Vers une sécurité sociale professionnelle

Dossier : Le SursautMagazine N°619 Novembre 2006
Par Pierre CAHUC
Par Francis KRAMARZ (76)

Les salariés français sont con­fron­tés à des risques impor­tants de perte d’emploi. En effet, il y a chaque jour 30 000 départs de l’emploi, départs s’ef­fec­tu­ant dans des con­di­tions sou­vent dif­fi­ciles. Il y a aus­si 30 000 embauch­es, en grande majorité en con­trat à durée déter­minée. Ces mou­ve­ments de main-d’œu­vre sont indis­pens­ables pour garan­tir la recom­po­si­tion de l’ap­pareil pro­duc­tif à l’o­rig­ine de la crois­sance. Néan­moins, selon plusieurs indi­ca­teurs, la France est le pays indus­tri­al­isé où le sen­ti­ment d’in­sécu­rité de l’emploi est le plus élevé. Pour­tant les destruc­tions d’emplois n’y sont pas plus nom­breuses qu’ailleurs. Mais, en France, la pré­car­ité et l’ex­clu­sion asso­ciées aux restruc­tura­tions de l’emploi résul­tent d’une insuff­isante mutu­al­i­sa­tion des risques.

Pour mutu­alis­er de tels aléas tout en favorisant la crois­sance, il est indis­pens­able de créer les élé­ments con­sti­tu­tifs d’une « sécu­rité sociale pro­fes­sion­nelle » pour pass­er d’une logique qui pro­tège les emplois exis­tants à une logique qui favorise la mobil­ité en assur­ant les salariés tout au long de leur par­cours professionnel.

La Sécu­rité sociale, insti­tuée en France par les ordon­nances de 1945, avait pour objec­tif de garan­tir « à cha­cun qu’en toutes cir­con­stances il dis­posera des moyens néces­saires pour assur­er sa sub­sis­tance et celle de sa famille dans des con­di­tions décentes. Trou­vant sa jus­ti­fi­ca­tion dans un souci élé­men­taire de jus­tice sociale, elle répond à la préoc­cu­pa­tion de débar­rass­er les tra­vailleurs de l’in­cer­ti­tude du lende­main, de cette incer­ti­tude con­stante qui crée chez eux un sen­ti­ment d’in­féri­or­ité et qui est la base réelle et pro­fonde de la dis­tinc­tion des class­es entre les pos­sé­dants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les tra­vailleurs sur qui pèse, à tout moment, la men­ace de la misère ».

Le risque chô­mage n’é­tait pas visé dans le plan de Sécu­rité sociale de 1945. Ce n’est qu’en 1958 que fut signé un accord nation­al inter­pro­fes­sion­nel insti­tu­ant un régime d’al­lo­ca­tions en faveur des tra­vailleurs sans emploi de l’in­dus­trie et du com­merce, en com­plé­ment du régime d’as­sis­tance légal. Aujour­d’hui, il faut aller de l’a­vant en créant un sys­tème cohérent, inté­grant l’aide à la recherche d’emploi et l’as­sur­ance chô­mage. Certes, une sécu­rité sociale pro­fes­sion­nelle aus­si per­for­mante soit-elle ne pour­ra garan­tir un emploi pour cha­cun à chaque instant de sa car­rière, tout comme la Sécu­rité sociale ne peut garan­tir une guéri­son instan­ta­née pour tous. En matière de san­té, la Sécu­rité sociale doit garan­tir l’ac­cès à des soins de qual­ité pour tous.

Dans le domaine de l’emploi, une sécu­rité sociale pro­fes­sion­nelle devrait garan­tir un revenu décent et un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité de tous les deman­deurs d’emploi en per­me­t­tant une recon­ver­sion vers les métiers d’avenir. Pour attein­dre un tel objec­tif, il faut men­er une réforme coor­don­née du ser­vice pub­lic de l’emploi et du con­trat de tra­vail tout en favorisant l’in­no­va­tion par une déré­gle­men­ta­tion des marchés des produits.

Nous présen­tons briève­ment les linéa­ments de la réforme pour les deux pre­miers points (ser­vice pub­lic de l’emploi et con­trat de tra­vail). Nous détail­lons un peu plus les élé­ments du diag­nos­tic pour le troisième (la con­cur­rence) car il est mal­heureuse­ment trop sou­vent absent des débats en France qui se focalisent la plu­part du temps sur la rigid­ité du marché du travail.

Améliorer l’accompagnement et la formation des demandeurs d’emploi en affirmant le rôle de l’État

Cela con­duit à affirmer le rôle de l’É­tat en lui don­nant les moyens de coor­don­ner l’ensem­ble des proces­sus de reclasse­ment. Pré­cisé­ment, si l’on veut vers­er des indem­nités chô­mage plus généreuses et mieux accom­pa­g­n­er les chercheurs d’emploi, il faut pos­er le principe d’un traite­ment dif­féren­cié, donc se don­ner les moyens d’é­val­uer toute per­son­ne entrant au chô­mage, et cibler les dépens­es sur les per­son­nes qui en ont le plus besoin : guichet unique et « pro­fi­lage » des deman­deurs d’emploi sont donc deux pri­or­ités pour assur­er une bonne prise en charge.

La mutu­al­i­sa­tion des ressources autour du ser­vice pub­lic devra con­stituer une garantie de sol­i­dar­ité. Elle per­me­t­tra aus­si de pour­suiv­re la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion du place­ment et du reclasse­ment ; les opéra­teurs externes, aux­quels il est déjà large­ment fait recours, étant rémunérés en fonc­tion des car­ac­téris­tiques du deman­deur d’emploi et de la réus­site de la réin­ser­tion dans l’emploi : des opéra­teurs seront payés en trois fois ; au moment de la prise en charge du deman­deur d’emploi, au moment où ce deman­deur retrou­ve un emploi, six mois plus tard si cette per­son­ne est tou­jours en emploi. L’in­ter­ven­tion des opéra­teurs doit être encadrée par un cahi­er des charges pré­cis, en par­ti­c­uli­er en matière de for­ma­tion. Le ser­vice pub­lic de place­ment ren­for­cé se sub­stituera à l’oblig­a­tion de reclasse­ment des entre­pris­es. Il sera financé par une « con­tri­bu­tion de sol­i­dar­ité » con­sis­tant à reli­er les coti­sa­tions patronales aux licenciements.

Supprimer les statuts d’emploi précaires en créant un contrat de travail unique à durée indéterminée

La césure CDD-CDI et la régle­men­ta­tion des licen­ciements économiques entraî­nent de pro­fondes iné­gal­ités : les jeunes sont can­ton­nés à des emplois en CDD, et les entre­pris­es hési­tent à embauch­er des seniors sur des emplois sta­bles, car leur destruc­tion est très coû­teuse. Le licen­ciement économique est accom­pa­g­né de procé­dures de reclasse­ment formelle­ment exigeantes mais sou­vent con­tournées au détri­ment des salariés les plus frag­iles et les moins informés.

Afin de réduire les iné­gal­ités de traite­ment et sim­pli­fi­er le droit du tra­vail, nous pro­posons la sup­pres­sion du CDD et la créa­tion d’un con­trat de tra­vail unique. Ce con­trat aura trois com­posantes : il sera à durée indéter­minée ; il don­nera droit à une « indem­nité de pré­car­ité » ver­sée au salarié ; il don­nera lieu à une « con­tri­bu­tion de sol­i­dar­ité » cor­re­spon­dant à une taxe payée par l’en­tre­prise qui licen­cie.

Comme indiqué précédem­ment, la con­tri­bu­tion de sol­i­dar­ité servi­ra à garan­tir le reclasse­ment du salarié, reclasse­ment assuré non plus par les entre­pris­es, mais par le ser­vice pub­lic de l’emploi s’ap­puyant sur des pro­fes­sion­nels rémunérés aux résul­tats. Une con­tri­bu­tion égale à 1,6 % des salaires des per­son­nes licen­ciées, qui cor­re­spond au coût de reclasse­ment sup­porté actuelle­ment par les entre­pris­es dans le cadre du licen­ciement économique, per­met de dot­er le ser­vice pub­lic de l’emploi d’un bud­get annuel sup­plé­men­taire de 5 mil­liards d’eu­ros, soit qua­tre fois le mon­tant de la dota­tion de l’É­tat à l’ANPE.

Réformer les marchés des produits et des services pour permettre la création de richesses

En France, le prob­lème de l’emploi est sou­vent abor­dé en invo­quant l’in­suff­isante com­péti­tiv­ité et l’am­pleur des délo­cal­i­sa­tions. Pour­tant, les com­para­isons inter­na­tionales indiquent claire­ment que la faib­lesse de l’emploi en France ne résulte pas par­ti­c­ulière­ment des mau­vais­es per­for­mances des secteurs exposés à la con­cur­rence inter­na­tionale1. En revanche, si la France avait le même taux d’emploi2 que les États-Unis dans le com­merce, l’hôtel­lerie et la restau­ra­tion3, secteurs pro­tégés, en grande par­tie, de la con­cur­rence inter­na­tionale, elle aurait 3,4 mil­lions d’emplois sup­plé­men­taires ; la même com­para­i­son avec les Pays-Bas aboutit à 1,8 mil­lion d’emplois, et à 1,2 mil­lion dans les cas de l’Alle­magne et du Dane­mark. En fait, la France dis­pose d’im­por­tants gise­ments d’emplois dans le secteur ter­ti­aire, et en par­ti­c­uli­er dans le com­merce, l’hôtel­lerie et la restauration.

Certes, la con­cur­rence inter­na­tionale détru­it des emplois, mais elle en crée aus­si, et les nom­breuses études con­sacrées à ce sujet indiquent que la con­cur­rence inter­na­tionale ne con­stitue pas une source majeure de sous-emploi en France.

En réal­ité, l’in­suff­i­sance d’emplois en France provient en grande par­tie d’un ensem­ble de régle­men­ta­tions mal conçues qui nuisent à la con­cur­rence et favorisent la con­sti­tu­tion de pou­voir de mono­pole dans des secteurs abrités. En effet, cette mau­vaise con­cep­tion des règles du jeu néces­saires au bon fonc­tion­nement de la con­cur­rence se traduit irrémé­di­a­ble­ment par la mise en place de car­tels et par des mou­ve­ments de con­cen­tra­tion des entre­pris­es qui con­duisent à la dom­i­na­tion des mieux dotés au détri­ment du bien-être de tous. Les monopoles imposent des prix élevés aux con­som­ma­teurs et raré­fient les pro­duits et l’emploi pour con­forter leur dom­i­na­tion. Nous ver­rons que ces asser­tions sont jus­ti­fiées par de nom­breux travaux empiriques qui indiquent que les bar­rières à une con­cur­rence équili­brée sont défa­vor­ables à l’emploi, à la crois­sance et au pou­voir d’achat.

De nombreux secteurs fermés

Pour lut­ter con­tre les destruc­tions d’emplois et essay­er de pro­téger l’emploi, il peut être ten­tant de pro­téger les entre­pris­es en place par une régle­men­ta­tion lim­i­tant l’en­trée sur le marché de nou­velles entre­pris­es util­isant des tech­nolo­gies dif­férentes, qui peu­vent être, dans cer­tains cas, moins inten­sives en main-d’œuvre.

Certes, l’in­sti­tu­tion de telles bar­rières per­met de réduire les destruc­tions d’emplois à court terme. À ce titre, elles peu­vent être favor­ables à l’emploi. Néan­moins, étant don­né l’am­pleur des rota­tions d’emploi dans le secteur des ser­vices, les effets de court terme s’estom­pent très vite. Rapi­de­ment, les bar­rières à l’en­trée ont pour effet essen­tiel d’ex­ercer une pres­sion à la hausse sur les prix, ce qui est tou­jours défa­vor­able à l’emploi. Elles ont aus­si ten­dance à lim­iter les inno­va­tions, ce qui freine l’ap­pari­tion de nou­veaux pro­duits et est aus­si générale­ment défa­vor­able à l’emploi. Les bar­rières à l’en­trée con­tribuent enfin à dimin­uer les gains de pro­duc­tiv­ité, ce qui peut être béné­fique à l’emploi du secteur si l’élas­tic­ité de la demande pour le pro­duit est inférieure à l’u­nité. L’im­pact de bar­rières à l’en­trée sur l’emploi d’un secteur est donc ambigu en théorie ; il ne peut être con­nu que grâce à une explo­ration empirique. Il en est de même pour les effets d’équili­bre général. Le con­som­ma­teur, pour sa part, subit tou­jours une diminu­tion de bien-être puisqu’il paie les pro­duits plus cher et ne béné­fi­cie pas des inno­va­tions de produits.

Le coût des entraves à la concurrence

L’exemple du commerce

Au cen­tre de nom­breux débats récents et de propo­si­tions de réformes (com­mis­sion Canivet, rap­port Camdessus, par exem­ple), la loi d’ori­en­ta­tion du com­merce et de l’ar­ti­sanat du 27 décem­bre 1973 (dite loi Roy­er) mod­i­fiée par la loi n° 96–603 du 5 juil­let 1996 a instau­ré une procé­dure spé­ci­fique d’au­tori­sa­tion préal­able d’ex­ploita­tion com­mer­ciale, s’a­joutant à la procé­dure per­me­t­tant la délivrance du per­mis de con­stru­ire. Depuis 1974, elle s’ap­plique à tous les pro­jets de créa­tion ou d’ex­ten­sion de com­merces de détail et d’ensem­bles com­mer­ci­aux d’une sur­face de vente supérieure à 1 000 ou 1 500 m² (selon le lieu de l’im­plan­ta­tion) jusqu’en 1996 et à 300 m² depuis 1996.

À l’o­rig­ine, ce dis­posi­tif était sup­posé pro­téger les petits com­merces, dans une péri­ode où la grande dis­tri­b­u­tion se dévelop­pait. Pour jus­ti­fi­er cette loi, les auteurs des textes invo­quaient « la néces­sité d’as­sur­er un développe­ment équili­bré de toutes les formes de com­merce en prévenant les risques de dévi­tal­i­sa­tion des cen­tres-villes et de déser­ti­fi­ca­tion des zones rurales ». Dans l’e­sprit de ses con­cep­teurs, ce dis­posi­tif était tem­po­raire. En 2005, il est tou­jours en place.

Un arti­cle récem­ment paru4 a ten­té d’é­val­uer l’im­pact de la loi Roy­er sur l’emploi mais aus­si sur la con­cen­tra­tion et les prix du secteur du com­merce de détail, ali­men­taire et non-ali­men­taire, en France.

Les résul­tats de cet arti­cle démon­trent que les départe­ments où les restric­tions à l’en­trée ont été les plus fortes sont aus­si ceux où la créa­tion d’emplois dans le secteur du com­merce de détail a été la plus faible. Après avoir établi ce résul­tat, les auteurs détail­lent les mécan­ismes économiques par lesquels ces restric­tions à l’en­trée se propa­gent. Plus pré­cisé­ment, ils se penchent sur la con­cen­tra­tion des grandes chaînes de dis­tri­b­u­tion et sur les prix, en se restreignant au secteur du com­merce de détail ali­men­taire. Les esti­ma­tions démon­trent alors que les restric­tions à l’en­trée accrois­sent la con­cen­tra­tion locale des grandes chaînes de super­marchés ali­men­taires5. Ces restric­tions accrois­sent aus­si les prix de détail locaux de biens homogènes (peu sujets aux vari­a­tions inob­servées de qual­ité). Toute­fois, il est peu prob­a­ble que cette hausse des prix soit la seule force économique induisant cette mau­vaise per­for­mance de l’emploi causée par les restric­tions à l’en­trée (car cela impli­querait une sen­si­bil­ité de la demande aux prix trop élevée)6. Finale­ment, la con­cen­tra­tion induite par ces restric­tions à l’en­trée a un effet direct sur la crois­sance de l’emploi (qui s’a­joute à celui des restrictions).

La con­cen­tra­tion est donc par­ti­c­ulière­ment impor­tante pour com­pren­dre les effets poten­tiels sur l’emploi. Elle empêche cer­taine­ment la dif­féren­ci­a­tion entre les chaînes de super­marchés. Ain­si, aux États-Unis, on trou­ve des chaînes « haute qual­ité » et des chaînes « basse qual­ité » et les pre­mières sont très inten­sives en tra­vail. De telles chaînes ne sem­blent pas avoir vu le jour en France où la dif­féren­ci­a­tion reste très faible et n’est due qu’à l’en­trée récente d’en­tre­pris­es d’o­rig­ine alle­mande. Récem­ment, les dirigeants d’une de nos plus grandes chaînes se sont ren­du compte que cer­tains de leurs clients (à Saint-Denis, en région parisi­enne) étaient (rel­a­tive­ment) pau­vres ; le for­mat clas­sique n’é­tait pas adap­té dans cette local­ité. La dif­féren­ci­a­tion — des super­marchés dif­férents pour des clien­tèles dif­férentes — présente dans de nom­breux pays a mis trente ans pour attein­dre la France. La con­cur­rence est bien l’al­liée des consommateurs.

De plus, le « manque » de super­marchés rend les tra­jets des clients plus longs et l’at­tente (aux caiss­es par exem­ple) plus grande. Ain­si, le temps des con­som­ma­teurs est un input plus impor­tant en France dans la fonc­tion de pro­duc­tion des super­marchés qu’aux États-Unis et se sub­stitue à l’emploi du secteur. Dit autrement, la loi Roy­er nous oblige à faire la queue.

… dans le secteur hôtelier

Depuis 1996, la loi a aus­si régle­men­té le secteur hôte­lier. Pour ouvrir un hôtel de plus de 50 cham­bres dans la région parisi­enne (Île-de-France) et 30 cham­bres en province, il faut pass­er devant une com­mis­sion sim­i­laire à celles mis­es en place pour l’ur­ban­isme com­mer­cial. Ce texte s’ap­plique non seule­ment aux nou­velles con­struc­tions mais aus­si aux trans­for­ma­tions et exten­sions. Lorsqu’elle stat­ue sur ces deman­des, la Com­mis­sion départe­men­tale d’équipement com­mer­cial recueille l’avis préal­able de la Com­mis­sion départe­men­tale d’ac­tion touris­tique, présen­té par le délégué région­al au tourisme qui assiste à la séance. Elle stat­ue en prenant aus­si en con­sid­éra­tion la den­sité d’équipements hôte­liers dans la zone con­cernée. La créa­tion ou l’ex­ten­sion de garages ou de com­merces de véhicules auto­mo­biles dis­posant d’ate­liers d’en­tre­tien et de répa­ra­tion n’est pas soumise à une autori­sa­tion d’ex­ploita­tion com­mer­ciale, lorsqu’elle con­duit à une sur­face totale de moins de 1 000 mètres car­rés. Des restric­tions nou­velles se sont aus­si appliquées aux sta­tions-ser­vice et aux ciné­mas (Code de com­merce arti­cle L720‑5).

Ce con­texte favorise claire­ment les pro­prié­taires d’hô­tels d’une taille supérieure au seuil et con­stru­its avant 1996, puisque le coût de créa­tion de nou­veaux hôtels de ce type est accru par la réglementation.

… dans les cafés

Les dis­po­si­tions rel­a­tives à l’ou­ver­ture et à l’im­plan­ta­tion des débits de bois­sons fig­urent dans le nou­veau Code de la san­té publique (arti­cles L1331 et suiv­ants). Aupar­a­vant, elles étaient inclus­es dans le code des débits de bois­sons et des mesures con­tre l’al­coolisme. Ce code avait été conçu afin de lut­ter con­tre l’al­coolisme à un moment où la con­som­ma­tion d’al­cool en France était bien plus impor­tante qu’au­jour­d’hui et où la France avait un nom­bre de débits de bois­sons extrême­ment élevé.

Aujour­d’hui, ce nom­bre a beau­coup dimin­ué. D’ailleurs, les bois­sons alcoolisées sont majori­taire­ment ven­dues dans le com­merce. La part des bois­sons alcoolisées con­som­mée dans les débits de bois­sons peut être estimée à 5 ou 6 % de la con­som­ma­tion nationale. Telle qu’elle est organ­isée, la lég­is­la­tion en vigueur induit une rareté de l’of­fre qui tend à génér­er des rentes ; la valeur élevée des licences dans cer­taines com­munes défa­vorise l’in­stal­la­tion de jeunes débi­tants et favorise au con­traire la con­cen­tra­tion autour de chaînes hôtelières dis­posant de moyens financiers plus importants.

… dans les transports

Le 25 févri­er 2003, le Préfet de police de Paris a annon­cé la créa­tion de 1 500 licences de taxis sup­plé­men­taires, étalée sur une péri­ode de cinq ans à rai­son de 150 par semestre.

L’of­fre de taxis parisiens était restée sta­ble depuis 1992 avec 14 900 taxis. Ce chiffre était inférieur de 5 255 unités au nom­bre de taxis tra­vail­lant en 1931 et de 10 000 unités env­i­ron à ce qu’il était en 1925. Pour­tant, ce tra­vail doit être par­ti­c­ulière­ment attrac­t­if et rentable puisque les chauf­feurs de taxi achetant une licence sont prêts à pay­er aujour­d’hui un coût d’en­trée par­ti­c­ulière­ment élevé (actuelle­ment, une licence coûte env­i­ron 122 000 euros à Paris). Il y a très cer­taine­ment un lien entre le nom­bre lim­ité de licences, ce prix élevé, et la rentabil­ité de ce méti­er. De fait, douze textes lég­is­lat­ifs et régle­men­taires enca­drent l’ex­er­ci­ce de cette pro­fes­sion. Pour exercer il faut obtenir un cer­ti­fi­cat de capac­ité pro­fes­sion­nelle et une autori­sa­tion de sta­tion­nement sur la voie publique.

Il faut savoir que la vente des licences ne rap­porte pas d’ar­gent au con­tribuable. En effet, la licence est accordée gra­tu­ite­ment par l’ad­min­is­tra­tion pour sat­is­faire des besoins d’in­térêt général. Elle ne saurait donc faire, en principe, l’ob­jet d’une quel­conque appro­pri­a­tion par son pro­prié­taire. Ces con­sid­éra­tions expliquent que le droit a longtemps pro­hibé la ces­sion des licences. Néan­moins, en pra­tique, les pro­fes­sion­nels se sont mis à mon­nay­er leur titre. Au total, une per­son­ne désireuse d’ex­ploiter un taxi dis­pose actuelle­ment de deux moyens pour acquérir une licence : soit l’a­cheter auprès d’un exploitant déjà en place, soit prof­iter de la créa­tion de nou­velles licences, délivrées gra­tu­ite­ment par l’ad­min­is­tra­tion. Les nou­velles licences sont attribuées suiv­ant l’or­dre chronologique d’en­reg­istrement des deman­des, chaque demande étant val­able un an et devant être renou­velée trois mois avant l’échéance.

Tar­ifs des cours­es régle­men­tés et licences lim­itées face à une demande assez prévis­i­ble expliquent les écarts de prix des licences : en 2001, les prix moyens de ces­sion vont de 1 000 euros dans cer­taines zones rurales jusqu’à 167 700 euros à Nice7. Ils mesurent la rente asso­ciée à la déten­tion d’une licence. Au milieu des années 1990 le chiffre d’af­faires annuel réal­isé par les taxis parisiens s’él­e­vait à 610 mil­lions d’eu­ros (41 000 euros par taxi)8.

Plus générale­ment, la LOTI (Loi d’ori­en­ta­tion du trans­port intérieur) a créé de mul­ti­ples freins à l’en­trée dont le con­som­ma­teur pâtit aujour­d’hui. Ain­si, il est inter­dit de faire con­cur­rence à la SNCF sur une ligne qu’elle dessert. Le car Brux­elles-Paris, lorsqu’il s’ar­rête à Lille, n’a pas le droit de faire mon­ter de nou­veaux pas­sagers. Claire­ment, l’ex­em­ple des autres pays le mon­tre, les usagers du car sont des jeunes et des per­son­nes peu for­tunées. En France, train comme avion sont chers, en tout cas trop chers pour de nom­breux con­som­ma­teurs à faibles revenus. En out­re, de nom­breuses per­son­nes ne dis­posent pas d’une voiture, voire d’un per­mis de con­duire (lui aus­si très onéreux en com­para­i­son aux autres pays). Ain­si, un réseau de cars ne peut se dévelop­per en France car il ne desservi­rait qu’un nom­bre restreint de destinations.

De nom­breux autres secteurs ou pro­fes­sions sont con­cernés par ces restric­tions. Le rap­port pub­lié en 2005 par Pierre Cahuc et Fran­cis Kra­marz en présente une vision plus exhaustive.


Des effets macroéconomiques sur l’emploi potentiellement importants

Les com­para­isons inter­na­tionales réal­isées par l’OCDE mon­trent que la France9 subit encore d’im­por­tantes bar­rières régle­men­taires (tableau 1).

Le tableau 2 (OCDE, 2005) mon­tre que si la France alig­nait sa régle­men­ta­tion sur le pays de l’OCDE le plus vertueux, on trou­ve un gain de 1.2 point de taux d’emploi, ce qui cor­re­spond à 500 000 emplois.

En guise de conclusion

La force de la con­cur­rence est de favoris­er l’é­clo­sion d’ac­tiv­ités nou­velles, amélio­rant la pro­duc­tiv­ité. Sa faib­lesse, intime­ment liée à sa force, est d’ex­clure les per­son­nes comme les entre­pris­es les plus frag­iles. À ce titre, la con­cur­rence ne peut fonc­tion­ner har­monieuse­ment qu’en présence d’une assur­ance garan­tis­sant un revenu décent et des pos­si­bil­ités de réin­ser­tion dans l’emploi. En effet, il est pos­si­ble de con­serv­er les avan­tages de la con­cur­rence, sans subir ses incon­vénients grâce à un sys­tème assur­antiel per­for­mant. Cette solu­tion est préférable à celle con­sis­tant à élever des bar­rières con­cur­ren­tielles pour pro­téger les activ­ités exis­tantes. À terme, une telle stratégie a en effet des con­séquences néfastes : elle lim­ite l’in­no­va­tion, les gains de pro­duc­tiv­ité, l’emploi tout en étant coû­teuse pour les con­som­ma­teurs. La présence d’une assur­ance effi­cace est la bonne solu­tion car elle :

lim­ite le coût des réallocations,
 accroît les inci­ta­tions à innover et à investir,
 lim­ite les com­porte­ments anti­con­cur­ren­tiels : les résis­tances à la con­cur­rence sont d’au­tant plus faibles que les pertes liées aux avan­tages acquis sont faibles.

En France, faib­less­es de la régu­la­tion de la con­cur­rence et de l’as­sur­ance (sécu­rité sociale pro­fes­sion­nelle…) se traduisent par des activ­ités exces­sive­ment pro­tégées par des bar­rières anti­con­cur­ren­tielles qui ne favorisent ni l’emploi, ni la crois­sance, ni les consommateurs.

Certes, pour réformer le marché du tra­vail français, de nom­breuses voies sont pos­si­bles. La voie choisie jusqu’à présent a con­sisté à mod­i­fi­er par petites touch­es le droit du tra­vail et l’or­gan­i­sa­tion du ser­vice pub­lic de l’emploi en créant une mul­ti­tude de statuts par­ti­c­uliers qui ten­dent à accroître la flex­i­bil­ité du marché du tra­vail au prix d’iné­gal­ités crois­santes. Notre démarche est dif­férente. Nos propo­si­tions nous sem­blent en effet présen­ter l’a­van­tage de repos­er sur une con­cep­tion d’ensem­ble du fonc­tion­nement du marché du tra­vail, fondée sur des faits riche­ment doc­u­men­tés par de nom­breuses recherch­es récentes, tout en visant un objec­tif con­ciliant la sécuri­sa­tion des par­cours pro­fes­sion­nels, facil­i­tant la mobil­ité et favorisant la croissance.

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1. Voir Lionel Fontag­né, Faut-il avoir peur des délo­cal­i­sa­tions ? En temps réels, Cahi­er n° 35, jan­vi­er 2005.
2. Le taux d’emploi est égal au nom­bre de per­son­nes en emploi divisé par la pop­u­la­tion en âge de tra­vailler, qui cor­re­spond habituelle­ment aux per­son­nes âgées de 15 à 64 ans.
3. Ces points sont dévelop­pés dans le rap­port de Pierre Cahuc et Michèle Debon­neuil, Pro­duc­tiv­ité et emploi dans les ser­vices, Rap­port n° 40, 2004.
4. Mar­i­anne Bertrand et Fran­cis Kra­marz (2002), « Does Entry Reg­u­la­tion Hin­der Job Cre­ation ? Evi­dence from the French Retail Indus­try » Quar­ter­ly Jour­nal of Eco­nom­ics, CXVII, 4, 1369–1414.
5. Cette con­cen­tra­tion est mesurée à chaque date et dans chaque départe­ment par la con­cen­tra­tion des chiffres d’af­faires des entre­pris­es (indice d’Herfind­ahl), par la part de la sur­face détenue par la plus grande chaîne, ou par la part de la sur­face détenue par les deux plus grandes chaînes.
6. Toute­fois, l’élas­tic­ité des prix aux restric­tions d’en­trée estimée est env­i­ron trois fois plus petite que l’élas­tic­ité de l’emploi aux restric­tions d’entrée.
7. Cannes : 152 000 euros, Grasse : 144 817 euros, Per­pig­nan : 121 960 euros, Mont­pel­li­er : 120 000 euros… Source : Direc­tion des lib­ertés publiques et des affaires juridiques du min­istère de l’In­térieur, cité par le Con­seil de la con­cur­rence, avis 04-A-04 du 29 jan­vi­er 2004.
8. Source : Con­seil nation­al de la con­som­ma­tion, « Rap­port sur l’amélio­ra­tion de la qual­ité des presta­tions et de la tar­i­fi­ca­tion des cours­es de taxis », 1996.
9. Paul Con­way, Véronique Jan­od et Giuseppe Nico­let­ti (2005), ” Prod­uct Mar­ket Reg­u­la­tion in OECD Coun­tries : 1998 to 2003 “, OECD Eco­nom­ics Depart­ment Work­ing Papers, n° 419.

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