Vect-Horus, la biotech française qui permet aux médicaments d’atteindre le cerveau

Vect-Horus, la biotech française qui permet aux médicaments d’atteindre le cerveau

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°804 Avril 2025
Par Michel KHRESTCHATISKY
Par Jean-Manuel PÉAN

Vect-Horus apporte une solu­tion inédite et dis­rup­tive afin de résoudre une pro­blé­ma­tique majeure dans le trai­te­ment de mala­dies incu­rables et du can­cer : garan­tir le pas­sage des molé­cules admi­nis­trées du sys­tème san­guin vers le tis­su ner­veux. Michel Khrest­cha­tis­ky, cofon­da­teur et conseiller scien­ti­fique de Vect-Horus, et Jean-Manuel Péan, direc­teur de la recherche et déve­lop­pe­ment nous en disent plus.

Spin-off de l’Institut de Neurophysiopathologie, quelle a été la genèse de Vect-Horus ?

Michel Khrest­cha­tis­ky : Dans le cadre de nos tra­vaux sur le plan fon­da­men­tal, notam­ment au CNRS où j’ai exer­cé pen­dant de nom­breuses années, nous avons très sou­vent été ame­nés à faire le constat que même si le col­lec­tif scien­ti­fique avait la capa­ci­té de déve­lop­per des molé­cules thé­ra­peu­tiques inté­res­santes pour trai­ter cer­taines patho­lo­gies du sys­tème ner­veux cen­tral, leur usage était néan­moins res­treint en rai­son des pro­prié­tés très spé­ci­fiques du sys­tème vas­cu­laire céré­bral, et notam­ment de la bar­rière héma­to-encé­pha­lique (BHE), qui empêche le pas­sage de nom­breuses molé­cules admi­nis­trées aux patients du sys­tème san­guin vers le tis­su nerveux.

J’ai cher­ché à déve­lop­per des stra­té­gies pour contour­ner le frein de la BHE. J’ai capi­ta­li­sé sur le cadre régle­men­taire de la loi Allègre du 12 juillet 1999 qui per­met notam­ment aux cher­cheurs de créer des entre­prises pour valo­ri­ser leurs tra­vaux de recherche. En 1999, j’ai par­ti­ci­pé à un concours du minis­tère de la Recherche en pré­sen­tant mon pro­jet qui consis­tait à déve­lop­per des tech­no­lo­gies et des stra­té­gies pour pas­ser la BHE. Lau­réat de ce concours et grâce au prix reçu (300 000 francs à l’époque !), j’ai pu amor­cer les tra­vaux de recherche dans un contexte académique. 

Après 6 années de tra­vail sur le volet tech­no­lo­gique pour déve­lop­per des stra­té­gies, et grâce à l’aide d’Alexandre Tokay, un ban­quier d’investissement, nous avons ensemble dépo­sé les sta­tuts de Vect-Horus fin 2005. Au cours des 19 der­nières années, l’entreprise s’est depuis déve­lop­pée au fil des levées de fonds menées par Alexandre et des contrats de recherche publics pri­vés, notam­ment euro­péens, sur les­quels j’ai pu travailler.

« Réussir à transporter spécifiquement dans le cerveau des molécules thérapeutiques utiles pour le traitement de maladies neurodégénératives ou de tumeurs cérébrales. »

Jean-Manuel Péan : Vect-Horus est une illus­tra­tion concrète de la genèse d’une inno­va­tion. Son point de départ est un tour­ment, la volon­té de résoudre un pro­blème : réus­sir à trans­por­ter spé­ci­fi­que­ment dans le cer­veau des molé­cules thé­ra­peu­tiques utiles pour le trai­te­ment de mala­dies neu­ro­dé­gé­né­ra­tives ou de tumeurs céré­brales. C’est aus­si une ren­contre humaine entre les deux cofon­da­teurs, Michel Khrest­cha­tis­ky et Alexandre Tokay, ani­més par une vision com­mune. Enfin, depuis sa créa­tion, l’entreprise a su lever plus de 40 mil­lions d’euros, essen­tiel­le­ment auprès d’investisseurs pri­vés qui ont finan­cé avec patience un pro­jet ambi­tieux. Vect-Horus emploie aujourd’hui une qua­ran­taine de per­sonnes qui animent une pla­te­forme tech­no­lo­gique unique en Europe. 

Concrètement, Vect-Horus identifie des récepteurs spécifiques capables de transporter des médicaments dans le cerveau. Dites-nous en plus. 

M.K : L’organisation très par­ti­cu­lière du sys­tème vas­cu­laire céré­bral le rend très imper­méable au pas­sage de molé­cules comme les médi­ca­ments du sang vers le tis­su ner­veux. Para­doxa­le­ment, le cer­veau, qui repré­sente 2 % du poids cor­po­rel, va au quo­ti­dien consom­mer 20 à 30 % de tout ce que nous pou­vons absor­ber : ces élé­ments sont cap­tés dans le sang par des récep­teurs et des trans­por­teurs pré­sents au niveau de la BHE. Ils servent nor­ma­le­ment au trans­port du sang vers le tis­su ner­veux de molé­cules indis­pen­sables au cer­veau comme l’insuline, le fer, etc. Vect-Horus a déve­lop­pé des stra­té­gies pour uti­li­ser ces récep­teurs comme des che­vaux de Troie. Concrè­te­ment, nous déve­lop­pons des molé­cules com­plexes que nous appe­lons « vec­teurs », qui ciblent ces récep­teurs, et nous conju­guons les médi­ca­ments à ces vec­teurs afin qu’ils puissent être trans­por­tés à tra­vers la BHE par ces récepteurs.

J‑M. P : 90 % des études cli­niques échouent en grande par­tie parce que les molé­cules tes­tées ne se concentrent pas suf­fi­sam­ment dans les ter­ri­toires d’intérêt, Vect-Horus vient résoudre cette pro­blé­ma­tique en for­çant l’accumulation de molé­cules thé­ra­peu­tiques, dans des ter­ri­toires spé­ci­fiques, comme le sys­tème ner­veux cen­tral ou des organes tou­chés par le can­cer, en par­ti­cu­lier les tumeurs cérébrales. 

Qu’en est-il de votre business modèle ? 

M.K et J‑M. P : Nous pro­po­sons une pla­te­forme tech­no­lo­gique des­ti­née aux entre­prises phar­ma­ceu­tiques qui déve­loppent de nou­velles enti­tés ou molé­cules thé­ra­peu­tiques pour les­quelles elles sou­haitent réa­li­ser un essai cli­nique pour répondre à des besoins non cou­verts ou trai­ter des mala­dies incu­rables. Sous la res­pon­sa­bi­li­té du Dr. Jamal Tem­sa­ma­ni, nous avons dépo­sé des bre­vets pour pro­té­ger notre tech­no­lo­gie et com­mer­cia­li­sons des licences. Aujourd’hui, Vect-Horus ne déve­loppe donc pas de pro­duits médi­ca­ments en propre. 

D’ailleurs, votre actualité est marquée par de récents contrats de licensing, notamment avec Novo Nordisk. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

J‑M. P : Novo Nor­disk, une socié­té danoise très pré­sente sur le ter­ri­toire fran­çais, a licen­cié notre tech­no­lo­gie et nous a ver­sé en retour des reve­nus de licence pour pou­voir uti­li­ser nos décou­vertes et nos bre­vets. Leur objec­tif est de cou­pler des molé­cules d’intérêt thé­ra­peu­tique de leur por­te­feuille à nos vec­teurs. Concrè­te­ment, nous met­tons à leur dis­po­si­tion la tech­no­lo­gie néces­saire pour assu­rer le trans­port de leurs molé­cules et, in fine, amé­lio­rer leur pro­fil bio­phar­ma­ceu­tique et leur dis­tri­bu­tion dans l’organisme.

La socié­té amé­ri­caine Ionis Phar­ma­ceu­ti­cals qui déve­loppe des thé­ra­pies à ARN a éga­le­ment licen­cié notre tech­no­lo­gie pour amé­lio­rer la dis­tri­bu­tion et l’efficacité de ses molé­cules. Dans le domaine de l’oncologie, nous avons aus­si un co-déve­lop­pe­ment en cours avec la socié­té amé­ri­caine Radio­Me­dix pour emme­ner un radio­phar­ma­ceu­tique dans le sys­tème ner­veux cen­tral et dans le pan­créas pour mieux trai­ter les tumeurs qui peuvent se déve­lop­per dans ces organes. Nous avons éga­le­ment d’autres par­te­na­riats en cours de discussion. 

Le domaine de la « vectorisation » attire de plus en plus d’acteurs. Quel regard portez-vous sur ce secteur ?

M.K : En effet ! Au niveau mon­dial, on observe un inté­rêt crois­sant de nom­breux grands groupes indus­triels de la phar­ma­ceu­tique pour ce sujet. Cet inté­rêt est notam­ment moti­vé au sein des grands groupes par la volon­té de déve­lop­per une com­pé­tence et une maî­trise en interne des tech­no­lo­gies de vec­to­ri­sa­tion ou bien d’acquérir une pla­te­forme immé­dia­te­ment opé­ra­tion­nelle. Ces der­nières années ont ain­si été mar­quées par de nom­breuses tran­sac­tions. On peut notam­ment citer le rachat de la pla­te­forme Bio­Arc­tic par Eisai et Bio­gen, le rachat de Mor­phic, une pla­te­forme de dis­tri­bu­tion de molé­cules, par Eli Lil­ly, ou encore de la pla­te­forme Arma­Gen par JCR Phar­ma­ceu­ti­cals. Le labo­ra­toire Abb­Vie a éga­le­ment ache­té la pla­te­forme Alia­da The­ra­peu­tics, qui a un pro­duit en cours de déve­lop­pe­ment pour la mala­die d’Alzheimer pour un mon­tant avoi­si­nant 1,4 mil­liard de dollars.

Cette prise de conscience autour de l’importance de la tech­no­lo­gie de vec­to­ri­sa­tion laisse entre­voir des pers­pec­tives très inté­res­santes pour Vect-Horus. Ce phé­no­mène vient aus­si légi­ti­mer la démarche entre­pre­neu­riale, scien­ti­fique et tech­no­lo­gique que nous avons ini­tiée il y a près de 20 ans. 

Au-delà, le déve­lop­pe­ment de la vec­to­ri­sa­tion ouvre bien évi­dem­ment aus­si de nou­velles pers­pec­tives thé­ra­peu­tiques au ser­vice des patients et de leur bien-être. 

À partir de là, comment vous projetez-vous sur le marché ?

M.K et J‑M. P : À l’instar des autres acteurs du sec­teur, nous pour­sui­vons quand néces­saire la recherche de sources de finan­ce­ment et, dans le contexte pro­pice au déve­lop­pe­ment des tech­no­lo­gies de vec­to­ri­sa­tion, de nom­breuses pistes s’ouvrent pour Vect-Horus avec un focus sur le trai­te­ment des mala­dies incu­rables, telles que les mala­dies neu­ro­dé­gé­né­ra­tives ou dif­fé­rents types de cancer. 

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