Polytechnicienne recherche

Une X dans la recherche : où en est la parité femmes-hommes au CNRS ?

Dossier : 50 ans de féminisation de l'XMagazine N°777 Septembre 2022
Par Cécile SYKES (X84)

Cécile Sykes (X84), direc­trice de recherche au CNRS, présente la poli­tique volon­tariste mise en place dans cet organ­isme pour dévelop­per l’égalité femmes-hommes. Au-delà du con­stat, elle témoigne des ver­tus de l’engagement pro­fes­sion­nel dans la recherche et du vécu d’une femme dans ce milieu.

Nous sommes loin de la par­ité dans le domaine de la recherche. Le prob­lème est con­nu depuis plusieurs années et la démarche pour amélior­er l’équité entre les femmes et les hommes a été de sen­si­bilis­er en pri­or­ité les comités d’évaluation de la recherche, pour les pro­mo­tions et le finance­ment de la recherche. 

Des mérites de la parité

Mais d’abord, pourquoi la par­ité est-elle souhaitée dans le monde pro­fes­sion­nel ou académique ? Cha­cun aurait une réponse dif­férente : davan­tage d’égalité entre les humains, davan­tage de diver­sité d’opinion et de point de vue, davan­tage de jus­tice, une pro­por­tion plus représen­ta­tive de la société, etc. Per­son­nelle­ment, pour avoir par­ticipé à de nom­breux comités d’évaluation de pro­jets sci­en­tifiques ou de pro­mo­tion dans le monde académique, en France ou à l’étranger, je peux témoign­er sans hési­ta­tion que les comités dans lesquels la par­ité est respec­tée sont bien plus col­lé­giaux, bien plus effi­caces, bien plus agréables et bien plus ouverts à la dis­cus­sion que ceux dans lesquels je me suis retrou­vée être la seule femme. Aujourd’hui, dans les jurys de thèse, les jurys de con­cours, les comités d’évaluation de pro­jet, les règles et les lois imposent que la par­ité soit respec­tée. Ces règles sont bien suiv­ies, même si l’on peut par­fois enten­dre un homme (ou une femme – sic !) dire publique­ment, à tort : « Mais c’est com­pliqué de respecter cette règle de la par­ité car il n’y a aucun expert femme dans ce domaine. » Voyons la con­séquence pos­i­tive de ces règles et lois sur la par­ité : désor­mais, quand on con­stitue un comité, il devient naturel de penser dès le début à des noms de femmes… et il y en a !


REPÈRES

La voie de la recherche est l’une des ori­en­ta­tions pos­si­bles pour les élèves à l’issue de l’X. Le nom­bre d’hommes et de femmes ayant choisi cette voie, compt­abil­isé à par­tir des don­nées de l’AX fondées sur le déclaratif de ses adhérents, donne les chiffres suiv­ants : depuis 1972, année à laque­lle l’X a été ouverte aux femmes, 263 femmes et hommes issus de l’X déclar­ent tra­vailler pour des organ­ismes nationaux de recherche français, à la date de jan­vi­er 2022. Par­mi eux fig­urent 43 femmes, ce qui représente une pro­por­tion de 16 %. Sur 178 X femmes et hommes déclarant tra­vailler au CNRS, 34 sont des femmes, soit une pro­por­tion de 19 %. Il est à not­er que nous n’avons pas dis­tin­gué les chercheurs du per­son­nel d’appui à la recherche, ni les CDI des CDD. Ces pro­por­tions sont supérieures à celles des femmes à l’X, mais inférieures à celles des femmes dans la recherche française, même en ne comp­tant que les sci­ences dures, au CNRS en particulier.


L’exemple du CNRS

Le CNRS a une poli­tique très volon­tariste sur la par­ité depuis de nom­breuses années. Ain­si, en 2001, il a été le pre­mier étab­lisse­ment pub­lic à car­ac­tère sci­en­tifique et tech­nologique en France à se dot­er d’une struc­ture dédiée, la Mis­sion pour la place des femmes (MPDF, https://mpdf.cnrs.fr/). Cette struc­ture est chargée d’impulser, de con­seiller et d’évaluer la prise en compte du genre dans la poli­tique glob­ale de l’établissement. Deux ans plus tard, en 2003, le CNRS a signé un accord-cadre de coopéra­tion sur la par­ité dans les sci­ences avec les min­istères con­cernés. Le PDG actuel, Antoine Petit, a mul­ti­plié les témoignages de sou­tien à la par­ité dans les sci­ences. Ain­si, le 16 juil­let 2019, toutes les femmes employées par le CNRS ont reçu du PDG une let­tre les encour­ageant à se présen­ter à des pro­mo­tions et à des postes à respon­s­abil­ité. Cette let­tre n’a pas été appré­ciée de tout le per­son­nel : cer­taines femmes con­sid­èrent que le PDG (qui est un homme) sous-entend que les femmes sont inca­pables de penser par elles-mêmes, cer­tains hommes n’apprécient pas cette dis­crim­i­na­tion pos­i­tive que seules les femmes soient con­tac­tées par le PDG. Per­son­nelle­ment, j’étais très heureuse de recevoir cette let­tre, très heureuse que le dirigeant de mon organ­isme de recherche s’adresse au per­son­nel pour partager ses attentes. Par ailleurs, cette let­tre a déclenché en moi une prise de con­science de nom­breux biais de genre (ou stéréo­types) que j’avais vus à l’œuvre au cours de ma car­rière, dans des comités d’évaluation ou par­mi mes col­lègues proches, qu’ils soient des femmes ou des hommes ; je reviendrai sur ce point. La même année, en 2019, il a été enjoint aux comités d’évaluation pour les pro­mo­tions du per­son­nel du CNRS de pro­pos­er des pro­mo­tions non plus en pro­por­tion du nom­bre de can­di­dates, mais en pro­por­tion du nom­bre de femmes dans le vivi­er. Cela sig­ni­fie, par exem­ple, que si NF est le nom­bre de femmes chargées de recherche, NH le nom­bre d’hommes chargés de recherche, CF le nom­bre de can­di­dates au grade supérieur et CH le nom­bre de can­di­dats hommes, la pro­por­tion de femmes sur la liste des pro­posés à la pro­mo­tion devra être égale ou supérieure à NF/(NH+NF) et non pas CF/(CH+CF) qui se trou­ve sou­vent être inférieur à NF/(NH+NF). C’est une recom­man­da­tion forte. Cela ne peut pas être une loi. Cette année en sep­tem­bre 2022, à l’occasion du nou­veau man­dat des comités d’évaluation du Comité nation­al de la recherche sci­en­tifique, la MPDF a mis au point une for­ma­tion en ligne sous la forme d’un mod­ule de sen­si­bil­i­sa­tion sur l’égalité femmes-hommes dans la recherche acces­si­ble à tous les mem­bres des comités, avec une bib­li­ogra­phie pour appro­fondir le sujet, des ressources pra­tiques, ain­si qu’une attes­ta­tion bilingue de suivi de cette for­ma­tion. Enfin, une journée inter­na­tionale sur la par­ité a été organ­isée par le CNRS le 10 févri­er 2022 dans le cadre de la prési­dence française de l’Union européenne.

Quels résultats au CNRS ? 

Le con­stat est que, mal­gré toutes ces mesures, si un léger rééquili­brage est notable depuis quelques années, la pro­por­tion de chercheurs hommes tous niveaux con­fon­dus au CNRS reste large­ment supérieure à 50 %, avec un déséquili­bre le plus cri­ant dans cer­taines dis­ci­plines comme les math­é­ma­tiques, la physique, l’ingénierie et l’informatique. Pourquoi ? L’une des raisons est que nous avons tous, que nous soyons des femmes ou des hommes, des dif­fi­cultés à com­bat­tre les stéréo­types de genre qui sont pro­fondé­ment ancrés dans notre incon­scient. Notre pro­pre rai­son a du mal à les éval­uer et les ver­balis­er. La bonne nou­velle est qu’ils peu­vent aujourd’hui être mesurés par des tests. Ces tests quan­ti­fient, entre autres, à quelle vitesse nous asso­cions des objets ou des pro­fes­sions au genre (homme ou femme) et j’encourage le lecteur ou la lec­trice à faire l’un de ces tests en ligne (par exem­ple https://implicit.harvard.edu/implicit/france/takeatest.html). Il ou elle pour­ra être surpris(e) d’avoir un biais de genre (c’est-à-dire d’associer cer­tains métiers académiques à des femmes et non pas à des hommes et vice ver­sa), alors qu’il ou elle serait pro­fondé­ment convaincu(e) de la néces­sité de la par­ité. Ma pre­mière recom­man­da­tion est de ne pas cul­pa­bilis­er si c’est le cas. Si vous avez, à votre insu, un biais (ou un stéréo­type) de genre, c’est en grande par­tie dû à des influ­ences sociales et d’éducation. Le fait que vous ayez accep­té d’évaluer votre stéréo­type est une pre­mière étape vers la com­préhen­sion de ce proces­sus. Une bonne nou­velle est que la seule con­nais­sance de l’existence de biais implicites par­mi les mem­bres de jurys d’évaluation ou de pro­mo­tion leur per­met de faire un tra­vail plus juste, ain­si que cela a été mon­tré par des équipes de soci­o­logues du CNRS (https://www.cnrs.fr/fr/meme-les-scientifiques-ont-des-stereotypes-de-genre-qui-peuvent-freiner-la-carriere-des-chercheuses). Ce tra­vail mon­tre en effet que les jurys qui nient ou min­imisent l’existence de biais implicites, s’ils sont forts, promeu­vent moins de femmes. À l’inverse, lorsque les jurys admet­tent la pos­si­bil­ité d’un biais, les stéréo­types implicites, quelle que soit leur force, n’ont plus aucune influence. 

Des différences selon le domaine

Analysons main­tenant la par­ité pour chaque domaine de recherche. Le CNRS est organ­isé en dix insti­tuts regroupant les chercheurs et les lab­o­ra­toires dans dix domaines. Cha­cun des dix domaines sci­en­tifiques du CNRS a son his­toire et, si je peux me per­me­t­tre, ses « cou­tumes » ou, de manière plus poli­tique­ment cor­recte, son « fonc­tion­nement » qui lui est pro­pre. Il n’y a pas (ou pas encore) de don­nées sur les biais implicites dans chaque insti­tut. Cer­tains insti­tuts comp­taient en 2019, par­mi leurs chercheurs, (presque) autant de femmes que d’hommes (l’Institut des sci­ences humaines et sociales, INSHS ; l’Institut des sci­ences biologiques, INSB) ; d’autres sont de manière évi­dente en déficit de femmes (l’Institut des sci­ences math­é­ma­tiques et de leurs inter­ac­tions, INSMI ; l’Institut de physique, INP ; l’Institut des sci­ences de l’information et de leurs inter­ac­tions, INS2I ; l’Institut des sci­ences de l’ingénierie et des sys­tèmes, INSIS).

Proportion de femmes (en beige) et d’hommes (en bleu) par corps (DR : directeur de recherche ; CR : chargé de recherche) et par institut en 2019.
Pro­por­tion de femmes (en beige) et d’hommes (en bleu) par corps (DR : directeur de recherche ; CR : chargé de recherche) et par insti­tut en 2019. L’avantage mas­culin (petit car­ré bleu) quan­ti­fie la pro­por­tion rel­a­tive d’hommes DR. INC : Insti­tut de chimie ; INEE : Insti­tut écolo­gie et envi­ron­nement ; IN2P3 : Insti­tut de physique nucléaire et de physique des par­tic­ules ; INSU : Insti­tut des sci­ences de l’Univers. (Référence : CNRS, bilan social et par­ité 2019, doc­u­ment se trou­vant sur le site de la MPDF).

L’indice d’avantage masculin

Cer­tains domaines pour­raient se féliciter d’attirer davan­tage de femmes. Mais atten­tion, il ne suf­fit pas de les attir­er, il faut aus­si se préoc­cu­per qu’elles soient pro­mues autant que les hommes ! L’indice d’avantage mas­culin (car­ré bleu sur le graphique ci-con­tre) mesure la pro­por­tion rel­a­tive d’hommes pro­mus directeurs de recherche. Si cet indice est égal à 1, autant d’hommes que de femmes sont pro­mus dans le vivi­er en pro­por­tion. Si cet indice est supérieur à 1, cela sig­ni­fie que les hommes sont pro­por­tion­nelle­ment davan­tage pro­mus que les femmes. Intéres­sons-nous à la cor­réla­tion entre le nom­bre de femmes et cet avan­tage mas­culin. Notons par exem­ple que l’INSB, qui est le deux­ième insti­tut pour sa pro­por­tion de femmes, est le plus « mas­culin » de tous les insti­tuts, en ce sens que l’indice d’avantage mas­culin y est le plus élevé de tous les insti­tuts. L’INS2I, qui com­porte le moins de femmes, a un indice d’avantage mas­culin remar­quable­ment par­i­taire, égal à 1. Les insti­tuts qui com­por­tent le moins de femmes se sont en effet emparés de la ques­tion de la par­ité de manière très volon­taire, depuis plusieurs années. Ain­si, l’INS2I a créé un comité ad hoc pour pro­pos­er une com­mu­ni­ca­tion, en par­ti­c­uli­er auprès des jeunes, afin de prévenir les stéréo­types de genre sur les métiers de l’informatique. L’INP organ­ise, dans le même esprit, depuis deux ans, une for­ma­tion pour accom­pa­g­n­er le par­cours des femmes physi­ci­ennes. Les insti­tuts dans lesquels les femmes sont en plus petite pro­por­tion se mobilisent donc sur le sujet. Les autres suiv­ront, car ne rien faire con­sis­terait à laiss­er per­dur­er les stéréo­types de genre et, de ce fait, les iné­gal­ités entre les femmes et les hommes.

“Nous avons tous, que nous soyons des femmes ou des hommes, des difficultés à combattre les stéréotypes de genre.”

Des vertus de la recherche

Pour une femme comme pour un homme, la voie de la recherche est une mer­veilleuse aven­ture de créa­tiv­ité et d’invention. La for­ma­tion dis­pen­sée à l’École poly­tech­nique est d’un niveau et d’une rigueur excep­tion­nels. Cette rigueur ne m’a jamais quit­tée, et la pas­sion de com­pren­dre m’a per­mis de résoudre, avec mon équipe, des sujets dif­fi­ciles à l’interface entre la physique et les sci­ences du vivant. Ain­si, par exem­ple, nous avons iden­ti­fié le mécan­isme du mou­ve­ment par l’assemblage du biopolymère actine (avec le développe­ment de sys­tèmes bio­mimé­tiques qui se dépla­cent « comme une cel­lule » https://www.canal‑u.tv/chaines/utls/la-physique-et-ses-applications/la-physique-a-l-echelle-de-la-cellule) et nous avons pu mesur­er l’activité des glob­ules rouges. Quel méti­er plus pas­sion­nant que d’avoir des idées et de les met­tre en œuvre avec des col­lab­o­ra­teurs pluridis­ci­plinaires ? Quel émer­veille­ment pro­fes­sion­nel plus intense que de repro­duire les fonc­tions du vivant avec des sys­tèmes épurés et de com­pren­dre les lois physiques qui les sous-ten­dent ? La pas­sion pour la recherche n’est pas incom­pat­i­ble avec une vie privée épanouis­sante, con­traire­ment à ce que peu­vent véhiculer cer­taines col­lègues de l’Institut Pas­teur qui pensent que « la recherche, c’est un peu comme entr­er au Carmel » (cf. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/04/25/francoise-barre-sinoussi-la-recherche-c-est-un-peu-comme-entrer-au-carmel_6077957_1650684.html). Nous avons pu voir, au con­traire, lors de la crise san­i­taire, que toute la société s’est emparée de la rage de com­pren­dre cette épidémie : il y a eu des débats vifs et doc­u­men­tés, et les raison­nements sci­en­tifiques flous ou mal étayés se sont (presque) estom­pés. Com­par­er les sci­en­tifiques à un ordre religieux con­tem­platif place les sci­en­tifiques en dehors de la société alors qu’ils doivent, à l’inverse, se plac­er au sein de la société et irriguer, ani­mer et trans­met­tre la démarche sci­en­tifique et le raison­nement dans l’éducation et les médias. Enfin, je voudrais ici témoign­er que d’avoir des enfants m’a don­né cette mer­veilleuse pos­si­bil­ité d’être sans arrêt remise en ques­tion par la nou­velle généra­tion. Accepter le débat et la remise en ques­tion est une démarche absol­u­ment néces­saire à une recherche de qualité.

Je voudrais con­clure par cette remar­que qu’il est sou­vent recom­mandé aux jeunes de choisir un méti­er en leur deman­dant s’ils souhait­ent, plus tard, ressem­bler aux per­son­nes qui exer­cent ce méti­er. Je ne me suis jamais posé la ques­tion du genre quand j’ai choisi la voie de la recherche après l’X. C’est seule­ment très récem­ment que j’ai pris la pleine mesure que les biais de genre ne sont pas les mêmes dans les dif­férents domaines de recherche. Je forme ici le vœu que, dans la recherche française, la femme puisse être (pro­fes­sion­nelle­ment) l’égale de l’homme et que des car­rières de femmes inspirent des car­rières d’hommes et vice ver­sa.

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