ; et déve­lop­per l’actionnariat salarié.

Développer le partage de la valeur dans les PME

Deux mesures visent à géné­ra­li­ser les dis­po­si­tifs de par­tage de la valeur. Les entre­prises de moins de 50 sala­riés pour­ront mettre en place à titre volon­taire un dis­po­si­tif de par­ti­ci­pa­tion de branche ou d’entreprise pou­vant être moins favo­rable que la for­mule légale. D’ici le 30 juin 2024, les branches pro­fes­sion­nelles devront ouvrir une négo­cia­tion en ce sens. Actuel­le­ment, les accords de par­ti­ci­pa­tion déro­ga­toires doivent garan­tir des avan­tages au moins équi­va­lents à la for­mule légale.

À par­tir du 1er jan­vier 2025, les entre­prises de 11 à 49 sala­riés devront mettre en place au moins un dis­po­si­tif de par­tage de la valeur dès lors qu’elles sont pro­fi­tables (béné­fice net fis­cal d’au moins 1 % de leur chiffre d’affaires pen­dant trois exer­cices consé­cu­tifs). Il pour­ra s’agir d’un dis­po­si­tif de par­ti­ci­pa­tion ou d’intéressement ou d’un plan d’épargne sala­riale, notam­ment un plan d’épargne retraite d’entreprise col­lec­tif (Per­ecol inter­en­tre­prises) ou d’une prime de par­tage de la valeur (PPV).

Les entre­prises déjà cou­vertes par un dis­po­si­tif de par­tage, les entre­prises indi­vi­duelles et les socié­tés ano­nymes à par­ti­ci­pa­tion ouvrière (SAPO) sous cer­taines condi­tions ne sont pas concer­nées. Les dépu­tés ont éten­du cette obli­ga­tion aux entre­prises de l’économie sociale et soli­daire (asso­cia­tions, mutuelles, coopé­ra­tives). Ces dis­po­si­tions sont mises en place à titre expé­ri­men­tal pour cinq ans. Un bilan et un sui­vi annuel de ces expé­ri­men­ta­tions seront réa­li­sés par le gouvernement.

Bénéfices exceptionnels, prime Macron

La loi ins­taure une nou­velle obli­ga­tion de négo­cier sur les béné­fices excep­tion­nels. Cette obli­ga­tion concer­ne­ra les entre­prises de 50 sala­riés et plus qui dis­posent d’un ou plu­sieurs délé­gués syn­di­caux, lorsqu’elles ouvrent une négo­cia­tion sur un dis­po­si­tif de par­ti­ci­pa­tion ou d’intéressement. La prise en compte des béné­fices pour­ra conduire à un sup­plé­ment d’intéressement ou de par­ti­ci­pa­tion ou à une nou­velle dis­cus­sion sur un dis­po­si­tif de partage.

Les entre­prises déjà cou­vertes par un accord d’intéressement ou de par­ti­ci­pa­tion, au moment de la publi­ca­tion de la loi, devront enga­ger une négo­cia­tion d’ici le 30 juin 2024 sur la défi­ni­tion de leur béné­fice excep­tion­nel et com­ment il sera par­ta­gé avec les sala­riés. À l’initiative des dépu­tés, la défi­ni­tion d’une aug­men­ta­tion excep­tion­nelle du béné­fice que pour­ront rete­nir les par­te­naires sociaux a été enca­drée. Elle devra prendre en compte des cri­tères tels que la taille de l’entreprise, le sec­teur d’activité, la sur­ve­nance d’une ou plu­sieurs opé­ra­tions de rachat d’actions de l’entreprise…

Le texte faci­lite aus­si le ver­se­ment de la prime de par­tage de la valeur (PPV). Cette prime (ex-prime Macron) pour­ra être attri­buée deux fois par an dans la limite des pla­fonds totaux d’exonération (3 000 euros ou 6 000 euros) et pour­ra être pla­cée sur un plan d’épargne sala­riale. Dans les entre­prises de moins de 50 sala­riés, la prime res­te­ra, pour les sala­riés dont la rému­né­ra­tion est infé­rieure à trois Smic, exo­né­rée de coti­sa­tions fis­cales et sociales ain­si que d’impôt sur le reve­nu jusqu’au 31 décembre 2026.

Mesures accessoires

Un nou­veau dis­po­si­tif facul­ta­tif dénom­mé « plan de par­tage de la valo­ri­sa­tion de l’entreprise » est en outre ins­tau­ré. Ce plan pour­ra être mis en place pour trois ans par accord et devra béné­fi­cier à tous les sala­riés ayant au moins un an d’ancienneté, sauf accord d’entreprise plus favo­rable. En cas de hausse de la valeur de l’entreprise lors des trois années de durée du plan, les sala­riés pour­ront béné­fi­cier d’une « prime de par­tage de la valo­ri­sa­tion de l’entreprise ». Cette prime pour­ra être pla­cée sur un plan d’épargne sala­riale. Une ouver­ture plus grande de por­tion du capi­tal aux sala­riés action­naires est ren­due pos­sible. Les pla­fonds d’attribution des actions gra­tuites sont rehaus­sés. Des dis­po­si­tions pour pro­mou­voir une épargne verte, soli­daire et res­pon­sable com­plètent le texte.

Les règle­ments des plans d’épargne d’entreprise (PEE) et des plans d’épargne retraite (PER) devront pro­po­ser un fonds satis­fai­sant à des cri­tères de finan­ce­ment de la tran­si­tion éner­gé­tique et éco­lo­gique ou d’investissement socia­le­ment res­pon­sable, en com­plé­ment du fonds soli­daire qui doit déjà être pro­po­sé dans ces plans. Les épar­gnants sala­riés pour­ront ain­si choi­sir d’affecter par exemple leur prime de par­ti­ci­pa­tion ou d’intéressement à des fonds label­li­sés ISR, Green­fin ou CIES. À noter : aucune mesure de par­tage avec les sala­riés des « super­pro­fits » réa­li­sés par cer­taines grandes entre­prises qui rachètent leurs propres actions, mesure évo­quée par le Pré­sident de la Répu­blique le 22 mars 2023, ne figure dans la loi.

Commentaire

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jean-yves.roure.1987répondre
13 mars 2024 à 17 h 48 min

Les régimes Art 39 à pres­ta­tions défi­nies ont été pla­cés en extinc­tion du fait de la res­tric­tion qu’ils opé­raient en matière de liber­té de mou­ve­ment et leur mise en oeuvre fait l’ob­jet de restrictions.

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