Groupe de travail sur la place des femmes à l’École polytechnique

La place des femmes à l’X

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°735 Mai 2018
Par Lucile VIGUÉ (15)

Il y a un an, le jour­nal des élèves consa­crait un numé­ro spé­cial (IK au fémi­nin) sur l’ex­pé­rience des femmes au sein de l’É­cole. Après une action immé­diate du com­man­de­ment, il a paru néces­saire d’é­la­bo­rer une réflexion à plus long terme. C’est l’ob­jet de ce rapport. 

1972 : sept jeunes femmes fran­chissent les murs de Car­va, pre­mières poly­tech­ni­ciennes de l’histoire.

Près d’un demi-siècle plus tard, le pay­sage a chan­gé. L’X a déser­té la Mon­tagne-Sainte-Gene­viève et les femmes, bien que tou­jours net­te­ment mino­ri­taires, ne sont plus l’exception.

L’institution plus que bicen­te­naire s’est habi­tuée à voir des étu­diantes venir inté­grer ses rangs. 

L’impact de l’IK au féminin

En février 2017, des X décident d’écrire sur l’expérience des femmes au sein de l’École : le numé­ro spé­cial de l’Info Kès, rebap­ti­sé pour l’occasion IK au fémi­nin, voit le jour. 

“L’IK au féminin a permis un changement progressif des mentalités”

Si les dif­fé­rents points de vue qui s’expriment dans ce hors-série brossent un por­trait nuan­cé de la situa­tion, le der­nier article sort du lot. Plu­sieurs anciennes élèves y témoignent et relatent un quo­ti­dien de sexisme pou­vant être, par­fois, extrê­me­ment violent, cer­tains faits rap­por­tés consti­tuant même des infrac­tions pénales graves. 

Si cet IK amène évi­dem­ment des réac­tions immé­diates, enquête de com­man­de­ment menée par le chef de corps, plan d’action contre le sexisme adop­té par le CA, il per­met éga­le­ment de faire émer­ger la volon­té d’une réflexion à plus long terme. 

Inscrire une action dans la durée

En sep­tembre 2017 se consti­tue un groupe de tra­vail nom­mé « La place des femmes à l’X ». Celui-ci ras­semble des membres de l’administration, des repré­sen­tants élus des élèves et un ensemble de poly­tech­ni­ciennes et de poly­tech­ni­ciens volon­taires des pro­mo­tions 2015 et 2016. 

Durant six mois, jusqu’au départ de la pro­mo­tion 2015, le groupe s’est réuni de manière heb­do­ma­daire avec pour objec­tifs d’identifier les pro­blèmes liés à la place des femmes au sein de l’École, de pro­po­ser des solu­tions à ceux-ci et d’inscrire ces solu­tions dans la durée. 

Ce der­nier point est appa­ru par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant, un dis­po­si­tif de lutte contre le sexisme et les vio­lences sexuelles ne devant pas repo­ser sur la seule impli­ca­tion ou moti­va­tion des per­sonnes qui en ont la charge à un moment don­né. En effet, ces der­nières peuvent être ame­nées à chan­ger de poste régu­liè­re­ment, du fait des vagues de mutations. 

Redéfinir les moyens de lutte et de vigilance

Le tra­vail du groupe s’est, en pre­mier lieu, foca­li­sé sur les pro­cé­dures admi­nis­tra­tives exis­tant au sein de l’École. En effet, les divers inci­dents sur­ve­nus récem­ment à l’X avaient mis au jour des carences claires dans ces pro­cé­dures et l’urgence était de les pallier. 

Cela a, entre autres, per­mis de revi­si­ter le rôle de réfé­rent mixi­té, poste créé par la cel­lule Thé­mis de l’armée de Terre. En effet, celui-ci est pen­sé, à l’origine, pour des régi­ments dont les réa­li­tés quo­ti­diennes sont assez éloi­gnées des nôtres. La cel­lule Thé­mis se foca­lise qua­si exclu­si­ve­ment sur les faits péna­le­ment répré­hen­sibles et les pro­cé­dures judi­ciaires qui doivent en découler. 

Cepen­dant le groupe a consi­dé­ré que le réfé­rent pou­vait éga­le­ment inter­ve­nir en tant que média­teur dans le cas de faits non péna­le­ment répré­hen­sibles et plus géné­ra­le­ment assu­rer un rôle de veille et de pré­ven­tion pour empê­cher la sur­ve­nue d’incidents.

L’enjeu de ce tra­vail était d’adapter des pro­cé­dures mili­taires, éla­bo­rées à l’origine pour des régi­ments plu­tôt que pour le quo­ti­dien d’une école d’ingénieurs. Cela ne signi­fie pas pour autant igno­rer le sta­tut mili­taire de l’X : copier aveu­glé­ment un dis­po­si­tif pré­sent dans une grande école civile ne per­met­trait aucu­ne­ment de prendre en compte des temps tels que La Cour­tine ou encore les par­ti­cu­la­ri­tés de la vie en section. 

Un bilan de ce pre­mier temps de tra­vail a été pré­sen­té devant le comi­té exé­cu­tif de l’École, début décembre. 

Nommer les besoins liés à la mixité à l’X

La réflexion du groupe a, ensuite, été élar­gie à un ensemble de pro­blé­ma­tiques liées aux rela­tions femmes-hommes dans le contexte spé­ci­fique de l’X.


La réflexion du groupe a, ensuite, été élar­gie à un ensemble de pro­blé­ma­tiques liées aux rela­tions femmes-hommes dans le contexte spé­ci­fique de l’X. © École poly­tech­nique – J. Barande

En effet, l’isolement géo­gra­phique, par­ti­cu­liè­re­ment res­sen­ti par celles et ceux qui ne peuvent pas sou­vent ren­trer dans leur famille, le rela­tif manque d’intimité inhé­rent à la vie en col­lec­ti­vi­té et le ratio femmes-hommes par­ti­cu­liè­re­ment dés­équi­li­bré peuvent repré­sen­ter autant d’obstacles à l’épanouissement affec­tif et sexuel de cha­cun et de cha­cune et nuire, en der­nier res­sort, à de saines rela­tions entre les femmes et les hommes. 

Ain­si le groupe a orga­ni­sé la venue d’une sexo­logue pour per­mettre une soi­rée de dis­cus­sion autour des ques­tions rela­tives à la sexua­li­té. L’intérêt que cela a sus­ci­té nous a pous­sés à sug­gé­rer de réité­rer de telles inter­ven­tions durant le cur­sus polytechnicien. 

Il est appa­ru qu’étudier la ques­tion de la mixi­té sous l’angle géné­ral des rela­tions femmes-hommes dans le contexte de l’École per­met­tait d’intéresser et d’impliquer dans notre tra­vail des per­sonnes qui, ini­tia­le­ment, pou­vaient se sen­tir assez étran­gères aux pro­blèmes de sexisme. 

D’autres sujets ont éga­le­ment été abor­dés comme celui de l’enseignement et des choix d’orientation au sein de l’X.

Une prise de conscience positive

En tant qu’élève de la pro­mo­tion 2015, je peux témoi­gner des chan­ge­ments que j’ai obser­vés durant mon pas­sage à l’X. L’IK au fémi­nin a per­mis la libé­ra­tion d’une parole jusque-là tue mais éga­le­ment la mise en place d’une dyna­mique posi­tive sur les sujets de sexisme et de vio­lences sexuelles assor­tie d’un chan­ge­ment pro­gres­sif des mentalités. 

Des pra­tiques qui étaient encore mon­naie cou­rante il y a quelques années, ou même lors de mon arri­vée à l’École, sont désor­mais pros­crites. La contri­bu­tion du groupe à tout cela est néces­sai­re­ment limi­tée, d’une part parce que l’ensemble de nos dis­cus­sions et de nos pro­duc­tions se sont effec­tuées sur le temps libre de cha­cun des membres du groupe, c’est-à-dire sur un temps limi­té, et d’autre part car le tra­vail du groupe est encore trop récent pour pou­voir en obser­ver toutes les retom­bées et les évaluer. 

Néan­moins je crois que nous aurons pu par­ti­ci­per non seule­ment à cette prise de conscience mais éga­le­ment à la réa­li­sa­tion d’actions concrètes. 

Le devoir d’agir à l’X pour préparer l’après

Au-delà de la néces­si­té de faire appli­quer la loi sur le cam­pus de l’École poly­tech­nique, en met­tant tout en oeuvre pour empê­cher les vio­lences sexuelles et les dérives sexistes, s’intéresser à la place des femmes engage néces­sai­re­ment une réflexion plus large. 

Les récentes « unes » média­tiques ont mon­tré qu’aucun milieu ne pou­vait se pré­va­loir d’avoir éra­di­qué le sexisme et les vio­lences sexuelles de ses rangs. Dans ce contexte, l’X a le devoir de par­ti­ci­per à la sen­si­bi­li­sa­tion des étu­diants qu’elle pré­tend former. 

Lut­ter dès à pré­sent, sur notre cam­pus, contre les vio­lences sexuelles entre élèves, c’est contri­buer à pré­ve­nir d’autres dérives dra­ma­tiques qui pour­raient sur­ve­nir dans un ave­nir proche ou loin­tain, en entre­prise ou ailleurs, lorsque ces anciens élèves seront à des postes de responsabilité.

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