Huit témoignages de camarades de différentes formations

Dossier : X-USA-Canada : un réseau d’éliteMagazine N°678 Octobre 2012

De l’aventure au venture capital

De l’aventure au venture capital

En 1976, armé de mon diplôme d’ingénieur Arts et Métiers, je débute mes grad­u­ate stud­ies à l’université de Stan­ford. Époque fer­tile s’il en est. Inven­tion du micro­processeur, du réseau Arpanet, des réseaux locaux tels que Eth­er­net, toutes ces décou­vertes nées à quelques kilo­mètres de l’université.

Ce sont les débuts de la fameuse Sil­i­con Val­ley, et les débuts de mon aven­ture d’entrepreneur. La fon­da­tion de la société Bridge en 1981, l’entrée sur le Nas­daq en 1985, la fusion avec 3Com, la direc­tion de l’entreprise depuis le stade start­up jusqu’aux « For­tune 500 » mon­di­ales, suiv­ie de l’aventure Palm.

En 2003, mon rôle change. C’est le tour d’une nou­velle généra­tion d’entrepreneurs et d’innovateurs. Je suis main­tenant ven­ture cap­i­tal­ist, je finance et j’épaule ceux qui me suiv­ent, avec l’espoir qu’ils iront plus loin.

Éric BENHAMOU (Arts et Métiers)


On se sent chez soi à New York

Bruno LazardJ’avais envie de par­tir à l’étranger pour des raisons per­son­nelles et des raisons pro­fes­sion­nelles. Décou­vrir le monde et acquérir une expéri­ence inter­na­tionale indis­pens­able dans le secteur que j’avais choisi, la finance.

Je me suis retrou­vé à New York, même si j’étais prêt à par­tir vers Tokyo, Sin­gapour ou n’importe quel autre endroit où l’on m’aurait pro­posé quelque chose d’intéressant. Je me suis sen­ti telle­ment bien à NYC que je n’ai jamais vrai­ment cher­ché à en repar­tir. Pro­fes­sion­nelle­ment c’est tou­jours le meilleur endroit pour moi.

S’y ajoutent main­tenant des raisons per­son­nelles. C’est le cas de beau­coup d’expatriés, on part pour le tra­vail mais on finit par s’attacher aux gens et aux endroits. D’autant plus qu’à NYC on n’a jamais vrai­ment l’impression d’être très loin de chez soi. Dans la ville la plus cos­mopo­lite du monde, il y a vrai­ment des gens de partout et tous arrivent à se sen­tir chez eux ici, c’est le côté excep­tion­nel de NYC.

Bruno LAZARD


Le rêve canadien

J’en suis à ma qua­trième province. Ma pre­mière leçon cul­turelle à Van­cou­ver m’a appris qu’il est plus impor­tant d’avoir un car­net d’adresses bien plein et un esprit à faire de l’argent qu’une tête bien pleine ou bien faite.

Beau­coup ont réal­isé leur rêve cana­di­en sans savoir-faire par­ti­c­uli­er, mais avec un savoir être. Un jeune sans études reprend à seize ans l’atelier de gui­tares de sa tante. Trente ans plus tard, son chiffre d’affaires atteint 70 mil­lions de dol­lars, il a embauché des ingénieurs et il est bien con­nu des con­nais­seurs de guitare.

Un autre quitte l’école à qua­torze ans, démarre un local d’usinage à la fin des années 1950. Aujourd’hui, plus de cent mille per­son­nes tra­vail­lent pour lui.

Et les diplômés ? Le Cana­da donne aux diplômés étrangers des points sup­plé­men­taires pour immi­gr­er, sans pré­cis­er qu’ils ne pour­ront peut-être pas exercer leur pro­fes­sion. C’est le cas pour les anciens de Paris­Tech en ce nou­veau monde. Aujourd’hui, je suis directeur en effi­cac­ité opérationnelle.

Raphaël GARCIA


Souplesse et efficacité

J’ai effec­tué la plus grande par­tie de ma car­rière chez Schlum­berg­er, à qui je dois mon implan­ta­tion aux États-Unis depuis presque trente ans.

Claude Baudoin (70)En 2009, j’ai pris une retraite anticipée pour devenir con­sul­tant indépen­dant. Avec cette expéri­ence, on ne saurait dessin­er un con­traste plus impor­tant entre les pra­tiques français­es et améri­caines. Ici, il n’est pas oblig­a­toire de créer une société pour fournir des ser­vices ; toute per­son­ne physique peut fac­tur­er un client. S’il est quand même pru­dent de le faire, la forme la plus sim­ple se déclare en ligne et prend deux semaines, pour un mon­tant mod­este (250 dol­lars au Texas). Dès lors, la société peut ven­dre et fac­tur­er. Pas de TVA sur les ser­vices, donc aucune paperasserie y afférente. Le prestataire et le client s’échangent deux for­mu­laires fis­caux d’une demi-page, une fois par an… end of sto­ry.

En France, la pra­tique du référence­ment force sou­vent les petits à se posi­tion­ner comme sous-trai­tants des grands. Ici, le petit entre­pre­neur est respec­té, même admiré.

Seul le gou­verne­ment fédéral requiert en principe une inscrip­tion à un reg­istre de four­nisseurs agréés, mais c’est gra­tu­it et en libre-ser­vice, juste­ment pour préserv­er la con­cur­rence. Cette charte tacite de ser­vice, de con­fi­ance, de sou­p­lesse et d’efficacité attire à juste titre bien des émi­grants… et retient facile­ment ceux qui se sont instal­lés ici.

Claude BAUDOIN (70)


Aux premières loges

Oumama Hanan (ENSAE)Je suis arrivée à New York il y a deux ans. Aupar­a­vant, j’avais tra­vail­lé trois ans à Paris au sein de l’équipe chargée du cal­cul du risque de con­trepar­tie sur pro­duits dérivés de la Société Générale. On m’a pro­posé un poste à NYC au sein de la même équipe, au moment où les ban­ques ont souhaité ren­forcer le con­trôle des risques et en par­ti­c­uli­er celui des risques de contrepartie.

Le méti­er a beau­coup évolué et pris de l’importance au cours des cinq dernières années en rai­son du con­texte économique qui a accru la prob­a­bil­ité de réal­i­sa­tion des événe­ments de défaut. Les indi­vidus de tous les niveaux se sen­tent respon­s­abil­isés, s’intéressent à la com­préhen­sion du risque.

Ain­si, mon expa­tri­a­tion me per­met d’être aux pre­mières loges de cette évo­lu­tion, et quand bien même mon expéri­ence pro­fes­sion­nelle n’aurait pas été aus­si riche qu’elle l’est, je pense que même une brève par­en­thèse inter­na­tionale per­met à un CV de se dis­tinguer lors d’un retour en France. Et tout cela s’accompagne, bien enten­du, d’un enrichisse­ment per­son­nel apporté par cette ville cos­mopo­lite et vivante qu’est NYC

Oumama HANAN (ENSAE)


Capturer le CO2 en vraie grandeur

Étienne Sturm (ECP 97)En 2009, un appel d’offres du Départe­ment de l’Énergie améri­cain a don­né une oppor­tu­nité de test à grande échelle des cap­tures du CO2. Après deux ten­ta­tives infructueuses et le qua­si-aban­don du pro­jet, le prési­dent Oba­ma fraîche­ment élu déci­da de le relancer.

J’étais alors directeur com­mer­cial de la fil­iale d’Air Liq­uide, qui tra­vail­lait depuis quelques années dans le secteur de l’environnement et la cap­ture de CO2 et qui avait mené des tests à échelle réduite à Lacq (avec Total) et à Cal­lide (Aus­tralie). Nous avons pro­posé de rénover une cen­trale élec­trique vétuste en Illi­nois, con­damnée à la fermeture.

Après deux mois de négo­ci­a­tions marathon, notre offre a été accep­tée. En 2016, le pro­jet cap­tur­era 1,3 mil­lion de tonnes de CO2 par an et l’injectera dans du grès à 1,4 km de profondeur.

Étienne STURM (ECP 97)


Se sentir ambassadeur d’Europe

Gérard Zanchi (ENSTA 90)Tra­vailler en milieu inter­na­tion­al provoque une addic­tion, mais le vieux con­ti­nent me parais­sait étroit et j’étais irré­sistible­ment attiré par les grands espaces du nou­veau con­ti­nent. Après deux ten­ta­tives et deux années de pré­pa­ra­tion, nous déci­dons à qua­tre, en 2010, d’émigrer au Canada.

Je me lançais dans un EMBA à Mc Gill, puis dans le com­bat de l’intégration pro­fes­sion­nelle, avec volon­tarisme, opti­misme et sans naïveté. Mes décou­vertes sur nos dif­férences cul­turelles sont mul­ti­ples et beau­coup serait à dire sur le pos­i­tivisme nord-améri­cain, ou sur cet esprit entre­pre­neur­ial et prati­co-pra­tique si attrayant, mais qui oblige à refrén­er sa volon­té d’excellence.

La plus grande dif­férence cul­turelle réside dans la valeur du temps, si mono­chronique, qui peut car­ac­téris­er les Nord-Améri­cains et qui fait qu’aujourd’hui l’Europe m’apparaît d’une cohérence insoupçon­née et une force indis­pens­able qu’il con­vient de préserv­er et de pro­mou­voir, avec rai­son mais courage, pour qu’elle reste la force inspi­ra­trice de l’Amérique que l’on aime.

Gérard Zanchi (ENSTA 90)


De généreux mécènes

La cam­pagne de lev­ée de fonds engagée en 2007 par la Fon­da­tion de l’École poly­tech­nique a pour but d’aider l’École à trou­ver les finance­ments com­plé­men­taires néces­saires à sa crois­sance et à son posi­tion­nement durable par­mi les meilleurs étab­lisse­ments d’enseignement supérieur sci­en­tifique de la planète. Les objec­tifs ne pou­vaient être atteints qu’en s’adressant aux anciens élèves les mieux lotis finan­cière­ment, mais aus­si les plus ouverts cul­turelle­ment à ces pra­tiques. Il était symp­to­ma­tique, au moment du lance­ment de la cam­pagne (25 puis 35 mil­lions d’euros), de s’entendre dire, en France : « Vous n’y arriverez jamais. » Et, de l’autre côté de l’Atlantique : « Pourquoi si peu ? »

Marquer sa reconnaissance

Jean-Bernard Lartigue (65)Aux États-Unis, il est nor­mal, quel que soit son niveau de réus­site finan­cière, et bien qu’ayant payé très cher ses études, de mar­quer sa recon­nais­sance et sa dette envers les généra­tions futures, par une con­tri­bu­tion sig­ni­fica­tive à son université.

Pour cer­taines d’entre elles, c’est une pra­tique bicen­te­naire. La Fon­da­tion de l’X a donc décidé d’aller sol­liciter la pop­u­la­tion d’Anciens étab­lis aux États-Unis, ou sim­ple­ment expa­triés temporairement.

Pre­mière étape, créer une struc­ture dédiée, autonome et dis­posant de sa pro­pre gou­ver­nance, agréée par l’Internal Rev­enue Ser­vice pour béné­fici­er des avan­tages locaux du mécé­nat. C’est ain­si que furent con­sti­tués les Friends of École polytechnique.

Élargir le cercle

Ensuite, ou plutôt en par­al­lèle, recenser la pop­u­la­tion des dona­teurs poten­tiels. Là-bas, les cour­ri­ers tra­di­tion­nels sont inutiles et vont directe­ment au panier, seule la voie élec­tron­ique est effi­cace. Pour ce faire, il faut de bons fichiers, à jour.

Deux approches, polytechnique.org bien sûr, mais aus­si les réseaux qui se sont con­sti­tués sur la côte est ou sur la côte ouest, où les plus jeunes ani­ment des struc­tures d’accueil, organ­isent des con­férences avec d’autres anciens d’établissements français, et surtout s’efforcent en per­ma­nence d’élargir leur cer­cle. Pour ceux qui ont étudié dans une uni­ver­sité améri­caine après l’X, il faut val­oris­er la com­plé­men­tar­ité des for­ma­tions pour éviter le piège du con­flit sur les ressources. Tra­vail en pro­fondeur auquel l’équipe de cam­pagne asso­cie les pre­miers dona­teurs locaux.

Répéter trois fois

Deux fois par an sur chaque côte, des événe­ments, organ­isés autour d’un X con­férenci­er de renom, per­me­t­tent de regrouper 40 à 50 anciens dont un tiers déjà engagé va inciter les deux tiers restants à se mobilis­er. Il faut, à ces occa­sions, présen­ter les ambi­tions de Poly­tech­nique aujourd’hui, mais aus­si, sou­vent, rap­pel­er ce qu’elle est dev­enue depuis la sortie.

À la fin de la pre­mière cam­pagne, nos « Améri­cains » auront apporté plus de 10 % de l’objectif, alors qu’ils ne représen­tent que 5 % de la pop­u­la­tion des Anciens.

Jean-Bernard Lartigue (65)

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