Le jeu sérieux est un outil pour acculturer l’entreprise à l’intelligence artificielle

Acculturer l’entreprise à l’intelligence artificielle : l’efficacité du jeu sérieux

Dossier : Intelligence artificielleMagazine N°781 Janvier 2023
Par Frédéric ORU (X91)

Les seri­ous games, ou jeux sérieux, ne sont pas que ludiques, comme leur nom l’indique, ils trou­vent une appli­ca­tion très effi­cace dans l’acculturation à l’intelligence arti­fi­cielle non seule­ment des cadres mais aus­si des comités de direc­tion au sein des entreprises.

La plu­part des entre­pris­es ont aujourd’hui pris con­science de l’avantage com­péti­tif décisif qu’elles peu­vent tir­er de l’exploitation de leurs don­nées par des algo­rithmes d’intelligence arti­fi­cielle. Elles se sont dotées d’infrastructures tech­niques et de com­pé­tences pointues en sci­ences de la don­née, et pour­tant très peu d’entreprises arrivent aujourd’hui à en tir­er par­ti : seule­ment 12 % selon une étude récente d’Accenture. Pourquoi ? Le frein le plus impor­tant est cul­turel : les métiers ont ten­dance à con­sid­ér­er que l’IA est un sujet tech­nique qui n’est pas de leur ressort. Or c’est juste­ment le manque d’implication des métiers dans les pro­jets d’IA, qui est la cause majeure de leur échec. Il s’agit d’acculturer l’ensemble des col­lab­o­ra­teurs de l’entreprise à l’univers de la don­née et de l’intelligence arti­fi­cielle. Mais comment ?


Lire aus­si : Définir le cadre nor­matif d’une IA de con­fi­ance dans les entreprises


L’intelligence artificielle nécessite un mode d’acculturation différent

L’intelligence arti­fi­cielle est un sujet par­ti­c­ulière­ment vaste et com­plexe, au croise­ment des cul­tures sci­en­tifique, tech­nologique, économique, soci­ologique et philosophique. C’est une dis­ci­pline en évo­lu­tion per­ma­nente qui com­mence à peine à être enseignée dans les étab­lisse­ments d’enseignement supérieur, qui requiert plusieurs années d’études ou d’expérience pour être maîtrisée, et les meilleurs experts ne maîtrisent cha­cun qu’une facette de l’IA. Dans le même temps, l’intelligence arti­fi­cielle est extrême­ment médi­atisée et présen­tée sous un jour tan­tôt mirac­uleux, tan­tôt anx­iogène. Les romans et films de sci­ence-fic­tion, les médias télévisés ou sur inter­net et le mar­ket­ing quelque­fois exagéré de cer­taines entre­pris­es ont imprimé dans l’esprit de la plu­part des per­son­nes de l’entreprise des con­tre-vérités et des a pri­ori qui peu­vent créer de la défi­ance ou au con­traire un opti­misme démesuré.

“Créer la confiance et diffuser le juste niveau de connaissances en IA.”

L’enjeu de l’acculturation à l’IA est donc d’abord de décon­stru­ire les idées reçues, de fournir un socle de con­nais­sances acces­si­ble à tous et de créer les con­di­tions pour que les col­lab­o­ra­teurs de l’entreprise parta­gent et con­stru­isent une cul­ture com­mune. Les méth­odes d’acculturation clas­siques man­quent d’efficacité pour relever ce défi. Les con­férences d’experts sont trop descen­dantes et peu­vent ren­forcer le sen­ti­ment de défi­ance. Elles sont aus­si trop cour­tes pour don­ner au pub­lic un socle de con­nais­sances réelle­ment utile. Les for­ma­tions plus longues, sur un ou plusieurs jours, per­me­t­traient de lever ces bar­rières, mais elles ne peu­vent pas être dis­pen­sées à l’ensemble des col­lab­o­ra­teurs dans des délais et des bud­gets raisonnables. Com­ment, sur de cour­tes séquences de temps, créer la con­fi­ance et dif­fuser le juste niveau de con­nais­sances en IA à des col­lab­o­ra­teurs qui ont des cul­tures per­son­nelles très diverses ? 

On pren­dra trois exem­ples de jeux sérieux qui sont très utiles pour l’acculturation à l’IA.


Le jeu sérieux : un outil d’acculturation à l’efficacité prouvée

La voca­tion d’un jeu sérieux est de ren­dre attrayante la dimen­sion sérieuse d’un appren­tis­sage par une activ­ité ludique… Dans la forme, ce peut être un jeu de cartes, un jeu de société, un jeu vidéo ou toute autre activ­ité ludique. Sur le fond, il s’agit d’atteindre un objec­tif péd­a­gogique bien pré­cis, comme acquérir une com­pé­tence ou per­me­t­tre l’échange de con­nais­sances. Philippe Lacroix, expert de la for­ma­tion mul­ti­mé­dia, cofon­da­teur et directeur asso­cié du cab­i­net de con­seil IL&DI, nous explique les raisons du suc­cès de cette méthode d’acculturation : « Les jeux sérieux per­me­t­tent de plac­er la com­préhen­sion d’un sujet dans un univers où les freins à son appro­pri­a­tion sont plus faibles que dans la réal­ité. Il n’y a pas d’enjeu de réus­site immé­di­ate, le droit à l’erreur est assuré par le principe même du jeu. Il y a moins d’objections dans le con­texte imag­i­naire du jeu, par rap­port à une approche frontale du sujet et ses impacts dans l’entreprise. Utilis­er un jeu sérieux per­met donc de con­tourn­er les réti­cences et de lever les a pri­ori négat­ifs s’ils exis­tent, pour laiss­er la place à l’échange de con­nais­sances. Cela en fait un out­il très adap­té au sujet de l’intelligence artificielle. » 

Atten­tion toute­fois à ne pas trans­former la for­ma­tion en jeu. Bien sûr, l’expérience ludique lève chez l’apprenant la réti­cence à inve­stir du temps de for­ma­tion sur un sujet dif­fi­cile, mais il ne faut pas « se pren­dre au jeu ». Il est facile d’être séduit par la con­cep­tion d’un « vrai » jeu avec des règles, des objets, des per­son­nages, des univers… qui détourne à la fois le con­cep­teur de sa mis­sion péd­a­gogique et l’apprenant de ses objec­tifs d’apprentissage. Le but d’un jeu sérieux est bien de for­mer, pas de jouer. C’est une crainte légitime qui retient sou­vent les organ­i­sa­tions d’opter pour cette modal­ité d’acculturation. Philippe Lacroix pré­cise : « Le mot jeu peut être repous­soir, voire ban­ni par cer­taines per­son­nes qui s’interdisent d’associer la for­ma­tion à une activ­ité con­sid­érée comme futile. Accol­er sérieux au mot jeu n’est sou­vent pas suff­isant pour faire sauter le ver­rou. Je pré­conise générale­ment de qual­i­fi­er l’activité de défi ou d’expéri­ence. »

Quel que soit le nom qu’on lui donne, les réti­cences sont encore plus fortes à utilis­er cette modal­ité avec un comité de direc­tion, plus habitué à des présen­ta­tions mil­limétrées d’étude de marché et de posi­tion­nement con­cur­ren­tiel. Les dirigeants ont pour­tant tout autant besoin de décon­stru­ire leurs a pri­ori et de con­stru­ire une com­préhen­sion com­mune des enjeux de l’intelligence arti­fi­cielle, pour embar­quer toute l’entreprise dans cette voie.


datacraft et son escape game

Le con­cept d’escape game s’est dévelop­pé en France depuis les années 2010. Il con­siste la plu­part du temps à ten­ter de s’échapper d’une pièce en un temps lim­ité et se pra­tique par groupe de deux à six par­tic­i­pants. Les joueurs doivent chercher des indices dis­séminés dans une ou plusieurs pièces, puis les com­bin­er pour avancer vers la sor­tie. dat­acraft a dévelop­pé un escape game numérique pour sen­si­bilis­er les équipes aux enjeux d’un pro­jet d’intelligence arti­fi­cielle, au tra­vers d’une aven­ture immer­sive et orig­i­nale. Il se pra­tique env­i­ron en une heure, par équipes de un à six joueurs et peut accepter jusqu’à mille joueurs en par­al­lèle. Les énigmes à résoudre illus­trent les fac­teurs de suc­cès d’un pro­jet d’intelligence arti­fi­cielle : claire­ment iden­ti­fi­er les besoins métiers, pro­duire des don­nées pro­pres, utiles et com­pris­es dans leur con­texte, etc. À la fin de la par­tie, un debrief vidéo per­met de don­ner aux col­lab­o­ra­teurs les mes­sages clés à retenir. L’objectif du jeu est de per­me­t­tre à cha­cun, sans min­i­mum de com­pé­tences req­uis, de com­pren­dre les enjeux liés aux pro­jets de don­nées, de don­ner envie de con­tribuer à ces pro­jets, de com­pren­dre le rôle que cha­cun peut avoir dans ceux-là, que ce soit en exp­ri­mant au mieux ses enjeux métiers ou en con­tribuant à une col­lecte de qual­ité des données.

Escape game de datacraft.
Escape game de dat­acraft. © dat­acraft 2022

Le Jeu de l’IA®, un atelier ludique et collaboratif

Le Jeu de l’IA est un ate­lier qui pro­pose de décou­vrir les fon­da­men­taux de l’intelligence arti­fi­cielle et de réfléchir col­lec­tive­ment à son usage dans l’entreprise. Par équipes de qua­tre à six per­son­nes, les par­tic­i­pants décou­vrent une trentaine de cartes trai­tant cha­cune d’un con­cept impor­tant d’intelligence arti­fi­cielle et les organ­isent pro­gres­sive­ment pour con­stru­ire un arbre des con­nais­sances. À inter­valles réguliers, le facil­i­ta­teur inter­vient pour répon­dre aux ques­tions, don­ner des exem­ples con­crets et pra­tiques en entre­prise, et ani­mer le débat entre les par­tic­i­pants. À l’issue de cette phase d’appropriation des con­nais­sances théoriques, les par­tic­i­pants tra­vail­lent sur un cas d’usage réel et doivent expli­quer com­ment le pro­jet a pu être mené (quel type d’IA ? quelles don­nées ? quels impacts ?…). Enfin, dans une dernière phase de l’atelier, les par­tic­i­pants imag­i­nent ensem­ble des cas d’application de l’IA dans leur méti­er et repar­tent cha­cun avec une idée de pro­jet con­cret for­mal­isée. À l’issue de l’atelier, les par­tic­i­pants ont assim­ilé les con­cepts fon­da­men­taux et les enjeux de l’IA pour l’entreprise, ils sont capa­bles d’identifier des cas d’application dans leur quo­ti­di­en opéra­tionnel et ils sont prêts à s’impliquer dans un pro­jet IA avec des équipes tech­niques. L’atelier dure un peu moins de qua­tre heures et existe en présen­tiel ou en dis­tan­ciel, et tous les con­tenus sont mis à dis­po­si­tion gra­tu­ite­ment sous licence Cre­ative Com­mons pour être déployés de façon autonome en entreprise.

Jeu de l’IA
Jeu de l’IA (ver­sion en ligne). © AI4Better 2022

Le Diagnostic Flash IA de confiance de Quantmetry

L’intelligence arti­fi­cielle présente des risques de dif­férentes natures qui sont autant de freins à son développe­ment : biais dis­crim­i­na­toires, piratage des mod­èles ou encore pol­lu­tion numérique. Le régu­la­teur européen a annon­cé le 21 avril 2021 une propo­si­tion de loi que toutes les entre­pris­es doivent se pré­par­er à respecter. C’est dans ce con­texte que Quant­metry pro­pose un diag­nos­tic d’IA de con­fi­ance, per­me­t­tant d’identifier les tâch­es à accom­plir pour ren­dre un pro­jet fiable au regard de la future loi et de la charte de l’entreprise. Pour éviter de repro­duire l’expérience peu réjouis­sante des audits ISO, Quant­metry a habile­ment trans­laté l’exercice des ques­tions-répons­es dans un ensem­ble de cartes à jouer. Pour iden­ti­fi­er le type de don­nées util­isées sur le pro­jet, l’animateur présente qua­tre cartes – don­nées tab­u­laires, séries tem­porelles, textes ou images – et les par­tic­i­pants choi­sis­sent celles qui cor­re­spon­dent à leur pro­jet. L’animateur pour­suit avec des ques­tions sur le proces­sus d’entreprise con­cerné, la tâche à effectuer par l’IA et les risques pour l’entreprise. En l’espace de quelques min­utes, le cadre du pro­jet a été établi dans une ambiance ludique. L’animateur passe ensuite en revue les dif­férentes dimen­sions de la con­fi­ance : qual­ité des don­nées, con­trôle des dérives, équité et intel­li­gi­bil­ité du mod­èle, fru­gal­ité de l’algorithme, etc. Sur huit thèmes déclinés sur au moins trois cartes cha­cun, les par­tic­i­pants réfléchissent sur des prob­lé­ma­tiques de con­fi­ance dont ils n’avaient pas for­cé­ment con­science. À l’issue de la réu­nion, le diag­nos­tic s’affiche sous une forme très visuelle avec la déf­i­ni­tion du pro­jet, ce qui a été fait en ter­mes d’IA con­fi­ance et ce qu’il reste à faire, par ordre de priorité.

Quantmetry propose un diagnostic d’IA de confiance dans lequel des cartes à jouer permettent d’identifier le type de données utilisées sur le projet.
Quant­metry pro­pose un diag­nos­tic d’IA de con­fi­ance dans lequel des cartes à jouer per­me­t­tent d’identifier le type de don­nées util­isées sur le pro­jet. © Samy Djazoubi

Impliquer aussi les comités de direction ! 

Les trois exem­ples ci-dessus illus­trent la diver­sité des approches que per­met le jeu : dat­acraft four­nit une expéri­ence ludique extrême­ment élaborée, qui per­met de touch­er un large pub­lic ; le Jeu de l’IA pro­pose une expéri­ence col­lab­o­ra­tive qui crée une cul­ture com­mune et qui porte vers l’action ; le Diag­nos­tic Flash de Quant­metry utilise le jeu pour faciliter les échanges sur un sujet com­plexe et à fort enjeu. Le jeu rend le sujet de l’intelligence arti­fi­cielle plus facile à com­pren­dre, à dis­cuter et à envis­ager dans l’entreprise, sans pour autant sac­ri­fi­er le con­tenu : il per­met de dif­fuser, à tous les niveaux de l’entreprise, le juste niveau de « cul­ture de la don­née » néces­saire au suc­cès de vos pro­jets d’intelligence arti­fi­cielle. Ne craignez pas d’utiliser cette modal­ité d’acculturation au plus haut niveau : les comités de direc­tion ont eux aus­si besoin de con­stru­ire une com­préhen­sion com­mune des enjeux de l’intelligence arti­fi­cielle, pour mieux embar­quer toute l’entreprise dans cette voie. 


Références :

2 Commentaires

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Gomezrépondre
18 août 2023 à 10 h 13 min

Très intéres­sant

Albertrépondre
23 août 2023 à 10 h 09 min
– En réponse à: Gomez

Je sup­pose que pour soutenir tout cela, il est néces­saire d’évoluer nos infra­struc­tures tech­niques. Les ordi­na­teurs risquent de ren­con­tr­er des dif­fi­cultés à suiv­re, et la loi de Moore atteint peu à peu ses limites.

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