Mme B préfère les compliments sur son apparence à tout autre compliment.

Une histoire de rouge à lèvres et d’inégalités de salaire

Dossier : ExpressionsMagazine N°707 Septembre 2015
Par Juliette BUET (13)

Petit scé­nario : au sein de notre entre­prise règne une excel­lente ambiance. M. A arrive ce matin et voit Mme B, il lui sourit, lui dit bon­jour et la com­pli­mente sur sa tenue. Mme B rougit un peu : les com­pli­ments de M. A lui font tou­jours très plaisir.

Mme B préfère les com­pli­ments sur son apparence à tout autre compliment.
© FLAIRIMAGES — FOTOLIA

En effet, comme la plu­part des femmes, Mme B préfère les com­pli­ments sur son apparence à tout autre com­pli­ment. M. A sait donc bien com­ment lui faire plaisir.

Un peu plus loin, M. A croise M. C ; il lui sourit, lui dit bon­jour et lui glisse un petit mot sym­pa­thique sur le rap­port qu’il a écrit la veille : c’est un rap­port qu’il trou­ve très bien écrit, con­cis, clair, soigné, M. C a fait du très bon tra­vail. M. C sourit, il est content.

En effet, comme la plu­part des hommes, M. C préfère les com­pli­ments sur son intel­lect et sur son tra­vail à tout autre com­pli­ment. Encore une fois, M. A sait com­ment faire plaisir.

Compliments ciblés

Un peu plus tard dans la journée, Mme D croise M. C, elle le com­pli­mente aus­si sur son tra­vail, la clarté de ses rap­ports l’aide énor­mé­ment, elle lui doit une fière chandelle.

Puis elle croise Mme B, la trou­ve très char­mante et lui demande la mar­que de son rouge à lèvres, elle trou­ve qu’il a vrai­ment une jolie couleur et qu’il lui va très bien. Mme B lui retourne le com­pli­ment et elles s’en vont toutes deux satisfaites.

Promotion au mérite

Il se trou­ve que, aujourd’hui, le patron (ou la patronne, peu importe) a une pro­mo­tion à attribuer. Il hésite entre deux employés : M. C et Mme B. Ils ont tous deux les mêmes fonc­tions, la même anci­en­neté, ils ont des diplômes sim­i­laires et sont donc pour l’instant payés autant l’un que l’autre.

Le patron (ou la patronne, enfin restons sur le patron, ça va devenir lourd sinon) veut offrir cette pro­mo­tion au plus méri­tant, à celui qui fait le meilleur tra­vail. Il se dit que, pour cela, rien ne vaut les avis de leurs col­lègues, ceux qui tra­vail­lent directe­ment avec eux au jour le jour et qui subis­sent directe­ment les con­séquences de leur travail.

Il tend l’oreille. Très vite, il se rend compte que M. C est con­stam­ment loué pour son tra­vail, alors que Mme B ne reçoit pas de com­pli­ments de ce genre. Naturelle­ment, il se dit que M. C doit faire un tra­vail excep­tion­nel et décide d’attribuer la pro­mo­tion à ce dernier.

Et c’est ainsi que s’écrit l’histoire

Pour­tant, rien ne dit que Mme B ne tra­vaille pas elle aus­si très bien, peut-être même mieux que M. C. C’est juste qu’on ne la com­pli­mente pas par­ti­c­ulière­ment sur son tra­vail car ce n’est pas ce qui lui fait le plus plaisir. Et c’est ain­si que se créent les iné­gal­ités de salaire entre les hommes et les femmes.

“ Naturellement, M. C doit faire un travail exceptionnel ”

Qui faut-il blâmer ? Le patron qui a voulu don­ner la pro­mo­tion au plus méri­tant, mais qui n’était pas con­scient des biais qui exis­taient dans son sys­tème d’évaluation ? M. A et Mme D, qui font des com­pli­ments sur l’apparence de Mme B plutôt que sur son tra­vail, mais qui en défini­tive essaient sim­ple­ment de lui faire plaisir ?

Mme B, qui préfère les com­pli­ments sur son apparence à ceux sur son tra­vail, mais qui finale­ment n’est que le pro­duit d’une société qui dit aux femmes qu’elles doivent être belles avant tout ?

Y a‑t-il vrai­ment un coupable ? Ou n’est-ce pas plutôt de la faute de la société tout entière, qui traite dif­férem­ment les filles et les garçons ? Com­ment faire alors, pour combler l’écart de salaire entre les hommes et les femmes ? Et si, en s’attaquant à cet écart de salaire, on ne s’attaquait pas au vrai prob­lème mais seule­ment à un symp­tôme ? Alors, on fait quoi ?

Ouvrir les yeux

Je n’ai pas la réponse à cette ques­tion, mais je pense quand même que la pre­mière chose à faire, c’est d’ouvrir les yeux, de se ren­dre compte que les com­porte­ments des hommes et des femmes sont biaisés par les attentes que la société a envers eux.

“ Les comportements des hommes et des femmes sont biaisés par les attentes de la société ”

Nous vivons dans une société qui attribue encore beau­coup de rôles dis­tincts aux hommes et aux femmes et qui a des deman­des dif­férentes envers les uns ou les autres. Si ces attentes sont net­te­ment moins explicites qu’autrefois, elles transparais­sent dans les médias, dans nos inter­ac­tions sociales, dans notre édu­ca­tion. Et même si l’on rejette ces attentes, on reste incon­sciem­ment influ­encé par elles.

J’ai beau revendi­quer haut et fort (peut-être même un peu trop) que ce n’est pas plus aux femmes de faire le ménage qu’aux hommes, j’ai quand même ten­dance à être rebutée plus vite par la saleté du bar d’étage que mes homo­logues mas­culins, et donc je finis par le laver plus souvent.

Deux fois plus de temps pour les tâches ménagères

M. C est constamment loué pour son travail
M. C est con­stam­ment loué pour son tra­vail alors que Mme B ne reçoit pas de com­pli­ments de ce genre. © YUROLAITSALBERT — FOTOLIA

C’est mon choix de laver la cui­sine et je ne peux m’en pren­dre qu’à moi-même si je peux moins m’investir dans mon tra­vail ou dans mes binets parce que je passe plus de temps à m’occuper des tâch­es ménagères. Mais quand, au tra­vers de tous ces choix indi­vidu­els, se des­sine une ten­dance grossière – qui est que les femmes passent deux fois plus de temps que les hommes, aujourd’hui, en France, à s’occuper des tâch­es ménagères – il faut peut-être regarder ce qui influ­ence ces choix.

J’aimerais bien ne plus enten­dre « ce n’est pas de ma faute si les femmes choi­sis­sent des métiers moins bien payés » ou « ce n’est pas de ma faute si les femmes ne veu­lent pas faire des études d’ingénieur ».

Parce que oui, c’est vrai, ce n’est pas de votre faute, vous n’êtes pas allé voir des jeunes filles pour leur dire « ne faites pas d’études d’ingénieur », on n’en doute pas. Mais c’est quand même un peu de notre faute à tous, col­lec­tive­ment, si les jeunes filles pensent que ces études ne sont pas faites pour elles. Effec­tive­ment, elles choi­sis­sent de faire d’autres études, mais ce choix est-il vrai­ment libre et éclairé ?

Choix libres et choix contraints

J’aimerais vivre dans une société où les hommes ne se sen­tent pas oblig­és de faire des heures sup­plé­men­taires plutôt que de ren­tr­er voir leurs enfants, parce qu’ils ont l’impression que c’est leur devoir de sub­venir aux besoins de la famille et que leur femme s’occupera très bien des enfants.

Et où les femmes ne se sen­tent pas oblig­ées de quit­ter le tra­vail à 17 heures pour aller chercher les enfants à l’école, faire les cours­es et pré­par­er le repas. Parce que si cha­cun pou­vait faire plus libre­ment ces choix, on serait plus heureux.

Mais d’abord, pour cela, il faut admet­tre que ces choix sont contraints.

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