A l’X, les Jaunes ne brisent pas les grèves, ils les font !

Dossier : TraditionsMagazine N°A l’X, les Jaunes ne brisent pas les grèves, ils les font !
Par Serge DELWASSE (X86)

Caveat : dans la mesure du pos­si­ble, je m’efforce de garder à mes bil­lets un for­mat raisonnable, entre 5000 et 10000 signes. Ce bil­let, enrichi au fur et à mesure par les con­tri­bu­tions des témoins et les coupures de presse, est un peu plus long. J’ai délibéré­ment choisi de ne pas le couper en plusieurs épisodes, afin d’en con­serv­er la logique. Je prie mon lecteur de bien vouloir me le par­don­ner et j’espère que cela ne le découragera pas d’aller au bout.

Con­ven­tion de lec­ture : les textes en noir sont de moi, ceux en rouge les témoignages de nos cama­rades – que, pour sim­pli­fi­er, j’ai tous anonymisés. en bleu sont les extraits de la presse.

La grève de 1986 : un bran de potaches, mais qui fut pris au sérieux ou « les ennemis de mes ennemis sont mes amis »

Ceux de nos cama­rades qui ont entre 45 et 50 ans s’en sou­vi­en­nent prob­a­ble­ment : comme à plusieurs repris­es depuis 1975, cette péri­ode était celle d’une réelle ten­sion entre les élèves et la Direc­tion de l’Enseignement.

La ten­sion s’est cristallisée sur deux jours de vacances de Tou­s­saint que ladite direc­tion pré­tendait sup­primer. quelqu’un (qui ? pourquoi ? com­ment ? la mémoire est assez lacu­naire…) eut l’idée d’une grève… avec occu­pa­tion du Bon­court. La sono du ∑tyx, les flip­pers du Binet loisirs, une voiture radio­com­mandée, et l’atmosphère feu­trée des hautes sphères lais­sait place à une ambiance plus fes­tive. Mes cocons se souviennent :

  • « Je me sou­viens que quelqu’un avait sug­géré lors de l’amphi Kes qui avait précédé qu’ « il faudrait prévenir la presse ». Cela m’avait sem­ble tout a fait déplacé compte tenu des avan­tages dont nous bénéficions. »
     
  • « pour moi la cause de la grève, c’était une semaine de con­gés en moins, sans con­cer­ta­tion ni même sem­blant de con­sul­ta­tion préal­able. Après la nuit d’occupation, et une mat­inée ? j’ai été poussé par XXX, pour faire par­tie des « délégués » envoyés à la ren­con­tre du LCL Mon­tels (nous étions 2 ? 3 ? 4 ?). NdDlw : Le regret­té Chris­t­ian Mon­tels, mal­heureuse­ment décédé une dizaine d’années après notre sor­tie, était notre Com­man­dant de Pro­mo, très aimé des élèves ; Il avait été pitaine de com­pag­nie de la 68. C’est dire qu’il avait appris à manip­uler des car­vas en guerre con­tre l’autorité…Ils nous avait fait le grand sketch jusque là on vous a pro­tégés, mais main­tenant on va plus pouvoir… » ( ?????).
     
    L’oc­cu­pa­tion, c’est aus­si la nuit…Pavillon Bon­court 21 décem­bre 1987
     
  • Par con­tre je n’ai pas de sou­venir d’une men­ace d’assaut de mil­i­taires… Je pense qu’il était resté flou : moins la men­ace est pré­cise, plus elle laisse imag­in­er…. Cer­tains auront imag­iné la « charge des mili ». J’avoue que je suis « bon pub­lic » et, pas fier, qu’il m’avait fait peur. Donc je suis d’accord pour « fin manip­ulée par les mil­i­taires ». Au retour au Bon­court, j’ai donc pris un méga­phone, et dis dedans « il faut aller au Point K », et com­mencé à avancer. A ma grande sur­prise, un peu près tout le monde a suivi. J’en suis encore sur­pris aujourd’hui. Et c’est une bonne leçon sur le car­ac­tère imprévis­i­ble des mou­ve­ments de foule… Au point K on avait dû débat­tre, et vot­er, et décider d’arrêter, sur la base d’une promesse de « com­mis­sion de dialogue ».
     


    Dif­fi­ciles négociations.


    Ani­ma­tion inhab­ituelle au Boncourt.


    Non, je ne trou­ve pas ça drôle


    3615, code BONCOURT

  • Le soir même, au sor­tir de sa Pâle, [le Kessier] m’avait remon­té les bretelles d’avoir accep­té d’arrêter, ce qui va dans le sens d’une forte influ­ence de la 85 sur le mou­ve­ment… La com­mis­sion de dia­logue avait bien eu lieu env­i­ron un mois après, après le retour des vacances. On nous avait écoutés, et puis surtout rien fait… Et la dynamique était suff­isam­ment anci­enne pour qu’on ne se remo­bilise pas. Une leçon en règle sur la façon d’émousser un mou­ve­ment. Il faut dire que dans la com­mis­sion, on avait en face, entre autres, Jean Peyrel­e­vade, qui avait déjà négo­cié pas mal de choses dans sa vie, dont des Air­bus. Peu de chance de faire le poids… J’ai essayé de l’ouvrir deux fois et à chaque fois il m’a démoli pro­pre­ment mais net­te­ment. Ca m’a calmé.
     
  • Je me sou­viens aus­si de l’interview télé­phonique du [Directeur de Etudes] par [une Xette], qui s’était faite pass­er pour une jour­nal­iste de Libé. Ca nous avait procuré une bonne tranche de rire, [le DER] essayant de noy­er le pois­son. Mais c’est là que l’on voit que les temps ont changé. Je ne sais pas si vous avez suivi, mais il y a qua­tre cinq ans, il y a un élève de Nor­male qui a fait un can­u­lar à mon avis com­pa­ra­ble : envoy­er un mail au nom de la direc­trice. Non seule­ment il a été viré, mais il a écopé d’une con­damna­tion pénale. [Xette qui se fait pass­er pour une jour­nal­iste], te rends-tu compte à quoi tu as échappé ? »
     
  • Cette grève a été un grand moment de manip­u­la­tion de notre pro­mo par son entourage. Ain­si : qui a eu l’idée de la grève ? La pro­mo 85 et en par­ti­c­uli­er sa Kès. Il nous avait été fixé une date de pale à gros coeff. l’après-midi du jour de départ en vacances de je ne sais quelle péri­ode de con­gés (prob­a­ble­ment févri­er, puisque pour Noël, c’était a pri­ori trop tard). L’administration avait voulu leur faire le coup l’année précé­dente, mais la 85 avait vail­lam­ment résisté, et elle voulait qu’on ne lâche pas. Deux­ième manip­u­la­tion : tout d’un coup, la rumeur a cou­ru que « les bazoffs allaient charg­er le Bon­court » et qu’il fal­lait évac­uer (je rap­pelle qu’on par­lait là de nos profs de sport, et qu’il n’y en avait pas tant que ça en mesure de charg­er quoique ce soit ; et les autres étaient plutôt à se refaire sur l’échauffement qu’à charg­er des officiers..).
     
  • Tou­jours est-il que le Bon­court s’est vidé très vite (pour l’amphi (!)), et que mon ami XXX et moi-même nous sommes retrou­vés bien seuls le temps de finir une par­tie d’un jeu de société. Inutile de vous dire qu’on a pas vu un bazoff arriv­er. Je crains qu’on se soit fait là aus­si un peu manip­uler, et que glob­ale­ment nous n’ayons pas eu une grande con­vic­tion sur le bien-fondé de cette occu­pa­tion… J’ai juste com­pris qu’il y avait eu un sem­blant de négo avec Mon­tels. En tout cas, j’ai un sou­venir très net que Mon­tels avait ten­té (un vieux sur-moi de mil­i­taire à la mode Egyp­to-Thaï­landaise peut-être) d’influer sur l’élection Kès qui se pro­fi­lait en pous­sant en avant XXX, qui n’était surtout pas can­di­dat (par­ti­c­ulière­ment dans ces conditions).
     
  • En con­clu­sion, j’ai trou­vé ce moment glob­ale­ment un peu pathé­tique (même s’il était amu­sant dans ses détails), assez révéla­teur sur cer­taines indi­vid­u­al­ités (pour le meilleur et le pire), et m’a con­va­in­cu que les mou­ve­ments de groupe étaient très peu fiables, puisque même une pop­u­la­tion en théorie plus maligne, réfléchie et au top de sa forme physique que la pop­u­la­tion moyenne se fai­sait balad­er par ses « anciens » et par la pre­mière rumeur de vio­lence venue ! Il n’en demeure pas moins que c’est le seul mou­ve­ment réelle­ment col­lec­tif et non con­traint de la pro­mo de 1986 à nos jours.
     
  • Le Kessier, interrogé,
    • con­firme avoir organ­isé et ani­mé l’amphi kès qui avait valeur d’Assemblée Générale,
    • affirme qu’il ne l’a fait qu’en qual­ité de kessier en fonction
    • nie farouche­ment la manip­u­la­tion – mais en même temps, on n’a jamais vu un manip­u­la­teur admet­tre la manip­u­la­tion, même 30 ans après.
    • con­firme néan­moins le con­cept de « sales goss­es » qui se plaig­nent alors qu’ils ont, somme toute, la belle vie

Alors, manip­u­la­tion ou pas manip­u­la­tion ? peu importe au fond, nous nous sommes bien marrés 🙂

A cette époque, l’X était une machine beau­coup moins grosse qu’aujourd’hui, et deux jours sans activ­ité sérieuse au Bon­court pas­saient totale­ment inaperçus. Tou­jours est-il qu’il faut savoir finir une grève.

La sagesse était, comme sou­vent, du côté des vieux, et le Général, au fond pas mécon­tent de don­ner tort au corps pro­fes­so­ral, nous ren­dit nos deux jours de vacances, non sans avoir eu l’idée, pour le moins saugrenue, de nous retir­er deux jours de sol­de – en fait, un seul – au pré­texte que l’on ne payait pas les ouvri­ers en grève. J’ai donc le plaisir de vous informer que, via la pro­mo 86, le Général Paul P. a offi­cielle­ment accordé le droit de grève aux militaires !

En remon­tant les années 80 et la fin des années 70, je passe sur le com­bat pour la sup­pres­sion de l’uniforme d’intéreur, la « BD », finale­ment obtenue pas les 85, pour remon­ter directe­ment à la pro­mo 75.

La grève de 1977 : quand un kessier utilise des méthodes de missaire !

Il me faut tout d’abord replanter le décor. 3 décors en fait :

  • Le platâl : la pro­mo 75 a essuyé les plâ­trals – vous noterez le niveau du calem­bour – arrivant seul sur un plâ­tal désert et absol­u­ment pas adap­té à une vie estu­di­antine. De quoi agacer…
  • L’antimilitarisme : nous arriv­ions à la fin du maoïsme et des comités de soltats, mais l’ambiance était encore franche­ment anti-milis / cheveux longs/ peace & love : Hair…
  • enfin, je rap­pelle que la Kès n’avait pas son pen­dant clan­des­tin qu’est la Khômiss. ce n’est pas un hasard si tous les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires ont une vit­rine poli­tique et un bras armé mil­i­taire offi­cielle­ment dis­tincts. Par exem­ple Sinn Fein et IRA.

Le Monde du 2 décem­bre 77 rap­porte ain­si les faits : « Les élèves de l’École poly­tech­nique, à Palaiseau (Essonne) ont décidé, mar­di 29 novem­bre, dans leur qua­si-total­ité, la » sus­pen­sion des activ­ités « . Ce mou­ve­ment fait suite à des sanc­tions pour infrac­tion au port de l’uniforme. Des sanc­tions, pour le même motif avaient été pris­es en octo­bre (le Monde du 22 octo­bre). Ce mer­cre­di, après une assem­blée générale, la grève a continué.

Lors du bal de l’X, le 25 novem­bre à l’Opéra de Paris, un élève « en tenue débrail­lée » – selon les mil­i­taires – « ayant ouvert le col de sa veste » – selon ses cama­rades, a été rap­pelé à l’ordre par le général […], directeur de l’École poly­tech­nique. La réponse de l’élève, M. […], a été jugée » inso­lente » et celui-ci a été mis aux arrêts de rigueur pour un mois, c’est-à-dire enfer­mé dans un « local de tra­vail » . Il s’agit d’une petite pièce en sous-sol, éclairée par un soupirail.

Selon les élèves, le général […] aurait inter­pelé […] en le prenant pour un autre. « Cela ne vous a pas suf­fi quinze jours de trou ? » , lui aurait-il dit, alors que M.[…] n’avait, jusque là, pas été puni. Il s’agit même d’un « bon élé­ment » puisque, tou­jours selon les élèves, il a été classé pre­mier à l’issue de sa péri­ode d’été au camp du Larzac. Il aurait seule­ment répon­du au directeur de l’École : « Quand on danse il fait chaud. »

Cette déci­sion a entraîné, le 29 novem­bre, le boy­cottage d’une épreuve de math­é­ma­tiques par la pro­mo­tion 1975, et une assem­blée générale. Une élève qui cir­cu­lait alors avec un uni­forme » panache » (jupe mil­i­taire et chemise indi­enne) a été inter­cep­tée par le colonel […], chargé des rela­tions entre l’administration mil­i­taire et les élèves, qui lui a infligé quinze jours d’arrêt sim­ple – c’est-à-dire que l’élève doit rester dans sa cham­bre lorsqu’elle ne va pas en « amphi » .

L’administration mil­i­taire de l’École se défend de procéder à la moin­dre reprise en main. « Nous ne faisons qu’appliquer les règle­ments mil­i­taires qui régis­sent l’École depuis tou­jours. » Les officiers qui admin­istrent l’X font val­oir que tous les élèves de l’École – élèves-officiers ayant grade d’aspirant ou de sous-lieu­tenant et perce­vant une sol­de d’officier – se sont engagés à respecter la dis­ci­pline mil­i­taire, qui les oblige à rester en tenue « pen­dant les heures de ser­vice » , c’est-à-dire de 8 heures à 18 heures.

L’administration con­sid­ère que cette dis­ci­pline fait par­tie de la péd­a­gogie de l’École. « Ce sont des jeunes qui n’ont jamais ren­con­tré la moin­dre résis­tance, explique le colonel […]. Tout leur a réus­si jusqu’à présent. Ni la société ni leur famille ne leur ont jamais rien refusé. Il faut bien que cela com­mence un jour. »

Cer­tains vont même jusqu’à dire : « Nous leur ren­dons ser­vice en les punis­sant : quand ils sont aux arrêts, au moins ils tra­vail­lent. » L’administration mil­i­taire ne sem­ble nulle­ment intimidée par les ten­ta­tives de résis­tance. « Des puni­tions, il y en aura d’autres » , a prévenu le colonel […].


Le Micral et son couloir d’accès, sous le PC sécurité

Le lende­main ; « La grève se durcit à l’École poly­tech­nique de Palaiseau (Essonne), où les élèves ont cessé toute activ­ité depuis le mar­di 29 novem­bre à la suite des sanc­tions infligées à deux de leurs cama­rades (le Monde daté 1er et 2 décem­bre). En plus des deux élèves mis aux arrêts pour infrac­tion au port de l’uniforme, qua­tre « kessiers » (élèves chargés des rela­tions avec l’administration mil­i­taire et respon­s­ables de l’animation) de la pro­mo­tion 1975 ont été consignés.

La qua­si-total­ité des quelque six cents élèves de l’École par­ticipent matin et soir à des « amphis » (assem­blées générales) depuis mar­di, pour réclamer la lev­ée des sanctions. 

L’élève délégué au con­seil d’administration, M. […], a été man­daté par ses cama­rades pour effectuer une démarche au min­istère de la défense, l’administration de tutelle. Mais on lui a répon­du lors de sa démarche, jeu­di 1er décem­bre, que sa demande était « irrecev­able » et qu’il lui fal­lait pass­er par « les voies hiérar­chiques normales » . 

Ce ven­dre­di matin, les élèves ont décidé de con­tin­uer le boy­cottage des cours et de rester cette fin de semaine à l’École, par « sol­i­dar­ité avec les cama­rades aux arrêts » . Quant à l’administration mil­i­taire, elle déclare que « les élèves vaque­nt à leurs occupations » .

Et le 5 décem­bre « La crise de l’École poly­tech­nique / Le directeur général adjoint ne sera pas renou­velé dans ses fonc­tions / La grève des élèves con­tin­ue à Palaiseau. La sit­u­a­tion à l’École poly­tech­nique de Palaiseau (Essonne), où la qua­si-total­ité des élèves sont en grève depuis mar­di 29 novem­bre pour pro­test­er con­tre des sanc­tions dis­ci­plinaires, est tou­jours bloquée.

Les élèves ont décidé de pass­er tous le week-end à l’École et ont invité la presse à venir dia­loguer avec eux. Un élé­ment, qui n’est pas de nature à apais­er leur mécon­tente­ment, vient d’intervenir avec la déci­sion de ne pas renou­vel­er, à dater du 1er décem­bre, M.[…], directeur général adjoint de l’École, dans ses fonctions. »

Vous noterez qu’une petite affaire (il sem­blerait néan­moins que le cama­rade cran­té pour « tenue débrail­lée », pas très frais à 4 heures du matin, ait répon­du assez verte­ment au général. D’un autre côté, quand on est général, on quitte le bal de l’X vers 1 heure du matin au plus tard…) prend rapi­de­ment des pro­por­tions impor­tantes. On passe de deux élèves aux kessiers puis à la pro­mo. On passe de l’uniforme à la pâle de maths, puis au directeur de l’enseignement.

L’animateur de la grève, LE kessier qui aurait été GénéK s’il avait vécu 10 ans plus tôt ou plus tard, dont je ne garde l’anonymat que par souci d’homogénéité avec l’ensemble du texte, car il assume très bien, donne sa ver­sion des faits :

  • L’élève puni – donc j’ai masqué le nom par égard pour ne pas empêch­er ses petits enfants d’entrer un jour à la grande Ecole – était plutôt anti­mil­i­tariste et le Général l’avait « dans le nez »
  • LE kessier,du fond de son micral – qui ne s’appelait plus micral, et qui était situé sous le bureau des pom­piers – ani­mait les AG en amphi, grâce à un ingénieux sys­tème de sonorisation
  • Il garde d’ailleurs un bon sou­venir de cette semaine au fond de son micral… La rumeur veut que­les jolies Xettes du platâl se soient relayées pour lui tenir com­pag­nie. Il dément vigoureusement.
  • In fine, « il faut savoir finir une grève », les arrêts ont été lev­és, et les X ont repris une vie nor­male. Il a totale­ment oublié le Directeur de l’Enseignement, bouc émis­saire de l’affaire

Peu de gens con­nais­sent l’existence des locaux dis­ci­plinaires sous le PC sécu­rité. Le Règle­ment de Dis­ci­pline Générale a été mod­i­fié par Charles Her­nu en 81 ou 82. les arrêts de rigueurs ont été sup­primés. Le micral égale­ment. Il sert main­tenant de locaux d’astreinte aux pompiers.

1975 : Le chant du cygne du Parti communiste

Le Monde écrit le 22 mai 75 « Pour pro­test­er con­tre les sanc­tions infligées à qua­tre élèves/ » GRÈVE DE L’UNIFORME » à L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE/ Ces sanc­tions font suite à la dis­tri­b­u­tion par la Kes (le bureau des élèves) aux can­di­dats qui subis­saient les épreuves du con­cours d’entrée à l’école, jeu­di 15 mai, à la sor­tie du cen­tre de Vin­cennes, d’un tract cri­ti­quant la réforme du ser­vice mil­i­taire des poly­tech­ni­ciens, qui entr­era en vigueur pour la pro­mo­tion 1975.

Ce tract ne met­tait donc pas en cause le statut mil­i­taire de l’école, comme nous l’avions indiqué par erreur (le Monde du 21 mai), mais s’inquiétait de l’obligation faite aux « X » d’accomplir leur ser­vice mil­i­taire avant leur entrée défini­tive à l’école et des pres­sions qui pour­raient être exer­cées sur eux à cette occa­sion s’ils man­i­fes­taient une « insuff­i­sance d’esprit mil­i­taire « .La plu­part des élèves de la pro­mo­tion 1974 de l’École poly­tech­nique obser­vent depuis mar­di 20 mai une « grève de l’uniforme » pour pro­test­er con­tre les sanc­tions infligées par le com­man­dant mil­i­taire de l’école à qua­tre de leurs cama­rades, MM. [suiv­ent les noms des 4 kessiers 73]

Un sit in a été organ­isé, mar­di 20 mai, sous les fenêtres du bureau du général Bri­quet, com­man­dant de l’École, par ailleurs démis­sion­naire (le Monde du 30 avril). Les qua­tre élèves ont été mis aux arrêts de rigueur pour dix jours, les deux pre­miers à la caserne Dupleix, en qual­ité de « récidi­vistes » (ils avaient déjà signé au début de l’année une péti­tion où ils se déclaraient sol­idaires de « l’appel des Cent » (voir le Monde du 7 jan­vi­er 1975), et les deux autres à l’École poly­tech­nique elle-même.

M. Daniel Dal­bera, député (com­mu­niste) de Paris, demande, dans une ques­tion écrite au min­istre de la défense, » quelles mesures il compte pren­dre pour faire lever les sanc­tions et respecter la liber­té fon­da­men­tale des élèves de l’école » .

Comme on dit « même motif, même puni­tion » : vous cran­tez nos cocons, nous on fait la grève de l’uniforme. les pré­textes ne changent pas, et les modes d’action non plus.

Je laisse la place aux sou­venirs des acteurs

Ce n’était donc qu’un pré­texte ? Et les com­mu­nistes ? il n’aurait pas mis un peu d’huile sur le feu ?

Je ne sais pas qui a fait le battage médi­a­tique mais ce mou­ve­ment n’est pas passé inaperçu. Cela devait être en rela­tion avec l’UGE, syn­di­cat qui avait recueil­li pas mal d’adhésion dans notre pro­mo (une quar­an­taine ?). J’ai notam­ment par­ticipé à une con­férence de presse où nous étions cagoulés pour ne pas subir de sanc­tions. Je n’ai plus trop la chronolo­gie de la péri­ode médi­a­tique. Il y a eu notam­ment un tour­nage pour les infos de TF1. L’équipe de TF1 était en effet accom­pa­g­née d’un pho­tographe qui a pris beau­coup de pho­tos. C’était en réal­ité un pho­tographe de Paris Match qui a fait tout un arti­cle sur le sujet. Je me sou­viens égale­ment d’un titre (du Figaro je crois) qui était choquant : l’Ecole Poly­tech­nique envis­age de marcher sur l’Elysée. Nous avions peut-être évo­qué une manif mais prob­a­ble­ment pas vers l’Elysée. Et cela nous choquait car cela don­nait une tour­nure de ten­ta­tive de coup d’état.

Ce qui est égale­ment intéres­sant, c’est la façon dont le député Dal­béra récupère l’affaire. Je vous mets ici une copie inté­grale du Jour­nal Offi­ciel. c’est instructif :

Jai bien l’impression que les kessiers 73 se sont fait un peu instrumentaliser…

  • les 74, tout d’abord. ce sont bien eux les grévistes, beau­coup ne s’en sou­vi­en­nent pas.
    • Franche­ment, je n’ai aucun sou­venir de cet épisode (plusieurs fois)
       
    • En effet, il y a eu un sit-in auquel j’ai moi-même par­ticipé, ce qui m’a valu une con­vo­ca­tion per­son­nelle chez le Général Bri­quet pour remon­trance, mon rang d’entrée imposant selon lui un com­porte­ment exem­plaire… J’avoue ne pas bien me sou­venir des ten­ants et des aboutis­sants de l’affaire. Vu de loin, tout ce qui s’opposait à la « Mili » avait la faveur des élèves et c’est dans ce con­texte de fin d’époque post soix­ante huitarde sur la Mon­tagne que s’est déroulée cette histoire !
       
    • c’est en effet un événe­ment qui avait mar­qué les deux pro­mo­tions présentes sur la Montagne !
       
    • le sou­venir que j’avais était plus rad­i­cale­ment celui d’un appel à la démil­i­tari­sa­tion de l’école (mais je n’ai pas le tract), la mod­i­fi­ca­tion des modal­ités de la péri­ode mil­i­taire à par­tir de la pro­mo 75 (12 mois dès l’intégration, alors que nous avions sept mois à l’intégration et cinq mois en fin de sco­lar­ité) n’était qu’un corol­laire du trans­fert de la Mon­tagne Sainte-Geneviève à Palaiseau. L’action dont j’ai le sou­venir s’est ter­minée par une con­vo­ca­tion des pro­mos 73 et 74 dans l’amphi Foch et l’annonce de l’éventualité de leur dis­so­lu­tion si la grève se pour­suiv­ait. La grève a cessé quelques heures plus tard.
       
    • Je pense que cela a debuté par un sit-in dans la cour prin­ci­pale, sous l’égide de quelques « meneurs » qui étaient mem­bres de l’UGE (Union des Grandes Écoles). Je me rap­pelle avoir par­ticipé a ce sit-in, au cours duquel les adju­dants de com­pag­nie « pre­naient des noms ». Les slo­gans scan­des étaient du genre « libérez nos cama­rades ». C’est après ce sit in que la grève de l’uniforme a com­mence, avec des con­signes du genre : ne désobéis­sez pas a un ordre direct de remet­tre l’uniforme, agis­sez en groupes, etc… Nous allions donc en class­es en groupes, en civ­il. Le général Bri­quet con­vo­qua un amphi de toute la pro­mo, ou nous étions en uni­forme. Il y prononça les mots » mais l’UGE, c’est com­mu­niste », qui lui val­urent quelques quoli­bets anonymes, fort peu appré­ciés par les mil­i­taires… Dans les heures ou jours qui suivirent, il y avait une rumeur que la pro­mo­tion entière allait être envoyée en manœu­vres au Larzac.
       
  • Cer­tains se doutent néan­moins que l’affaire est plus com­pliquée qu’il n’y paraît, ils ont, en par­ti­c­uli­er, com­pris qu’il y avait eu manipulation :
    • Je pense que les raisons de ce mou­ve­ment étaient mul­ti­ples : l’UGE voulait de l’agitation, nous étions heureux d’être en plein air, à Paris , au print­emps, après cinq mois de ser­vice mil­i­taire, et comme le dit si bien Brassens, « Sous tous les cieux sans ver­gogne,…., tout le monde se réconcilie. »
       
    • Le com­man­dant de pro­mo­tion, X 57, essayait de négoci­er une solu­tion pour sauver la face. Et il eut l’idée suiv­ante : amnistie des Kessiers pour la Sainte Barbe, patronne des artilleurs et de l’X, con­tre fin de la grève de l’uniforme. C’est ain­si que la grève se ter­mi­na, mais les rap­ports entre la pro­mo 74 et l’encadrement mil­i­taire sont restés ten­dus après ces événe­ments… Je me sou­viens très bien de l’histoire de la Sainte Barbe. il me sem­ble qu’il y ait eu une manœu­vre habile, de la part [le mili]: la patronne des artilleurs est fêtée le 4 Décem­bre. Ce sont deux autres saintes Barbes qui sont fêtées le 27 Mai, aux alen­tours de la fin de la grève !
       
    • Je me sou­viens d’un arti­cle plein d’erreurs dans Paris Match, qui me mon­tra pour la pre­mière fois com­ment un événe­ment dont j’étais très fam­i­li­er pou­vait être dis­tor­du dans sa rela­tion par une cer­taine presse.
       
    • les agi­ta­tions de la 74 étaient (essen­tielle­ment ou toutes ?) liées au trans­fert à Palaiseau que nous refu­sions. Le trans­fert à Palaiseau était décidé et devenu inévitable. Jusqu’à la 74, le ser­vice mil­i­taire se fai­sait 5 mois en début de sco­lar­ité et 7 mois en fin. Les quelques retards des travaux rendaient impos­si­ble un accueil cor­rect des élèves dès jan­vi­er 76. Il fut donc imag­iné par les autorités de mod­i­fi­er les con­di­tions de ser­vice mil­i­taire en faisant accom­plir celui-ci entière­ment la pre­mière année. Cela retar­dait donc l’arrivée des 75 à Palaiseau à sep­tem­bre 76. Cela rendait égale­ment dif­fi­cile le con­tact entre 75 et 76 avant cette date et donc rendait dif­fi­cile de s’opposer au trans­fert à Palaiseau.
       
    • Si l’on con­sid­ère égale­ment que le dernier semes­tre de sco­lar­ité est con­sacré à un stage, on prévoit une sit­u­a­tion où les 75 arrivent à Palaiseau alors que les 74 y sont peu présents. La mili en prof­i­ta d’ailleurs pour laiss­er les 74 à Paris , lim­i­tant ain­si leurs con­tacts avec la 75, cal­mant un peu leur grogne con­tre le démé­nage­ment puisque la 74 en était exemp­tée, et évi­tant une con­ta­gion de la 75 par la 74. Le flam­beau des tra­di­tions en a été plus dif­fi­cile à pass­er, mais l’isolement de Palaiseau a beau­coup aidé. C’est dans ce con­texte que quelques élèves on voulu prévenir les futur 75 dès les con­cours. La réac­tion du général Bri­quet fut effec­tive­ment quelques arrêts de rigueur, ce qui se traduisit par une grève de l’uniforme des autres élèves en guise de protestation.
       
    • Le prin­ci­pal reproche fut que le prob­lème avait été ren­du pub­lic en étant pub­lié dans le Monde qui fut à cette occa­sion traité de tor­chon par le général. Aus­si le jour­nal des élèves fut-il désor­mais renom­mé « Le tor­chon » (en let­tres goth­ique, comme le titre du Monde). Finale­ment, le Monde n’avait iden­ti­fié que le côté super­fi­ciel de débat ; le change­ment des dis­po­si­tions rel­a­tives au ser­vice mil­i­taire. Le prob­lème de fond était le démé­nage­ment à Palaiseau. En défini­tive, la 74 a mené un com­bat d’arrière garde qui n’a pas empêché le déménagement.
       
    • Les élèves con­cernés étaient des élèves de la pro­mo 73 qui ont effec­tive­ment été sanc­tion­nés pour la dif­fu­sion d’un tract avant les épreuves du con­cours d’entrée. Je n’ai pas ce tract, mais de mémoire, il aver­tis­sait que le statut mil­i­taire de l’école n’était pas sim­ple­ment du folk­lore comme on le présen­tait assez sou­vent dans les pré­pa, mais une cer­taine réal­ité qu’on ne pou­vait ignor­er. Et nous mêmes avions quelques déboires sur le sujet. Après nos 5 mois de ser­vice, nous étions revenu à Paris en févri­er 75 et décou­vri­ons par exem­ple que l’on nous demandait de faire nos lits en bat­terie tous les jours, et autres bricoles de ce genre.
       
    • Donc la sanc­tion de ces élèves pour avoir prévenu les can­di­dats de ce que nous avions nous même désagréable­ment con­staté a frap­pé nos esprits. Nous avons démar­ré un mou­ve­ment de grève de l’uniforme (et je pense que c’était essen­tielle­ment sinon unique­ment le fait de la pro­mo 74). En tout cas, je ne me sou­viens pas d’une quel­conque con­nex­ion avec la pro­mo 73 sur cette affaire. Cela a assez rapi­de­ment dégénéré en bras de fer, l’administration mil­i­taire met­tant en place des plan­tons à l’entrée des amphis pour n’autoriser que les élèves en tenue. De ce fait, la grève de l’uniforme s’est trans­for­mée en grève tout court.​Il y a eu un moment des sanc­tions con­tre les meneurs de notre pro­mo. De mémoire, ils étaient 4 à être sanc­tion­nés (10 jours de mémoire, mais à véri­fi­er). Un par com­pag­nie. Au fil des jours (quelques jours en tout, moins de 10 en tout cas), les choses s’envenimaient et la pres­sion montait.
       
    • Notam­ment des rumeurs sur l’avancement de notre deux­ième péri­ode mil­i­taire, voire sur la dis­so­lu­tion de notre pro­mo, se fai­saient insis­tantes. Nous nous sommes donc réu­nis en amphi, déci­dant de quit­ter au plus vite l’école pour ne pas ris­quer de devoir céder à la pres­sion. Et au plus vite, voulait dire immé­di­ate­ment. Remon­ter pren­dre ses papiers et un blou­son et quit­ter l’école. L’amphi devait être écouté par la hiérar­chie puisque, avant même que nous arriv­ions aux portes de l’école (j’ai du met­tre moins de 5 mn), un ou deux camions mil­i­taires déver­saient des sol­dats qui se sont mis aux portes en ayant reçu l’ordre de ne pas laiss­er sor­tir les élèves. Ce fut le baroud d’honneur ; nous étions pra­tique­ment à la fin des 10 jours.
       
  • les 73 sont un peu plus cyniques
    • Mon seul sou­venir mar­quant de cette époque est une « AG » au cours de laque­lle a été instru­ite la ques­tion : « que fait-on pour les kessiers ? » Ca mer­doy­ait jusqu’à l’intervention d’un cap­i­taine de com­pag­nie qui a sug­géré (habile­ment) que nous util­i­sions la pos­si­bil­ité offerte à tout offici­er de deman­der le rap­port du min­istre. Après pas­sage par cette porte de sor­tie la pres­sion est retombée jusqu’à d’autres épiphénomènes de moin­dre ampleur.
       
    • Il y avait con­comi­tance de la volon­té de la direc­tion de prof­iter du démé­nage­ment de la 74 à Palaiseau pour couper les liens entre les pro­mos et un directeur aus­si fait pour le man­age­ment que moi pour garder les chèvres.
       
    • Déjà lors de notre incor­po la mili avait cher­ché à nous couper du monde et la Kes 72 avait dû inter­venir fer­me­ment à notre profit.
       
    • « Bri­quet, la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres » : notre nou­veau général était vis­i­ble­ment mal pré­paré aux tal­ents diplo­ma­tiques dont il aurait dû faire preuve, et … avait une mécon­nais­sance, une incom­préhen­sion totale de la men­tal­ité X
       
    • Le général Pierre Bri­quet, n’était pas un Cyrard, mais un X38. Il est vrai néan­moins qu’il était totale­ment non qual­i­fié pour diriger l’X au milieu des années 1970. C’était un général comme on en voit dans Tintin, ou « Les sen­tiers de la gloire »
       
  • Et puis il y a celui qui SAIT. X73, Il était délégué au Con­seil d’Administration :
    • Il est impor­tant de rap­pel­er le con­texte dans lequel la grève de l’uniforme est inter­v­enue en 1975. Ma pro­mo­tion ( la 73) était l’une des dernières à résider sur le Mon­tagne Sainte Geneviève et lorsque nous avons décou­vert, en y arrivant, que les généra­tions futures de poly­tech­ni­ciens seraient exilées sur un cam­pus éloigné de Paris, nous avons été très opposés à ce démé­nage­ment. Nous avons même pen­sé, un temps, être en mesure de faire reculer le CA et les autorités de tutelle sur ce projet.
       
    • Cette oppo­si­tion s’est révélée vaine : le pro­jet était déjà très avancé, même si tous les bâti­ments n’étaient pas encore con­stru­its – notam­ment pas les cham­bres des élèves – et surtout il résul­tait d’une déci­sion prise au plus haut niveau, que le prési­dent du CA de l’époque (André Giraud) et le Délégué Général pour l’Armement tenaient à met­tre en œuvre. L’idée courait par­mi les élèves que ce pro­jet était une réac­tion aux évène­ments de mai 68 et man­i­fes­tait le désir d’éloigner les X du foy­er d’agitation tou­jours pos­si­ble qu’est le Quarti­er Latin … mais les autorités de l’Ecole n’ont cessé de se jus­ti­fi­er en expli­quant qu’ils souhaitaient don­ner à l’X un cam­pus » à l’américaine », un lieu vaste où toutes les activ­ités – notam­ment sportives – pour­raient être exer­cées ( alors que sur la Mon­tage il fal­lait pren­dre des cars, pour des tra­jets par­fois très longs, pour accéder aux dif­férents stades).
       
    • Nous n’étions guère con­va­in­cus et voyions surtout que nos cama­rades du futur n’auraient plus la mer­veilleuse vie que nous avions la chance de vivre : les bistrots du quarti­er, les ciné­mas, les sor­ties le soir – un grand nom­bre d’élèves faisant régulière­ment « le mur »- voire pour les plus entre­prenants les petites copines qu’ils allaient rejoin­dre fréquem­ment (pas excel­lent pour les études, certes…). Quel que soit l’habillage qu’on lui don­nait le démé­nage­ment était une façon d’éloigner les élèves de la vraie vie… de les main­tenir encore un peu dans le tun­nel qu’ils avaient tra­ver­sé en class­es pré­para­toires. Notre oppo­si­tion était donc résolue mais résignée à son échec .
       
    • Tout cela créait un sen­ti­ment général de malaise, et de très mau­vais­es rela­tions avec les autorités mil­i­taires – et notam­ment le général com­man­dant l’école . L’annonce de la mod­i­fi­ca­tion à venir, avec le démé­nage­ment , dans l’organisation de la péri­ode mil­i­taire a été un bon pré­texte pour man­i­fester cette oppo­si­tion latente à tout ce qui nous était imposé : d’où les tracts, la grève de l’uniforme, et l’agitation à laque­lle nous avons eu soin de don­ner les plus d’impact médi­a­tique pos­si­ble… Mais encore une fois nous savions que tout cela était vain et avons fini par « ren­tr­er dans les rangs » avec un peu d’amertume mais le sen­ti­ment que nous étions allés aus­si loin que nous le pou­vions pour man­i­fester notre dés­ap­pro­ba­tion au pro­jet de déménagement.

Ce n’était donc qu’un pré­texte ? Et les com­mu­nistes ? il n’aurait pas mis un peu d’huile sur le feu ? Je ne sais pas qui a fait le battage médi­a­tique mais ce mou­ve­ment n’est pas passé inaperçu. Cela devait être en rela­tion avec l’UGE, syn­di­cat qui avait recueil­li pas mal d’adhésion dans notre pro­mo (une quar­an­taine ?). J’ai notam­ment par­ticipé à une con­férence de presse où nous étions cagoulés pour ne pas subir de sanc­tions. Je n’ai plus trop la chronolo­gie de la péri­ode médi­a­tique. Il y a eu notam­ment un tour­nage pour les infos de TF1. L’équipe de TF1 était en effet accom­pa­g­née d’un pho­tographe qui a pris beau­coup de photos.

C’était en réal­ité un pho­tographe de Paris Match qui a fait tout un arti­cle sur le sujet. Je me sou­viens égale­ment d’un titre (du Figaro je crois) qui était choquant : l’Ecole Poly­tech­nique envis­age de marcher sur l’Elysée. Nous avions peut-être évo­qué une manif mais prob­a­ble­ment pas vers l’Elysée. Et cela nous choquait car cela don­nait une tour­nure de ten­ta­tive de coup d’état.

Ce qui est égale­ment intéres­sant, c’est la façon dont le député Dal­béra récupère l’affaire. Je vous mets ici une copie inté­grale du Jour­nal Offi­ciel. c’est instructif :

j’ai bien l’impression que les kessiers 73 se sont fait un peu instrumentaliser…

La grève des 71 , la grève du mythe

Grève du mythe parce que la 71 a eu droit à une belle pho­to dans Paris Match, mais surtout parce que, à mon sens, c’est une grève réelle­ment poli­tique, très bien gérée par la Strass (pour une fois)


Le sit-in sur les plates-ban­des du Général, tel qu’il a été pub­lié, quelques mois plus tard, dans Paris-Match

Qu’en dit le Monde ? 29/9/72 : « Après une journée de » grève de l’uniforme « / Les élèves de Poly­tech­nique ont repris les cours/

Les cours ont repris nor­male­ment, jeu­di 28 sep­tem­bre, à l’École poly­tech­nique, après la » grève de l’uniforme » effec­tuée la veille par les élèves de la pro­mo­tion 1971 (le Monde du 28 septembre).

Invités « fer­me­ment » par l’administration – dirigée depuis le 1er sep­tem­bre par le général Bri­quet – à se présen­ter au cours de chimie « en uni­forme » , mer­cre­di 27 à 13 h. 30, les élèves avaient procédé à un vote et refusé – par cent qua­tre-vingt-huit voix con­tre qua­tre-vingt-onze – cette déci­sion. L’administration répli­quait alors en deman­dant à chaque élève de sign­er indi­vidu­elle­ment, avant 17 heures, un texte par lequel il s’engageait à observ­er le statut de l’école. ä nou­veau réu­nis, les élèves décidèrent de sign­er le texte qui, a déclaré l’un de leurs représen­tants, « ne remet nulle­ment en cause notre action » .

« Il s’agissait pour nous, a‑t-il pré­cisé, de faire une journée de grève de l’uniforme pour pro­test­er con­tre le dur­cisse­ment du règle­ment et, en par­ti­c­uli­er, con­tre les sanc­tions frap­pant deux de nos cama­rades. Le mou­ve­ment a eu lieu, et c’est ce qui importe. Quant à remet­tre en cause le statut (mil­i­taire) de l’école, c’est un prob­lème que notre action de mer­cre­di ne soule­vait pas. C’est l’administration qui, par le texte soumis, a voulu le pos­er en ces termes » .

Il appa­raît donc que si l’incident de mer­cre­di est ter­miné, ses caus­es pro­fondes ne sont pas sup­primées pour autant. La pro­mo­tion 1971, ren­trée depuis le 1er sep­tem­bre seule­ment, paraît vouloir « faire le point » sur l’ensemble de la ques­tion avant d’affirmer ses posi­tions. On sait que la « journée de grève de l’uniforme » avait été décidée en par­ti­c­uli­er à la suite de sanc­tions pris­es con­tre deux élèves qui avaient refusé de faire couper leurs cheveux. Aux arrêts de rigueur pour vingt jours, tous deux doivent com­para­ître devant le con­seil de discipline.

Qu’en dit l’huma ?

Je vous pro­pose de laiss­er la paroles aux acteurs de la 71. Pour mémoire, j’ai reçu une ving­taine de témoignages :

  • Je ne me sou­viens de rien (30%)
     
  • Sur les causes
    • Très hon­nête­ment, aujourd’hui, je ne me sou­viens plus vrai­ment des motifs invoqués.
       
    • Oui, notre pro­mo­tion était bien turbulente…
       
    • Cette his­toire de longueur de cheveux invraisem­blable après 68, la manière dont les mil­i­taires ont géré le truc, avec des sym­bol­es forts comme des jours de forter­esse, com­plète­ment décalés pour des élèves qui se sen­taient très peu mil­i­taires et imprégnés de l’esprit lib­er­taire de l’époque.
       
    • Il y avait donc dans cette pro­mo une frac­tion impor­tante « anti­sys­tème » plus ou moins poli­tisée. Cela s’est vu dès l’élection du représen­tant des élèves, où le major d’entrée […] s’est fait bat­tre par […] puis aux élec­tions par matière, où les can­di­dats tra­di­tion­nels ont sou­vent été bat­tus par des can­di­dats présen­tés plus ou moins offi­cielle­ment par l’aile gauche si il faut lui don­ner un nom.
       
    • Le con­flit entre élèves et direc­tion de l’Ecole por­tait sur un sujet d’une impor­tance autre que la longueur des cheveux de quelques indi­vidus. Il por­tait sur les mis­sions de l’Ecole qui ne pou­vaient qu’être mise en ques­tion. En fait, une crise que ni le rap­pel au règle­ment, ni quelques ten­ta­tives de main­tenir les tra­di­tions ne pou­vaient masquer.
       
    • Ce n’est pas pour avoir refusé de se faire couper les cheveux qu’ils y étaient, mais parce que, en tant que délégués des élèves au CA de l’école, ils avaient fait un compte ren­du assez per­si­fleur d’un CA, qui s’était « plus occupé des bacs à fleurs du bâti­ment du général que des chercheurs des labos de l’école » (je cite approx­i­ma­tive­ment, de mémoire, je pour­rai essay­er de retrou­ver le tract de l’époque et te le scanner).
  • Sur le déroulé
    • Je me sou­viens de l’amphi qui a « voté » la grève. Les agi­ta­teurs étaient à la tri­bune, et ils ont demandé que l’on vote en se déplaçant : les pour à la gauche de l’amphi, les con­tre à droite. Tout le monde s’est levé, et comme il y avait une majorité de déplace­ments vers la gauche, j’ai sen­ti une grande mon­tée d’adrénaline… Je n’ai pas eu le courage de par­tir à droite, et je suis mon­té en haut comme beau­coup d’autres. Un seul a eu ce courage, et je peux attester que c’était [suit le nom d’un ci-devant], qui a fait face stoïque­ment aux huées des élèves massés à gauche.
       
    • Je me sou­viens aus­si que le matin de la grève, on a vu arriv­er beau­coup d’élèves habil­lés… en tenue de sport, ce qui était une façon de ne pas pren­dre posi­tion (je revendique le fait que j’étais en uni­forme). Quelqu’un a allumé une radio, et on a enten­du un bul­letin d’information évo­quant notre grève, ce qui a provo­qué des hourras.
       
    • Par con­tre, à l’époque, j’avais trou­vé que le cap­i­taine com­man­dant la Nième com­pag­nie avait un peu paniqué. Mais c’est sans doute sub­jec­tif, je n’avais pas tous les élé­ments en main.
       
    • Puis la con­vo­ca­tion un à un chez le com­man­dant Gril­lot et le dis­cours : « on sait bien que vous êtes sérieux et que vous vous êtes lais­sé entraîn­er par vos cama­rades, etc.. Main­tenez vous votre posi­tion?… ». Ma moti­va­tion n’était pas très forte. Je fai­sais par­tie d’un groupe d’amis beau­coup plus motivés que moi. J’ai donc cédé. Eux aus­si d’ailleurs.
       
    • J’ai voté pour, puis signé les desider­a­ta mil­i­taires, ayant com­pris depuis un moment déjà que le dia­logue était impossible.
       
  • Sur les conséquences
    • Grand moment et beau­coup d’agitation que je n’ai pas tou­jours bien com­pris sur le moment !
       
    • Je me sou­viens d’un sit-in sur la pelouse du général, qui don­né lieu à un reportage pho­to dans Paris-Match et à un tirage au sort d’élèves blâmés (par le général) dont j’ai fait partie.
       
    • Si tu cherch­es tu devrais trou­ver un arti­cle dans Paris Match, avec pho­to… [Ndlw : le texte inté­gral de l’article de Paris Match : Paris Match no 1249 du 14 avril 1973 – arti­cle con­cer­nant les filles à l’X] Je suis de ceux qui jouent au bridge au pre­mier rang, c’est dire le sérieux de l’affaire.
       
    • Le lende­main, dans un quo­ti­di­en (Le Monde ?), j’ai vu une car­i­ca­ture qui nous ridi­culi­sait : on voy­ait 3 ou 4 « jeunes cadres dynamiques » tous habil­lés pareil en cos­tume-cra­vate et cri­ant d’une même voix « Grève de l’uniforme ! ».
       
    • Je n’ai aucun sou­venir pré­cis de cet inci­dent, qui pour moi rel­e­vait du non-évène­ment. Des gaminer­ies de pseu­do-anti­mil­i­taristes bien con­tents par ailleurs de béné­fici­er de tous les avan­tages de l’X.
       
    • J’ai vrai­ment suivi cela de loin, sans intérêt par­ti­c­uli­er. Comme vous le savez bien, je ne partageais absol­u­ment pas le point de vue des grévistes. Je souhaitais inté­gr­er l’armée après l’X. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait.
       
    • Cette grêve a été un non-even­e­ment, ain­si que le laisse transparaître l’article du Monde. Ce dont je me rap­pelle est d’avoir, ain­si que les autres grévistes, com­paru devant le Général pour une remon­tée de bretelles. Le car­can mil­i­taire était un peu pesant pour une généra­tion post-68 mais nous n’étions pas prêts a sac­ri­fi­er nos avan­tages pour cela….
       
    • Ne don­nons pas trop d’importance à cette médiocre péripétie.
       
    • Je les avais alors ressen­ties comme un mou­ve­ment de goss­es de rich­es, mal dans leur peau.
       
    • En ce qui me con­cerne, je n’étais donc pas gréviste, mais un peu récal­ci­trant à l’autorité, et l’ai payé d’un prix exces­sif… j’ai eu droit à la sol­lic­i­tude de l’administration mil­i­taire, qui m’a taxé de 20 jours d’arrêt de rigueur pour avoir envoyé paître un adju­dant qui voulait me sor­tir du lit de façon un peu rude… L’époque était donc assez ten­due (on était 4 ans après Mai 68, les « Mao » jouaient les gros bras…) et il était clair que les blagues de potach­es n’étaient pas tou­jours pris­es comme telles par une Direc­tion qui y voy­ait de la sub­ver­sion politique…ce qui était peut être un peu vrai pour cer­tains, mais cer­taine­ment pas pour la majorité.
       
  • Et puis il y a ceux qui tiraient (ou s’efforçaient de tir­er) les ficelles
    • Nous étions un groupe proche du PCF, assez nom­breux. On devait être aux jeuness­es com­mu­nistes, je crois. Au moins cer­tains d’entre nous puisqu’il exis­tait un cer­cle « Max Bar­rel ». D’ailleurs, je me sou­viens qu’avait été con­sti­tuée à l’X une sec­tion secrète du syn­di­cat UGE (Union des Grandes Ecoles), en con­tra­ven­tion fla­grante avec le règle­ment mil­i­taire qui inter­dit l’appartenance syndicale.
       
    • Côté organ­i­sa­tion, il y avait une cel­lule syn­di­cale clan­des­tine et active, le GAS, groupe d’action syn­di­cale, qui se réu­nis­sait dans le plus grand secret dans la tour um, au dessus de la rue des écoles. J’y par­tic­i­pai, je me sou­viens de [cen­suré…] également

Vous l’avez com­pris, la vio­lence et l’antimilitarisme sous jacents étaient assez preg­nants. Et le Par­ti en profitait…

C’était mieux avant

Néan­moins, tout ça ne vaut pas la grève de… 1889. La Croix écrit le 13 févri­er : « GRÈVE A L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE/ Les poly­tech­ni­ciens qui se sont con­signés [NdDlw : en français, autocran] eux-mêmes pen­dant plusieurs semaines pour faire pièce au com­man­dant de l’école, le général Hen­ry, vien­nent d’avoir un nou­veau démêlé avec lui. Le général trou­vait que les poly­tech­ni­ciens rece­vaient trop d’invitations à des soirées. Pen­sant que la danse nui­sait aux études, il leur inter­dit toute soirée autre que celles de l’Elysée, de la Légion d’honneur ou des ministères.

Quelques jours plus tard, il les invi­tait lui-même à une soirée qu’il don­nait, mais les élèves s’abstinrent en masse. Le général, se jugeant per­son­nelle­ment offen­sé, a fait sup­primer le con­gé de dix jours dit de fin d’examens, et il à prié les majors de pro­mo­tion d’annoncer aux élèves que doré­na­vant il n’aurait plus que des rap­ports offi­ciels avec eux et qu’il les invi­tait à ne plus saluer Mme Hen­ry. Nous sommes curieux de savoir quel sera le dénoue­ment de cet étrange conflit. »

Ça c’est une puni­tion ! Inter­dic­tion de saluer Madame la Générale…

Remerciements

  • Madame B., du jour­nal le Monde, qui a eu la gen­til­lesse de m’aider à plonger dans les archives du journal
  • Un Y85
  • Un Y75
  • Le con­scrit Nègre, Y12 – dont vous remar­querez qu’i n’a pas droit au titre de Mon­sieur, faut pas que décon­ner ! – qui a eu la gen­til­lesse de me trans­met­tre quelques photos
  • les 86, 74, 73 et 71 qui ont eu la gen­til­lesse de creuser au fond de leurs sou­venirs, et par­ti­c­ulière­ment ceux qui
    • m’ont scan­né coupures de presse, pho­tos, bul­letin de sol­de, Règle­ment intérieur
    • m’ont con­sacré un peu de leur temps au téléphone
    • m’ont écrit quelques lignes

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