Une longue tradition de contribution des polytechniciens

Dossier : Le Grand Paris : Les territoires, espaces d‘anticipationMagazine N°676 Juin/Juillet 2012
Par Antoine PICON (76)

En 1994, à l’occasion du Bicen­te­naire de l’École poly­tech­nique, une expo­si­tion et un cat­a­logue inti­t­ulés Le Paris des poly­tech­ni­ciens sont venus rap­pel­er la con­tri­bu­tion essen­tielle des poly­tech­ni­ciens à la mod­erni­sa­tion de la Cap­i­tale. Celle-ci ne doit pas faire oubli­er toute­fois cet autre ver­sant de l’activité poly­tech­ni­ci­enne que con­stitue l’organisation du ter­ri­toire qui s’étend aux portes de Paris, ter­ri­toire longtemps qual­i­fié de ban­lieue, puis de région à par­tir des années 1930.

REPÈRES
Depuis le XIXe siè­cle, les poly­tech­ni­ciens ont été étroite­ment asso­ciés à l’aménagement de Paris. Ils ont tracé et équipé ses rues, con­stru­it son sys­tème de dis­tri­b­u­tion des eaux et d’assainissement, conçu son métro, par­ticipé à la créa­tion de ses parcs et jardins.
Les noms de Jean-Charles Alp­hand (1817–1891), le prin­ci­pal col­lab­o­ra­teur d’Haussmann, Eugène Bel­grand (1810–1878), l’homme des eaux et des égouts, ou Ful­gence Bien­venüe (1852–1936) témoignent, par­mi bien d’autres, d’un investisse­ment qui s’est pour­suivi jusqu’à aujourd’hui.

Défense et fortification

Aéro­port Rois­sy-Charles-de-Gaulle, une con­cep­tion de Paul Andreu (58).

En remon­tant au XIXe siè­cle afin d’évoquer la préhis­toire de la région parisi­enne et du « Grand Paris », on tombe sur des épisodes sou­vent nég­ligés qui n’en ont pas moins joué un rôle essen­tiel dans la genèse d’une pen­sée glob­ale de la région cap­i­tale. Il con­vient par exem­ple de se rap­pel­er l’importance que revê­tent les ques­tions de défense et les prob­lèmes de fortification.

Réal­isée au début des années 1840 par des ingénieurs du Génie passés pour la plu­part par l’École poly­tech­nique, l’enceinte de Thiers est ini­tiale­ment située en ban­lieue. Ce n’est qu’avec l’extension de 1860 qu’elle devient la lim­ite offi­cielle de Paris. Tout au long du XIXe siè­cle, les ingénieurs du Génie vont con­stru­ire des forts de plus en plus éloignés de la ville afin de s’adapter aux pro­grès de l’artillerie.

Les réal­i­sa­tions du Génie ont con­tribué à une approche régionale de l’aménagement parisien

Une dernière cein­ture s’inspirant des principes élaborés par le général poly­tech­ni­cien Ray­mond Adolphe Séré de Riv­ières (1815- 1895) ver­ra le jour dans les années 1870–1880. Les forts de Palaiseau ou de Sucy-en-Brie font par­tie de cette généra­tion d’ouvrages. Au même titre que les routes nationales et départe­men­tales con­stru­ites par les ingénieurs des Ponts et Chaussées, les réal­i­sa­tions du Génie con­tribuent à l’émergence d’une approche régionale de l’aménagement parisien.

Service de l’eau potable

Con­cer­nant le ser­vice de l’eau potable, le réseau à voca­tion régionale de l’actuel Sedif s’appuie sur l’ossature réal­isée par les ingénieurs, en bonne part poly­tech­ni­ciens, de la Com­pag­nie générale des eaux (actuelle Veo­lia) pour ali­menter ces forts, depuis les mêmes lieux de pom­page (Choisy-le-Roi, Noisy-le-Grand).

Production et distribution d’électricité

Le mou­ve­ment qui porte les poly­tech­ni­ciens à sor­tir du Paris intra-muros pour envis­ager les prob­lèmes à une échelle qu’on qual­i­fierait aujourd’hui de régionale s’accélère à la charnière des XIXe et XXe siè­cles avec la crois­sance de la ban­lieue. Là encore, les infra­struc­tures aux­quelles on pense spon­tané­ment, les routes et les chemins de fer, ne doivent pas faire oubli­er d’autres réal­i­sa­tions tout aus­si essentielles.

La référence régionale
L’échelle régionale devient la référence prin­ci­pale des poly­tech­ni­ciens oeu­vrant à la mod­erni­sa­tion et à la crois­sance parisi­enne sous les trente glo­rieuses. Par­mi leurs mul­ti­ples con­tri­bu­tions, retenons ici leur rôle clef dans les poli­tiques d’aménagement, de la réal­i­sa­tion du quarti­er de La Défense à celle des villes nouvelles.
Une créa­tion comme Cer­gy-Pon­toise doit, par exem­ple, énor­mé­ment à la ténac­ité d’un Bernard Hirsch (1927–1988) qui y con­sacre dix ans de sa vie, le temps de voir une véri­ta­ble ville sur­gir autour d’une boucle de l’Oise qui avait échap­pé jusqu’alors à l’urbanisation.
Les poly­tech­ni­ciens sont égale­ment présents dans les grandes muta­tions que con­naît au même moment le sys­tème des trans­ports de la région parisi­enne, avec des épisodes clefs comme le lance­ment du Réseau express régional.

L’actuelle région parisi­enne doit par exem­ple beau­coup à l’œuvre d’Ernest Merci­er (1878–1955), admis à l’École poly­tech­nique en 1897, qui jette les bases de son archi­tec­ture énergé­tique en ratio­nal­isant la pro­duc­tion et la dis­tri­b­u­tion d’électricité. Il conçoit notam­ment l’usine de Gen­nevil­liers qui sera pen­dant quelques années la plus grande cen­trale élec­trique au monde.

Aéroports

À par­tir de l’entre-deux-guerres, le change­ment de focale passe égale­ment par de nou­velles infra­struc­tures comme les aéroports.

Du Bour­get à Orly, les plate­formes parisi­ennes vont pro­gres­sive­ment pass­er aux mains des poly­tech­ni­ciens. Le mou­ve­ment va s’intensifier au sor­tir de la Sec­onde Guerre mondiale.

Les noms d’Henri Vic­ar­i­ot (1910–1986), con­cep­teur de l’aérogare d’Orly Sud, et surtout Paul Andreu, né en 1938, auquel on doit l’essentiel des instal­la­tions de Rois­sy, illus­trent la con­tri­bu­tion poly­tech­ni­ci­enne à un mode de trans­port qui ne se conçoit qu’à l’échelle régionale.

Les limites du progrès

Aux dif­férentes étapes de son développe­ment, la région cap­i­tale a béné­fi­cié de l’apport des poly­tech­ni­ciens. À la tête respec­tive­ment de l’Établissement pub­lic de Paris-Saclay et de l’Atelier inter­na­tion­al du Grand Paris, Pierre Veltz et Bertrand Lemoine appa­rais­sent comme les héri­tiers d’une longue tra­di­tion d’intervention à l’échelle régionale.

De nou­veaux défis atten­dent les anciens élèves de l’École polytechnique

Il reste que les temps ont changé et que de nou­veaux défis atten­dent les anciens élèves de l’École poly­tech­nique. Qu’ils soient au ser­vice de l’État ou dans le secteur privé, ceux-ci se sont générale­ment pen­sés comme les servi­teurs d’un pro­grès qui devait se traduire par tou­jours plus d’infrastructures et d’équipements.

Rien ne devait s’opposer à la marche en avant du pays et de sa région cap­i­tale. Force est de con­stater que la ques­tion s’est énor­mé­ment com­pliquée avec la mon­tée en puis­sance des enjeux envi­ron­nemen­taux et de la thé­ma­tique du développe­ment durable. Sans renon­cer à l’idéal de pro­grès, il con­vient à présent de s’interroger sur les lim­ites qu’il con­vient de lui apporter.

La réal­i­sa­tion du Grand Paris n’est pas seule­ment une affaire d’échelle et d’efficacité des investisse­ments. Elle soulève égale­ment des prob­lèmes de qual­ité de vie.

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