Opéra national de Bordeaux

Thierry Fouquet (X71), une vie à l’opéra

Dossier : Les X et la musiqueMagazine N°806 Juin 2025
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Les Marx Bro­thers ont pas­sé une nuit à l’opéra, Thier­ry Fou­quet y a pas­sé sa vie. Tout cela est par­ti d’un stage lors de la sco­la­ri­té de l’X auprès de Hugues Gall, à l’ère de la renais­sance de l’Opéra de Paris, et ça s’est conti­nué par un recru­te­ment sur place dans dif­fé­rentes émi­nentes fonc­tions, puis à la tête de l’Opéra-Comique, et enfin dans le magni­fique édi­fice de Vic­tor Louis à Bor­deaux. Com­ment on fait l’X et on se retrouve au milieu des artistes lyriques !

Thierry Fouquet (X71)ancien directeur de l’Opéra de Bordeaux
Thier­ry Fou­quet (X71)
ancien direc­teur de l’Opéra de Bordeaux

Juste après Polytechnique, votre premier employeur a été l’Opéra de Paris. Comment s’est passé ce recrutement ?

Au prin­temps 1973, au moment de l’inauguration du man­dat de Rolf Lie­ber­mann, j’étais élève de l’École poly­tech­nique, pas­sion­né par l’opéra depuis l’âge de onze ans lorsque j’avais assis­té, à ma demande, au Tannhäu­ser diri­gé par André Cluy­tens avec notam­ment Régine Cres­pin et Rita Gorr. J’ai écrit à Rolf Lie­ber­mann pour lui expli­quer ma pas­sion et mon sou­hait d’assister à des répé­ti­tions. C’est Hugues Gall, alors admi­nis­tra­teur adjoint de l’Opéra natio­nal de Paris, qui m’a répon­du en m’expliquant qu’il était impos­sible d’assister aux répé­ti­tions, mais que ma lettre l’avait inté­res­sé et qu’il m’invitait à le rencontrer.

Quelques jours plus tard j’étais dans la salle d’attente du pre­mier entre­sol du Palais Gar­nier, à côté de Caro­lyn Carl­son qui avait ren­dez-vous avec le direc­teur. Avec un cer­tain retard, Hugues Gall m’a donc reçu et nous avons eu une conver­sa­tion pas­sion­nante. Je décou­vrais un homme au charme magné­tique et à l’intelligence excep­tion­nelle. À l’issue de cet entre­tien, je lui ai deman­dé s’il me serait pos­sible de faire mon stage en entre­prise à l’Opéra. Il n’y voyait pas d’inconvénient et m’adressa au direc­teur admi­nis­tra­tif et finan­cier, qui me reçut dans la fou­lée. M. Vigue­rie me pro­po­sa comme sujet de stage une étude sur la ren­ta­bi­li­té de l’atelier de décors. Ce sujet fut accep­té par l’École.

Stage passionnant, j’imagine !

Ce stage eut lieu du 1er sep­tembre au 31 décembre 1973. Il ne me fal­lut que quinze jours pour consta­ter que les ate­liers n’étaient pas ren­tables, mais qu’il était impos­sible de faire réa­li­ser les décors dans des ate­liers pri­vés. Un seul de ces ate­liers pou­vait réa­li­ser des décors pour la scène du Palais Gar­nier, ce qui ren­dait impos­sible un appel d’offres concur­ren­tiel. Pen­dant le reste de mon temps j’assistais aux répé­ti­tions, aux réunions de direc­tion, et je déjeu­nais ou dînais régu­liè­re­ment avec Hugues Gall, Mar­tine Kahane (direc­trice de la biblio­thèque-musée de l’Opéra) et des membres du secré­ta­riat général. 

Vers la fin du mois de novembre, j’appris que Hugues Gall cher­chait un adjoint. Je lui dis immé­dia­te­ment mon inté­rêt pour ce poste, mal­gré tous les pro­blèmes que cela me posait car je devais entrer dans le corps du contrôle des assu­rances. Il accep­ta de me recru­ter et je dus démis­sion­ner du minis­tère des Finances. Je me devais donc de rem­bour­ser mes études. J’écrivis ain­si au géné­ral com­man­dant l’École pour lui deman­der d’accepter que je paie cette « pan­toufle » sur plu­sieurs années. Je reçus la réponse à cette lettre trois ans plus tard ; il semble que beau­coup de dos­siers s’étaient éga­rés entre la Mon­tagne Sainte-Gene­viève et Palai­seau. Je ne répon­dis pas ; j’en reçus une seconde puis une troi­sième, en recom­man­dé. J’y répon­dis en disant que je tra­vaillais à l’Opéra qui dépen­dait de l’État et ils me dis­pen­sèrent du remboursement.

Quelle fut ensuite votre carrière dans les maisons d’opéra ?

Je suis res­té à Gar­nier jusqu’en 1989, occu­pant plu­sieurs fonc­tions après celle d’adjoint de Hugues Gall. J’ai été admi­nis­tra­teur du Bal­let pen­dant trois ans avec Vio­lette Ver­dy, puis quatre ans avec Rudolf Nou­reev. Ensuite, je me suis occu­pé de la salle Favart et de sa pro­gram­ma­tion, ain­si que des pro­duc­tions don­nées en dehors de Gar­nier : Car­men au Palais des sports, La Tra­gé­die de Car­men avec Peter Brook aux Bouffes du Nord, Sémi­ra­mis et plu­sieurs bal­lets au Théâtre des Champs-Ély­sées… Puis je suis deve­nu direc­teur de la pro­gram­ma­tion, jusqu’à l’ouverture de l’Opéra Bas­tille en 1989.

“ J’ai été administrateur du Ballet quatre ans avec Rudolf Noureev.”

J’ai ensuite obte­nu, contre l’avis de Pierre Ber­gé qui était pré­sident du conseil d’administration de l’Opéra natio­nal de Paris, l’autonomie de l’Opéra-Comique dont je devins le direc­teur géné­ral. Lorsque Hugues Gall a pris la direc­tion de l’Opéra, il m’a choi­si comme direc­teur géné­ral adjoint, poste que j’ai occu­pé trois ans avant qu’Alain Jup­pé ne m’invite à diri­ger l’Opé­ra de Bor­deaux. J’y suis res­té vingt ans. L’Opéra est deve­nu natio­nal, le bal­let s’est déve­lop­pé. Nous avons construit un audi­to­rium pour les concerts et quelques opé­ras à grands effec­tifs. J’ai pris ma retraite en 2016.

Les vingt ans de Thierry Fouquet 
à la tête de l’Opéra national de Bordeaux, 
lundi 14 mars 2016.
Les vingt ans de Thier­ry Fou­quet à la tête de l’Opéra natio­nal de Bor­deaux, lun­di 14 mars 2016.

Vous avez longtemps travaillé avec Hugues Gall ; quels souvenirs gardez-vous de lui ?

Hugues Gall est celui qui m’a appris le métier de direc­teur d’opéra que lui avait appris Rolf Lie­ber­mann. C’était un homme d’une culture infi­nie, extrê­me­ment com­pé­tent dans toutes les par­ties de son métier (artis­tique, admi­nis­tra­tif, finan­cier et politique).

Avez-vous noué des amitiés avec des chanteurs, avec des chefs ? Si oui, lesquels, et pourquoi ?

J’ai bien sûr noué des ami­tiés avec les artistes qui ont tra­vaillé dans les théâtres où j’ai moi-même été en place. Par exemple William Chris­tie et Jean-Marie Vil­lé­gier que j’ai réunis pour la pro­duc­tion d’Atys de Lul­ly, qui a été don­née une tren­taine de fois à Paris puis de nom­breuses fois en tour­née : Flo­rence, Ver­sailles, New York, Bor­deaux, Mont­pel­lier, Caen. Les chefs d’orchestre Hans Graf, Pablo Heras-Casa­do, Paul Daniel, Raphaël Pichon, Chris­tophe Rous­set, et dans le pas­sé Nel­lo San­ti, Charles Mac­ker­ras, Karl Böhm, Georg Sol­ti… et bien sûr beau­coup de chan­teurs et danseurs.

Opéra de Bordeaux : La salle de spectacle offre une acoustique exceptionnelle due à la carcasse de bois qui l’enveloppe.
Grand Théâtre de Bor­deaux : la salle de spec­tacle offre une acous­tique excep­tion­nelle due à la car­casse de bois qui l’enveloppe. ©Julien Fernandez

Dans votre carrière de directeur d’opéra, quelles ont été les plus mémorables crises, les plus mémorables urgences que vous ayez eu à traiter ?

Ce sont sur­tout des rem­pla­ce­ments de chan­teur à la der­nière minute. C’est évi­dem­ment très fré­quent et par­fois même très réus­si. Je me rap­pelle Les Puri­tains à l’Opéra-Comique. June Ander­son m’annonce qu’elle est malade et ne pour­ra pas chan­ter. Michèle Lagrange chan­tait en alter­nance avec elle mais ne répon­dait pas au télé­phone. Fina­le­ment, elle me rap­pelle pour m’annoncer qu’elle est souf­frante elle-même. 

Il ne res­tait plus que vingt-quatre heures avant le spec­tacle. J’ai essayé de contac­ter Mariel­la Devia mais elle était sor­tie pour un réci­tal. Je lui ai par­lé à minuit et elle a accep­té de venir sau­ver le spec­tacle. À l’époque per­sonne ne la connais­sait à Paris, mais je savais qu’elle était excel­lente dans le rôle des Puri­tains, dans lequel je l’avais enten­due à Turin. Quand j’ai fait l’annonce au public, je me suis fait huer comme jamais. Au fur et à mesure du dérou­le­ment de la repré­sen­ta­tion, cette hos­ti­li­té s’est trans­for­mée en triomphe.

Les douze colonnes de la façade avec à leur sommet, neuf muses 
et trois déesses de la mythologie antique, imaginées par le sculpteur Pierre-François Berruer.
Opé­ra de Bor­deaux, les douze colonnes de la façade avec à leur som­met, neuf muses et trois déesses de la mytho­lo­gie antique, ima­gi­nées par le sculp­teur Pierre-Fran­çois Ber­ruer. ©Opéra natio­nal de Bordeaux

L’opéra de Bordeaux est un magnifique bâtiment XVIIIe siècle. Quels sont ses qualités et ses éventuels défauts pour y produire des opéras et y accueillir le public ?

C’est un des plus beaux et anciens théâtres du monde et il a été magni­fi­que­ment res­tau­ré avant mon arri­vée. On y jouait tous les réper­toires, mais la fosse était trop petite pour les grands orchestres néces­saires pour le réper­toire wag­né­rien ou post­wag­né­rien. J’ai pu faire construire un bel audi­to­rium pour les concerts de l’orchestre qui se don­naient aupa­ra­vant au Palais des sports dans des condi­tions déplo­rables. À ma demande l’architecte a conçu une fosse où l’on peut mettre plus de cent musi­ciens : nous avons pu y jouer Salo­mé, Tris­tan et Isolde, Le Châ­teau de Barbe-Bleue, Don Car­los… Nous pou­vions éga­le­ment accueillir un public plus nombreux.

Le vestibule et le grand escalier qui inspirera Charles Garnier pour le dessin de celui 
de l’Opéra de Paris.
Le ves­ti­bule et le grand esca­lier qui ins­pi­re­ra Charles Gar­nier pour le des­sin de celui de l’Opéra de Paris. © Opéra natio­nal de Bordeaux

Dans votre carrière, avez-vous eu des échanges professionnels avec d’autres polytechniciens ?

J’ai eu pas mal de rela­tions avec Jean-Marie Poil­vé X73, qui était un excellent agent d’artistes lyriques, et aus­si Fré­dé­ric Sichler X72, qui a tra­vaillé dans le monde du disque (Era­to), des fes­ti­vals, puis du cinéma.

Quels conseils donnerais-tu à un jeune camarade qui voudrait faire carrière dans le spectacle vivant ?

Il faut essayer de faire un stage dans une entre­prise cultu­relle pour se faire connaître. Ensuite c’est une ques­tion de fee­ling et de rela­tions que l’on peut déve­lop­per durant ce stage. Aujourd’hui tout est beau­coup plus ouvert aux diplô­més de Poly­tech­nique et de nom­breuses voies mènent vers la culture, sur­tout au niveau du minis­tère de la Culture. 

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