Vingt Dieux / The wall / Le Déluge / Un ours dans le Jura / Les Feux Sauvages

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°802 Février 2025
Par Christian JEANBRAU (63)

Balayons : Les femmes au bal­con (Noé­mie Mer­lant) – Oh, Cana­da (Paul Schra­der) – Sarah Bern­hardt, la divine (Guillaume Nicloux) – Eve­ry­bo­dy loves Tou­da (Nabil Ayouch) – La chambre d’à côté (Pedro Almo­do­var) – L’amour au pré­sent (John Crow­ley) – Le beau rôle (Vic­tor Roden­bach) – Conte Nup­tial (Claire Bon­ne­foy). Huit ambi­tions cinémato­graphiques d’une durée moyenne de 96 minutes (min. 74 – max. 108), les deux der­nières abou­tis­sant à deux petits spec­tacles diver­tis­sants et recom­man­dables, les autres rele­vant de la fausse route. J’ai pré­fé­ré rete­nir, parce qu’ils méritent la dis­cus­sion, les films qui suivent.

Vingt DieuxVingt Dieux

Réa­li­sa­trice : Louise Cour­voi­sier – 1 h 30

Jura. Conte rural (docu-men­taire ?) brut de décof­frage. Un réa­lisme tou­chant, avec une rela­tion frère-sœur atta­chante et l’ébauche d’une rela­tion amou­reuse non dépour­vue de remugles d’étable. Mais trop de mas­cu­li­ni­té agri­cole, affli­geante dans sa bru­ta­li­té sché­ma­tique. Cette ode à une vita­li­té pul­sion­nelle et « bas de pla­fond » laisse inter­dit, mal­gré les péri­pé­ties diver­tis-santes et les acteurs (non profes-sion­nels) écla­tants de spon­ta­néi­té. Où sont les traces d’une sco­la­ri­té obli­ga­toire cen­sée ouvrir à l’humanisme et à ses sub­ti­li­tés ? Des appren­tis­sages sur le tas où rien ne s’intercale entre le regar­der et le repro­duire, où seul compte le geste. Où « pen­ser » semble super­flu. Un monde élé­men­taire, pauvre et triste. Jules Fer­ry, reviens !

The WallThe Wall

Réa­li­sa­teur : Phi­lippe Van Leeuw – 1 h 36

Vicky Krieps est impres­sion­nante. Elle est Jes­si­ca Com­ley, poli­cière à la fron­tière du Mexique, butée, blo­quée dans des pul­sions sexuelles méca­niques (3 minutes de film mais éclai­rantes) entre un père dou­teux, une belle-sœur aimée mou­rante et une mère avec qui elle a cou­pé les ponts. Ultra-trum­piste au détri­ment des migrants et des Indiens natifs, psy­cho-rigide, constam­ment dans l’agressivité rela­tion­nelle, elle est LE sujet du film qui n’en brosse pas moins un tableau sai­sis­sant du « fli­cage » fron­ta­lier du repli hai­neux sur soi, un ins­tant nuan­cé par l’ébranle-ment chez l’agent Com­ley (mais on igno­re­ra jusqu’où il éten­dra ses consé­quences) des suites d’une perte mor­telle de sang-froid. Spec­tacle ten­du et enrichissant.

Le DélugeLe Déluge

Réa­li­sa­teur : Gian­lu­ca Jodice – 1 h 41

Guillaume Canet der­rière ses pro­thèses assure excel­lem­ment la par­ti­tion toute d’intériorité naïve et ébran­lée d’un Louis XVI dépas­sé à quelques mois de sa fin. For­mi­dable Marie-Antoi­nette de Méla­nie Laurent, agres­si­ve­ment lucide, cou­ra­geuse, inté­rieu­re­ment dévas­tée. Très bon film au regard éton­nant et cré­dible sur la déchéance vécue. Le par­ti pris du réali-sateur (révi­sion­niste côté Révo­lu­tion fran­çaise – les cama­rades citoyens ne sont pas gâtés et le viol consen­ti de Marie-Antoi­nette est super­flu), fait d’économie de gestes et de silences, donne une épais­seur cer­taine à la nar­ra­tion. La confron­ta­tion de Louis XVI et du bour­reau San­son, la veille de la déca­pi­ta­tion, est d’une grande inten­si­té dra­ma­tique. Idéo­lo­gi­que­ment bous­cu­lé, mais humai­ne­ment passionnant.

Un ours dans le JuraUn ours dans le Jura

Réa­li­sa­teur : Franck Dubosc – 1 h 53

L’ours est fugace mais le film, qui ne vise que le diver­tis­se­ment, tient abso­lu­ment son contrat. Sa morale (immo­rale) se lit à tra­vers une réplique de Poel­voorde (tou­jours for­mi­dable) : Quand on dit que l’argent ne fait pas le bon­heur, on parle de quelle somme ? Sous le scé­na­rio qui rebon­dit allè­gre­ment du gag au faux thril­ler dans la par­tie de billard des péri­pé­ties, voi­là la leçon don­née par le micro­cosme juras­sien qu’incarnent déli­cieu­se­ment des acteurs qui s’amusent avec nous (outre Poel­voorde, Dubosc, Laure Cala­my et José­phine de Meaux dans un second rôle aux petits oignons) : rien n’est vrai­ment sérieux et le blan­chi­ment d’argent est aus­si joie de faire plai­sir (« se » mais « pas que »). Un vrai moment de détente.

Les Feux SauvagesLes Feux sauvages

Réa­li­sa­teur : Jia Zhangke – 1 h 51

Jia Zhangke se regarde le nom­bril (des extraits de ses pré­cé­dentes pro­duc­tions) et nous montre la Chine. Un côté « expo-pho­to » pas désa­gréable, un « sur le vif » – groupes humains, femmes, boîtes de nuit, pay­sages urbains, région des Trois Gorges, chan­sons, flashes « d’info » des vingt der­nières années, Covid, cor­rup­tion, tech­no­lo­gie – assez « fou­toir ». Il y aurait au milieu une his­toire d’amour. On la cherche. Plu­tôt la fan­to­ma­tique esquisse d’une rela­tion à sens unique inabou­tie, tor­due, frac­tu­rée, absurde, qui s’achève sans qu’on l’ait jamais res­sen­tie. L’héroïne tient le coup. L’antihéros finit bien abî­mé. Un film qua­si muet qui laisse un peu sans voix, mais un spec­tacle mal­gré tout. On regarde et on essaie de réfléchir. 

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