Vincent Guigueno (X88), un historien qui n’hésite pas à se jeter à l’eau !

Depuis la création, en 1811, d’une Commission des phares, de nombreux polytechniciens se sont intéressés à ces « feux qui s’allument en mer »,
pour reprendre l’expression d’Henri Queffélec. En leur consacrant une très large part de sa carrière, Vincent Guigueno s’inscrit donc dans une tradition séculaire.
Tout commence – on ne s’en étonnera pas – en Bretagne, à Vannes plus précisément. Vincent Guigueno y naît le 30 mai 1968, « pendant le discours mémorable du général de Gaulle » – on lui expliquera que des transistors étaient en marche dans la salle d’accouchement. Faut-il voir, dans cette superposition entre la marche du siècle et l’arrivée au monde de notre camarade, l’origine de son goût pour l’Histoire ? Un goût qui sera également nourri, durant l’enfance, par des conversations marquantes, par exemple lorsqu’il apprend que, jadis, le mari de l’une des voisines « a été fusillé par les Allemands ».
La mer, toujours la mer…
Après un parcours classique de bon élève, chez les jésuites à Vannes puis à Ginette, il intègre l’X en 5⁄2, spécialité P’. « Ça s’est fait un peu au forceps, explique-t-il, je me souviens que mon professeur de mathématiques en était tout étonné… » Comme l’École est loin de ces océans qu’il chérit, Vincent Guigueno cherche des subterfuges pour s’en rapprocher : service militaire dans la Marine (bien sûr), ce qui lui vaut sa première longue navigation, de Brest à Djibouti, sur la frégate Duguay-Trouin, puis participation au club de voile de l’X, dont le skipper, alors, n’est autre que Thomas Coville, affecté à cette mission à l’occasion de son service militaire.
L’histoire via les phares
Sur le plateau, Vincent Guigueno s’intéresse, un peu, à la résistance des matériaux, et beaucoup à l’histoire, notamment grâce aux cours de Christian Delage, un ancien élève de Marc Ferro. Il écrit son premier article « pour une revue à comité de lecture », consacré au statut des élèves polytechniciens juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Et il découvre, avec joie, qu’il est possible de continuer à étudier l’histoire après avoir quitté Palaiseau, en rejoignant le Laboratoire techniques, territoires et sociétés (LATTS) de l’École des ponts. Et c’est alors que les phares admirés durant son enfance se mettent à éclairer son parcours. Fasciné par le film de Jean Epstein Les Feux de la mer, Vincent décide de consacrer sa thèse à l’histoire d’une administration : le service des phares. La flamme qui s’allume alors en lui ne s’éteindra plus.
“Élu en 2023 à l’Académie de marine.”
Au fil des années, sa passion pour les balises de notre littoral le conduit à écrire plusieurs ouvrages à leur sujet, à préparer le classement de Cordouan au patrimoine mondial de l’humanité, à passer une nuit à La Jument pour un reportage télévisé, à donner au Japon des conférences sur le patrimoine maritime et à assurer le commissariat de la grande exposition que le musée de la Marine, en 2012, consacra aux phares. Cette expertise obtenue dans un domaine finalement peu étudié jusqu’alors lui permettra même d’être intégré dans le corps des conservateurs du patrimoine et d’être élu, en 2023, à l’Académie de marine.
Mais pas seulement la mer
Il y eut certes, dans sa carrière, des moments où Vincent Guigueno s’éloigna des côtes, par exemple lorsqu’en 2006 il fut détaché pendant deux ans à l’École française de Rome (afin de suivre son épouse, Laurence, une camarade de promotion qui dirigeait alors une cimenterie à Pescara) ou lorsqu’il fut nommé directeur adjoint de la recherche au musée du quai Branly. Plusieurs travaux non « pharologiques » témoignent de ces périodes loin des sémaphores, par exemple un très sérieux article intitulé La Vespa à Rome, cinéma ou réalité ? et des études non moins sérieuses sur les « croisières Citroën », ces expéditions qui, entre 1922 et 1934, ont favorisé l’exploration scientifique à travers le Sahara, l’Afrique et l’Asie.
Tintin aux Affaires maritimes ?
Aujourd’hui revenu aux Affaires maritimes, Vincent Guigueno télétravaille parfois depuis Dunkerque – où son épouse a été mutée. Ce qui lui permet, en tant que secouriste en mer, d’être régulièrement appelé pour de périlleuses opérations. « Évidemment, quand vous avez passé la nuit du dimanche à remorquer un chalutier en panne moteur dans une forte houle, la semaine qui suit au bureau va vous paraître fade », concède-t-il malicieusement. Après l’avoir quitté, on s’aperçoit qu’on a oublié d’évoquer avec lui une autre de ses passions : Tintin – auquel il a également consacré un ouvrage. Un oubli d’autant plus surprenant que, nonobstant les lunettes de l’un et la houppette de l’autre, on leur trouve presque un air de ressemblance.