Témoignages et réflexions sur l’éducation par les instituteurs de l’école publique primaire

Dossier : De l'écoleMagazine N°613 Mars 2006Par : Collectif POLYDÉES

Nous pen­sons que le prob­lème n’est pas tant pour les enseignants de savoir ce qu’ils devraient faire (en créant des groupes de pro­grès, des cer­cles de qual­ité ou en étof­fant leur hiérar­chie), que de leur don­ner les moyens de le faire ; lorsqu’on par­le aux pro­fesseurs de ces zones dif­fi­ciles, on con­state d’abord qu’une grande sol­i­dar­ité existe entre eux (c’est pour eux une ques­tion de survie), ensuite que des péd­a­go­gies mod­ernes et nova­tri­ces y sont appliquées, et que les méth­odes à employ­er pour amélior­er les résul­tats dans les class­es sont con­nues : faire cer­taines activ­ités en petits groupes, suiv­re de plus près les élèves les plus récal­ci­trants, adapter les approches selon les indi­vidus, avoir recours au sou­tien de psy­cho­logues ou de spé­cial­istes, etc., méth­odes qui mal­heureuse­ment ne sont pas com­pat­i­bles avec le nom­bre et la nature des élèves dans chaque classe.

Car on a beau s’in­téress­er au sujet, on a beau être con­scient du défi que représente l’en­seigne­ment dans un ghet­to de ban­lieue, on n’imag­ine pas ce que peut y être le quo­ti­di­en d’un insti­tu­teur d’au­jour­d’hui, ni à quel point les élèves peu­vent y être dif­fi­ciles et exiger une grande attention.

Les sta­tis­tiques à ce sujet sont à la fois pas­sion­nantes et réduc­tri­ces. Sur le site de l’É­d­u­ca­tion nationale, (http://evace26.education.gouv.fr/) on trou­vera les résul­tats des éval­u­a­tions qui sont faites en début de CE2 et de six­ième. Ces éval­u­a­tions, qui sont nationales et com­munes à toutes les écoles, y com­pris dans leur déroule­ment (temps impar­ti, présen­ta­tion des con­signes, etc.), sont en place depuis 1989, et s’in­téressent à l’ac­qui­si­tion des com­pé­tences en français et en math­é­ma­tiques. Elles sont un out­il très puis­sant de diag­nos­tic et de progrès.

Pour l’ap­pren­tis­sage du français, les résul­tats des éval­u­a­tions 2005 à l’en­trée en six­ième sont don­nés dans le tableau 1.

Tableau 1
Score moyen “Con­nais­sance, recon­nais­sance des mots”
(items 1 à 7, 14, 37 à 39)
6,84/11 62,19%
Score moyen “Com­préhen­sion, réception”
(items 8 à 13, 15 à 19, 23 à 25, 28, 30, 35, 36, 40 à 48)
16,06 ; 59,49%
Score moyen “Pro­duc­tion de textes”
(items 20 à 22, 26, 27, 29, 31 à 34, 49 à 57)
10,42/19 54,82%
Score moyen global
(items 1 à 57)
33,32/57 58,45%


Une étude a été faite pour ten­ter de com­par­er les résul­tats des éval­u­a­tions de 1997 avec ceux du cer­ti­fi­cat d’é­tudes de 1920 (sachant qu’à l’époque seuls 50 % des élèves le pas­saient, les autres entrant directe­ment dans la vie active), et on est loin de con­stater en moyenne la grande cat­a­stro­phe annoncée.


Ces mêmes éval­u­a­tions sont égale­ment analysées sta­tis­tique­ment selon divers critères, par exem­ple le type d’étab­lisse­ment fréquen­té, ou l’o­rig­ine sociale des élèves (tableau 2). 

Tableau 2
Étab­lisse­ment fréquenté Score moyen sur 100
Col­lèges publics de ZEP 52,82
Col­lèges publics de ZEP-REP 53,43
Col­lèges publics hors ZEP-REP 59,34
Col­lèges publics 58,20
Col­lèges privés sous con­trat avec l’État 59,34
Caté­gories socioprofessionnelles Score moyen sur 100
Cadres et pro­fes­sions libérales 68,13
Pro­fes­sions intermédiaires 62,66
Agricul­teurs exploitants 56,79
Employés 57,87
Arti­sans, commerçants 58,73
Ouvriers 53,58
Inactifs 51,21


Les ZEP et les REP sont des Zones et Réseaux d’é­d­u­ca­tion pri­or­i­taires (par exem­ple Garges-lès-Gonesse, Les Mureaux…), créées au début des années qua­tre-vingt pour “don­ner plus à ceux qui ont moins”. Dans les faits, l’ef­fort s’est lim­ité à faire pass­er le nom­bre moyen d’élèves par classe de 28 à 24, à met­tre un pro­fesseur de plus par école, et à octroy­er généreuse­ment 1 000 € de prime par an aux pro­fesseurs, ce qui sem­ble bien mince.

Alors que l’é­cart par orig­ine sociale est très impor­tant, l’é­cart moyen entre ZEP et non ZEP sem­ble finale­ment moins élevé que ce à quoi l’on aurait pu s’at­ten­dre, tout d’abord parce que le classe­ment en ZEP ou non mon­tre des lacunes, mais c’est surtout qu’il faut ne pas s’en tenir qu’aux moyennes, et s’in­téress­er aux cas particuliers.

Si l’on prend l’ex­em­ple de l’é­cole où tra­vaille notre invitée Isabelle, qui n’est pas en ZEP mais est située au cœur de zones d’habi­ta­tion HLM, on con­stat­era qu’au-delà des moyennes il y a de très fortes dis­par­ités (N. B. : il n’est pas per­mis de don­ner les résul­tats d’une école isolée, pour éviter des dérives évi­dentes), et de nom­breux cas qui requièrent des traite­ments très personnalisés.

On trou­ve dans ces classes :

• des élèves qui refusent de travailler,
• des élèves pour qui le français est une langue étrangère,
• des élèves qui sans cesse remet­tent en cause les règles et l’adulte,
• des élèves qui se bat­tent en classe et dans la cour,
• un élève qui frappe son professeur,
• des par­ents qui insul­tent et men­a­cent les professeurs,
• des élèves qui font la loi chez eux.

Pour ces élèves, l’é­cole n’est plus un gage de réus­site : ils ont l’ex­em­ple de leurs par­ents chômeurs, de leurs frères “deal­ers”, de la délin­quance, de l’au­torité déchue…

Mais pour autant l’é­cole con­tin­ue à avoir un rôle non seule­ment édu­catif, mais aus­si, et plus que jamais, social, car lorsque ni la famille ni l’en­vi­ron­nement social ne con­courent à l’in­té­gra­tion et à l’ap­pren­tis­sage des règles de vie en société, l’é­cole devient l’ul­time rem­part avant la chute. L’é­cole, alors, pour faire face à une mis­sion accrue, dans un envi­ron­nement plus dif­fi­cile, est oblig­ée de s’adapter sans cesse. Si, à l’o­rig­ine, l’é­gal­ité des chances sig­nifi­ait la même édu­ca­tion pour tous, cette même égal­ité des chances implique aujour­d’hui une édu­ca­tion beau­coup plus soutenue et per­son­nal­isée dans les zones dif­fi­ciles, et donc en pre­mier lieu une forte aug­men­ta­tion du nom­bre d’en­seignants, d’as­sis­tants, de psy­cho­logues, et d’in­ter­venants divers.

Certes, les pro­fesseurs auront tou­jours à pro­gress­er, à amélior­er leurs méth­odes, à suiv­re des for­ma­tions, et on peut à juste titre regret­ter que le sys­tème actuel de nota­tion et de pro­mo­tion des pro­fesseurs fasse que les moins expéri­men­tés se retrou­vent dans les class­es les plus dif­fi­ciles, les moins demandées. Mais ces amélio­ra­tions seront tou­jours peu de choses en regard du tra­vail à faire : lorsque l’on veut vrai­ment aller plus vite, il ne faut pas se con­tenter de marcher en allongeant le pas, à un moment don­né, il faut se met­tre à courir.

Jean Delacroix (45)
Alain Schlumberger (48)
Charles-Michel Marle (53)
Jean-Pierre Loisel (58)
Denis Oulés (64)
Olivier de Vriendt (83)
Marc Flender (92)

Poly­dées : http://www.polytechnique.net/Polydees/asso.php,
 

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