Un sourire… une larme… un frisson…

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°577 Septembre 2002Par : Bruno De VULPIAN (55)Rédacteur : Gérard PILÉ (41)

Les poly­tech­ni­ciens-poètes, s’adonnant à cet art sans en faire mys­tère, sont devenus trop rares aujourd’hui pour que l’on ne salue pas ceux qui ont à coeur d’entretenir une flamme ayant bril­lé d’un cer­tain éclat dans un passé encore récent avec Hen­ri Cuny (26) dis­paru en 1999, regret­té par tous ses amis.

Com­ment ne pas penser d’abord à ren­dre hom­mage à celui qui fut un temps prési­dent de la Société des poètes français, ce céna­cle dis­tin­gué dont il ouvrit la porte, il y a quelques années, à notre cama­rade Bruno de Vulpi­an (kès de la 55 avec Claude Bébéar, faut-il le rappeler).

Bruno livre à notre atten­tion avec une belle et louable régu­lar­ité, tous les deux ans env­i­ron, le recueil de ses dernières créa­tions, ce qui nous vaut aujourd’hui la présen­ta­tion de son “ Cru 2000–2001 ” (après celui de 1998- 1999 Jardin secret) précédé d’une aimable pré­face de Brigitte Lev­el, prési­dente d’honneur de ladite Société.

Dans un pro­logue inti­t­ulé Leçons de mod­estie, Bruno prend d’abord soin, avec humour et sim­plic­ité, de nous éclair­er sur la con­cep­tion qu’il se fait de son art, la place priv­ilégiée réservée à sa famille, par­mi ses sources d’inspiration et d’effusion poétiques.

Cette place s’accorde au ton fam­i­li­er, voire intimiste du lan­gage qu’il affec­tionne, dont il use sans doute au quotidien.

“ Racon­tez-moi, Dad­dy,1
C’est quoi la poésie ? ”
(…)
Avant de penser rime, e muet ou quatrain
Son­net, alexan­drin, tous ces menus tracas
Entends les mots souf­france, amour, beauté, chagrin
Et rêve aux émo­tions qui nais­sent de tout ça…
(…)
La poésie doit (…)
Naître tou­jours d’une émotion
Vécue, ressen­tie, imaginée
Que l’on veut partager, que l’on espère offrir (…)
Avec des mots, de sim­ples mots, qu’il faut savoir choisir
Qu’il faut savoir unir et quelque­fois contraindre
(…)
Tu me dis­ais, “Dad­dy
C’est quoi la Poésie ? ”
Et je t’ai répon­du un peu plus qu’à moitié (…)
C’est tout pour aujourd’hui, m’as-tu com­pris, chéri ?
(…)
Fut-il un peu compris ?
On l’espère pour lui !

Et pour­tant la magie
Des mots de son Daddy
Avait presqu’endormi
Son petit, son chéri

Cette pro­fes­sion de foi poé­tique transparaît quand Bruno libère son souf­fle de sym­pa­thie, de com­plic­ité spon­tanée, au hasard de ses ren­con­tres. Au-delà d’êtres naturelle­ment chers, son regard se pose avec com­pas­sion sur Clau­di­ca la bossue, Suzon la pré­ten­due folle qui se com­plaît à nour­rir les pigeons, ce soli­taire n’ayant per­son­ne à qui par­ler… Ces êtres délais­sés, voire dérangeants, en manque d’affection ou de considération.

Il n’est pas davan­tage fer­mé aux plus hum­bles des créa­tures tel ce lézard s’ébattant au soleil sur un mur.

Il tourne à droite, il tourne à gauche et tend le col
Il hésite, il repart, s’arrête sans raison
Fait soudain demi-tour et ren­tre à la maison…

Bruno sait trou­ver les mots, les traits justes pour faire revivre devant nous des êtres chers insé­para­bles de ses sou­venirs d’enfance, comme en témoigne par exem­ple le pre­mier de ses poèmes au charme d’antan, si heureuse­ment con­stru­it avec des mots, des images très sim­ples d’où se dégage une grande fraîcheur de sentiments :

Trois gouttes de bonheur

à Tante Rosalie

J’aimais de tout mon cœur ma tante Rosalie
Je n’étais pas le seul, tous les enfants l’aimaient
Les cousins, mon grand frère et ma soeur l’adoraient
Elle était pour nous tous notre tante chérie

Un beau soir au salon j’avais enten­du dire
Qu’elle était “ vieille fille ”… et j’avais fail­li rire…
Mais rire sans com­pren­dre ! Alors j’avais osé
Deman­der à maman qui mon­tait se coucher :

“ Vieille fille, c’est quoi ? C’est la fin de l’enfance ? ”
Maman avait souri… puis par­lé tristement
De Ver­dun, de la guerre et d’un beau lieutenant
Qui aimait Ros­alie… et mou­rut pour la France !

En écoutant maman, j’avais fail­li pleurer
Et j’ai pleuré vrai­ment quand maman est partie…
Tant d’amour et d’humour chez Tante Rosalie
Quand elle offrait aux grands juste avant le dîner

Trois gouttes de bon­heur… un doigt de Por­to vieux;…
Trois gouttes d’un bon­heur sincère et contagieux…

Si d’aussi char­mantes sur­pris­es se renou­vel­lent moins sou­vent qu’on ne le voudrait au fil des 75 poèmes du recueil, du moins l’auteur aime-t-il jouer sur des reg­istres var­iés, imag­in­er des sit­u­a­tions inso­lites, don­ner libre cours à sa fan­taisie tel ce dia­logue savoureux entre Adam et son Père céleste au sujet d’Ève “ Enfin la vérité ”, ce tête-à-tête avec lui-même : “ Choisir tout seul, c’est la galère ! ” et quelques autres assez plaisants.

Fort heureuse­ment, d’abord pour lui et les siens, Bruno n’est pas de ces poètes tour­men­tés, en proie aux affres de la créa­tion sec­ouant fiévreuse­ment des sacs de mots inso­lites dont on espère des retombées mag­iques. Sa poésie est de celles qui sont acces­si­bles à tous, ne méprisant ni la sen­si­bil­ité, ni les sen­sa­tions et les valeurs sim­ples. Il ne fait d’ailleurs pas mys­tère de ses allégeances en nous révélant ingénu­ment, dans un “Hom­mage à Fran­cis Jammes”, son mod­èle et guide :

Mer­ci à toi, Fran­cis, d’avoir scel­lé l’alliance
Entre la poésie et les bons sentiments.

Je ne puis me défendre incidem­ment de m’interroger sur cette irrup­tion soudaine des “ bons sen­ti­ments ” dont je dis­cerne mal le con­tenu séman­tique dans ses rap­ports à la créa­tion poé­tique. Exis­terait-t-il à leur endroit un avant et un après Jammes ? Ce dernier certes écrit de char­mantes choses mais se serait-il lui-même recon­nu à ce coup de chapeau.

Autant de ques­tions hasardeuses m’ayant incité à chercher quelque réponse dans Les Géorgiques chré­ti­ennes, cet hymne vir­gilien à son Béarn natal, à “ L’humble grandeur d’une pénible vie ” (celle de paysans pyrénéens au début du siè­cle dernier).

Sous une cer­taine monot­o­nie du dis­cours poé­tique, s’égrenant en dis­tiques à la manière des psaumes, monte, dis­cret d’abord, plus insis­tant par la suite, le rap­pel d’antiques pré­ceptes de sagesse et de soumis­sion fil­iale de l’homme à Dieu.

C’est ain­si que l’on peut lire au chant VII :

La Bible dit : Ne désirez trop, ni trop peu
De peur d’oublier et de maudire Dieu.

“ Mer­ci à toi Bruno ” de nous don­ner l’occasion de ces récréa­tions poé­tiques, et… ne manque pas de don­ner tous tes soins à ta vigne dans l’attente de “ nou­veaux crus ”.

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1. On sait la prox­im­ité et la sol­lic­i­tude entretenues par Bruno avec les enfants au-delà du cer­cle de sa famille : l’auteur de con­tes joli­ment illus­trés (le dernier, pré­cisé­ment : Les con­tes de Dad­dy) leur con­sacre par ailleurs une grande par­tie de son temps comme prési­dent de “ l’Association des Vil­lages d’enfants ”.

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