Vingt Dieux / The wall / Le Déluge / Un ours dans le Jura / Les Feux Sauvages

Balayons : Les femmes au balcon (Noémie Merlant) – Oh, Canada (Paul Schrader) – Sarah Bernhardt, la divine (Guillaume Nicloux) – Everybody loves Touda (Nabil Ayouch) – La chambre d’à côté (Pedro Almodovar) – L’amour au présent (John Crowley) – Le beau rôle (Victor Rodenbach) – Conte Nuptial (Claire Bonnefoy). Huit ambitions cinématographiques d’une durée moyenne de 96 minutes (min. 74 – max. 108), les deux dernières aboutissant à deux petits spectacles divertissants et recommandables, les autres relevant de la fausse route. J’ai préféré retenir, parce qu’ils méritent la discussion, les films qui suivent.
Vingt Dieux
Réalisatrice : Louise Courvoisier – 1 h 30
Jura. Conte rural (docu-mentaire ?) brut de décoffrage. Un réalisme touchant, avec une relation frère-sœur attachante et l’ébauche d’une relation amoureuse non dépourvue de remugles d’étable. Mais trop de masculinité agricole, affligeante dans sa brutalité schématique. Cette ode à une vitalité pulsionnelle et « bas de plafond » laisse interdit, malgré les péripéties divertis-santes et les acteurs (non profes-sionnels) éclatants de spontanéité. Où sont les traces d’une scolarité obligatoire censée ouvrir à l’humanisme et à ses subtilités ? Des apprentissages sur le tas où rien ne s’intercale entre le regarder et le reproduire, où seul compte le geste. Où « penser » semble superflu. Un monde élémentaire, pauvre et triste. Jules Ferry, reviens !
The Wall
Réalisateur : Philippe Van Leeuw – 1 h 36
Vicky Krieps est impressionnante. Elle est Jessica Comley, policière à la frontière du Mexique, butée, bloquée dans des pulsions sexuelles mécaniques (3 minutes de film mais éclairantes) entre un père douteux, une belle-sœur aimée mourante et une mère avec qui elle a coupé les ponts. Ultra-trumpiste au détriment des migrants et des Indiens natifs, psycho-rigide, constamment dans l’agressivité relationnelle, elle est LE sujet du film qui n’en brosse pas moins un tableau saisissant du « flicage » frontalier du repli haineux sur soi, un instant nuancé par l’ébranle-ment chez l’agent Comley (mais on ignorera jusqu’où il étendra ses conséquences) des suites d’une perte mortelle de sang-froid. Spectacle tendu et enrichissant.
Le Déluge
Réalisateur : Gianluca Jodice – 1 h 41
Guillaume Canet derrière ses prothèses assure excellemment la partition toute d’intériorité naïve et ébranlée d’un Louis XVI dépassé à quelques mois de sa fin. Formidable Marie-Antoinette de Mélanie Laurent, agressivement lucide, courageuse, intérieurement dévastée. Très bon film au regard étonnant et crédible sur la déchéance vécue. Le parti pris du réali-sateur (révisionniste côté Révolution française – les camarades citoyens ne sont pas gâtés et le viol consenti de Marie-Antoinette est superflu), fait d’économie de gestes et de silences, donne une épaisseur certaine à la narration. La confrontation de Louis XVI et du bourreau Sanson, la veille de la décapitation, est d’une grande intensité dramatique. Idéologiquement bousculé, mais humainement passionnant.
Un ours dans le Jura
Réalisateur : Franck Dubosc – 1 h 53
L’ours est fugace mais le film, qui ne vise que le divertissement, tient absolument son contrat. Sa morale (immorale) se lit à travers une réplique de Poelvoorde (toujours formidable) : Quand on dit que l’argent ne fait pas le bonheur, on parle de quelle somme ? Sous le scénario qui rebondit allègrement du gag au faux thriller dans la partie de billard des péripéties, voilà la leçon donnée par le microcosme jurassien qu’incarnent délicieusement des acteurs qui s’amusent avec nous (outre Poelvoorde, Dubosc, Laure Calamy et Joséphine de Meaux dans un second rôle aux petits oignons) : rien n’est vraiment sérieux et le blanchiment d’argent est aussi joie de faire plaisir (« se » mais « pas que »). Un vrai moment de détente.
Les Feux sauvages
Réalisateur : Jia Zhangke – 1 h 51
Jia Zhangke se regarde le nombril (des extraits de ses précédentes productions) et nous montre la Chine. Un côté « expo-photo » pas désagréable, un « sur le vif » – groupes humains, femmes, boîtes de nuit, paysages urbains, région des Trois Gorges, chansons, flashes « d’info » des vingt dernières années, Covid, corruption, technologie – assez « foutoir ». Il y aurait au milieu une histoire d’amour. On la cherche. Plutôt la fantomatique esquisse d’une relation à sens unique inaboutie, tordue, fracturée, absurde, qui s’achève sans qu’on l’ait jamais ressentie. L’héroïne tient le coup. L’antihéros finit bien abîmé. Un film quasi muet qui laisse un peu sans voix, mais un spectacle malgré tout. On regarde et on essaie de réfléchir.