Thomas Guillaume (X98), le quartz et la mer

Depuis une trentaine d’années, des dizaines de géologues parcourent la planète à la recherche de gisements de quartz de très grande pureté. Peine perdue, pour l’instant : le seul qu’on connaisse, de longue date, se trouve à Spruce Pine, en Caroline du Nord. C’est de là que provient le minerai nécessaire à la fabrication de tous les semi-conducteurs utilisés dans le monde entier. Les pierres de cette mine sont exploitées par deux compagnies – et Thomas Guillaume, X98, dirige l’une d’entre elles, à Oslo.
Rien pourtant ne prédestinait notre camarade à devenir un expert du sable blanc, qui plus est en Norvège. Né à Paris dans une famille qui avait des attaches au Maroc et dans le golfe du Morbihan, il se découvre durant l’adolescence une passion pour la voile. Au point de regretter aujourd’hui d’avoir négligé certains cours lors de sa scolarité à l’X, parce que l’appel de la mer était plus fort. Mais auparavant il y eut des classes préparatoires au lycée Saint-Louis, puis un service militaire effectué dans les troupes de marine, à Mayotte – l’occasion de passer le permis hauturier et d’être réveillé en pleine nuit, durant un bivouac en forêt, par des appelés qui voulaient toute affaire cessante partir chasser le hérisson dont la viande est très prisée sur l’île.
De la biotechnologie aux eaux minérales
Quittant le plateau, Thomas Guillaume rêve d’une expatriation aux États-Unis ; puisque, entre deux régates, il avait particulièrement apprécié les cours de biotechnologie, il part à Stanford se spécialiser dans ce domaine. Là-bas, il travaillera notamment sur un projet de rétine artificielle, avant que l’amour – et la nostalgie de la Bretagne – ne le fassent revenir en France. Il cherche alors à rejoindre une entreprise du secteur biomédical, qui lui permettrait de concilier, comme il avait pu le faire aux USA, son goût pour la recherche et son attrait pour le commerce. Mais on lui fait remarquer que, sur ce dernier point, il n’a aucune légitimité puisqu’il n’a pas de formation en marketing.
Il décide donc d’en acquérir une sur le tas, en acceptant un poste au sein du cabinet de conseil AT Kearney. Il s’occupera notamment de conseiller Nestlé Waters sur la stratégie commerciale à adopter pour mettre sur le marché une nouvelle eau minérale, Aquarel. Et il se souviendra de réunions épiques avec un acheteur de la grande distribution, « une caricature, un gars bodybuildé, méprisant, et tangentant en permanence l’insulte ».
Des pierres aux engrais
C’est grâce à un ancien collègue d’AT Kearney que Thomas Guillaume arrive alors dans le monde des matières premières, en rejoignant l’entreprise Imerys. Cette première expérience le ravit, on le voit au Brésil pour négocier avec un fermier l’exploitation d’un gisement d’argile, en Inde pour racheter des petites entreprises minières, en Dordogne pour gérer une carrière de quartz. Au bout de huit ans, il quitte cependant les pierres pour les engrais après avoir été repéré par Jorge Boucas, X94, qui lui propose de prendre la « direction des matières premières » au sein du Groupe Roullier. Il est séduit par la logique patrimoniale de cette entreprise familiale, et en retour son franc-parler est très apprécié par le fondateur de la société… jusqu’au jour où il ne l’est plus : à la suite d’un désaccord portant sur un projet d’acquisition, il est limogé dans la journée.
Famileo, un succès !
S’ouvre alors un épisode inattendu : avec deux amis, il met au point l’application Famileo, qui permet d’éditer, pour les grands-parents, une petite gazette mensuelle réunissant messages et photos publiés par les enfants et les petits-enfants. Fini les voyages dans le jet de Roullier pour aller négocier des contrats au Maroc ; son quotidien est désormais empli des petites contraintes logistiques auxquelles doit faire face une start-up – il s’agit par exemple de distribuer des tracts publicitaires sur le parvis de La Défense. Mais le pari sera payant, puisque Famileo recevra de nombreux prix, dont celui de « La France s’engage » décerné par le président François Hollande – aujourd’hui l’application compte plus de deux millions d’utilisateurs.
“Famileo recevra de nombreux prix, dont celui de « La France s’engage ».”
Le quartz, enfin
C’est alors que le minéral se rappelle à son bon souvenir. En 2018, les actionnaires norvégiens de l’entreprise Quartz Corp lui proposent le poste de directeur général, et le voilà parti à Oslo, avec son épouse et leurs quatre enfants. La mission de sa société consiste à extraire le quartz de la Caroline du Nord puis à l’importer jusqu’à une usine de purification située dans le cercle polaire norvégien, qui produit un sable blanc ayant moins de dix impuretés par million de particules. En l’écoutant, on apprend des détails surprenants sur ce granit américain, visuellement anodin, mais qui renferme les grains de quartz d’une pureté supérieure à celle de beaux cristaux tout blancs.
Or l’efficacité d’un panneau solaire ou d’un semi-conducteur dépend bien sûr de la perfection de l’outillage en verre obtenu par transformation du quartz : utiliser un sable corrompu, « c’est comme faire de la chirurgie avec des mains sales », explique astucieusement Thomas Guillaume. On le sent passionné par son métier ; notamment par le fait que, en raison de la spécificité de cette industrie de niche, il faut constamment inventer les nouvelles machines qui permettront d’être plus performants encore. Un beau défi pour celui qui, durant son adolescence, lorsqu’il n’était pas sur un voilier, passait son temps à bricoler et raillait plus tard ses camarades « ingénieurs » qui ne savaient pas manier un tournevis.