Cantine

Encore des épinards : Réduire de 50 % les pertes et gaspillages de la restauration collective

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°754 Avril 2020
Par Alexandra MANNAÏ (2003)

Lancé en 2018, le groupe X‑Food est un think tank qui veut éclair­er les con­tro­ver­s­es des sujets de l’alimentation et pro­mou­voir les inno­va­tions auprès des décideurs et cer­cles d’influence.

Il est 13 h 45 – le comité de direc­tion men­su­el vient de finir. Anne et Adrien filent sans tarder vers le self qui ferme ses portes dans trente min­utes. Le chef les accueille en souri­ant : il lui reste encore pas mal de choix pour ses con­vives ! En entrée, ver­rine, salade, cru­dités, soupe et tous les stands chauds sont ouverts. Idem pour les desserts – Anne se laisse ten­ter par un tiramisu à la fraise et Adrien craque pour le brown­ie. En par­tant, Anne ne peut s’empêcher de regret­ter la demi-part d’épinards un peu trop aque­ux qu’elle laisse dans l’assiette…

Moyenne des ingré­di­ents gaspillés par con­vive au col­lège — source : Ademe

Presque 500 000 tonnes gaspillées par an en France

Der­rière les portes du self désor­mais fer­mées, en cui­sine et à la laver­ie, on s’affaire pour ter­min­er le ser­vice. Mal­gré l’optimisation des proces­sus opéra­tionnels et la for­ma­tion des équipes, les déchets sur les plateaux sont là. En France, 3,8 mil­liards de repas sont servis chaque année par la restau­ra­tion col­lec­tive, et en moyenne, on gaspille 130 g par con­vive (soit 4 fois plus que chez soi !).

Et même si les accom­pa­g­ne­ments représen­tent la majeure par­tie du vol­ume, ce sont les déchets de pro­téines ani­males qui pèsent le plus – à la fois sur le bilan économique du restau­rant que sur celui des émis­sions de gaz à effet de serre pour la planète.

Déployer une réglementation alignée avec les enjeux économiques

En 2015, la loi Tran­si­tion énergé­tique pour la crois­sance verte oblige les acteurs de la restau­ra­tion col­lec­tive publique à met­tre en place des démarch­es de lutte con­tre le gaspillage. Rapi­de­ment, leurs homo­logues du privé leur emboî­tent le pas, con­scients des bien­faits à la fois socié­taux, envi­ron­nemen­taux et égale­ment économiques.

Lorsque parais­sent la loi Egal­im (2018) et le pro­jet de loi Lutte con­tre le gaspillage et économie cir­cu­laire (2020) fix­ant l’objectif de réduc­tion de — 50 % vs 2013 à 2025 pour la restau­ra­tion col­lec­tive, les majors du secteur ont déjà lancé des plans d’action et affichent claire­ment leur engagement.

Les pro­grammes de lutte con­tre le gaspillage visent en pre­mier lieu les pertes logis­tiques et opéra­tionnelles, con­statées dans les stocks et les cuisines. Par­mi les actions, on retrou­ve : cook-to-order pour éviter la sur­pro­duc­tion dans les stands, lean man­u­fac­tur­ing dans les cuisines pour sup­primer les déchets inter­mé­di­aires, pro­duire au plus juste et anticiper en temps réel les besoins et coûts de réap­pro­vi­sion­nement. Il faut égale­ment for­mer les équipes à suiv­re des modes opéra­toires opti­misés et mesur­er la per­for­mance au tra­vers d’outils tels qu’Easylis. « Le but est de plan­i­fi­er le plus en amont pos­si­ble. Les out­ils per­me­t­tent de véri­fi­er qu’on est aus­si en con­for­mité avec les préreq­uis et les exi­gences règle­men­taires, avant même de pass­er les com­man­des de matières pre­mières » explique Emmanuel Gre­laud, PDG d’Ideolys, mai­son mère d’Easilys.

Chez Sodexo, on utilise égale­ment ces out­ils pour créer une ému­la­tion col­lec­tive autour de défis zéro déchets en cui­sine. Pour Neil Bar­rett, ancien directeur RSE de Sodexo : « L’objectif est d’assurer la péren­nité des ini­tia­tives et de motiv­er les équipes de façon continue. »

Répar­ti­tion des pertes et gaspillages en poids en France — source : Ademe

Encourager la prise de conscience individuelle

En dehors des cuisines, le défi des restau­ra­teurs est d’aiguiller le duo client / con­vive vers des pra­tiques plus vertueuses tout en con­ser­vant la con­vivi­al­ité du repas. Les enjeux envi­ron­nemen­taux sont de plus en plus com­pris par les con­vives et par les entre­pris­es, qui impliquent leurs respon­s­ables RSE dans l’élaboration des con­trats de restau­ra­tion (indi­ca­teurs RSE pré­cis, oblig­a­tion de méthani­sa­tion, etc.). La sen­si­bil­i­sa­tion devient vis­i­ble dans les espaces de restau­ra­tion avec les pan­neaux ou écrans affichant les vol­umes de déchets et leur éventuelle bio­val­ori­sa­tion. L’utilisation de don­nées trans­par­entes incite par ailleurs le con­vive à for­muler des requêtes auprès des respon­s­ables de l’entreprise.

Le con­vive peut être aigu­il­lé dans sa con­som­ma­tion en val­orisant sub­tile­ment telle ou telle offre ali­men­taire, par sa posi­tion dans le self ou sur le buf­fet, par la taille du con­tenant ou sa présen­ta­tion. Enfin, en for­mant les opéra­teurs pour servir au plus juste selon les besoins du con­vive – ni trop ni trop peu ! Utilis­er l’intelligence humaine pour adapter les pré­con­i­sa­tions de gram­mage du GEMRCN (Groupe­ment d’étude des marchés en restau­ra­tion col­lec­tive et de nutri­tion) – un guide qui a pris une dimen­sion qua­si légale : un petit écol­i­er n’a pas le même appétit qu’un mil­i­taire ni qu’un patient hos­pi­tal­isé. « Il faut remet­tre du bon sens, diver­si­fi­er les menus mais de façon raison­née, sur des vol­umes plus mod­érés. L’idéal est de por­tion­ner à loisir, d’être le plus proche du sur-mesure » sou­tient Vin­cent Bras­sart, prési­dent de l’association la Tablée des Chefs.


Gaspillages et GES

Si les Pertes & Gaspillages étaient un pays, ce serait le 3e plus gros émet­teur de GES après la Chine et les États-Unis.

Un Français jette en moyenne l’équivalent d’un repas par semaine.


Essaimer les initiatives au sein du territoire

Pour­tant à l’échelle mon­di­ale, la France n’a pas à rou­gir : l’obligation légale de report­ing annuel des gaspillages est une avancée majeure, et nous dis­posons d’un sys­tème de traite­ment des déchets rel­a­tive­ment sophis­tiqué. L’essentiel de l’effort doit donc se con­cen­tr­er sur la dif­fu­sion des bonnes pra­tiques entre pro­fes­sion­nels de la restau­ra­tion et la mise à dis­po­si­tion d’outils per­ti­nents pour assur­er le suivi de déchets.

L’Ademe met ain­si à dis­po­si­tion la plate­forme Optigede : con­sol­i­da­tion des ini­tia­tives, créa­tion d’une boîte à out­ils péd­a­gogiques pour favoris­er l’expérimentation quel que soit l’établissement. La cible ? Les sociétés de petite taille, notam­ment celles en auto­ges­tion, aux process peu indus­tri­al­isés. Vin­cent Bras­sart en est con­va­in­cu : « Les opéra­teurs se doivent d’être la caisse de réso­nance des bonnes pra­tiques. Il faut qu’ils aient ça en eux, dans leur ADN : récupéra­tion, redistribution. »

(Ré)éduquer pour apprécier et valoriser notre alimentation

Nos trois inter­venants sont unanimes : le gaspillage prend sa source dans la déval­ori­sa­tion de l’alimentation, des pro­duits tout d’abord, mais égale­ment des efforts, du tra­vail, de l’attention et de l’amour mis à pré­par­er un repas. L’alimentation est dev­enue une com­mod­ité, surtout en dehors de nos fron­tières. « Lorsque je suis ren­tré en Aus­tralie, je me suis retrou­vé plusieurs fois seul à la table, alors que tout le monde s’était déjà levé ! » s’exclame Neil Barrett.

Même en France, la dimen­sion économique règne : moins de 4,50 € pour un for­fait jour­nalier dans un Ehpad, à peine plus pour le con­vive d’un restau­rant d’entreprise… Se nour­rir n’a jamais été plus abor­d­able qu’aujourd’hui. Ni plus stan­dard­isé, et sans saveur. Réduire les coûts liés aux pertes et gaspillages pour aug­menter la qual­ité de ce qui est servi. Pour Emmanuel Gre­laud, « les out­ils per­me­t­tent aux restau­ra­teurs de mieux pilot­er le bud­get et donc don­nent de la marge de manœu­vre – pour innover, pour aller chercher des pro­duits frais » et séduire de nou­veau les papilles endormies des convives.

Remet­tre le pro­duit au milieu de l’assiette, con­tr­er la perte du savoir culi­naire, met­tre en valeur sa richesse cul­turelle et locale. Édu­quer voire réé­du­quer les petits et les grands afin qu’ils puis­sent se réap­pro­prier leur ali­men­ta­tion et la valeur d’une expéri­ence sen­sorielle et sociale.

Et finir son assiette.


Nos remer­ciements vont aux inter­venants de la table ronde X‑Food du 27 jan­vi­er 2020 Neil Bar­rett, Emmanuel Gre­laud et Vin­cent Brassart.

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