Khalid et Taoufik Lachheb (95), jumeaux perchistes

Dossier : AtypiXMagazine N°Khalid et Taoufik Lachheb (95), jumeaux perchistes

Ils ont déjà eu en leur temps les hon­neurs de la grande presse et tout dernière­ment, ceux du mali­cieux scribe de la geste poly­tech­ni­ci­enne, Serge Del­wasse. A les voir au pre­mier abord, la quar­an­taine épanouie, on se deman­derait bien pourquoi. Mais au bout d’une heure à leur côté, on a compris.

Khalid et Taoufik sont jumeaux. Vrais jumeaux, avec cette con­nivence iné­narrable qui fait par­ler cha­cun d’entre eux pour l’autre. Ils sont d’origine maro­caine, nés à Rennes de par­ents immi­grés, pro­fondé­ment respectueux de la France. Ils ont inté­gré l’X la même année. Et ils sont passés à côté d’un fab­uleux des­tin de cham­pi­ons de saut à la perche.

D’où leur vient cette pas­sion ? Tou­jours est-il qu’au lycée, Khalid et Taoufik sont déjà des mor­dus du saut à la perche. L’année du bac, ils ter­mi­nent pre­mier et deux­ième au cham­pi­onnat d’Europe junior. Arrivés en taupe, ils débrayent un peu. Ils repren­dront l’entraînement et la com­péti­tion à leur arrivée à l’X.

« On avait trou­vé le rythme. Tous les jours, c’était le même rite : le cours magis­tral le matin, et l’après-midi, au sor­tir de la petite classe, on fonçait s’habiller dans nos cham­bres et on filait en voiture vers l’INSEP pour l’entraînement. De retour au casert, en fin de soirée, on se remet­tait à notre table de tra­vail. En fait, quand le corps est bien fatigué, on se con­cen­tre mieux. »

Il faut tout de même la man­sué­tude du Général Jean Novacq (X 67) directeur général de l’École, pour qu’ils soient repêchés en deux­ième année après avoir man­qué les exa­m­ens de fin de pre­mière année et som­bré de ce fait dans les abysses du classement.

Cet agen­da monacal per­met aux jumeaux d’atteindre leur plein matu­rité sportive au sor­tir de l’X. Cette année-là, en 1998, à 23 ans, Khalid saute 5,80 m en plein-air. L’année suiv­ante, Taoufik arrache les 5,72 m en salle. Leur pas­sion sportive com­mande le choix de leur école d’application. Ce sera l’ENSTA, car elle a la répu­ta­tion d’être la plus cool.

Rétro­spec­tive­ment, les jumeaux se dis­ent qu’ils auraient pu pren­dre les Ponts, qui leur offraient une sco­lar­ité amé­nagée sur 3 ans. Le petit noy­au des anciens taupins de Châteaubriand les y suit. Ils con­tin­u­ent à taquin­er la perche. Ils com­men­cent même à en vivre, mod­este­ment. Ils se pré­par­ent pour les Jeux Olympiques de Syd­ney. Mais ces jeunes gens bien élevés se refusent à sac­ri­fi­er les études au sport : « Ç’aurait été comme marcher sur une seule jambe. »

Chez leurs entraîneurs, ça com­mence à grogn­er. Mau­rice Hou­vion ne voit en eux que les sportifs. Plus cru, un directeur tech­nique nation­al leur déclare, l’année des JO : « On n’aime pas les ath­lètes qui courent deux chevaux à la fois. » Ils songent à s’expatrier en Aus­tralie, ou à deman­der l’asile sportif à l’entraîneur de Ser­guei Bub­ka, un magi­cien dont ils ont fait la connaissance.

Mais le devoir les appelle. Pour n’avoir pas osé deman­der un amé­nage­ment à leur plan­ning de stage de fin d’études, ils échouent aux élim­i­na­toires pour Syd­ney. La courte par­en­thèse de la perche est sur le point de se refer­mer. En juil­let 2003, au sor­tir de cham­pi­onnats N2 et élite, les jumeaux rac­crochent. « On ne se sen­tait plus motivés. » Ils n’ont plus touché à la perche depuis lors.

Des regrets ? Pas trop. « Les sportifs retombent très vite dans l’anonymat », con­sta­tent-ils, lucides. Plutôt que de mendi­er un emploi de prof de gym dans un lycée ou de vendeur dans un mag­a­sin de sport, ils ont revê­tu le com­plet du par­fait cadre supérieur. Ils auraient rêvé de fonder leur entre­prise à deux, mais l’expérience de l’échec sportif les a con­va­in­cus d’être sages.

Aujourd’hui, Khalid est con­sul­tant interne dans une multi­na­tionale. Il tra­vaille à la Défense dans une tour plus haute que sa perche de jadis. Taoufik est con­sul­tant dans un cab­i­net con­seil en finance d’entreprise. Ils tra­vail­lent et vivent à une portée de fusil l’un de l’autre. A 40 ans, ils s’amusent de flirter avec de tous jeunes HEC. Ils com­men­cent, un peu sur le tard, à chercher les responsabilités.

« Le goût d’influencer les organ­i­sa­tions nous est enfin venu. Mais on ne voulait pas, pour y arriv­er, respecter les règles du jeu. » Mal­heureuse­ment, les grandes entre­pris­es dans lesquelles ils ont fait l’essentiel de leur car­rière offrent peu de telles grat­i­fi­ca­tions. Même les chefs parais­sent enchaînés à leur poste.

« Nous n’avons pas encore trou­vé notre Messie, celui avec lequel on aurait envie de tra­vailler. » Celui qui donne envie de se lever le matin. Taoufik aura tout de même respiré une bouf­fée d’oxygène en inté­grant, en 2007 à Lon­dres, un cab­i­net con­seil améri­cain où il a retrou­vé le plaisir de travailler.

A l’âge où le sportif est bien fini mais où le cadre atteint sa pleine matu­rité pro­fes­sion­nelle, Khalid et Taoufik se retrou­vent devant un autre sautoir, tout aus­si red­outable que ceux de leur jeunesse. Arracheront-ils la vic­toire dans leur recherche pro­fes­sion­nelle ? On ne peut que le leur souhaiter.

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