pécialisés depuis 1995 sur la valorisation énergétique de la biomasse, Haffner Energy a développé un procédé générant de l’hydrogène et négatif en émissions carbone.

Extraire l’hydrogène de la biomasse : un procédé compétitif négatif en émissions carbone

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Marc HAFFNER
Par Philippe HAFFNER

Si Haffn­er Ener­gy existe depuis 30 ans, l’entreprise a con­nu en 2022 une étape déci­sive en entrant à la bourse de Paris. À l’origine de ce suc­cès, trois frères pas­sion­nés par la recherche de l’efficacité énergé­tique : Marc, Éric, et Philippe Haffn­er. Spé­cial­isés depuis 1995 sur la val­ori­sa­tion énergé­tique de la bio­masse, ils ont dévelop­pé un procédé générant de l’hydrogène et négatif en émis­sions car­bone. Expli­ca­tions avec Philippe Haffn­er, cofon­da­teur et directeur général de l’entreprise.

Comment Haffner Energy est-elle parvenue à son introduction en bourse ?

Entre 2008 et 2010 nous avons mené une réflex­ion, en interne. Nous avons com­pris que l’hydrogène occu­perait un jour ou l’autre une place impor­tante dans le mix énergé­tique pour rem­plac­er les éner­gies fos­siles là où l’électricité ne pour­rait pas aller. À la suite de ces con­clu­sions, nous avons réus­si à dévelop­per avant tout le monde un procédé de pro­duc­tion d’hydrogène à par­tir de bio­masse, que nous avons pro­tégé par 15 familles de brevets qui ont fait l’objet d’extensions inter­na­tionales. Nous avons mené une pre­mière lev­ée de fonds en 2015, obtenu des sou­tiens de Bpifrance et l’Ademe, établi des parte­nar­i­ats avec des uni­ver­sités, l’école Cen­trale-Supélec, pour dévelop­per notre tech­nolo­gie, puis effec­tué d’autres lev­ées de fonds jusqu’à notre intro­duc­tion en bourse en févri­er 2022, qui nous a per­mis de lever 74 mil­lions d’euros. La famille Haffn­er et les action­naires his­toriques déti­en­nent tou­jours la majorité du cap­i­tal et nous restons indépen­dants, même si nos ambi­tions sont glob­ale et inter­na­tionales : nous avons l’ambition d’être un des grands lead­ers mon­di­aux des tech­nolo­gies de pro­duc­tion d’hydrogène.

Comme fonctionne votre dispositif sur un plan technologique ?

Il s’agit d’extraire l’hydrogène de la bio­masse, et de con­ver­tir l’énergie du monoxyde de car­bone en hydrogène. La bio­masse con­tient beau­coup de car­bone, et nous en déga­geons 50 % sous forme de biochar, solide con­sti­tué à 90 % de car­bone, et qui va capter la qua­si-total­ité des élé­ments métalliques et minéraux con­tenus dans la bio­masse. C’est un fil­tre naturel qui nous est très utile au cours des process à haute tem­péra­ture. Le procédé a lieu en trois temps : la ther­mol­yse d’abord, au cours de laque­lle nous cas­sons les liaisons cova­lentes des molécules longues à une tem­péra­ture de 500° ; ensuite le refor­mage, opéré à plus de 1000 degrés et dans lequel est pro­duit un gaz homogène con­sti­tué d’un mélange d’hydrogène, de CO, de CO2 et de vapeur d’eau. La troisième étape con­siste en la purifi­ca­tion et en l’enrichissement pour arriv­er à un taux de 99,997 %.

Ce principe repose sur des réac­tions ther­mochim­iques très clas­siques. Notre orig­i­nal­ité est d’arriver à une effi­cac­ité énergé­tique très élevée et à une pureté des gaz impos­si­ble aupar­a­vant, ce qui nous per­met d’atteindre les exi­gences de la mobil­ité et de l’industrie.

Quels sont les avantages de ce procédé ?

En pre­mier lieu, nous sommes car­bone négat­ifs. Le biochar que nous extrayons est con­sti­tué de car­bone prélevé par la plante lors de la pho­to­syn­thèse. Le biochar est mis en terre comme fer­til­isant agronomique, et c’est en même temps un puits de car­bone : il ne bougera plus, il ne sera jamais éva­poré sous forme de gaz, ni prélevé par les plantes. De cette manière, nous soustrayons de l’atmosphère des quan­tités impor­tantes de CO2 : pour un 1 kg d’hydrogène pro­duit, nous soustrayons 12 kg de CO2 à l’atmosphère, en analyse de cycle de vie. Or, les procédés équiv­a­lents à par­tir d’énergies fos­siles émet­tent de grandes quan­tités de CO2, et les procédés dits neu­tres sont en réal­ité car­bone émis­sifs si l’on fait l’analyse du cycle de vie (fab­ri­ca­tion des équipements, des éoliennes…).

Le deux­ième avan­tage con­siste en ce que nous ne dépen­dons pas d’une infra­struc­ture lourde pour pro­duire l’hydrogène. C’est la bio­masse qui apporte l’énergie, avec une effi­cac­ité énergé­tique de 70 % (équiv­a­lente à celle de l’électrolyse de l’eau).

“Notre originalité est d’arriver à une efficacité énergétique très élevée et à une pureté des gaz impossible auparavant.”

Le troisième avan­tage porte sur notre com­péti­tiv­ité et notre sta­bil­ité. Nous sommes aujourd’hui bien moins chers en coût de revient (notam­ment par rap­port à l’électrolyse de l’eau). Nous ne sommes pas cor­rélés aux coûts des éner­gies fos­siles, ni au coût de l’électricité. Nous ne sommes pas impactés par l’inflation, et mal­gré la guerre en Ukraine, nos coûts restent stables.

Cet aspect est très sécurisant pour nos clients. Notre procédé repose sur la bio­masse (déchets agri­coles, résidus sylvi­coles), et celle-ci est suff­isam­ment abon­dante pour nous per­me­t­tre de con­tribuer très sig­ni­fica­tive­ment au rem­place­ment du gaz et du pétrole.

Dans le monde de l’énergie, quel est votre positionnement ? 

Notre solu­tion est à la croisée des chemins. Nous sommes à la fois capa­bles de répon­dre aux enjeux de l’économie cir­cu­laire, et donc de créer des richess­es locales. Et en dehors de l’hydrogène, nous sommes aus­si capa­bles de créer du gaz (en rem­place­ment du gaz naturel), de l’électricité ou de la chaleur. Nous avons ven­du récem­ment un pro­jet de pro­duc­tion d’électricité, dont le grand avan­tage réside en ce qu’il peut fonc­tion­ner à la demande, et non de façon inter­mit­tente : nos clients déci­dent des heures de pro­duc­tion. Nous nous posi­tion­nons donc comme un acteur assez cen­tral, mais avec une pro­duc­tion de l’énergie décen­tral­isée. Nous voulons pro­duire l’énergie là où elle sera con­som­mée, en lim­i­tant les coûts et les prob­lé­ma­tiques de logistique.

Comment vous positionnez-vous par rapport au développement et à la structuration de la filière ? 

L’hydrogène jouera un rôle impor­tant dans cer­taines indus­tries, notam­ment la sidérurgie, mais il est aus­si appelé à jouer un rôle de pre­mier plan sur la mobil­ité. Aujourd’hui, on n’a pas trou­vé mieux pour la mobil­ité lourde (fusées, trains, avions…) que l’hydrogène comme vecteur énergé­tique : il est extrême­ment dense au niveau de la masse, et il per­met d’éviter toutes les émis­sions pol­lu­antes. L’hydrogène, asso­cié à une pile à com­bustible, répond très bien aux enjeux actuels et futurs de la mobilité.

Quels sont les principaux freins qui persistent par rapport au développement de l’hydrogène ?

Je dirais que les pou­voirs publics com­met­tent sou­vent une con­fu­sion entre l’hydrogène et la façon de le pro­duire. L’enjeu est d’avoir un hydrogène décar­boné, mais la ten­dance est d’associer la pro­duc­tion de l’hydrogène à la tech­nolo­gie d’électrolyse de l’eau. Or, il est absol­u­ment néces­saire, tel que cela est prévu dans le règle­ment de l’Union européenne, de veiller à la neu­tral­ité tech­nologique. Si on en était resté aux vac­cins tra­di­tion­nels pen­dant la crise san­i­taire, sans utilis­er la nou­velle tech­nique liée à l’ARN mes­sager, les vac­cins n’auraient pu être dif­fusés avec autant d’efficacité. En matière d’hydrogène, l’accompagnement pub­lic flèche trop sou­vent une seule tech­nolo­gie, par réflexe, et par manque d’informations.

Le deux­ième frein est la ques­tion de l’œuf et de la poule : l’hydrogène implique des investisse­ments mas­sifs qui pour être amor­tis deman­dent des util­isa­teurs. Les con­struc­teurs de pom­pes veu­lent des con­som­ma­teurs, mais les con­som­ma­teurs atten­dent qu’il y ait des pompes.

Enfin, si la tech­nolo­gie est aujourd’hui mature, il nous faut encore arriv­er à des coûts de pro­duc­tion d’énergie com­péti­tifs avec les éner­gies fos­siles. C’est une ques­tion liée à la mas­si­fi­ca­tion de la tech­nolo­gie : il suf­fit de regarder l’évolution du coût d’un écran plat sur les vingt dernières années !

Quels sont vos enjeux et vos objectifs dans ce contexte ?

Notre prin­ci­pal enjeu est péd­a­gogique et poli­tique. Nous avons en face de nous une fil­ière impor­tante : en Europe, il existe 20 con­struc­teurs sig­ni­fi­cat­ifs d’électrolyseurs. Nous représen­tons une autre fil­ière, la ther­mol­yse, où nous sommes qua­si­ment seuls. Il faut que la puis­sance publique nous con­naisse, et com­prenne que nous avons la pos­si­bil­ité de con­tribuer de manière mas­sive, immé­di­ate et effi­cace aux objec­tifs de décar­bon­a­tion et d’indépendance énergé­tique, sans com­pro­met­tre la com­péti­tiv­ité des énergies.

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