Diversité sociale à l'X

Diversité sociale : attention aux raccourcis !

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°753 Mars 2020
Par Denis MERIGOUX (2013)

Diver­si­té et pari­té : la ques­tion de la pari­té dans le concours d’admission à l’X ne doit pas être trai­tée sépa­ré­ment des ques­tions de diver­si­té sociale.

Le 4 juin 2019, à l’occasion de la Confé­rence des Grandes Écoles, la ministre de l’Enseignement supé­rieur, de la Recherche et de l’Innovation, Mme Vidal, a dres­sé un constat sans appel : « Il y a urgence. On ne peut plus res­ter sur ce modèle d’une élite venant d’un vivier tou­jours plus limi­té. » La ministre a donc deman­dé aux pré­si­dents des prin­ci­pales grandes écoles, dont l’X, de lui pré­sen­ter un plan d’action pour aug­men­ter la diver­si­té sociale au sein de leur éta­blis­se­ment. L’association La Sphinx a ouvert le débat en publiant une pro­po­si­tion de dix mesures pour aug­men­ter la diver­si­té sociale à l’X.

S’appuyant sur les don­nées du concours d’admission (dont elle seule dis­pose), la direc­tion de l’École a ren­du son rap­port début sep­tembre. Ce rap­port com­prend un cer­tain nombre de pro­po­si­tions concrètes visant à aug­men­ter la pro­por­tion de bour­siers par­mi les admis au concours. Pour réa­li­ser ce rap­port, l’École s’est éga­le­ment appuyée sur les tra­vaux d’un groupe de tra­vail de l’AX, créé à l’occasion. Ce groupe de tra­vail, où cer­tains membres de La Sphinx étaient pré­sents à titre indi­vi­duel, s’est réuni deux fois durant l’été et a ras­sem­blé une ving­taine de poly­tech­ni­ciens, sou­vent impli­qués à titre per­son­nel dans des ini­tia­tives sociales. Les conclu­sions de ce groupe de tra­vail ont été rema­niées et vali­dées par le conseil de l’AX, puis trans­mises à l’École. Elles sont dis­po­nibles sur le site de l’AX.

Après la pré­sen­ta­tion du rap­port de l’École et des mesures envi­sa­gées dans le numé­ro de jan­vier de La Jaune et la Rouge, il nous paraît inté­res­sant d’analyser les rai­son­ne­ments et jus­ti­fi­ca­tions avan­cés pour les­dites mesures. En effet, l’École a publié en ligne l’intégralité du rap­port remis à la ministre. Ce rap­port com­plet nous per­met enfin d’accéder à des sta­tis­tiques inédites et actua­li­sées concer­nant la diver­si­té sociale et le concours de l’X, venant com­plé­ter l’étude de Ber­kouk et Fran­çois qui était jusqu’alors la seule source publique et récente. Nous vous pro­po­sons donc une ana­lyse cri­tique de ce rap­port, dont nous saluons la publi­ca­tion qui per­met de faire avan­cer le débat. Afin de res­pec­ter les contraintes édi­to­riales, nous nous concen­tre­rons sur quelques points-clés dans cet article. Une ver­sion plus détaillée de cet article, avec l’avis de socio­logues, sera publiée ulté­rieu­re­ment sur le site de La Sphinx.

Quelques étonnements à la lecture du rapport

L’objectif d’augmenter la diver­si­té sociale est quan­ti­fié : pas­ser de 50 à 100 bour­siers par pro­mo­tion. Pour autant, la pré­sen­ta­tion du rap­port qui asso­cie, à chaque mesure envi­sa­gée, un impact quan­ti­fié sur le nombre de bour­siers est dis­cu­table. En effet, cette méthode repose sur deux hypo­thèses, elles-mêmes sujettes à débats : l’hypothèse que l’effet des mesures est indé­pen­dant et cumu­la­tif, et l’hypothèse que les résul­tats pas­sés per­mettent de pré­voir linéai­re­ment les com­por­te­ments futurs. Or rien n’est moins cer­tain car il convien­drait, dans une étude socio­lo­gique, d’intégrer le com­por­te­ment des acteurs.

De plus, la forme du rap­port sug­gère que l’École n’a pas l’intention de pour­suivre l’étude, ni de la confier à des spé­cia­listes du sujet à même d’établir des rela­tions de cau­sa­li­té plus solides au-delà des cor­ré­la­tions obser­vées. Cette absence de doute expri­mé sur les résul­tats éta­blis par les auteurs du rap­port ne s’inscrit pas dans une démarche conforme à la méthode scien­ti­fique, ce que nous déplorons.

Il convien­drait aus­si de s’interroger sur l’indépendance des mesures pré­co­ni­sées et sur les pos­sibles effets col­la­té­raux. En pre­mière année, plus de 69 % des filles ont un père appar­te­nant aux classes supé­rieures, contre 58 % des gar­çons. Il faut s’assurer que les mesures favo­ri­sant la diver­si­té sociale n’aient pas pour effet d’augmenter les inéga­li­tés de genre ; cet écueil a déjà été sou­le­vé par les tra­vaux d’Alice Pavie sur les don­nées des concours ENS en 2017.

La nécessité de faire évoluer le concours n’est pas prise en compte dans les propositions

Le rap­port affirme que seules les épreuves écrites sont dis­cri­mi­nantes pour les bour­sières et les bour­siers, aucune dif­fé­rence signi­fi­ca­tive à l’oral n’étant obser­vée. De même, de cette absence de dif­fé­rence, le rap­port conclut à une très bonne inté­gra­tion des can­di­dates et can­di­dats bour­siers dans le cur­sus polytechnicien.

Or il est impos­sible sans une ana­lyse plus appro­fon­die de savoir si cette situa­tion est la consé­quence, comme le pensent cer­tains, du fait que l’oral juge plus éga­le­ment les capa­ci­tés, indépen­damment d’une pré­pa­ra­tion très spé­ci­fique juste adap­tée au type d’écrits du concours X‑ENS, ou comme on pour­rait aus­si le sou­te­nir d’une « super­sé­lec­tion » par l’écrit. Cette seconde hypo­thèse repose sur l’idée que les can­di­dats issus de milieux moins favo­ri­sés qui sur­montent l’écrit ont des carac­té­ris­tiques qui cor­rèlent avec une plus grande chance d’admission, par exemple au moins un parent dans le milieu de l’enseignement. Cette situa­tion, appe­lée biais du sur­vi­vant, a notam­ment été expli­quée par Pierre Bour­dieu dans Les Héri­tiers.

Si on veut vrai­ment atteindre un objec­tif d’égalité des chances, les don­nées actuelles prouvent qu’il faut faire évo­luer l’écrit sans attendre et exa­mi­ner soi­gneu­se­ment toutes les évo­lu­tions néces­saires du concours, sur son écrit mais aus­si sur son orga­ni­sa­tion géné­rale et sur les oraux.

Deux recommandations en guise de conclusion

On doit saluer la volon­té affir­mée d’améliorer l’égalité réelle des chances au pro­fit de plus de diver­si­té. Il faut aus­si se féli­ci­ter du pro­grès signi­fi­ca­tif qui consiste à pro­duire, pour la pre­mière fois, des docu­ments chif­frés et argu­men­tés sur l’état de diver­si­té sociale dans le cur­sus polytechnicien.

Cer­taines des mesures pro­po­sées dans le rap­port vont dans le bon sens et contri­bue­ront sûre­ment à une réduc­tion des injus­tices actuelles. Néan­moins, elles ne suf­fi­ront pas pour un objec­tif de véri­table éga­li­té des chances ; nous pro­po­sons pour l’instant deux points à ajouter.

D’une part, il faut faire évo­luer le concours. Il n’est pas ques­tion d’en sup­pri­mer le carac­tère sélec­tif. Mais la sélec­tion doit être plus juste. Or, pour la pré­pa­ra­tion, les classes pré­pa­ra­toires les plus per­for­mantes se sont concen­trées et les can­di­dats les moins favo­ri­sés socio­lo­gi­que­ment se retrouvent dans des classes qui font « l’impasse » sur le concours X‑ENS. Il fau­drait élar­gir ce concours, qu’il soit véri­ta­ble­ment incon­tour­nable et que des pré­pa­ra­tions effec­tives soient pré­sentes dans plus de lycées à classes pré­pa­ra­toires et davan­tage dans les territoires.

D’autre part et c’est là la clé du pro­blème, La Sphinx estime indis­pen­sable de mieux prendre en compte les phé­no­mènes socio­lo­giques. Faire l’impasse sur une étude rigou­reuse du sujet selon les stan­dards scien­ti­fiques actuels n’est pas digne de l’excellence reven­di­quée par l’École. Il faut mettre en place un « obser­va­toire de la diver­si­té », pro­ba­ble­ment par accord avec un labo­ra­toire en sciences sociales, capable de sépa­rer les biais sta­tis­tiques et les réelles causes de l’inégalité. Pour cela, il faut mener des études plus pous­sées sur la base des don­nées du concours d’admission et des CPGE ain­si que d’observations et d’enquêtes sur le terrain.

Ori­gi­nel­le­ment en écri­ture inclu­sive, cet article a été réécrit à la demande du comi­té de rédac­tion, en res­pec­tant les usages en vigueur dans la presse.

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