Vincent Guigueno (X88), un historien qui n’hésite pas à se jeter à l’eau !

Vincent Guigueno (X88), un historien qui n’hésite pas à se jeter à l’eau !

Dossier : TrajectoiresMagazine N°804 Avril 2025
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Depuis la créa­tion, en 1811, d’une Com­mis­sion des phares, de nom­breux poly­tech­ni­ciens se sont inté­res­sés à ces « feux qui s’allument en mer »,
pour reprendre l’expression d’Henri Quef­fé­lec. En leur consa­crant une très large part de sa car­rière, Vincent Gui­gue­no s’inscrit donc dans une tra­di­tion séculaire.

Tout com­mence – on ne s’en éton­ne­ra pas – en Bre­tagne, à Vannes plus pré­ci­sé­ment. Vincent Gui­gue­no y naît le 30 mai 1968, « pen­dant le dis­cours mémo­rable du géné­ral de Gaulle » – on lui expli­que­ra que des tran­sis­tors étaient en marche dans la salle d’accouchement. Faut-il voir, dans cette super­po­si­tion entre la marche du siècle et l’arrivée au monde de notre cama­rade, l’origine de son goût pour l’Histoire ? Un goût qui sera éga­le­ment nour­ri, durant l’enfance, par des conver­sa­tions mar­quantes, par exemple lorsqu’il apprend que, jadis, le mari de l’une des voi­sines « a été fusillé par les Allemands ».

La mer, toujours la mer…

Après un par­cours clas­sique de bon élève, chez les jésuites à Vannes puis à Ginette, il intègre l’X en 52, spé­cia­li­té P’. « Ça s’est fait un peu au for­ceps, explique-t-il, je me sou­viens que mon pro­fes­seur de mathé­ma­tiques en était tout éton­né… » Comme l’École est loin de ces océans qu’il ché­rit, Vincent Gui­gue­no cherche des sub­ter­fuges pour s’en rap­pro­cher : ser­vice mili­taire dans la Marine (bien sûr), ce qui lui vaut sa pre­mière longue navi­ga­tion, de Brest à Dji­bou­ti, sur la fré­gate Duguay-Trouin, puis par­ti­ci­pa­tion au club de voile de l’X, dont le skip­per, alors, n’est autre que Tho­mas Coville, affec­té à cette mis­sion à l’occasion de son ser­vice militaire.

L’histoire via les phares

Sur le pla­teau, Vincent Gui­gue­no s’intéresse, un peu, à la résis­tance des maté­riaux, et beau­coup à l’histoire, notam­ment grâce aux cours de Chris­tian Delage, un ancien élève de Marc Fer­ro. Il écrit son pre­mier article « pour une revue à comi­té de lec­ture », consa­cré au sta­tut des élèves poly­tech­ni­ciens juifs pen­dant la Seconde Guerre mon­diale. Et il découvre, avec joie, qu’il est pos­sible de conti­nuer à étu­dier l’histoire après avoir quit­té Palai­seau, en rejoi­gnant le Labo­ra­toire tech­niques, ter­ri­toires et socié­tés (LATTS) de l’École des ponts. Et c’est alors que les phares admi­rés durant son enfance se mettent à éclai­rer son par­cours. Fas­ci­né par le film de Jean Epstein Les Feux de la mer, Vincent décide de consa­crer sa thèse à l’histoire d’une admi­nis­tra­tion : le ser­vice des phares. La flamme qui s’allume alors en lui ne s’éteindra plus.

“Élu en 2023 à l’Académie de marine.”

Au fil des années, sa pas­sion pour les balises de notre lit­to­ral le conduit à écrire plu­sieurs ouvrages à leur sujet, à pré­pa­rer le clas­se­ment de Cor­douan au patri­moine mon­dial de l’humanité, à pas­ser une nuit à La Jument pour un repor­tage télé­vi­sé, à don­ner au Japon des confé­rences sur le patri­moine mari­time et à assu­rer le com­mis­sa­riat de la grande expo­si­tion que le musée de la Marine, en 2012, consa­cra aux phares. Cette exper­tise obte­nue dans un domaine fina­le­ment peu étu­dié jusqu’alors lui per­met­tra même d’être inté­gré dans le corps des conser­va­teurs du patri­moine et d’être élu, en 2023, à l’Académie de marine.

Mais pas seulement la mer

Il y eut certes, dans sa car­rière, des moments où Vincent Gui­gue­no s’éloigna des côtes, par exemple lorsqu’en 2006 il fut déta­ché pen­dant deux ans à l’École fran­çaise de Rome (afin de suivre son épouse, Lau­rence, une cama­rade de pro­mo­tion qui diri­geait alors une cimen­te­rie à Pes­ca­ra) ou lorsqu’il fut nom­mé direc­teur adjoint de la recherche au musée du quai Bran­ly. Plu­sieurs tra­vaux non « pha­ro­lo­giques » témoignent de ces périodes loin des séma­phores, par exemple un très sérieux article inti­tu­lé La Ves­pa à Rome, ciné­ma ou réa­li­té ? et des études non moins sérieuses sur les « croi­sières Citroën », ces expé­di­tions qui, entre 1922 et 1934, ont favo­ri­sé l’exploration scien­ti­fique à tra­vers le Saha­ra, l’Afrique et l’Asie.

Tintin aux Affaires maritimes ?

Aujourd’hui reve­nu aux Affaires mari­times, Vincent Gui­gue­no télé­tra­vaille par­fois depuis Dun­kerque – où son épouse a été mutée. Ce qui lui per­met, en tant que secou­riste en mer, d’être régu­liè­re­ment appe­lé pour de périlleuses opé­ra­tions. « Évi­dem­ment, quand vous avez pas­sé la nuit du dimanche à remor­quer un cha­lu­tier en panne moteur dans une forte houle, la semaine qui suit au bureau va vous paraître fade », concède-t-il malicieuse­ment. Après l’avoir quit­té, on s’aperçoit qu’on a oublié d’évoquer avec lui une autre de ses pas­sions : Tin­tin – auquel il a éga­le­ment consa­cré un ouvrage. Un oubli d’autant plus sur­pre­nant que, non­obs­tant les lunettes de l’un et la houp­pette de l’autre, on leur trouve presque un air de ressemblance. 

Poster un commentaire