Thomas Guillaume par Laurent Simon

Thomas Guillaume (X98), le quartz et la mer

Dossier : TrajectoiresMagazine N°805 Mai 2025
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Depuis une tren­taine d’années, des dizaines de géo­logues par­courent la pla­nète à la recherche de gise­ments de quartz de très grande pure­té. Peine per­due, pour l’instant : le seul qu’on connaisse, de longue date, se trouve à Spruce Pine, en Caro­line du Nord. C’est de là que pro­vient le mine­rai néces­saire à la fabri­ca­tion de tous les semi-conduc­teurs uti­li­sés dans le monde entier. Les pierres de cette mine sont exploi­tées par deux com­pa­gnies – et Tho­mas Guillaume, X98, dirige l’une d’entre elles, à Oslo.

Rien pour­tant ne pré­des­ti­nait notre cama­rade à deve­nir un expert du sable blanc, qui plus est en Nor­vège. Né à Paris dans une famille qui avait des attaches au Maroc et dans le golfe du Mor­bi­han, il se découvre durant l’adolescence une pas­sion pour la voile. Au point de regret­ter aujourd’hui d’avoir négli­gé cer­tains cours lors de sa sco­la­ri­té à l’X, parce que l’appel de la mer était plus fort. Mais aupa­ra­vant il y eut des classes pré­pa­ra­toires au lycée Saint-Louis, puis un ser­vice mili­taire effec­tué dans les troupes de marine, à Mayotte – l’occasion de pas­ser le per­mis hau­tu­rier et d’être réveillé en pleine nuit, durant un bivouac en forêt, par des appe­lés qui vou­laient toute affaire ces­sante par­tir chas­ser le héris­son dont la viande est très pri­sée sur l’île.

De la biotechnologie aux eaux minérales

Quit­tant le pla­teau, Tho­mas Guillaume rêve d’une expa­tria­tion aux États-Unis ; puisque, entre deux régates, il avait par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié les cours de bio­tech­no­lo­gie, il part à Stan­ford se spé­cia­li­ser dans ce domaine. Là-bas, il tra­vaille­ra notam­ment sur un pro­jet de rétine arti­fi­cielle, avant que l’amour – et la nos­tal­gie de la Bre­tagne – ne le fassent reve­nir en France. Il cherche alors à rejoindre une entre­prise du sec­teur bio­mé­di­cal, qui lui per­met­trait de conci­lier, comme il avait pu le faire aux USA, son goût pour la recherche et son attrait pour le com­merce. Mais on lui fait remar­quer que, sur ce der­nier point, il n’a aucune légi­ti­mi­té puisqu’il n’a pas de for­ma­tion en marketing. 

Il décide donc d’en acqué­rir une sur le tas, en accep­tant un poste au sein du cabi­net de conseil AT Kear­ney. Il s’occupera notam­ment de conseiller Nest­lé Waters sur la stra­té­gie com­mer­ciale à adop­ter pour mettre sur le mar­ché une nou­velle eau miné­rale, Aqua­rel. Et il se sou­vien­dra de réunions épiques avec un ache­teur de la grande dis­tri­bu­tion, « une cari­ca­ture, un gars body­buil­dé, mépri­sant, et tan­gen­tant en per­ma­nence l’insulte ».

Des pierres aux engrais

C’est grâce à un ancien col­lègue d’AT Kear­ney que Tho­mas Guillaume arrive alors dans le monde des matières pre­mières, en rejoi­gnant l’entreprise Ime­rys. Cette pre­mière expé­rience le ravit, on le voit au Bré­sil pour négo­cier avec un fer­mier l’exploitation d’un gise­ment d’argile, en Inde pour rache­ter des petites entre­prises minières, en Dor­dogne pour gérer une car­rière de quartz. Au bout de huit ans, il quitte cepen­dant les pierres pour les engrais après avoir été repé­ré par Jorge Bou­cas, X94, qui lui pro­pose de prendre la « direc­tion des matières pre­mières » au sein du Groupe Roul­lier. Il est séduit par la logique patri­mo­niale de cette entre­prise fami­liale, et en retour son franc-par­ler est très appré­cié par le fon­da­teur de la socié­té… jusqu’au jour où il ne l’est plus : à la suite d’un désac­cord por­tant sur un pro­jet d’acquisition, il est limo­gé dans la journée.

Famileo, un succès !

S’ouvre alors un épi­sode inat­ten­du : avec deux amis, il met au point l’application Fami­leo, qui per­met d’éditer, pour les grands-parents, une petite gazette men­suelle réunis­sant mes­sages et pho­tos publiés par les enfants et les petits-enfants. Fini les voyages dans le jet de Roul­lier pour aller négo­cier des contrats au Maroc ; son quo­ti­dien est désor­mais empli des petites contraintes logis­tiques aux­quelles doit faire face une start-up – il s’agit par exemple de dis­tri­buer des tracts publi­ci­taires sur le par­vis de La Défense. Mais le pari sera payant, puisque Fami­leo rece­vra de nom­breux prix, dont celui de « La France s’engage » décer­né par le pré­sident Fran­çois Hol­lande – aujourd’hui l’application compte plus de deux mil­lions d’utilisateurs.

“Famileo recevra de nombreux prix, dont celui de « La France s’engage ».”

Le quartz, enfin

C’est alors que le miné­ral se rap­pelle à son bon sou­ve­nir. En 2018, les action­naires nor­vé­giens de l’entreprise Quartz Corp lui pro­posent le poste de direc­teur géné­ral, et le voi­là par­ti à Oslo, avec son épouse et leurs quatre enfants. La mis­sion de sa socié­té consiste à extraire le quartz de la Caro­line du Nord puis à l’importer jusqu’à une usine de puri­fi­ca­tion située dans le cercle polaire nor­vé­gien, qui pro­duit un sable blanc ayant moins de dix impu­re­tés par mil­lion de par­ti­cules. En l’écoutant, on apprend des détails sur­pre­nants sur ce gra­nit amé­ri­cain, visuel­le­ment ano­din, mais qui ren­ferme les grains de quartz d’une pure­té supé­rieure à celle de beaux cris­taux tout blancs. 

Or l’efficacité d’un pan­neau solaire ou d’un semi-conduc­teur dépend bien sûr de la per­fec­tion de l’outillage en verre obte­nu par trans­formation du quartz : uti­li­ser un sable cor­rom­pu, « c’est comme faire de la chi­rur­gie avec des mains sales », explique astucieuse­ment Tho­mas Guillaume. On le sent pas­sion­né par son métier ; notam­ment par le fait que, en rai­son de la spé­ci­fi­ci­té de cette indus­trie de niche, il faut constam­ment inven­ter les nou­velles machines qui per­met­tront d’être plus per­for­mants encore. Un beau défi pour celui qui, durant son ado­les­cence, lorsqu’il n’était pas sur un voi­lier, pas­sait son temps à bri­co­ler et raillait plus tard ses cama­rades « ingé­nieurs » qui ne savaient pas manier un tournevis. 

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