L’envers du décor : Le Bondy Blog, écrire pour exister

Dossier : ExpressionsMagazine N°629 Novembre 2007Par : Nordine Nabili, pour l'équipe du BONDY Blog

Vue du BONDY BlogAu len­de­main des vio­lences urbaines de l’au­tomne 2005, la rédac­tion de L’Heb­do de Lau­sanne décide de s’im­plan­ter dans un quar­tier de Seine-Saint-Denis afin d’y ouvrir un blog. Après trois mois d’en­quête, les jour­na­listes suisses passent la main à une équipe locale qui fait vivre ce média et le trans­forme en une véri­table voix des ban­lieues qui pren­dra toute sa place lors de la cam­pagne pré­si­den­tielle fran­çaise de 2007.

Bondy Blog 1.0. Une idée simple, s’immerger pour mieux comprendre

Lors­qu’en novembre 2005, la rédac­tion de L’Heb­do de Lau­sanne s’in­ter­roge sur une manière ori­gi­nale de cou­vrir les vio­lences qui agitent les ban­lieues fran­çaises, les jour­na­listes sont una­nimes pour dire que les images de voi­tures qui brûlent, qui tournent en boucle, n’ap­portent pas vrai­ment d’é­clair­cis­se­ment sur cette situa­tion inédite en Europe. Serge Michel, res­pon­sable de la rubrique inter­na­tio­nale à L’Heb­do et grand repor­ter (prix Albert Londres) pro­pose alors une immer­sion de plu­sieurs semaines dans un quar­tier de ban­lieue pour vivre aux côtés des habi­tants et ana­ly­ser en pro­fon­deur le malaise qui mine notam­ment la jeu­nesse de ces quartiers.


Bon­dy, une ban­lieue qui fait par­ler d’elle.

C’est à Bon­dy, une ville de 54 000 habi­tants située à une dizaine de kilo­mètres de Paris que la rédac­tion de L’Heb­do trou­ve­ra rési­dence. Plus exac­te­ment dans le quar­tier Blan­qui. C’est dans un petit stu­dio prê­té par le club de foot, au rez-de-chaus­sée d’un immeuble HLM qu’une quin­zaine de jour­na­listes de la rédac­tion de L’Heb­do se relaieront.

Très vite, les car­nets de notes se rem­plissent et en plus du repor­tage heb­do­ma­daire pour la ver­sion » print « , ils ouvrent un blog qui leur per­met de publier sans limite. Ce blog fait un véri­table tra­vail socio­lo­gique et ana­lyse la vie d’un quar­tier en pro­fon­deur, là où les jour­na­listes fran­çais ne viennent que par inter­mit­tences, pour cou­vrir des évé­ne­ments le plus sou­vent néga­tifs. Il donne une image bien plus com­plète et bien plus juste de la situa­tion des habi­tants des banlieues.

Les jour­na­listes suisses sont accueillis et gui­dés dans la ville par les habi­tants du quar­tier, et en par­ti­cu­lier les édu­ca­teurs du Racing Club de Blan­qui. Ces adultes jouent un rôle indis­pen­sable de média­teur avec les jeunes du quar­tier ce qui per­met aux repor­ters suisses de faire leur tra­vail dans de meilleures conditions.

Le Bon­dy Blog rem­porte alors un véri­table écho média­tique. Après trois mois d’en­quête, les Suisses doivent natu­rel­le­ment se recon­cen­trer sur l’ac­tua­li­té hel­vète et décident de replier le camp. Mais la rédac­tion de l’heb­do et notam­ment Serge Michel, l’i­ni­tia­teur de ce pro­jet, ne sou­haitent pas débran­cher la prise, d’au­tant que ce blog com­mence véri­ta­ble­ment à vivre puisque le nombre de lec­teurs et de com­men­ta­teurs ne cesse de croître. Le relais est donc pas­sé à une équipe locale qui, après une mini-for­ma­tion d’une semaine à Lau­sanne, reprend les rennes du Bon­dy Blog pour le trans­for­mer en véri­table média citoyen. Depuis plus de dix-huit mois, ce blog est entré dans le pay­sage média­tique fran­çais et il s’y est ins­crit comme une véri­table voix des banlieues.

Bondy Blog 2.0. Faire émerger une voix des banlieues

En jan­vier 2006, Serge Michel pro­pose à Moha­med Hami­di de prendre la suite de cette aven­ture média­tique. Ce der­nier a accep­té de reprendre la suite du Bon­dy Blog le 1er mars 2006. L’une des condi­tions de cette reprise était que les nou­veaux rédac­teurs soient des jeunes de Bon­dy, non jour­na­listes, afin qu’ils puissent uti­li­ser ce blog comme un véri­table moyen d’ex­pres­sion citoyenne. L’ob­jec­tif était éga­le­ment de faire de ce blog un lieu de for­ma­tion, voire d’in­ser­tion pro­fes­sion­nelle. En effet, les jeunes allaient pou­voir à tra­vers la rédac­tion d’ar­ticles apprendre le métier de jour­na­liste et entrer en contact avec des per­sonnes qui n’é­taient pas dans leurs réseaux habituels.

Le Bon­dy Blog s’est donc lan­cé avec une équipe de 6 rédac­teurs issus des quar­tiers, âgés de 19 à 26 ans. La pre­mière équipe était plu­tôt hété­ro­gène, lycéens, étu­diants, jeunes sala­riés, chômeurs.

Lors­qu’il a fal­lu déter­mi­ner la ligne édi­to­riale du Bon­dy Blog 2.0, nous avons déci­dé que celui-ci devait per­mettre de faire émer­ger une voix des ban­lieues. Il devait don­ner la pos­si­bi­li­té à ses rédac­teurs de prendre enfin la parole dans le débat public, un débat par­ti­cu­liè­re­ment agi­té en cette période d’é­lec­tion pré­si­den­tielle qui allait por­ter aux plus hautes res­pon­sa­bi­li­tés Nico­las Sar­ko­zy, consi­dé­ré par une bonne par­tie des jeunes comme l’un des res­pon­sables des vio­lences de l’au­tomne 2005.

Très vite, le Bon­dy Blog » autoch­tone » a trou­vé ses marques et a été consi­dé­ré comme un véri­table ther­mo­mètre des quar­tiers popu­laires. Les paroles qui y ont émer­gé ont don­né une toute autre approche des ban­lieues et pour la pre­mière fois, on pou­vait lire des témoi­gnages récol­tés de l’in­té­rieur et donc beau­coup plus sin­cères et plus pro­fonds. Le témoi­gnage d’une jeune fille d’une famille poly­game, les décep­tions d’un jeune qui n’ar­rive pas à se sor­tir de la spi­rale du chô­mage, des jeunes filles qui racontent la dif­fi­cul­té à vivre leur sexua­li­té au sein d’un quar­tier. Des cen­taines d’ar­ticles qui ont pu être écrits grâce à une par­faite connais­sance du ter­rain. L’é­quipe a aus­si évo­lué jus­qu’à atteindre le nombre de dix blo­gueurs régu­liers enca­drés par quatre adultes, tout ceci géré par une asso­cia­tion à but non lucratif. 

Le Bondy Blog dans la campagne présidentielle


Dix jeunes « blog­geurs » régu­liers, enca­drés par quelques adultes.

Mais ce qui a véri­ta­ble­ment fait entrer le Bon­dy Blog dans le pay­sage média­tique fran­çais est son inté­gra­tion dans les pages actua­li­tés de Yahoo. Le site Yahoo.fr cher­chait pour cou­vrir la cam­pagne pré­si­den­tielle des pro­jets ori­gi­naux, s’ins­cri­vant dans la démarche du Web par­ti­ci­pa­tif et citoyen. À par tir de ce moment, le Bon­dy Blog a com­men­cé une série d’ar­ticles et d’en­tre­tiens avec les per­son­na­li­tés poli­tiques de tous bords. La diver­si­té en poli­tique, la mise à la marge des quar­tiers popu­laires en France, l’é­du­ca­tion, la sécu­ri­té, l’emploi, tous ces sujets ont été lar­ge­ment abor­dés pen­dant cette cam­pagne présidentielle.

Au milieu les médias tra­di­tion­nels, le Bon­dy Blog n’a ces­sé de faire entendre sa petite musique en ten­tant de mettre au-devant de la scène poli­tique la pro­blé­ma­tique des quar­tiers popu­laires qui avait été annon­cée comme une prio­ri­té par les can­di­dats, et qui à l’ap­proche de l’é­chéance, avaient ten­dance à mettre une fois de plus ce sujet de côté. Le Bon­dy Blog aura joué pen­dant cette cam­pagne un rôle de pense-bête rap­pe­lant aux can­di­dats que des enga­ge­ments avaient été pris suite aux vio­lences de l’au­tomne 2005 (plus de diver­si­té en poli­tique, réha­bi­li­ta­tion des quar­tiers, lutte contre les dis­cri­mi­na­tions, éga­li­té des chances…) et qu’il n’é­tait pas ques­tion que ces pro­messes res­tent vaines.

Ain­si, lors­qu’un évé­ne­ment sur­gis­sait en ban­lieue, les médias fran­çais pre­naient sou­vent contact avec la rédac­tion du Bon­dy Blog pour connaître leur trai­te­ment de tel ou tel sujet. Nous avons éga­le­ment été asso­ciés à de nom­breux pro­jets durant cette cam­pagne notam­ment avec Télé­ra­ma, Radio France, Canal plus ou encore le Nou­vel Obser­va­teur. De nom­breux sujets publiés par le Bon­dy Blog ont été repris par Le Monde, Libé­ra­tion ou même l’AFP. Plus de 200 000 visi­teurs par mois, près de 100 com­men­taires pos­tés par jour, ce blog a fédé­ré un véri­table lec­to­rat qui vient y cher­cher une autre infor­ma­tion et sur­tout y confron­ter ses idées avec une com­mu­nau­té de lec­teurs de plus en plus développée. 

Bondy Blog 3.0. Une expérience pédagogique dans les quartiers populaires

Après avoir pro­lon­gé quelques semaines son tra­vail sur les élec­tions légis­la­tives fran­çaises qui se sont ter­mi­nées le 17 juin 2007, le Bon­dy Blog a rapi­de­ment dû se poser la ques­tion de la péren­ni­sa­tion de son activité.

Pour la sai­son 2007–2008, les acti­vi­tés du Bon­dy Blog tour­ne­ront alors autour de deux volets prin­ci­paux. Un volet jour­na­lis­tique bien sûr avec une équipe édi­to­riale ren­for­cée qui sui­vra de près l’ac­tua­li­té sociale et poli­tique et en par­ti­cu­lier les élec­tions muni­ci­pales qui se dérou­le­ront en mars 2008. L’autre volet sera plu­tôt péda­go­gique. Les enca­drants ayant été la plu­part du temps assom­més de tra­vail durant les dix-huit pre­miers mois d’exer­cice, la for­ma­tion des blo­gueurs s’est faite de manière infor­melle au moment des réunions de rédaction.

Pour le Bon­dy Blog 3.0, nous comp­tons for­ma­li­ser cet aspect péda­go­gique et une série de confé­rences sera donc mise en place deux same­dis par mois pour aider les jeunes blo­gueurs à amé­lio­rer leur for­ma­tion journalistique.


L’école du blog et ses ensei­gnants pro­fes­sion­nels bénévoles.

Cette école du blog sera assu­rée par des inter­ve­nants exté­rieurs ( l’Heb­do, Radio France, Elle, le Nou­vel Obser­va­teur, Le Monde...) qui vien­dront béné­vo­le­ment appor­ter leurs expé­riences. Ces ensei­gne­ments seront dis­pen­sés direc­te­ment à Bon­dy à une tren­taine d’au­di­teurs qui seront répar­tis de la manière sui­vante : un tiers de blo­gueurs qui vien­dront pour per­fec­tion­ner leur pra­tique jour­na­lis­tique ; un tiers de lycéens, en par­ti­cu­lier ceux des ter­mi­nales des lycées de ZEP (zone d’é­du­ca­tion prio­ri­taire) conven­tion­nés Sciences Po et qui pré­parent une entrée à l’Ins­ti­tut d’é­tudes poli­tiques de Paris ; le 3e tiers sera consti­tué par des audi­teurs libres, Bon­dy­nois ou non, lec­teurs du Bon­dy Blog ou sym­pa­thi­sants, inté­res­sés par un sujet ou par un inter­ve­nant et qui vien­dront écou­ter son cours, sur le prin­cipe des uni­ver­si­tés popu­laires de Caen mené par Michel Onfray.

En plus de ces expé­riences menées en interne, le Bon­dy Blog a été sol­li­ci­té pour dis­pen­ser un cours sur les blogs, la ban­lieue et la poli­tique à l’é­cole de jour­na­lisme de Sciences Po Paris et assu­re­ra un ensei­gne­ment de deux heures heb­do­ma­daires auprès des élèves de cin­quième année. Le but de cette inter­ven­tion sera de tenir un blog axé sur la ban­lieue, sur le thème des élec­tions municipales. 

En conclusion, que signifie pour nous le Bondy Blog ?

L’é­mer­gence d’un média comme le Bon­dy Blog est appa­rue comme une véri­table sou­pape de décom­pres­sion. Les habi­tants des quar­tiers popu­laires comme les jeunes jour­na­listes ont trou­vé dans ce média un véri­table moyen d’ex­pres­sion et d’ex­té­rio­ri­sa­tion. Las­sés d’être obser­vés de l’ex­té­rieur par des jour­na­listes qui sou­vent ne fai­saient que pas­ser dans les quar­tiers, ils ont trou­vé dans l’ex­pé­rience hel­vé­ti­co-bon­dy­noise un tra­vail sur la durée qui per­met de mieux faire appa­raître leurs véri­tables vies, leurs espoirs et leurs souffrances.

Pour pré­tendre connaître la vie dans ces quar­tiers, il ne suf­fit pas d’y venir deux heures en pleine jour­née comme le font la plu­part des jour­na­listes afin de bou­cler un sujet pour le 20 heures ou pour l’é­di­tion du len­de­main. Pour ana­ly­ser la vie des quar­tiers, il est bon de prendre le temps de dis­cu­ter avec les gens, d’y res­ter tout une jour­née, voire de s’y réveiller. Il est évident que lors­qu’une équipe de télé­vi­sion vient dans une cité en pleine après-midi et y plante une camé­ra, les pre­miers habi­tants qui vont se mon­trer ne seront ni les plus repré­sen­ta­tifs ni les plus inté­res­sants. Ceux qui tra­vaillent sont au bureau ou à l’u­sine, les étu­diants sont au lycée ou à l’université.

Le Bon­dy Blog aura au moins per­mis de rec­ti­fier l’i­mage quelque peu sim­pli­fiée que véhi­cu­laient les médias fran­çais sur les banlieues.

Pour l’é­quipe du Bon­dy Blog,
Nor­dine Nabili

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