Un jeune polytechnicien dans la haute technologie israélienne

Dossier : IsraëlMagazine N°537 Septembre 1998
Par Frédéric FURCAJG (85)

Je suis arrivé en Israël en 1992, à l’âge de 27 ans, après avoir ter­miné l’X en 1988, un mas­tère en Traite­ment de Sig­nal à Télé­com Paris et les études de l’EN­GREF en 1990, suiv­is d’une expéri­ence pro­fes­sion­nelle dans la fil­iale française d’une société israéli­enne (BERCOM) et à Matra Défense.

En 1993, je ren­tre à Tadi­ran Télé­com, pre­mier con­struc­teur télé­com en Israël, en tant qu’ingénieur R&D sur un pro­jet nom­mé “Wire­less Local Loop” (WLL), de télé­phonie sans fil pour abon­nés fixes.

L’idée est astu­cieuse puisque l’une des appli­ca­tions est de déploy­er des réseaux télé­phoniques sans fil, rapi­de­ment et à faible coût, dans des zones de pop­u­la­tion à faibles den­sités, défail­lantes en moyen de com­mu­ni­ca­tion, là où le déploiement d’un réseau télé­phonique con­ven­tion­nel est par­ti­c­ulière­ment long et fastidieux.

Très rapi­de­ment, des pays tels que la Chine, l’Inde ou le Chili devi­en­nent deman­deurs et ce pro­jet devien­dra un des pro­jets phares de Tadi­ran, com­mer­cial­isé dans le monde entier.

Tadi­ran, avec son logi­ciel “Tadiplan”, est devenu aujour­d’hui leader dans les logi­ciels d’aide au déploiement de réseaux WLL.

Ma pre­mière expéri­ence pro­fes­sion­nelle à Tadi­ran Télé­com aura été très béné­fique, puisqu’elle m’au­ra per­mis de m’in­té­gr­er “en douceur” dans la société israéli­enne et de voir com­ment fonc­tionne une grosse struc­ture israélienne.

En 1996, après trois ans de loy­aux ser­vices, je décide de m’ori­en­ter vers des aspects plus “sys­tèmes”, et je signe avec Motoro­la Cel­lu­lar Divi­sion Israel (MCDI), pour tra­vailler sur le déploiement de l’un des deux réseaux cel­lu­laires israéliens actuels “Pélé­phone”.

“Pélé” sig­ni­fie “mir­a­cle” ou “mer­veille” mais il y a égale­ment le jeu de mots avec “Pé” qui sig­ni­fie “bouche”.

En un an, Pélé­phone, réseau analogique et his­torique­ment le plus ancien des deux réseaux, dou­ble son nom­bre d’abon­nés (de 300 000 à 600 000), alors que Cell­com le rattrape.

Israël est aujour­d’hui numéro 1 mon­di­al pour la den­sité de ses abon­nés au km2 (plus de 2 mil­lions d’abon­nés en juil­let 1998 pour 5,9 mil­lions d’habi­tants et une super­fi­cie de 22 000 km² !).

MCDI est d’ailleurs la base d’ex­péri­men­ta­tion numéro 1 au monde, pour Motoro­la Cel­lu­laire USA, qui développe sans cesse de nou­velles technologies.

Le tout dernier cri, la tech­nolo­gie dig­i­tale CDMA de Motoro­la, con­sid­érée comme la plus fiable, est d’ailleurs en phase de mise en œuvre depuis mai dernier.

Un troisième opéra­teur en phase de déploiement, “Part­ner”, qui sera GSM (le pre­mier stan­dard au monde actuelle­ment), achèvera de bâtir la télé­phonie cel­lu­laire en Israël.

On estime qu’à l’aube de l’an 2000, plus de 50 % de la pop­u­la­tion israéli­enne sera équipée d’un portable. Mais il est con­nu que le fleu­ron de l’in­dus­trie high-tech israéli­enne reside générale­ment dans les petites struc­tures, les fameuses start-up, miroirs de celles qui fleuris­sent dans la Sil­i­con Valley.

Depuis tou­jours j’avais en admi­ra­tion des sociétés telles que Check­point, Vocal­tec, Aladdin et récem­ment Mirabilis (avec le fameux logi­ciel de com­mu­ni­ca­tion sur le Net ICQ).

En juin 1997, on me pro­pose un poste dans une société à taille beau­coup plus petite, la seule à opér­er dans le domaine audio pro­fes­sion­nel en Israël, j’ai nom­mé K.S. Waves ou Gal­im en hébreu.

Étant moi-même musi­cien ama­teur, j’avais tou­jours rêvé de tra­vailler dans ce domaine, et on me pro­po­sait un poste de direc­tion de recherche et développe­ment pour les nou­veaux produits.

Cette société a une his­toire tout à fait par­ti­c­ulière puisque la con­cep­tion de ses pro­duits, out­re des con­nais­sances en infor­ma­tique et en traite­ment de sig­nal, néces­site des dons divers tels que l’or­eille et la créa­tiv­ité musi­cales, des con­nais­sances en physique, en acous­tique, en psychoacoustique…

L’o­rig­i­nal­ité de K.S. Waves réside dans la diver­sité d’o­rig­ine de sa main-d’œu­vre : pro­gram­meurs sur­doués bien sûr mais aus­si danseurs ou musi­ciens pro­fes­sion­nels, anciens tech­ni­ciens du son dans des stu­dios d’en­reg­istrement, spé­cial­istes mon­di­ale­ment con­nus dans le domaine du son.

Ce domaine, moins con­nu que celui des Télé­coms tra­di­tion­nelles, n’en est pas moins val­orisant, et il con­naît d’ailleurs un essor con­stant avec le développe­ment d’In­ter­net et des micro-ordi­na­teurs mul­ti­mé­dia et des dif­férents appareils de repro­duc­tion du son.

C’est en 1993 dans le recoin d’un vieux taud­is du quarti­er bohémien de Shenkin au sud de Tel-Aviv que com­mence l’his­toire de K.S. Waves. Deux Israéliens, Gilad Keren et Meir Shashua (d’où les ini­tiales K.S.) qui s’é­taient con­nus aux USA, tous deux pas­sion­nés par le son et la tech­nolo­gie audio, brico­lent ce qui va être un des logi­ciels pio­nniers dans le domaine des sta­tions dig­i­tales audio.

Les nuits sont longues à Shenkin, mais un an plus tard le pre­mier logi­ciel lim­i­teur1 audio du marché, un dénom­mé L1 qui allait faire la répu­ta­tion mon­di­ale de la société, sort avec brio.

À par­tir de 1994, la société con­naît une crois­sance sans précé­dent. Les “releas­es” de pro­duits tou­jours plus inno­vants se suc­cè­dent à un rythme effréné. Un exem­ple : le dernier-né des plug-in “Max-Bass”, un logi­ciel essen­tielle­ment des­tiné au marché des ordi­na­teurs porta­bles sou­vent équipés de haut-par­leurs où les fréquences graves font défaut, et qui per­met d’en­ten­dre ces fréquences même si elles sont physique­ment absentes !

Aujour­d’hui la société compte plus de 60 employés en inclu­ant sa fil­iale américaine.

La coopéra­tion en R&D entre les uni­ver­sités locales et étrangères (IRCAM en France, par exem­ple) est courante.

Les pro­duits de Waves sont com­mer­cial­isés dans les 5 con­ti­nents, y com­pris dans les pays arabes avoisi­nant Israël (Jor­danie, Égypte…).

Des géants de l’in­for­ma­tique tels que Microsoft ou Motoro­la se sont per­son­nelle­ment intéressés à Waves.

À par­tir de 1998, le marché des “plug-in” étant en baisse, K.S.Waves s’ef­force de se con­cen­tr­er sur d’autres domaines tels que les pro­duits audio pour l’élec­tron­ique grand pub­lic, et la com­mer­cial­i­sa­tion de brevets.

Les domaines d’ap­pli­ca­tion sont nom­breux : de la télé­phonie sur Inter­net aux appareils d’aide à l’é­coute pour les malen­ten­dants, en pas­sant par les logi­ciels de jeux sur micro ou les effets spé­ci­aux 3D pour chaînes hi-fi…

Je voudrais pré­cis­er pour ter­min­er le sen­ti­ment que j’ai éprou­vé en tant que poly­tech­ni­cien dans le milieu pro­fes­sion­nel en Israël. Là, le décalage avec la France se pré­cise à tous les niveaux.

Ici, on tra­vaille bien plus “à l’améri­caine”, avec une hiérar­chie informelle, une accen­tu­a­tion don­née à la valeur intrin­sèque au détri­ment des diplômes, un encour­age­ment majeur accordé à l’ini­tia­tive et la créa­tiv­ité per­son­nelles assor­ties à une dynamique de groupe hors du commun.

Mais c’est surtout par une appli­ca­tion directe du pré­cepte biblique naasse ve nish­ma, traduit par “fais et tu com­pren­dras”, que sont car­ac­térisés ce dynamisme et ce sens de l’im­pro­vi­sa­tion “à l’is­raéli­enne”… C’est là que j’ai dû remet­tre en ques­tion beau­coup de principes que ma for­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne m’avait enseigné…

L’Is­raélien est en effet très prompt à inven­ter une solu­tion pra­tique à un prob­lème don­né sans chercher à com­pren­dre d’où elle vient, con­traire­ment au Français qui va d’abord chercher à analyser les ten­ants et aboutis­sants du prob­lème. Résul­tat, que j’ai observé plusieurs fois en pra­tique : les Israéliens met­tent sur le marché des pro­duits avant même que la con­cur­rence n’ait le temps d’analyser le problème !

Mal­gré les dif­férences, et dif­férends qui sépar­ent les deux pays, je pense que des ponts sont possibles.

J’aimerais m’oc­cu­per plus tard de dévelop­per des liens, que ce soit dans la coopéra­tion sci­en­tifique tech­nique ou indus­trielle, et c’est là mon vœu le plus cher.

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1. Un lim­i­teur, comme son nom l’indique, per­met de lim­iter les max­i­mums d’in­ten­sité d’un sig­nal tout en max­imisant le niveau audio RMS (puis­sance). C’est un out­il indis­pens­able pour le mas­ter­ing, ou la post-pro­duc­tion en numérique.

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