Antoine Dusséaux a fondé avec deux associés Doctrine

Doctrine : faire que la transparence du droit ne soit plus un vain mot

Dossier : TrajectoiresMagazine N°760 Décembre 2020
Par Hervé KABLA (84)

En 2016 Antoine Dusséaux (2012) a fondé avec deux asso­ciés Doc­trine, qui est une plate­forme d’information juridique capa­ble d’identifier les sources et infor­ma­tions les plus per­ti­nentes par rap­port aux besoins d’un pro­fes­sion­nel du droit. Elle con­tribue à plac­er la France par­mi les futurs lead­ers de la legal­tech. Au-delà de sa réus­site entre­pre­neuri­ale, elle vise à l’ouverture et la trans­parence du droit, qui béné­ficieront à tous, pro­fes­sion­nels du droit comme justiciables.

Que permet Doctrine ? 

Doc­trine cen­tralise toute l’information juridique disponible (textes de loi, décrets, déci­sions de jus­tice, com­men­taires académiques…) et la rend facile­ment acces­si­ble et per­ti­nente. Près de 4 000 pro­fes­sion­nels du droit utilisent Doc­trine au quo­ti­di­en pour men­er leur mis­sion à bien plus rapi­de­ment et à moin­dre coût. Acteur de la legal­tech française, Doc­trine a levé 12 mil­lions d’euros depuis sa créa­tion en 2016, emploie 80 per­son­nes et prévoit de dévelop­per ses activ­ités à l’international afin d’œuvrer davan­tage à la trans­parence de la jus­tice, socle de la démocratie.

Comment t’est venue l’idée ?

En dis­cu­tant avec des avo­cats, il nous est apparu évi­dent que l’adage « nul n’est cen­sé ignor­er la loi » était très dif­fi­cile à respecter, en rai­son de l’inflation nor­ma­tive et parce que cer­taines infor­ma­tions juridiques n’étaient pas acces­si­bles. J’ai apporté mon regard d’ingénieur et me suis demandé com­ment les tech­nolo­gies pou­vaient con­tribuer à réduire ce gap infor­ma­tion­nel. Les avo­cats ont un besoin très fort d’informations fiables et à jour pour con­seiller et défendre leurs clients. Il y avait une occa­sion de leur pro­pos­er de nou­veaux out­ils et dans le même temps de pour­suiv­re un objec­tif qui me tient à cœur, celui de l’accès à la justice.

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Nico­las Bus­ta­mante est juriste, passé par l’École nor­male supérieure. Raphaël Cham­pei­mont est math­é­mati­cien et a eu son doc­tor­at à l’université Pierre-et-Marie-Curie. Quant à moi, je suis de la pro­mo­tion 2012 et suis passé par le mas­ter Inno­va­tion tech­nologique & Entre­pre­neuri­at dirigé par Bruno Martinaud.

Qui sont les concurrents ? 

Doc­trine est la pre­mière plate­forme d’information juridique, au croise­ment de l’édition juridique tra­di­tion­nelle, dont les acteurs exis­tent depuis des décen­nies, et des nou­veaux acteurs du secteur de la legal­tech. Notre offre est fon­da­men­tale­ment dif­férente. Nous sommes capa­bles d’identifier les sources et infor­ma­tions les plus per­ti­nentes par rap­port aux besoins d’un pro­fes­sion­nel du droit.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

La nais­sance de Doc­trine est liée à l’adoption de la loi pour une République numérique en 2016, qui con­sacre l’open data des déci­sions de jus­tice. L’année 2018 a été une année charnière pour Doc­trine, avec une deux­ième lev­ée de fonds de 10 mil­lions d’euros et l’installation dans des locaux plus grands pour accueil­lir une équipe en pleine crois­sance. Enfin, l’année 2020 représente une étape clé, non seule­ment parce qu’on a lancé un nou­veau pro­duit unique en Europe, mais aus­si car la crise san­i­taire que nous vivons actuelle­ment mon­tre plus que jamais le besoin d’informations juridiques et de mod­erni­sa­tion de notre sys­tème de jus­tice pour assur­er la con­ti­nu­ité de l’accès au droit.

La legaltech est en plein essor depuis deux-trois ans. Pourquoi ? 

C’est le résul­tat d’une com­bi­nai­son entre un besoin accru en droit, comme évo­qué précédem­ment, et de l’essor de tech­nolo­gies nou­velles per­me­t­tant de répon­dre à ce besoin de manière beau­coup plus effi­cace, notam­ment le Nat­ur­al Lan­guage Pro­cess­ing. Le droit a pris un peu de retard dans sa trans­for­ma­tion numérique, com­paré à d’autres secteurs, et l’on a vu émerg­er de nom­breuses start-up de la legal­tech ces dernières années, qui répon­dent à une mul­ti­tude de besoins des entre­pris­es, des citoyens et des pro­fes­sion­nels du droit.

Les entre­pris­es utilisent Doc­trine pour trou­ver la bonne réponse à leurs prob­lèmes juridiques. Notre moteur leur per­met de chercher par­mi des mil­lions des déci­sions, lois, décrets et arti­cles. Elles peu­vent aus­si télécharg­er des doc­u­ments juridiques pour les analyser et les stock­er dans leur dossier en ligne. Nos clients s’abonnent en général après avoir essayé le pro­duit quelques jours gra­tu­ite­ment. Ensuite, nos équipes organ­isent des for­ma­tions en interne pour que chaque entre­prise utilise Doc­trine au mieux par rap­port à ses besoins.

Comment réagissent les acteurs historiques face à des acteurs comme Doctrine ? 

En l’espace de qua­tre ans, 4 000 pro­fes­sion­nels du droit nous ont fait con­fi­ance. On n’entre pas sur un marché oli­gop­o­lis­tique, vieux de plus de 150 ans, sans faire un peu de vagues. L’arrivée de Doc­trine a généré cer­taines ten­sions avec les acteurs his­toriques, mais ces ten­sions vien­nent avant tout d’une mécom­préhen­sion de notre mod­èle et de notre activ­ité. Pour nous la con­cur­rence est syn­onyme de pro­grès. Elle est le prin­ci­pal moteur de l’innovation, d’un ser­vice client de meilleure qual­ité et de prix plus abor­d­ables pour les util­isa­teurs. Nous offrons un ser­vice dif­férent, fondé sur une tech­nolo­gie de pointe. 

De manière générale, nous sommes con­va­in­cus qu’il y a de la place pour de nom­breux acteurs sur ce secteur, compte tenu des besoins. En out­re, nous pour­suiv­ons le même objec­tif : l’ouverture et la trans­parence du droit, qui béné­ficieront à tous, pro­fes­sion­nels du droit comme jus­ti­cia­bles. La col­lab­o­ra­tion de tous les acteurs exis­tants con­stitue le meilleur moyen d’atteindre cet idéal : édi­teurs juridiques, mais aus­si pro­fes­sion­nels du droit et juridictions. 

L’open data ne risque-t-il pas de favoriser Google à terme ? 

On men­tionne tou­jours Google comme un épou­van­tail, mais en réal­ité le secteur de l’édition juridique actuel est déjà un oli­go­p­o­le, com­posé de géants, notam­ment améri­cains, qui sont présents depuis des dizaines d’années. On peut faire un par­al­lèle avec la crois­sance rapi­de de Doc­trine qui est liée à un besoin de cen­tral­i­sa­tion et de hiérar­chi­sa­tion de l’information juridique auquel nous répon­dons. La pos­si­bil­ité qu’un acteur améri­cain, ou encore asi­a­tique, débar­que sur le marché français de la legal­tech est réelle, mais ce n’est pas une rai­son jus­ti­fi­ant que l’on renonce aux bien­faits de l’open data.

Au con­traire, c’est le retard pris par la France dans le développe­ment de ce secteur qui fait crain­dre que l’on soit dépassé. Le meilleur moyen d’y faire face est juste­ment de pari­er sur nos tal­ents locaux et d’ouvrir large­ment l’accès aux don­nées afin que notre French Legal­Tech mon­tre tout ce dont elle est capa­ble. L’alliance d’une tra­di­tion juridique très forte et de l’excellence math­é­ma­tique place la France par­mi les futurs lead­ers de la legal­tech, si elle sait se saisir de l’occasion.

La justice prédictive, une réalité souhaitable selon toi ? 

La jus­tice pré­dic­tive, c’est-à-dire prédire un com­porte­ment futur sur le fonde­ment d’une infor­ma­tion passée, est selon nous ni fais­able, car pour que cela fonc­tionne il faudrait avoir accès à 100 % de l’information exis­tante, ni applic­a­ble au monde du droit, qui repose sur l’analyse et l’intelligence humaine pour pren­dre des déci­sions. Le rôle de la tech­nolo­gie est d’offrir des clés de lec­ture et d’analyse qui per­me­t­tent au pro­fes­sion­nel du droit de pren­dre des déci­sions plus éclairées.

Tu es passé par le master Innovation technologique & Entrepreneuriat de Bruno Martinaud. Qu’en as-tu retiré ? 

Ce mas­ter offre une expéri­ence unique pour décou­vrir l’entrepreneuriat. On est con­stam­ment men­toré par des créa­teurs de start-up qui vous inci­tent à créer une boîte. L’émulation entre les élèves du mas­ter nous pousse à nous sur­pass­er et donne encore plus envie de se lancer. Le mas­ter com­porte aus­si un semes­tre à Berke­ley : une superbe occa­sion pour décou­vrir la Sil­i­con Val­ley. C’est là que j’ai appris que tout était pos­si­ble avec de la volon­té. Et surtout c’est à Berke­ley, dans le cadre du mas­ter, que j’ai ren­con­tré mon asso­cié Nico­las avant de créer Doctrine ! 

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