Chinon, le vin de Rabelais
Lecteurs de Gargantua ou non, personne n’ignore que Chinon est le pays de Rabelais. En digne fils de cette région, le médecin devenu homme de lettres s’est fait l’apôtre du “ gai savoir ”. Il a signé une phrase célèbre qui pourrait aujourd’hui servir de slogan à tous ceux qui prônent une consommation éclairée : “ Jamais homme noble ne haït le bon vin. ” À Chinon, de lointains adeptes de cet humanisme épicurien continuent de perpétuer la mémoire du grand homme au sein d’une confrérie au nom truculent : les Entonneurs rabelaisiens. Constituée en 1961, la confrérie se réunit autour du Grand Ménestrel pour célébrer une sorte de grand-messe dite à François Rabelais. Parmi les chevaliers adoubés (plus de 30 000) on rencontre des noms célèbres comme Jules Romains, Michel Galabru, Line Renaud ou Philippe Bouvard.
La Rabelaisie viticole, c’est-à-dire l’aire d’appellation “Chinon”, s’étend sur près de 2000 hectares de part et d’autre de la Vienne, un confluent de la Loire. Les formations géologiques sont variées. Tantôt la vigne pousse sur des coteaux et des buttes calcaires, tantôt sur des buttes et plateaux d’argile à silex et même sur d’anciennes terrasses graveleuses.
Le Chinon est un vignoble quasi monocépage. Si les règles de l’appellation autorisent une faible proportion de cabernet sauvignon, c’est tout de même le cabernet franc, surnommé “breton ” dans la région, qui domine. Il donne des vins rouges délicats, promis à un vieillissement pouvant aller jusqu’à une dizaine d’années. Quelques rosés issus de “ saignées ” (écoulage des cuves après une courte période de macération) sont à consommer sur le fruit. Il existe aussi des chinons blancs, à base de chenin, aux arômes floraux teintés de minéralité.
Les terroirs de l’appellation Chinon sont très variés, et seules les vignes les mieux exposées produisent régulièrement de grands vins dans cette appellation, proche de la limite septentrionale de production du cabernet franc. Il faut donc choisir avec soin le producteur pour avoir accès au meilleur de l’appellation. On peut alors trouver à un tarif très raisonnable des grandes bouteilles qui vieilliront merveilleusement, comme beaucoup des vins produits par Philippe Alliet, une des stars de l’appellation.
Cet excellent connaisseur de grands bordeaux qu’est Philippe Alliet a vite compris que la notion de maturité est capitale pour produire un bon chinon. Il faut limiter les rendements et vendanger le plus tard possible afin d’éviter ces goûts herbacés caractéristiques des vins de cabernet franc dont les raisins ont été ramassés trop tôt.
Autre bon producteur, Bernard Baudry se trouve à la tête d’un des autres domaines phares de l’appellation. Là encore, faibles rendements et maturité sont la clé du succès. Son grand vin est la cuvée La Croix Boissée, un vin complexe et fin, qui demande quelques années de vieillissement. En l’attendant vous pouvez déguster son chinon générique, fruité et tendre. À signaler : un délicieux chinon blanc.
Signalons aussi Charles Joguet, qui a commencé par suivre les cours de l’École des beaux-arts à Paris avant de faire du chinon. C’est bien la preuve qu’une formation artistique bien maîtrisée mène à tout, car il fait d’excellents chinons, des vins soyeux et concentrés, très parfumés et extrêmement savoureux.
On trouve de bons vins aussi chez Couly-Dutheil, un des meilleurs producteurs et négociants de Chinon. La maison règne sur un vignoble de 85 hectares situé sur des terroirs différents, ce qui favorise de bons assemblages.
Les caves sont parmi les mieux équipées et les plus modernes de l’appellation, mais la tradition est scrupuleusement respectée au niveau de la conduite de la vigne, des vendanges manuelles et de l’élevage sous bois. Les deux fleurons de Couly-Dutheil sont le Clos de l’Écho et le Clos de l’Olive. Le Clos de l’Écho tire son nom d’une curiosité sonore, un “ écho admirable, réfléchi par les murailles et les tours du château, et qui répète très distinctement jusqu’à neuf syllabes ”, comme le précisait au siècle dernier l’abbé Chevalier dans ses Promenades pittoresques en Touraine. Avant d’appartenir aux Couly-Dutheil, le Clos de l’Écho a notamment appartenu à la famille de Rabelais. C’est un beau vignoble de dix-huit hectares situé face aux murailles du château de Chinon sur un versant orienté plein sud. Pour tirer la quintessence de ce terroir (dont les vignes ont un âge moyen de trente-cinq ans), la vendange est manuelle et entièrement éraflée, le rendement limité à 45 hl/ha et la vinification très soignée.