TERATEC : 20 ans au service de la maîtrise et de la diffusion des technologies numériques

TERATEC : 20 ans au service de la maîtrise et de la diffusion des technologies numériques

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Hervé MOUREN (X67)

Depuis 20 ans, TERATEC contri­bue au déve­lop­pe­ment d’un cadre pro­pice à la maî­trise et à la dif­fu­sion des tech­no­lo­gies du numé­rique. Her­vé Mou­ren (X67), direc­teur de TERATEC, nous en dit plus sur le rôle et les mis­sions de cette ini­tia­tive lan­cée et por­tée par des indus­triels dans un contexte mar­qué par une très forte accé­lé­ra­tion de la digi­ta­li­sa­tion et du déve­lop­pe­ment des tech­no­lo­gies numériques.

Quelques mots pour nous présenter TERATEC

TERATEC est une ini­tia­tive conçue et menée par de grands indus­triels. Dès 2005, plu­sieurs indus­triels de l’aéronautique et de l’énergie avaient mesu­ré l’importance des évo­lu­tions à venir en termes de puis­sance de cal­cul et les pers­pec­tives de trans­for­ma­tion pro­fonde que cela ouvrait en matière de concep­tion et de simulation. 

TERATEC a aujourd’hui quatre-vingts membres et s’est déve­lop­pé sous la forme d’un éco­sys­tème varié, très com­plé­men­taire, regrou­pant uti­li­sa­teurs, four­nis­seurs, ensei­gnants et chercheurs. 

Son objec­tif est d’assurer à ses membres une grande maî­trise des tech­no­lo­gies numé­riques et de faci­li­ter leur dif­fu­sion et leur déploie­ment dans leur domaine d’activités bien sûr, mais aus­si, de façon plus géné­rale, dans la vie économique.

Ces deux aspects, maî­trise et dif­fu­sion, sont clés parce que le numé­rique per­met de conce­voir et de réa­li­ser des pro­duits ou des ser­vices impos­sibles à envi­sa­ger pré­cé­dem­ment et qu’il devient de fait un des fac­teurs essen­tiels de com­pé­ti­ti­vi­té indus­trielle. Son champ d’application s’élargit aujourd’hui à la plu­part des domaines, tous les sec­teurs sont concer­nés et pro­gres­si­ve­ment toutes les tailles d’entreprises.

“Depuis 2005, TERATEC mobilise un écosystème varié pour mener la révolution numérique dans des secteurs clés comme l’aéronautique et l’énergie.”

TERATEC accom­pagne et contri­bue acti­ve­ment depuis 20 ans à la géné­ra­li­sa­tion du recours au cal­cul inten­sif et à la simu­la­tion, tan­dis que pen­dant cette période, la puis­sance de cal­cul des super­or­di­na­teurs a été mul­ti­pliée par 1 mil­lion : le pas­sage du Tera­flop à l’Exaflop nous per­met de trai­ter en 2025 des sujets dont on n’avait pas idée en 2005. De plus, l’intelligence arti­fi­cielle et le quan­tique qui se déve­loppent à grande vitesse ouvrent une nou­velle phase excep­tion­nelle de déve­lop­pe­ments pour cer­tains com­plè­te­ment nouveaux.

C’est cela que nous devons préparer.

Pour aider à cette prise en compte par un public de plus en plus large, TERATEC orga­nise chaque année le Forum TERATEC, qui est un grand moment d’échange en France entre cher­cheurs et indus­triels, four­nis­seurs et uti­li­sa­teurs. La pro­chaine édi­tion aura lieu à Paris au Parc Flo­ral les 21 et 22 mai pro­chains, avec des confé­rences de haut niveau, des tables rondes, des ate­liers tech­niques et une exposition.

« TERATEC organise chaque année le Forum TERATEC, qui est un grand moment d’échange en France entre chercheurs et industriels, fournisseurs et utilisateurs. »

Tous ceux qui sont inté­res­sés par ces sujets sont les bien­ve­nus, nous serons ravis de les accueillir.

Par ailleurs, TERATEC par­ti­cipe aus­si de façon très active à la nou­velle dyna­mique euro­péenne sur ces sujets. Dans ce cadre, nous sommes une des par­ties pre­nantes du pro­gramme euro­péen EuroHPC qui béné­fi­cie d’un bud­get de 7 mil­liards d’euros sur 6 ans avec notam­ment la com­mande de deux machines de niveau exas­cale, dont la pre­mière, ins­tal­lée en Alle­magne, est réa­li­sée par des acteurs fran­çais et dont la seconde est pré­vue l’année pro­chaine à Bruyères-le-Châ­tel, dans l’Essonne. Tou­jours dans le cadre de ce pro­gramme euro­péen, Tera­tec par­ti­cipe à de nom­breux pro­jets et, en par­ti­cu­lier, opère avec ses par­te­naires un centre de com­pé­tence fran­çais pour les tech­no­lo­gies numé­riques, qui couvre tous les champs du HPC, de l’IA et du quan­tique et qui four­nit sup­port et for­ma­tions à tous les uti­li­sa­teurs du monde indus­triel et du monde de la recherche. 

Dans notre pays et notre société, quelle place occupe le numérique aujourd’hui ?

Pen­dant de nom­breuses années, le numé­rique a été prin­ci­pa­le­ment un fac­teur d’accélération au ser­vice du déve­lop­pe­ment et du déploie­ment de cer­tains usages dans quelques indus­tries, comme l’aéronautique, le spa­tial ou encore l’énergie.

Aujourd’hui, sa place est beau­coup plus large et touche main­te­nant tous les domaines indus­triels. Le numé­rique s’est impo­sé comme une com­po­sante essen­tielle de notre déve­lop­pe­ment éco­no­mique. Il est deve­nu un des prin­ci­paux dif­fé­ren­cia­teurs de com­pé­ti­ti­vi­té et d’efficacité des entre­prises dans tous les domaines et à tous les niveaux, natio­nal, euro­péen et mondial.

Nous n’avons pas suf­fi­sam­ment pris la mesure, en France et en Europe, de ce que cela repré­sente, quand depuis dix ans, la Chine a effec­tué un tra­vail excep­tion­nel de déve­lop­pe­ment des com­pé­tences – leurs scien­ti­fiques sont au meilleur niveau – et de maî­trise des tech­no­lo­gies cri­tiques. Nous pou­vons tout à fait faire l’équivalent de notre côté, d’autant plus que notre posi­tion de départ est bien meilleure : la France a un niveau scien­ti­fique remar­quable sur ces sujets et nous avons un excellent sys­tème de for­ma­tion. On ne le sait pas assez ; un exemple, les outils les plus uti­li­sés dans le monde pour déve­lop­per l’apprentissage-machine, com­po­sante-clé de l’intelligence arti­fi­cielle, viennent d’un labo­ra­toire INRIA.

Face à ce constat, TERATEC se doit de contri­buer à ren­for­cer la maî­trise de ces tech­no­lo­gies dans tout le tis­su indus­triel, des PME aux plus grands groupes, et d’en déve­lop­per les usages dans les dif­fé­rentes indus­tries pour les pro­mou­voir et les dif­fu­ser en France et à l’international. En plus, c’est un mar­ché de l’emploi dyna­mique et en pleine crois­sance (plus d’1 mil­lion d’emplois en 2024 selon France-Travail).

Incontournable à tous les niveaux, le numérique pose néanmoins un certain nombre d’enjeux. Qu’en est-il ? 

Le numé­rique étant un sec­teur en per­pé­tuelle trans­for­ma­tion avec des tech­no­lo­gies qui évo­luent très vite, la for­ma­tion est un enjeu stra­té­gique. Les entre­prises et les orga­ni­sa­tions qui se donnent aujourd’hui les moyens d’approfondir et de déve­lop­per leur maî­trise de ces tech­no­lo­gies vont dis­po­ser d’un avan­tage com­pé­ti­tif indé­niable sur les autres. Ceux qui en auront la meilleure maî­trise seront les lea­ders de demain.

Dans la for­ma­tion ini­tiale, il s’agit bien sûr de déve­lop­per les for­ma­tions à ces nou­veaux outils, mais aus­si de pré­pa­rer les futurs ingé­nieurs dans tous les domaines à l’usage de ces tech­no­lo­gies. Il faut éga­le­ment faire en sorte que nos équipes actuelles de recherche et d’ingénierie en intègrent l’usage sans attendre l’arrivée de spé­cia­listes for­més dans plu­sieurs années. Nous avons un tra­vail tout à fait essen­tiel de for­ma­tion conti­nue à mettre en œuvre. Le numé­rique est une course de vitesse, il faut assu­rer la mon­tée en com­pé­tence rapide de nos ingé­nieurs actuel­le­ment en poste, en par­ti­cu­lier dans les équipes de recherche et déve­lop­pe­ment. C’est, pour TERATEC, un enjeu majeur et une de nos priorités.

Le second enjeu concerne la ques­tion très dif­fi­cile de la pro­tec­tion des don­nées et plus lar­ge­ment de la cyber­sé­cu­ri­té. En effet, la pro­tec­tion des don­nées indi­vi­duelles, qu’elles soient admi­nis­tra­tives, finan­cières ou de san­té est un sujet majeur, au cœur des pré­oc­cu­pa­tions des entre­prises et de l’État et de toutes les orga­ni­sa­tions publiques ou pri­vées. Nous évo­luons dans un monde de plus en plus digi­ta­li­sé où on recense une aug­men­ta­tion conti­nue des attaques infor­ma­tiques et de la cyber­cri­mi­na­li­té. Plus que jamais, il est essen­tiel de pou­voir garan­tir la confi­den­tia­li­té et l’intégrité des infor­ma­tions par­ta­gées en ligne. C’est le risque majeur de la période qui vient auquel nous devrons être atten­tifs en permanence.

“L’enjeu majeur pour TERATEC est de promouvoir et renforcer la maîtrise du numérique à travers tout le tissu industriel.”

Depuis quelques années, nous assis­tons à un très fort déve­lop­pe­ment des méca­nismes de dés­in­for­ma­tion en ligne grâce à la mul­ti­pli­ca­tion des pla­te­formes d’information, la faci­li­té incroyable à dif­fu­ser des conte­nus notam­ment sous cou­vert d’anonymat, et donc la créa­tion mas­sive de fausses infor­ma­tions. Au-delà des aspects régle­men­taires qui doivent venir régu­ler ce phé­no­mène, il me semble impor­tant que cha­cun puisse déve­lop­per un cer­tain esprit cri­tique et le réflexe de véri­fier les sources d’information.

Il y a par ailleurs un enjeu éner­gé­tique très impor­tant qui appa­raît avec les inves­tis­se­ments colos­saux pré­vus pour l’intelligence arti­fi­cielle géné­ra­tive. Cette fuite en avant risque d’avoir des consé­quences lourdes qu’on a du mal à mesu­rer aujourd’hui.

Enfin, se pose la ques­tion sou­vent oubliée de la frac­ture numé­rique, un enjeu moins visible que les pré­cé­dents, même s’il repré­sente un défi socié­tal majeur, notam­ment dans les zones rurales ou vis-à-vis des per­sonnes qui n’ont pas accès faci­le­ment aux outils numé­riques. Il y a là un véri­table risque d’exclusion auquel on se doit d’être attentif.

Calculateur TOPAZE du CCRT au CEA/TGCC.
Cal­cu­la­teur TOPAZE du CCRT au CEA/TGCC. © CEA/CADAM

Quelles sont les perspectives qu’ouvre l’accélération de la digitalisation ?

La digi­ta­li­sa­tion reste un puis­sant vec­teur de déve­lop­pe­ment et de crois­sance pour les entre­prises, mais aus­si pour les individus.

Comme dans beau­coup de domaines, le numé­rique s’est d’abord déve­lop­pé par des appli­ca­tions mili­taires. His­to­ri­que­ment, c’est le déve­lop­pe­ment de la simu­la­tion numé­rique qui a per­mis de mettre fin aux essais nucléaires. Très vite, le domaine de l’aéronautique, de l’aérospatial et de l’énergie se sont inté­res­sés à ces savoir-faire déve­lop­pés dans le cadre militaire.

Au cours des der­nières décen­nies, la digi­ta­li­sa­tion a per­mis l’essor du cour­rier élec­tro­nique, du télé­tra­vail, du e‑commerce, mais éga­le­ment une plus large dif­fu­sion de la culture au tra­vers de pla­te­formes digi­tales, la musique et la vidéo en étant deux bons exemples.

“La digitalisation, moteur essentiel de compétitivité, transforme de manière spectaculaire le paysage industriel à tous les niveaux.”

Aujourd’hui, tou­jours plus de sec­teurs et d’industries capi­ta­lisent sur ces savoir-faire et ces com­pé­tences : l’agroalimentaire, la san­té, la bio­lo­gie, le trans­port, la finance, l’assurance, la culture, l’environnement et le cli­mat, et tout le domaine des sciences humaines. La digi­ta­li­sa­tion va per­mettre des avan­cées très spec­ta­cu­laires dans le domaine de la san­té. Les tech­no­lo­gies numé­riques ouvrent des pos­si­bi­li­tés nou­velles notam­ment pour soi­gner des patho­lo­gies que nous avions du mal à trai­ter jusque-là ou pour gérer des risques d’épidémie. Nous sommes en fait à l’aube du déve­lop­pe­ment de la méde­cine per­son­na­li­sée, une méde­cine qui va per­mettre de mieux prendre en compte les carac­té­ris­tiques d’un patient notam­ment dans le cadre du trai­te­ment des can­cers. La puis­sance des tech­niques d’intelligence arti­fi­cielle va per­mettre de tra­vailler au niveau des cel­lules. Les grands pro­grès dans le domaine de la san­té sont devant nous, c’est un enjeu magnifique.

Pour conclure, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?

Au cours des 20 der­nières années, le modèle de TERATEC qui réunit les uti­li­sa­teurs, les four­nis­seurs et les cher­cheurs a prou­vé son inté­rêt. Aujourd’hui, notre cam­pus est situé au cœur d’une des plus grandes tech­no­poles numé­riques d’Europe, à proxi­mi­té du grand centre de cal­cul du CEA, qui va d’ailleurs pro­chai­ne­ment accueillir la machine Exas­cale euro­péenne, et du site d’ÉCLAIRION qui va regrou­per un ensemble extrê­me­ment per­for­mant de centres de données.

TERATEC et ses membres sont en veille constante sur les évo­lu­tions en cours, avec le déve­lop­pe­ment ultra-rapide de l’intelligence arti­fi­cielle, mais aus­si du quan­tique avec des pre­mières appli­ca­tions indus­trielles qui ne vont plus tar­der à voir le jour et qui seront pour beau­coup révo­lu­tion­naires, car conçues sur des approches très dif­fé­rentes. C’est en 2018, il y a sept ans, que nous avons lan­cé la TERATEC Quan­tum Com­pu­ting Ini­tia­tive (TQCI) pour nous pré­pa­rer à l’arrivée du cal­cul quan­tique. Cette ini­tia­tive nous a per­mis de lan­cer nombre de pro­jets aux­quels sont asso­ciés main­te­nant de nom­breux pays. C’est une très bonne illus­tra­tion de ce prin­cipe de co-créa­tion (co-desi­gn) asso­ciant four­nis­seurs et uti­li­sa­teurs, qui dans un domaine comme le nôtre s’avère par­ti­cu­liè­re­ment efficace.

Sur tous ces sujets, la France a réus­si à main­te­nir une posi­tion de pre­mier plan en matière de recherche et de for­ma­tion. Dans le contexte géo­po­li­tique inter­na­tio­nal actuel, il est essen­tiel de pré­ser­ver cette place, voire de la ren­for­cer en misant sur la for­ma­tion et de don­ner la pos­si­bi­li­té à nos ingé­nieurs et nos cher­cheurs d’intégrer le plus en amont pos­sible les déve­lop­pe­ments tech­no­lo­giques en cours. C’est, d’ailleurs, la mis­sion du centre de com­pé­tence fran­çais dans ces domaines, créé avec le sou­tien de l’État et de la Com­mis­sion européenne. 

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