Comment financer les politiques d’adaptation

Dossier : Le changement climatique ............................ 2e partie : Les MesuresMagazine N°680 Décembre 2012
Par Alexia LESEUR (D2004)

Au niveau inter­na­tion­al, cer­tains fonds, comme le Fonds spé­cial pour le change­ment cli­ma­tique ou le Fonds d’adaptation, mis en place par la CNUCC (Con­ven­tion des Nations unies pour le change­ment cli­ma­tique) ont voca­tion à financer des solu­tions d’adaptation. Mais ils sont large­ment insuff­isants car ils ne dis­posent glob­ale­ment que d’un demi-mil­liard de dol­lars seule­ment au total (et non annuelle­ment) et ne con­cer­nent que les pays en voie de développe­ment (PVD).

Beau­coup de solu­tions exi­gent des cap­i­taux impor­tants. Com­ment les financer dans le con­texte actuel de crise économique avec une rareté des ressources finan­cières, notam­ment publiques ?

REPÈRES
Le Groupe­ment d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (GIEC) soulig­nait dès 2007 le besoin d’adaptation des sociétés, et divers­es études l’ont chiffré à plusieurs dizaines de mil­liards annuels au niveau mon­di­al, voire plus de cent mil­liards de dol­lars annuels pour cer­taines. Par­mi les solu­tions pro­posées, cer­taines sont dites « douces » car peu coû­teuses, fondées sur des mesures organ­i­sa­tion­nelles ou régle­men­taires (par exem­ple la créa­tion d’un sys­tème d’alerte et d’évacuation des pop­u­la­tions). D’autres sont dites « dures » au sens où elles exi­gent beau­coup de cap­i­taux immo­bil­isés et de matéri­aux (par exem­ple, la con­struc­tion d’une digue).

Un nouveau financement pour les PVD

Mod­i­fi­er les constructions
Les solu­tions coû­teuses d’adaptation au change­ment cli­ma­tique con­cerneront prin­ci­pale­ment les infra­struc­tures, du fait de leur grande durée de vie et de leur besoin élevé en cap­i­taux. Ces solu­tions con­sis­teront le plus sou­vent à mod­i­fi­er la con­struc­tion prévue ou exis­tante de l’infrastructure, donc en engen­drant un sur­coût, ou à en con­stru­ire de nou­velles. Ce sur­coût ou ce coût de la con­struc­tion neuve pour­ra être financé dès l’investissement ini­tial ou par des revenus sup­plé­men­taires réguliers au cours de la durée de vie de l’infrastructure.

Le nou­veau Fonds vert pour le cli­mat créé par la CNUCC suite à la con­férence de Can­cún en 2010 devrait pou­voir financer plus de pro­jets, grâce à son abon­de­ment de cent mil­liards de dol­lars annuels d’ici 2020. Il ne devrait, en revanche, financer que des pro­jets dans les pays en développe­ment, et à la fois cou­vrir des actions de réduc­tion des émis­sions et d’adaptation, mais la clé de répar­ti­tion entre les deux n’est pas encore définie. De plus, ce finance­ment de l’adaptation sur le long terme reste encore à garan­tir. Quant aux ban­ques de développe­ment, autres acteurs financiers utiles pour l’adaptation, elles agis­sent envers les pays en développe­ment plutôt sous forme de prêts ban­caires à des taux avantageux.

La clé de répar­ti­tion entre actions de réduc­tion et adap­ta­tion reste à définir

Du fait du con­texte économique et des con­traintes por­tant sur le bud­get des États et des col­lec­tiv­ités, de nou­velles sources de finance­ment des solu­tions d’adaptation, notam­ment recourant au secteur privé, sont à trou­ver (en plus bien sûr d’une opti­mi­sa­tion économique de ces solutions).

Afin de ne pas brouiller le raison­nement avec les ques­tion­nements sur le lien entre adap­ta­tion-développe­ment et adap­ta­tion- équité entre pays dévelop­pés et en développe­ment, nous ne traiterons ici que du cas du finance­ment des solu­tions coû­teuses d’adaptation dans les pays dévelop­pés et ne revien­drons pas sur le proces­sus de choix des solu­tions d’adaptation retenues.

L’INVESTISSEMENT INITIAL

Le recours clas­sique à l’emprunt est tou­jours pos­si­ble, avec éventuelle­ment un sys­tème de boni­fi­ca­tion si l’État le décide, mais dans le con­texte de rareté des ressources publiques, d’autres solu­tions peu­vent être étudiées comme le développe­ment des parte­nar­i­ats pub­licprivé, l’utilisation des project bonds, ou un sys­tème de tiers investissement.

Partenariat public-privé

Les parte­nar­i­ats pub­lic-privé (PPP) con­sis­tent à lier dans un pro­jet, ou via une entre­prise créée pour porter le pro­jet, un ou plusieurs acteurs publics avec un ou plusieurs acteurs privés.

Intéress­er les investis­seurs sociale­ment responsables

Deux avan­tages pour­raient jus­ti­fi­er le recours à ce mon­tage pour met­tre en œuvre des solu­tions d’adaptation : attir­er des cap­i­taux privés pour pré­fi­nancer le pro­jet et ne pas pénalis­er le bud­get du secteur pub­lic (l’acteur pub­lic ou l’usager rem­bour­sant ensuite au fur et à mesure l’investissement ini­tial), béné­fici­er de l’expertise tech­nique et économique du secteur privé pour notam­ment inciter le parte­naire indus­triel à opti­miser la robustesse de l’infrastructure aux risques climatiques.

Le recours aux PPP ne présage pas du niveau final de pro­tec­tion con­tre les impacts du change­ment cli­ma­tique, mais per­met en théorie de se rap­procher du niveau de pro­tec­tion opti­mal accept­able (car défi­ni en fonc­tion des pos­si­bil­ités tech­niques de l’infrastructure et des con­di­tions finan­cières accep­tées par l’acteur pub­lic), et d’un sys­tème de pré­fi­nance­ment utile pour les finances publiques

Obligations particulières

Cou­vrir un risque spécifique
D’autres mécan­ismes liés au sys­tème assur­antiel sont aus­si à l’étude ou envis­age­ables. Une mod­i­fi­ca­tion, sur le même principe que celui décrit précédem­ment, du sys­tème des cat bonds (oblig­a­tions liées à la sur­v­enue de cat­a­stro­phes naturelles), pour­rait servir à lever des fonds, mais avec des taux d’intérêt plus faibles si des actions de préven­tion sont mis­es en place.
Une mod­i­fi­ca­tion des out­ils financiers exis­tants, dits « dérivés cli­ma­tiques », per­me­t­trait une cou­ver­ture finan­cière d’un risque spé­ci­fique lié au cli­mat futur.

Les project bonds con­stituent une autre solu­tion, com­plé­men­taire. Ce sont des oblig­a­tions, donc des titres négo­cia­bles de créance, adossées à un pro­jet en par­ti­c­uli­er. Ils per­me­t­tent de lever du cap­i­tal à leur émis­sion, avec des con­di­tions de rem­bourse­ment fixées contractuellement.

Des pro­jets d’adaptation au change­ment cli­ma­tique pour­raient être l’objet de ces oblig­a­tions, qui pour­raient alors être con­sid­érées comme « vertes » (green en anglais) et intéress­er ain­si plus d’investisseurs, notam­ment les investis­seurs sociale­ment respon­s­ables qui intè­grent des critères envi­ron­nemen­taux, soci­aux et de gou­ver­nance dans leurs choix d’investissement. Ces green project bonds pour­raient ain­si per­me­t­tre une diver­si­fi­ca­tion des sources de finance­ment, voire béné­fici­er d’un avan­tage financier en offrant un taux d’intérêt plus faible aux investis­seurs qu’une oblig­a­tion classique.

Éviter les coûts ultérieurs

Plus inno­vant, un sys­tème de « tiers investisse­ment », où un tiers paye ex-ante une pro­tec­tion ou un amé­nage­ment et se rémunère sur les coûts évités par la suite, peut égale­ment être envisagé.

Ce cas de fig­ure peut exis­ter notam­ment si le pro­jet d’adaptation per­met égale­ment ex-post une réduc­tion de la con­som­ma­tion d’un con­som­ma­ble (énergie, eau, etc.). Le sur­coût ini­tial peut alors être cou­vert, en total­ité ou en par­tie, par l’économie de con­som­ma­tion réal­isée. La mise en place de ce sys­tème est cepen­dant assez com­plexe pour l’instant.

Régions affec­tées par le change­ment climatique
et exem­ples d’impacts directs pos­si­bles au cours du XXIe siècle
Régions de France pouvant être affectées par le changement climatique
Les impacts indi­rects du change­ment cli­ma­tique sur divers secteurs économiques, dus par exem­ple à la dégra­da­tion des écosys­tèmes marins et con­ti­nen­taux, ne sont pas représentés.
Source : Mis­sion Cli­mat d’après le GIEC, Météo France, l’OCDE et le Con­ser­va­toire du littoral.

DES MONTAGES INNOVANTS

L’accès au cap­i­tal ini­tial sera d’autant plus aisé que des solu­tions seront mis­es en place pour garan­tir son rem­bourse­ment (et même son finance­ment car, in fine, c’est bien sou­vent l’utilisateur-bénéficaire final ou le con­tribuable qui « paie » réelle­ment l’infrastructure). Cela peut ain­si pass­er par la généra­tion de revenus sup­plé­men­taires au cours de la vie de l’infrastructure.

Une taxe locale

Un pre­mier exem­ple repose sur l’instauration d’une « taxe locale » pesant sur le con­tribuable, le pro­prié­taire ou l’usager. Selon les cas, il pour­rait s’agir d’une aug­men­ta­tion clas­sique d’un tarif, pour cou­vrir les sur­coûts néces­saires liés à l’adaptation (par exem­ple l’augmentation du péage d’une autoroute devant assur­er des travaux de réno­va­tion pour aug­menter sa résis­tance aux impacts, ou l’augmentation de la taxe fon­cière des pro­priétés privées pour financer des digues de pro­tec­tion) ou de la créa­tion d’une nou­velle con­tri­bu­tion, selon les com­pé­tences admin­is­tra­tives et juridiques de la col­lec­tiv­ité locale concernée.

Trois des grandes dif­fi­cultés de ce mécan­isme sont : la déf­i­ni­tion du niveau opti­mal de la taxe, générant suff­isam­ment de revenus pour financer le pro­jet con­cerné ; la déf­i­ni­tion d’un taux d’actualisation per­ti­nent qui per­me­tte de ne pas sous-estimer l’importance des futurs revenus et coûts évités ; son accept­abil­ité sociale.

Si le pro­jet relève plus du secteur privé, une aug­men­ta­tion du prix de vente sera à envis­ager, mais au prisme égale­ment des ques­tions précé­dentes : le niveau de l’augmentation, le taux d’actualisation retenu et son accept­abil­ité par le consommateur.

Trois idées novatrices
Des mon­tages nova­teurs pour­raient être dévelop­pés, en lien avec l’autre ver­sant de la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique : l’atténuation – ou la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre.

  • Le pre­mier d’entre eux, très dis­cuté actuelle­ment en Europe, serait d’utiliser une par­tie des revenus des enchères de quo­tas de CO2 au niveau européen pour financer des pro­jets d’adaptation.
  • Un deux­ième, plus sub­til car liant plus étroite­ment adap­ta­tion et atténu­a­tion, serait d’octroyer un finance­ment sup­plé­men­taire à des pro­jets réduisant les émis­sions de gaz à effet de serre et adap­tés au change­ment cli­ma­tique : une sural­lo­ca­tion de quo­tas de CO2 pour­rait être accordée pour des pro­jets rel­e­vant du mécan­isme pour un développe­ment pro­pre ou de la mise en œuvre conjointe.
  • Un troisième mon­tage, pro­posé par cer­tains chercheurs suiss­es, serait la créa­tion par les pou­voirs publics d’un nou­veau marché de « quo­tas d’adaptation ». Ces quo­tas seraient défi­nis en fonc­tion de la richesse préservée, la san­té pro­tégée des pop­u­la­tions et des béné­fices envi­ron­nemen­taux engendrés.
    Ce mécan­isme a peu de chances d’être mis en place, à la fois pour des raisons méthodologiques (critères d’allocation des quo­tas, déf­i­ni­tion pré­cise des trois fac­teurs retenus et degré de com­pa­ra­bil­ité entre eux, etc.) et parce qu’il exige un engage­ment poli­tique très fort, dif­fi­cile à obtenir. Cepen­dant, il souligne l’intérêt de l’existence d’un « sig­nal » à court terme, tan­gi­ble pour l’adaptation, qui per­me­t­trait aux acteurs d’intégrer ce prix dans leurs choix économiques, et même les oblig­erait à le faire.

Un système assurantiel plus incitatif

L’assurance est une solu­tion d’adaptation qui aide à sup­port­er le risque climatique

L’assurance est une solu­tion d’adaptation, au sens où elle aide à sup­port­er le risque cli­ma­tique en le trans­férant au secteur privé, et en le répar­tis­sant entre les acteurs. Elle per­met aus­si par­fois de financer la recon­struc­tion après les dégâts.

Des réflex­ions sont en cours entre les assureurs et les décideurs publics pour amélior­er ce sys­tème et inciter à pren­dre des mesures de préven­tion en mod­u­lant la prime d’assurance en fonc­tion du niveau d’exposition au risque : en se pro­tégeant mieux con­tre les événe­ments cli­ma­tiques, le coût de l’assurance pour­ra être dimin­ué. S’il est mis en place, ce sys­tème d’assurance aidera au finance­ment de la mesure de préven­tion prévue, à hau­teur de la diminu­tion de la prime d’assurance engendrée.

TROIS TYPES D’OUTILS

Pour lut­ter con­tre les impacts du change­ment cli­ma­tiques et dans les cas où il se révélerait jus­ti­fié de recourir à des solu­tions « dures » d’adaptation néces­si­tant de forts cap­i­taux, trois types d’outils de finance­ment com­plé­men­taires pour­ront être recher­chés : des out­ils pour lever le finance­ment ini­tial (prêts, PPP, bonds), des out­ils pour percevoir des revenus au fil du pro­jet et rem­bours­er l’investissement ini­tial (tax­es adap­tées ou créées, apport de quo­tas de CO2, etc.) et des out­ils de cou­ver­ture finan­cière en cas de réal­i­sa­tion de l’aléa cli­ma­tique (assur­ance, cat bonds).

La solu­tion retenue dépen­dra des acteurs publics et privés

Étant don­né les mon­tants en jeu et la diver­sité des sit­u­a­tions, toute cette panoplie d’instruments financiers sera à exploiter, mais la solu­tion retenue dépen­dra prin­ci­pale­ment des acteurs privés et publics impliqués, qui con­nais­sent le con­texte par­ti­c­uli­er local dans lequel se situe le pro­jet, et qui aident au mon­tage d’un pro­jet et à la com­po­si­tion du financement.

La demande de ces nou­veaux out­ils ou l’adaptation des out­ils exis­tants devraient être assez élevées pour que l’ingénierie finan­cière les développe, à con­di­tion aus­si que leur rentabil­ité et les inci­ta­tions éta­tiques soient suffisantes.

L’auteur remer­cie en par­ti­c­uli­er Romain Morel et Cécile Bor­dier (CDC Cli­mat Recherche), Sab­ri­na Archam­bault (AFD), F. Lecocq (CIRED) et Thomas Sanchez (CDC) pour leurs com­men­taires per­ti­nents. Elle assume seule l’entière respon­s­abil­ité de toute erreur ou omission.

Pour en savoir plus

■ Financ­ing the resilient city, White paper, ICLEI (2011).
■ Économie de l’adaptation au change­ment cli­ma­tique, rap­port pour le CEDD par S. Hal­le­gat­te, F. Lecocq et C. de Perthuis (2010).
■ Utilis­er le « Tiers Investisse­ment » pour la réno­va­tion ther­mique du pat­ri­moine bâti français, CDC-Ademe-Con­seil région­al d’Île-de-France (2010).
■ Dri­ving mean­ing­ful adap­ta­tion action through an adap­ta­tion mar­ket mech­a­nism, Butzengeiger- Gey­er, Köh­ler et Michaelowa (2011).

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du HALGOUËTrépondre
14 décembre 2012 à 17 h 47 min

Le chaînon man­quant est dans le sys­tème monétaire

Dom­mage que le dernier rap­port du club de Rome ne soit pas encore bien con­nu de ceux qui sont les pre­miers à pou­voir en béné­fici­er et le pro­mou­voir ! La clé du développe­ment durable est dans le sys­tème moné­taire : tant que nous raison­nons dans un cadre clas­sique, c’est à dire sans tenir compte de la mon­naie et de sa var­iété poten­tielle, nous n’irons pas très loin et ne sor­tirons pas de la faille struc­turelle de nos sociétés : la mon­naie monop­o­lis­tique et fondée sur une dette ban­caire doit être urgem­ment com­plétée par des mon­naies locales, régionales, nationales et mon­di­ales. Ce n’est pas con­tre l’eu­ro, mais en complément.


Ain­si une col­lec­tiv­ité peut trou­ver un out­il pour déblo­quer les éner­gies qui n’at­ten­dent que le bon sys­tème pour se met­tre en oeu­vre. Une panoplie de solu­tions s’ou­vre à tous ceux qui veu­lent enfin œuvr­er stru­curelle­ment à un autre monde, durable, sans dette qui s’a­mon­celle de manière expo­nen­tielle avec des intérêts com­posés (intérêt des intérêts).


Référence : Mon­ey & Sus­tain­abil­i­ty — The miss­ing link, Tri­archy Press, 2012, par Bernard Lietaer, Chris­t­ian Arnsperg­er, Sal­ly Goern­er et Ste­fan Brunnhu­ber. Vient d’être traduit en français sous le titre : ‘Halte à la toute puis­sance des ban­ques’, Odile Jacob, Nov 2012.


Videos et livre con­sultable sur money-sustainability.net


Un livre incon­tourn­able pour ceux qui veu­lent com­pren­dre pourquoi nous lut­tons sans suc­cès con­tre le court ter­misme, les crises à répéti­tion et la fas­ci­na­tion de l’ar­gent. Urgent et indis­pens­able. Sans cela, on ne fait que lut­ter con­tre le courant tout en ne cher­chant pas d’où il vient.


Cor­diale­ment, BdH

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