Cérémonie de la remise des diplômes à la promotion 1997

Dossier : ExpressionsMagazine N°558 Octobre 2000

Le 15 juil­let 2000 à Palaiseau, les élèves de la pro­mo 1997 ont reçu leur diplôme suiv­ant l’excellent céré­mo­ni­al des qua­tre années précé­dentes mis au point par Philippe Wolf (78), directeur des études, tou­jours maître des céré­monies. Quelle belle tradition !

La délé­ga­tion de l’A.X. à cette man­i­fes­ta­tion était con­duite par Éric Le Mer (71), vice-président.

À 15 h 30 à l’amphi Poin­caré, après La Mar­seil­laise chan­tée par les élèves dirigés par M. Patrice Holin­er, directeur de Musi­cal­ix, le général Novacq (67), directeur général de l’École, a ouvert la céré­monie. Puis, Mon­sieur Axel Kahn, directeur de l’Institut Cochin de géné­tique molécu­laire, prononça une con­férence “ Sci­ences et tech­niques : pou­voir et respon­s­abil­ité” dont on trou­vera le texte ci-après, con­férence qui a sus­cité un pro­fond intérêt chez les audi­teurs. On peut même affirmer qu’elle les a frappés…

Ce fut alors la remise des diplômes par les pro­fesseurs de l’École ayant revê­tu leur tenue de céré­monie (robe noire avec pare­ments écar­lates), avec remise des cer­ti­fi­cats d’auditeur de l’École aux élèves du Pro­gramme inter­na­tion­al et remise du “ prix de thèse ” à cinq doc­teurs de l’École poly­tech­nique sélec­tion­nés par­mi les 72 diplômes con­férés en 1999–2000, entre­coupées d’interventions musi­cales (piano, vio­lon) d’élèves de la pro­mo­tion 1998.

Puis au nom de l’A.X., Éric Le Mer remit le prix Poin­caré aux deux majors de sor­tie ex æquo de la pro­mo­tion 1997, Cédric Bouril­let et Tuân Ngô Dac, élève viet­namien illus­trant bril­lam­ment l’ouverture de l’École à l’international par le con­cours “2e voie ” ; et le prix Jor­dan au numéro 2 (après 1 et 1 bis) Yohann Leroy. L’allocution d’Éric le Mer est repro­duite ci-après, ain­si que celle de Cédric Bouril­let que Tuân Ngô Dac com­plé­ta par quelques mots exp­ri­mant sa recon­nais­sance pour les deux années extra­or­di­naires passées à l’École.

Enfin, dis­cours de clô­ture de Pierre Fau­rre (60), prési­dent du Con­seil d’administration de l’École, exhor­tant ces tout nou­veaux anciens élèves à être durant toute leur exis­tence per­for­mants, dés­in­téressés… et modestes.

Dernière céré­monie aux couleurs de la pro­mo 1997.

Sym­pa­thique dîn­er présidé par le Général et Madame Novacq.

Et pour ter­min­er la journée, réc­i­tal de piano don­né à l’amphi Poin­caré par Stéphane Afchain (97), Emmanuel Naim (97), Ben­jamin Leclaire (98) et Loïc Marc­hand (98). Inter­prètes extra­or­di­naires de Scri­abine (deux études), Prokofiev (sonate), Liszt (La val­lée d’Obermann), Rav­el (Alb­o­ra­da del gra­cio­zo), Debussy (Jardins sous la pluie et Feux d’artifice) et, à deux pianos, Dar­ius Mil­haud (Scara­mouche).

Je ferai per­son­nelle­ment la même remar­que qu’il y a deux ans : com­ment peut-on attein­dre cette maes­tria, ce niveau voisin du pro­fes­sion­nal­isme, et “ faire ” l’X ? Ils ont bien sûr été par­ti­c­ulière­ment applaudis.

Très belle journée, digne de l’École, qui mar­que avec solen­nité (un peu), chaleur (beau­coup), joie (pas­sion­né­ment) le pas­sage d’une pro­mo­tion du statut d’élève à celui d’ancien élève (défini­tive­ment acquis quand paraîtront ces lignes) qui dure toute la vie.

Mar­cel RAMA (41)

Conférence de Monsieur Axel Kahn

Sciences, technique, pouvoir et responsabilité

Mes­dames, Mesdemoiselles,
Messieurs, Ingénieurs
de l’École polytechnique,

vous avez de la chance.

Vous obtenez votre diplôme au lende­main du 14 juil­let de l’an 2000, prêts à con­quérir le siè­cle qui s’annonce.

Le monde est en paix, l’Europe se con­stru­it, la France est prospère. Vous ver­rez l’homme met­tre le pied sur de nou­velles planètes, com­mu­ni­quer par le texte, le son et l’image partout dans notre monde, et prob­a­ble­ment au-delà.

L’association de l’informatique, de la microélec­tron­ique, de la robo­t­ique et de la micromé­canique per­me­t­tra d’accroître dans des pro­por­tions hier encore inimag­in­ables le pou­voir com­biné de la main et de l’esprit humains, et de répar­er de plus en plus effi­cace­ment les corps endom­magés par des acci­dents ou des mal­adies. Ces dernières seront de mieux en mieux con­nues, prévues et maîtrisées grâce aux pro­grès atten­dus de l’exploitation des infor­ma­tions tirées de l’étude des génomes, avant tout du génome humain. La maîtrise crois­sante de la régénéra­tion des cel­lules et des tis­sus per­me­t­tra, dans une cer­taine mesure, de répar­er des ans l’irréparable out­rage. De ce fait, beau­coup d’entre vous seront cen­te­naires, peut-être cer­tains ver­ront-ils le XXIIe siècle.

Poly­tech­ni­ci­ennes, poly­tech­ni­ciens, je vous plains ! Vous arrivez aux respon­s­abil­ités dans un monde fou, dont per­son­ne ne peut prédire où il va. L’accroissement con­tinu des iné­gal­ités qui ren­dent la mis­ère encore plus inac­cept­able est ver­tig­ineux. Notre monde, en Europe, en Amérique et au Japon est celui dont je viens de vous décrire les bril­lantes per­spec­tives, si elles ne sont pas ruinées, cepen­dant, par les con­séquences sur l’environnement et le cli­mat d’un développe­ment non maîtrisé, auquel pour­tant des mil­liards de ter­riens aspirent.

Les ten­sions et con­flits découlant du car­ac­tère impu­dent d’une débauche de richess­es et de bien-être affichée chaque jour, à l’heure de la mon­di­al­i­sa­tion des moyens de com­mu­ni­ca­tion, aux yeux d’une human­ité dému­nie, con­stituent une men­ace tout aus­si sérieuse : l’inacceptable finit, un jour ou l’autre, par n’être plus accep­té ! Or, com­ment qual­i­fi­er autrement le spec­ta­cle du monde que nous contemplons ?

À Manille, ville occi­den­tal­isée depuis longtemps, des cen­taines de mil­liers de per­son­nes vivent de l’exploitation de gigan­tesques décharges à ciel ouvert où s’accumulent les détri­tus de la pop­u­la­tion aisée. Elles habitent pra­tique­ment sur leurs flancs. À l’occasion de pluies par­ti­c­ulière­ment abon­dantes, ces mon­tagnes d’ordures glis­sent et s’éboulent, ensevelis­sant et tuant des cen­taines de per­son­nes. Récem­ment, l’ONU recon­nais­sait, après d’autres, que le mode de développe­ment actuel laisse de côté des mil­liards de per­son­nes dont l’écart avec les citoyens des pays rich­es s’accroît dans tous les domaines. La mal­nu­tri­tion con­cerne près de deux mil­liards d’individus, les sols se dégradent, l’eau manque, la pol­lu­tion augmente.

C’est naturelle­ment dans le domaine de la san­té que les dif­férences sont les plus choquantes : la longévité en Occi­dent est main­tenant en moyenne de trente ans supérieure à celle en Afrique, et l’écart s’accroît aus­si avec les peu­ples en voie de paupéri­sa­tion comme ceux des anciens pays de l’Union sovié­tique. Qua­tre-vingt-cinq pour cent des dépens­es de san­té sont con­sacrées à 20% de la pop­u­la­tion mon­di­ale, 15% aux 80 % restants. Il y a 35 mil­lions de séroposi­tifs pour le virus du sida dans le monde, les trois quarts en Afrique. Or, les traite­ments effi­caces ne sont pas acces­si­bles au plus grand nom­bre, et 92 % des dépens­es engagées con­tre le sida le sont dans les pays rich­es qui ne comptent que 5% des per­son­nes infec­tées. Dans le monde, plus d’efforts sont con­sacrés à soign­er l’obésité et les mal­adies asso­ciées à la sur­charge pondérale qu’à lut­ter con­tre la sous-nutri­tion et la mal­nu­tri­tion, ce qui est totale­ment absurde.

Voilà, Mes­dames et Messieurs, la réal­ité dont vous héritez aus­si, dont vous ne devez pas, dont vous ne pou­vez pas vous sat­is­faire. C’est à votre capac­ité col­lec­tive de l’améliorer que l’on appréciera, dans le futur, le suc­cès de votre généra­tion, et que l’on saura si, comme je l’espère, elle a fait mieux que la nôtre.

Out­re des motifs d’indignation et d’inquiétude, quels enseigne­ments peut-on tir­er de la suc­ces­sion de ces deux dis­cours, émer­veil­lé pour l’un, acca­blé pour l’autre ?

Le pre­mier, ce n’est pas une nou­veauté, c’est que l’intelligence humaine accroît en per­ma­nence son effi­cac­ité grâce aux per­for­mances des out­ils qu’elle per­met de créer, aboutis­sant à une exten­sion expo­nen­tielle du pou­voir humain. Le sec­ond, c’est que le savoir, et le pou­voir auquel il donne accès, ne con­duisent pas sim­ple­ment, linéaire­ment, inéluctable­ment à l’amélioration de la con­di­tion humaine.

En d’autres ter­mes, le pro­grès des sci­ences et des tech­niques, fruit de la rai­son, est à l’évidence l’un des moyens du pro­grès humain mais il est insuff­isant, con­traire­ment aux espoirs que véhic­u­lait l’idée de Pro­grès qui flam­boie au Siè­cle des lumières, et con­traire­ment à tous les idéaux progressistes.

Les citoyens de nos pays, à la fin du XIXe siè­cle, se retrou­vaient dans cette foi en un Pro­grès des Sci­ences et des Tech­niques assur­ant pro­gres­sive­ment le bon­heur humain. Le XXe siè­cle qui s’achève a par­tielle­ment répon­du à ces espoirs ; il a apporté l’amélioration de la san­té, l’augmentation de la longévité, la maîtrise de la fécon­dité, etc.

Cepen­dant, ce siè­cle, c’est aus­si celui des deux con­flits mon­di­aux haute­ment tech­ni­cisés, des géno­cides, d’Hiroshima et de Nagasa­ki, de Tch­er­nobyl, de Bhopal, du sida, de la pol­lu­tion, des scan­dales de l’amiante, du sang con­t­a­m­iné, de la vache folle et, nous l’avons vu, de l’aggravation des iné­gal­ités. L’attente des citoyens européens a donc été déçue, amenant la majorité d’entre eux à ne plus met­tre tous leurs espoirs dans le pro­grès des con­nais­sances et des tech­niques, voire même à man­i­fester à leur endroit plus d’appréhension que de confiance.

L’effondrement des pays nour­ris de l’idéologie du pro­gres­sisme com­mu­niste, leur effroy­able bilan humain et écologique, n’a pas amélioré l’image d’une cer­taine forme de pro­grès, et aujourd’hui la plu­part des Européens sont per­suadés que si la sci­ence est légitime dans sa pour­suite du vrai, elle n’a pas voca­tion à dire le bien. Une tra­duc­tion démoc­ra­tique de ce principe est que la sci­ence et la tech­nique, qui définis­sent le pos­si­ble et le prob­a­ble, sont par­faite­ment insuff­isantes pour définir ce qui est sociale­ment légitime.

C’est déjà ce que soute­nait, il y a plus de vingt-trois siè­cles, le sophiste Pro­tago­ras qui, de pas­sage à Athènes, dis­cu­tait avec Socrate de la ques­tion. C’est à Pla­ton, dis­ci­ple de Socrate, que l’on doit ce dia­logue philosophique. Le grand philosophe tient pour établi que le vrai con­duit au bien, celui qui sait ne pou­vant faire volon­taire­ment le choix du mal. Je ne pense pas que l’histoire ait con­fir­mé cet opti­misme, que ne partageait pas non plus Protagoras.

Afin de dévelop­per la thèse selon laque­lle le savoir ne suf­fit pas à débouch­er sur la ver­tu, Pro­tago­ras s’appuie sur le réc­it réin­ter­prété du mythe de Prométhée. “ Il fut jadis un temps où les dieux exis­taient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps que le des­tin avait assigné à leur créa­tion fut venu, les dieux les façon­nèrent dans les entrailles de la terre. Quand le moment de les amen­er à la lumière approcha, ils chargèrent Prométhée et Épiméthée de les pour­voir et d’attribuer à cha­cun des qual­ités appropriées. ”

Épiméthée, celui qui ne prévoit pas, qui ne se rend compte qu’après coup, décide de se charg­er du tra­vail. Il attribue si bien à toutes les espèces vivantes des qual­ités judi­cieuses, com­plé­men­taires, assur­ant leur survie et leur mul­ti­pli­ca­tion, que, sans y pren­dre garde, il dépense pour les ani­maux toutes les fac­ultés dont il dis­po­sait, rien ne lui restant pour la race humaine. Prométhée vient alors pour exam­in­er le partage : “ Il voit les ani­maux bien pourvus, mais l’homme nu, sans chaus­sures, ni cou­ver­ture, ni arme, et le jour fixé approchait où il fal­lait l’amener du sein de la terre à la lumière.

Alors Prométhée, ne sachant qu’imaginer pour don­ner à l’homme le moyen de se con­serv­er, vole (aux dieux) la con­nais­sance des arts avec le feu (…) et il en fait présent à l’homme (…) lui don­nant ain­si la sci­ence pro­pre à con­serv­er sa vie ; mais il n’avait pas la sci­ence poli­tique ; celle-ci se trou­vait chez Zeus ” et était bien gardée.

L’homme pos­sède ain­si les arts et les tech­niques. Cepen­dant, il n’a pas les ver­tus civiques ; “aus­si les hommes à l’origine vivaient isolés et les villes n’existaient pas ; ain­si péris­saient-ils sous les coups des bêtes fauves, tou­jours plus fortes qu’eux ; les arts mécaniques suff­i­saient à les faire vivre ; mais ils étaient d’un sec­ours insuff­isant dans la guerre con­tre les bêtes (…) Ils ten­taient de se réu­nir mais quand ils s’étaient rassem­blés, ils se fai­saient du mal les uns aux autres parce que la sci­ence poli­tique leur man­quait, en sorte qu’ils se séparaient de nou­veau et périssaient. ”

C’est alors que, craig­nant que la race humaine ne soit anéantie, Zeus demande à son mes­sager Her­mès de porter aux hommes aïdos et dikè, le respect mutuel et la jus­tice. Le mes­sage de cette his­toire, c’est que la sci­ence et les tech­niques sont indis­pens­ables mais insuff­isantes à l’homme pour sur­vivre. Il lui faut égale­ment la jus­tice et le respect mutuel, qui sont d’une autre nature.

Je voudrais encore illus­tr­er ce mes­sage qui me sem­ble essen­tiel pour les hommes et les femmes de sci­ence, de tech­nique et de respon­s­abil­ité que vous serez, par l’évocation d’un des­tin trag­ique qui mar­que notre siècle.

En 1920, le grand chimiste alle­mand Fritz Haber reçoit le prix Nobel de sa spé­cial­ité pour son tra­vail d’avant-guerre sur les nitrates.

Durant le con­flit, c’est ce chimiste qui, par patri­o­tisme, invente et développe les gaz de com­bat. Le pre­mier à être util­isé est le chlore, en 1915 près de la ville belge d’Ypres. Il met hors de com­bat et tue des mil­liers de sol­dats de France et d’Afrique du Nord. Le phos­gène et l’ypérite seront syn­thétisés ensuite, et rapi­de­ment employés sur le front. Clara, la femme de Fritz, est elle-même une chimiste de tal­ent. Elle n’accepte pas que des sci­en­tifiques, qu’elle voudrait mus seule­ment par l’idéal de la con­nais­sance, fassent un tel usage de la sci­ence. Après les pre­miers essais du chlore en tant que gaz de com­bat, hor­ri­fiée et ne pou­vant faire enten­dre rai­son à son époux, Clara se saisit de l’arme de ser­vice de ce dernier et se suicide.

Peu avant la fin de la guerre, Fritz Haber met au point le cyclon B, qui sera util­isé à par­tir de 1941 pour le pro­gramme d’euthanasie des malades men­taux du IIIe Reich, puis dans les cham­bres à gaz de la solu­tion finale. Par une trag­ique ironie de l’histoire, les vic­times du gaz de notre prix Nobel seront alors en majorité les Juifs, c’est-à- dire les mem­bres de cette com­mu­nauté dont est issu Haber.

Les pseu­do-théories sci­en­tifiques fon­dant la poli­tique d’hygiène raciale du Reich ont, en fait, été plus ou moins approu­vées, ou au moins tolérées, par une grande par­tie des biol­o­gistes alle­mands. Dans presque tous les pays du monde, les sociétés de géné­tique s’appellent alors sociétés d’eugénique, par référence à la théorie eugéniste qui con­clut à la néces­sité de l’amélioration des lig­nages humains.

La mise en œuvre de poli­tiques eugénistes abouti­ra à la stéril­i­sa­tion de cen­taines de mil­liers de per­son­nes dans le monde. Cette effer­ves­cence idéologique est l’une des con­séquences du pro­grès des sci­ences biologiques aux XIXe et XXe siè­cles, la théorie de l’évolution de Jean-Bap­tiste Lamar­ck et Charles Dar­win, et la décou­verte des lois de la géné­tique par Gre­gor Mendel en 1865, et surtout leur redé­cou­verte dès l’année 1900.

Ces pro­grès sci­en­tifiques sont con­sid­érables ; ils con­stituent les piliers de la biolo­gie mod­erne. Et pour­tant, ils ont joué un rôle impor­tant dans les événe­ments soci­aux et poli­tiques d’une des pires péri­odes de l’humanité, illus­trant de façon écla­tante que, décidé­ment, le bien est irré­ductible au vrai. La pos­ses­sion de la con­nais­sance et la maîtrise des tech­niques, le pou­voir qu’elles con­fèrent, débouchent tou­jours sur un choix. En par­ti­c­uli­er, c’est celui de Fritz Haber que l’on peut faire, ou bien préfér­er celui de sa femme Clara. Fritz et Clara, deux choix dis­tincts, deux vis­ages de la respon­s­abil­ité assumée par des scientifiques.

Mes­dames et Messieurs les futurs anciens élèves de l’École poly­tech­nique, décideurs de demain, vous avez reçu la mis­sion non seule­ment de con­tribuer au développe­ment du savoir et des tech­niques mais aus­si de faire ces choix-là, dans un con­texte exal­tant autant qu’éprouvant. C’est ce à quoi ont voulu vous pré­par­er tous vos pro­fesseurs, civils et mil­i­taires, spé­cial­istes des sci­ences exactes ou des sci­ences humaines. C’est leur rai­son d’être, la base de l’espoir légitime qu’ils investis­sent en vous.

Je con­nais­sais très bien l’un de ces enseignants, le pro­fesseur Olivi­er Kahn, péd­a­gogue pas­sion­né, chimiste de tal­ent, spé­cial­iste mon­di­ale­ment con­nu de l’électromagnétisme molécu­laire. Il était mon frère et nous parta­gions les mêmes valeurs, et aus­si la même affec­tion pour l’École et ses élèves. Puisqu’il ne peut plus s’adresser à vous directe­ment, je l’associe à moi pour vous témoign­er toute notre admi­ra­tion pour vos capac­ités, votre réus­site et, nous en sommes sûrs, votre con­science et votre esprit de responsabilité.

Vous prenez, en quelque sorte, pos­ses­sion d’un monde mag­nifique, promet­teur et inquié­tant : faites-en bon usage, vous le pouvez !

Allocution d’Éric Le Mer

Remise des prix aux majors de la promotion 1997

Excel­lence,
Mon­sieur le Président,
Mon Général,
Mes­dames, Messieurs,
Chers Camarades,

Écho de la fête de la Fédéra­tion, célébrée hier, 14 juil­let, une autre fête nous réu­nit aujourd’hui, qui dis­tingue le, devrais-je dire en l’occasion les majors, ain­si que le sec­ond de la pro­mo­tion sortante.

Selon une tra­di­tion dont elle s’honore, c’est l’A.X., l’Association des anciens élèves de l’École poly­tech­nique, qui procède ain­si, à la remise du prix Poin­caré et du prix Jordan.

Le Prési­dent de l’Association n’ayant pu se ren­dre disponible, c’est pour moi un grand plaisir de le rem­plac­er pour cet événe­ment en tant que vice-prési­dent de l’A.X.

Moment de fête, dis­ais-je, mais aus­si moment de tran­si­tion puisque aus­si bien pour vous, chers cama­rades de cette pro­mo­tion sor­tante, il s’agit d’un change­ment tout à la fois de statut et de per­spec­tive tem­porelle : élève pen­dant trois ans, ancien élève toute une vie.

À cet égard, un mot sur notre Asso­ci­a­tion d’anciens élèves, l’A.X., que je ne saurais trop vous encour­ager à rejoin­dre pour l’enrichir de vos forces et de votre enthousiasme.

C’est une asso­ci­a­tion ami­cale (ce qual­i­fi­catif est essen­tiel) dont la rai­son d’être est de main­tenir et dévelop­per des rela­tions de sol­i­dar­ité, de cama­raderie, d’amitié, de com­mu­nauté d’intérêt, entre tous les anciens, toutes pro­mo­tions confondues.

On par­le sou­vent de la grande famille poly­tech­ni­ci­enne ; si cette image est per­ti­nente, il est bien naturel de favoris­er les liens entre ses mem­bres et aus­si d’apporter entraide, récon­fort, sec­ours à ceux et aux familles de ceux (il y en a plus qu’on ne le pense) que la vie n’épargne pas.

Mais l’A.X. se sent égale­ment, à sa juste place, une respon­s­abil­ité sur la vie et l’avenir de l’École en restant vig­i­lante, mais surtout en appor­tant son appui à tous ceux qui œuvrent pour que l’X main­ti­enne son niveau d’excellence, se mod­ernise, s’ouvre et ray­onne davan­tage à l’extérieur au rythme voulu par les trans­for­ma­tions de la société française, de l’Europe et du monde.

C’est, main­tenant, comme représen­tant des anciens élèves de l’X, que je vais remet­tre leur prix à trois de vos cama­rades dont les tra­jec­toires per­son­nelles illus­trent, remar­quable­ment, le car­ac­tère démoc­ra­tique et inter­na­tion­al de notre École.

  • Le prix Hen­ri Poin­caré, à vos deux majors :
    – Cédric BOURILLET et
    – Tuân NGÔ DAC, cama­rade viet­namien entré à l’École par le con­cours “ 2e voie ”.
  • Le prix Jor­dan, au sec­ond de votre pro­mo : Yohann LEROY.


Hen­ri POINCARÉ, major d’entrée de la pro­mo­tion 1873, est une fig­ure emblé­ma­tique de notre com­mu­nauté, mais aus­si de la com­mu­nauté sci­en­tifique et philosophique, de façon plus générale. Pro­fesseur à la Sor­bonne à 31 ans, mem­bre de l’Académie des sci­ences à 32 ans, ses travaux d’exception en math­é­ma­tiques et en physique ont porté sur les sujets les plus ardus en analyse math­é­ma­tique, en mécanique, en physique math­é­ma­tique ; cer­taine­ment l’un des théoriciens fon­da­teurs de la Rel­a­tiv­ité, il fut aus­si le vision­naire de la future Théorie du Chaos.

Cédric BOURILLET et Tuân NGÔ DAC, je vous remets le prix Hen­ri Poin­caré qui com­porte l’ensemble de ses œuvres.

Camille JORDAN, un autre major d’entrée à l’X, en 1855, fig­ure lui aus­si au Pan­théon des mathématiciens.

Pro­fesseur à l’X, mem­bre de l’Académie des sci­ences à 43 ans, ses travaux, d’une rigueur extrême, ont porté sur l’algèbre, la théorie des groupes, l’analyse.

Yohann LEROY, je vous remets le prix Camille JORDAN qui com­porte l’ensemble de ses œuvres.

Je vous félicite tous les trois pour les bril­lants résul­tats que vous avez obtenus. À vous tous, mem­bres de la pro­mo­tion 1997, je souhaite que la vie vous apporte un plein épanouisse­ment sur le plan per­son­nel et famil­ial, une entière réal­i­sa­tion sur le plan pro­fes­sion­nel à la mesure de votre engage­ment et de votre exi­gence éthique.

Pour ter­min­er je vous laisse réfléchir à ce pro­pos d’Henri POINCARÉ, extrait de Sci­ence et Méth­ode, où se mélan­gent éthique et esthétique :

“ Si la Nature n’était pas belle, elle ne vaudrait pas la peine d’être con­nue, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue. ”

Que votre nou­velle vie d’ancien soit belle.

Allocution du major Cédric Bourillet

Remise des diplômes aux X 97

Excel­lence,
Messieurs les Élus
Mon­sieur le Président,
Mon Général,
Mes chers Camarades,
Mes­dames, Messieurs, 

C’est un red­outable hon­neur qui m’échoit d’avoir en présence d’un audi­toire aus­si bril­lant, à pronon­cer le dis­cours de clô­ture de notre pro­mo­tion et mal­gré ma taille, je me sens hum­ble et petit devant cette responsabilité.

Nous venons de pass­er trois années sous l’égide de notre pres­tigieuse École et nous allons religieuse­ment met­tre notre bicorne sous globe sur la chem­inée du salon avant de regarder le chemin parcouru.

Après avoir acquis au prix d’efforts inces­sants les con­nais­sances élé­men­taires req­ui­s­es pour ouvrir la porte de l’École, nous avons con­staté que nous ne savions rien, que notre cervelle était nue, nue comme Ève au com­mence­ment des temps, nue comme Vénus sor­tant de l’onde, nue comme beau­coup de dis­cours de gens sou­vent importants.

Heureuse­ment, hors uni­forme, on a habil­lé notre cerveau d’un trousseau com­plet, au prix d’essayages, de choix de tis­su, de couleurs, men­su­ra­tions, coupes, retouch­es divers­es et nom­breuses au cours desquelles notre cerveau malaxé a été tourné, retourné, essoré à tel point que nous avons main­tenant quelques cir­con­vo­lu­tions cer­vi­cales de plus ce qui, tout le monde le sait, est le signe d’un esprit supérieur, enfin restons modestes.

Et je tiens à remerci­er ici les tailleurs et styl­istes qui ont su ain­si nous par­er avec toute leur com­pé­tence mais aus­si tout leur ent­hou­si­asme, des matières les plus abstraites aux matières les plus appliquées.

La cul­ture de notre corps n’a pas été oubliée. Pen­dant la pre­mière année, au tra­vers d’une for­ma­tion mil­i­taire qui nous a tout d’abord per­mis d’acquérir un pas de danse binaire endi­a­blé au son des voix de basse des ser­gents et adju­dants ; puis par l’apprentissage du goût de l’effort. Pen­dant les deux dernières années, ce goût a été dévelop­pé à l’École par le sport, matière à part entière qui ne se con­tente pas d’être un com­plé­ment indis­pens­able au tra­vail intel­lectuel, mais se révèle être aus­si un lien social impor­tant entre les indi­vidus. Ces aspects ont été par­ti­c­ulière­ment dévelop­pés par mes deux moni­teurs de judo et je prof­ite de cette occa­sion pour leur ren­dre hommage.

Nous allons main­tenant entr­er dans la vie, cha­cun suiv­ant son des­tin. Trahit suam quamquam volup­tas, dis­ait élégam­ment Vir­gile quoique dans notre cas la volup­té sera plutôt austère. À cha­cun de rem­plir la tâche qui lui est dévolue, de servir à sa manière la France qui nous a tout don­né. Mais y a‑t-il meilleur moyen de la servir qu’en s’inspirant aus­si de la richesse des autres pays ?

Et l’ouverture à l’international de notre pro­mo­tion fut indu­bitable­ment une chance pour elle.

Nous avons pu prof­iter de cama­rades étrangers qui pro­gressent, de cama­rades étrangers qui sou­vent s’intègrent vite, de cama­rades étrangers qui réussissent.

Par­mi eux, je tiens par­ti­c­ulière­ment à féliciter une nou­velle fois celui qui a réus­si, mal­gré la bar­rière de la langue, à se gliss­er devant le deux­ième élève français lors du résul­tat final…

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