Théorème vivant

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°678 Octobre 2012Par : Cédric VILLANI, illustrations de Claude GONDARD (65)Rédacteur : Fabrice MATTATIA (90)Editeur : Éditions Grasset & Fasquelle – 2012 - Grasset, 61, rue des Saints-Pères, 75006 Paris. Tél. : 01 44 39 22 00

Dans la tête d’un mathématicien d’exception

La plu­part du temps, l’enseignement sco­laire nous mon­tre les math­é­ma­tiques et la physique comme des sci­ences figées dans leur per­fec­tion, enchaî­nant avec une logique implaca­ble leurs théorèmes et leurs équations.

Les élèves sont nour­ris de l’illusion que la sci­ence a réus­si à dis­siper tous les mys­tères, qu’elle pro­pose une descrip­tion logique, com­plète et ordon­née du monde, et qu’elle représente une évi­dence. Cet état d’esprit reflète un espoir qui était celui des sci­en­tistes du XIXe siè­cle, espoir d’arriver à une expli­ca­tion totale et défini­tive du monde.

Couverture du livre de Cédric Villani : Théorème vivantEspoir qui s’est fra­cassé sur quelques anom­alies et mon­stres math­é­ma­tiques, avance du péri­hélie de Mer­cure ou géométrie non-eucli­di­enne, phénomènes con­sid­érés comme mineurs au départ, mais dont l’irréductibilité aux méth­odes clas­siques a for­cé les savants à révo­lu­tion­ner leur mode de pen­sée, et à défrich­er de nou­veaux domaines.

Il nous faut générale­ment atten­dre l’enseignement supérieur pour décou­vrir que la sci­ence mod­erne n’a tou­jours pas trou­vé, elle non plus, son aboutisse­ment, et qu’elle représente tou­jours une quête dans la com­préhen­sion du monde.

Mal­gré cela, nous restons sou­vent igno­rants des péripéties entourant la genèse des résul­tats sci­en­tifiques, et des chem­ine­ments emprun­tés par les savants pour y arriv­er. Que savons-nous finale­ment de la vie de New­ton, à part qu’il a reçu un jour une pomme sur la tête ? Et encore, nous sup­posons implicite­ment qu’ayant reçu cette pomme, il s’est écrié « Eurê­ka » et a rédigé d’un trait la théorie de l’attraction universelle.

La vérité his­torique n’est sans doute pas aus­si sim­ple – nous oublions par exem­ple qu’Isaac New­ton était égale­ment alchimiste, ce qui nous sem­ble pour le moins incom­pat­i­ble avec l’idée ratio­nal­iste que nous nous faisons de la mécanique.

L’avancée de la sci­ence se fait par hypothès­es et par tâton­nements suc­ces­sifs, avec des échecs, des suc­cès, des ful­gu­rances. Elle se fait égale­ment par les échanges entre sci­en­tifiques : une idée émise par l’un est reprise avec prof­it par l’autre, une propo­si­tion est con­testée ou même réfutée, les résul­tats de l’un ser­vent de base à ses successeurs.

Ceux qui ont suivi à l’X les cours de mécanique quan­tique de Jean-Louis Bas­de­vant sont fam­i­liers de ce proces­sus : Jean-Louis Bas­de­vant avait l’art de restituer l’humanité de la sci­ence, en nous racon­tant com­ment les savants avaient hésité, cher­ché, été décon­certés ou sat­is­faits par leurs résul­tats, com­ment ils s’étaient con­cur­rencés ou entraidés, bref com­ment la sci­ence était une aven­ture humaine.

Mais les cours de Jean-Louis Bas­de­vant, si pas­sion­nants soient-ils, étaient pour ain­si dire de sec­onde main : l’orateur n’était pas l’acteur. Au con­traire, l’ouvrage de Cédric Vil­lani, Théorème vivant, nous invite à une plongée dans l’univers des math­é­mati­ciens con­tem­po­rains, plongée racon­tée à la pre­mière per­son­ne par le jeune chercheur qui a obtenu la médaille Fields en 2010 pour ses travaux sur les solu­tions math­é­ma­tiques des équa­tions de la relax­ation vers l’équilibre pour un gaz.

Con­traire­ment à ce que pour­rait laiss­er croire le titre, l’ouvrage est par­faite­ment acces­si­ble à des non-math­é­mati­ciens ; mieux, sa lec­ture leur est recom­mandée, pour démythi­fi­er une sci­ence qui fait sou­vent peur au profane.

Cédric Vil­lani, ancien élève de Louisle- Grand et de l’École nor­male supérieure, a con­sacré sa thèse sous la direc­tion de Pierre-Louis Lions, et ses travaux de recherche pen­dant quinze ans, à l’étude des solu­tions de l’équation de Boltz­mann. Ces travaux lui ont valu la médaille Fields, et notam­ment son théorème qui con­cerne la con­ver­gence vers l’équilibre des solu­tions de l’équation de Vlasov.

Théorème vivant racon­te, de manière très acces­si­ble, la genèse de ce théorème : com­ment, en par­tant d’une intu­ition, Cédric Vil­lani a peu à peu con­stru­it les étapes suc­ces­sives de la démonstration.

Pour cela, il s’est inspiré de méth­odes util­isées dans d’autres branch­es des math­é­ma­tiques, ou bien en physique ou en mécanique : après tout, les étoiles d’une galax­ie ne se com­por­tent-elles pas comme les par­tic­ules d’un gaz ? Cédric Vil­lani nous racon­te les con­ver­sa­tions avec ses col­lègues qui l’ont inspiré, il nous détaille aus­si avec hon­nêteté ses doutes, ses hési­ta­tions, voire ses erreurs – car comme tout math­é­mati­cien Cédric Vil­lani tâtonne et par­fois se trompe. Il nous rap­pelle ain­si le proces­sus que nous avons tous con­nu en taupe, mais à une échelle infin­i­ment supérieure.

Et finale­ment, après des mois d’explorations de pistes plus ou moins déce­vantes, le déclic se fait dans le cerveau du chercheur, le fil d’Ariane vers la solu­tion apparaît.

Cédric Vil­lani s’investit égale­ment dans la vul­gar­i­sa­tion des math­é­ma­tiques, en expli­quant à cha­cun com­ment elles sont dev­enues indis­pens­ables au fonc­tion­nement de notre univers tech­nologique, et com­ment elles peu­vent servir dans le quotidien.

Finale­ment, le seul regret que l’on éprou­ve à la lec­ture de son ouvrage, c’est que Cédric Vil­lani ne nous y révèle pas l’origine de sa pas­sion pour les araignées…

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