Une alliance « green » sans greenwashing

Une alliance « green » sans greenwashing

Dossier : La finance durableMagazine N°804 Avril 2025
Par Joël PROHIN

La Net-Zero Asset Owner Alliance (NZAOA) est une alliance inter­na­tio­nale d’investisseurs ins­ti­tu­tion­nels s’engageant en faveur de la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. Elle a ren­con­tré un grand suc­cès inter­na­tio­nal et est recon­nue comme par­ti­cu­liè­re­ment cré­dible. La Caisse des Dépôts en est le coor­don­na­teur en France.

La NZAOA est une alliance inter­na­tio­nale d’investisseurs ins­ti­tu­tion­nels de pre­mier plan qui se sont enga­gés à lut­ter contre le chan­ge­ment cli­ma­tique en se fixant des objec­tifs ambi­tieux de décar­bo­na­tion de leurs por­te­feuilles et d’investissements en actifs verts, tout en étant très rigou­reux sur les métho­do­lo­gies, les tra­jec­toires et la com­mu­ni­ca­tion, afin d’avoir un effet réel sur l’économie.

Une alliance rondement menée

Prin­temps 2019 : cela fait plus de trois ans que l’Accord de Paris sur le cli­mat a été signé par près de 200 pays, et quelques grands ins­ti­tu­tion­nels se disent qu’il serait grand temps d’accélérer et de s’engager plus for­te­ment en faveur de la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. Sous les aus­pices des PRI (Prin­ciples for Res­pon­sible Invest­ment) et de l’UNEP FI (pro­gramme des Nations unies pour l’environnement, ini­tia­tive finance), deux éma­na­tions de l’ONU, 12 inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels de pre­mier plan de plu­sieurs pays s’allient pour for­mer la Net-Zero Asset Owner Alliance (NZAOA), dont en France la Caisse des Dépôts.

Por­tée sur fonts bap­tis­maux lors de la Cli­mate Week de sep­tembre 2019 à New York, l’Alliance pros­père rapi­de­ment, puisqu’elle compte fin 2024 88 membres sur les cinq conti­nents, tota­li­sant des actifs de près de 10 000 mil­liards de dol­lars. Avec 15 membres, com­pa­gnies d’assurances, fonds de pen­sion, caisses de retraite, etc., la France peut s’enorgueillir de comp­ter le plus grand nombre de signa­taires ! Le WWF et divers ins­ti­tuts scien­ti­fiques, uni­ver­si­tés, think tanks, etc., apportent leur appui à la NZAOA.

Une alliance ambitieuse

Qu’ont en com­mun ces 88 ins­ti­tu­tions ? Tout d’abord ce sont des asset owners, c’est-à-dire des ins­ti­tu­tions finan­cières qui gèrent des actifs sur leur propre bilan — à la dif­fé­rence des asset mana­gers qui doivent prou­ver leur capa­ci­té à bien inté­grer des fac­teurs de per­for­mance ESG pour atti­rer des fonds à gérer. En rejoi­gnant la NZAOA, chaque signa­taire s’engage à rem­plir trois des quatre objec­tifs sui­vants : se fixer une tra­jec­toire pour faire conver­ger ses por­te­feuilles finan­ciers vers une cible net zéro émis­sions de gaz à effet de serre en 2050 (d’où le nom de l’Alliance !) ; se fixer des tra­jec­toires spé­ci­fiques à cer­tains sec­teurs très émis­sifs ; enga­ger les entre­prises (direc­te­ment et indi­rec­te­ment via les asset mana­gers qui gèrent les actifs du signa­taire) à se fixer elles-mêmes des tra­jec­toires net zéro ; inves­tir dans des solu­tions favo­rables au cli­mat (obli­ga­tions vertes, immo­bi­lier vert, forêts, fonds d’énergies renou­ve­lables, etc.).

“La trajectoire est primordiale dans l’atteinte des objectifs climatiques mondiaux.”

Mais 2050, c’est loin… Pour être cré­dible et évi­ter d’attendre le der­nier moment pour agir, et comme la tra­jec­toire est pri­mor­diale dans l’atteinte des objec­tifs cli­ma­tiques mon­diaux, chaque signa­taire se fixe des cibles inter­mé­diaires, en 2025 ou en 2030. Le degré d’atteinte par chaque enti­té des trois objec­tifs choi­sis est mesu­ré chaque année par le secré­ta­riat de l’Alliance et la syn­thèse en est ren­due publique. 

Une alliance réaliste et reconnue

Il serait facile pour un inves­tis­seur ins­ti­tu­tion­nel de se don­ner bonne conscience à peu de frais en excluant de ses inves­tis­se­ments quelques sec­teurs par­ti­cu­liè­re­ment émis­sifs et ain­si atteindre sa cible. Telle n’est pas l’ambition de la NZAOA qui cherche à agir sur l’économie réelle, en limi­tant sa poli­tique d’exclusion essen­tiel­le­ment au char­bon ther­mique, et qui parie d’abord et avant tout sur l’engagement actionnarial.

Les membres de la NZAOA sont éga­le­ment bien conscients qu’engager les entre­prises ne suf­fit pas et qu’il est néces­saire d’engager aus­si les régu­la­teurs et les gou­ver­ne­ments, ce que l’Alliance fait grâce à divers docu­ments et échanges à haut niveau. D’autant qu’une par­tie signi­fi­ca­tive des actifs des signa­taires sont com­po­sés de titres d’État.

La NZAOA n’a pas été épar­gnée par le mou­ve­ment anti-ESG qui s’est répan­du depuis quelques années, aux États-Unis en par­ti­cu­lier. Mais elle a pu démon­trer que son exis­tence ne contre­ve­nait nul­le­ment aux lois anti­trusts (les anti-ESG amé­ri­cains uti­lisent sou­vent cet angle d’attaque pour décou­ra­ger les signa­taires de coa­li­tions en faveur de la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique), chaque signa­taire étant sou­ve­rain pour fixer ses cibles et choi­sir ses inves­tis­se­ments, dans le cadre glo­bal de l’Alliance.

La NZAOA peut donc serei­ne­ment pour­suivre son che­min, là où d’autres alliances, comme la Net-Zero Insu­rance Alliance, ont dû stop­per ou limi­ter leurs tra­vaux. Le secré­taire géné­ral des Nations unies, Antó­nio Guterres, a d’ailleurs plu­sieurs fois indi­qué que, selon lui, la NZAOA était la plus cré­dible de toutes les alliances qui se sont mon­tées ces der­nières années pour lut­ter contre le chan­ge­ment climatique.

Une alliance à qui il reste encore du chemin à parcourir

Les obs­tacles aux­quels nous avons à faire face res­tent cepen­dant impor­tants. Par exemple, les obli­ga­tions d’État rem­plissent sou­vent un rôle essen­tiel pour l’équilibre actif-pas­sif d’un inves­tis­seur ins­ti­tu­tion­nel. Or même les États les plus enga­gés dans la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique peinent à atteindre les objec­tifs qu’ils se sont eux-mêmes fixés dans les NDC (Natio­nal­ly Deter­mi­ned Contri­bu­tions). Impos­sible donc de décar­bo­ner plus vite que nos sous-jacents !

Un autre exemple : s’il est (rela­ti­ve­ment) facile de construire des immeubles neufs éco­nomes en éner­gie, nos por­te­feuilles contiennent aus­si de nom­breux immeubles anciens, occu­pés, où les solu­tions tech­niques de décar­bo­na­tion n’existent pas tou­jours ou sont par­tielles. Mais, comme on est plus fort et plus savant ensemble que sépa­rés, la NZAOA a pour grand mérite de ras­sem­bler dans de nom­breux groupes de tra­vail dédiés à tel ou tel sujet pré­cis des experts des plus grands inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels mon­diaux. Le par­tage des bonnes pra­tiques, l’élaboration en com­mun de métho­do­lo­gies per­ti­nentes, l’engagement par­ta­gé sont une des richesses de l’Alliance.

L’expérience de la Caisse des Dépôts

C’est avec enthou­siasme que, au nom de la Caisse des Dépôts (CDC), j’ai fait par­tie dès le début de cette aven­ture. La CDC est depuis très long­temps enga­gée dans la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. Dès mi-2015, nous nous étions fixé des objec­tifs de réduc­tion de l’empreinte car­bone de nos por­te­feuilles actions et obli­ga­tions d’entreprise. C’est donc tout natu­rel­le­ment que la CDC a été membre fon­da­teur de la NZAOA et que nous conti­nuons aujourd’hui à ani­mer le club infor­mel des signa­taires fran­çais. En interne, dans la ges­tion au quo­ti­dien des por­te­feuilles d’actifs de la CDC, nos objec­tifs NZAOA sont omni­pré­sents et orientent nos déci­sions de gestion.

D’autant que, ayant déjà atteint des objec­tifs ambi­tieux sur 2014–2020 (c.-à‑d. – 40 % sur les actions cotées en empreinte car­bone), nos nou­veaux objec­tifs 2020–2030 (c.-à‑d. – 55 % sur les actions cotées) le sont plus encore ! Le dia­logue bila­té­ral de qua­li­té que la CDC entre­tient avec la plu­part des grands groupes fran­çais et euro­péens nous per­met de faire pas­ser des mes­sages forts pour inci­ter les entre­prises à se fixer des tra­jec­toires cli­ma­tiques ambi­tieuses, vali­dées par des réfé­ren­tiels externes comme le SBTi. Cette action s’inscrit dans la droite ligne de la stra­té­gie de l’investisseur à long terme, enga­gé et res­pon­sable, qu’est la CDC.


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