Témoignage : Langages et écritures

Dossier : Les X et l'écritureMagazine N°660 Décembre 2010
Par Michel MALHERBE (50)

Témoignage
Langages et écritures

Témoignage
Langages et écritures

Depuis quelques décen­nies, on parle de lan­gages infor­ma­tiques. S’a­git-il de lan­gages nou­veaux qui s’a­joutent aux quelques mil­liers que l’hu­ma­ni­té a créés au cours du temps ? Ne seraient-ils pas plu­tôt des sys­tèmes d’é­cri­ture, c’est-à-dire une façon d’ex­pri­mer une pen­sée de façon trans­mis­sible au plus grand nombre ? C’est peut-être une occa­sion de réflé­chir à ces outils d’emploi quo­ti­dien que sont les lan­gages et les écritures.

Des conventions arbitraires

L’é­cri­ture est un moyen de fixer un lan­gage, comme peut aus­si l’être l’en­re­gis­tre­ment, sur disque ou un autre sup­port. Un avan­tage de l’é­cri­ture est de pou­voir être lue à un autre rythme que le lan­gage mais elle pré­sente l’in­con­vé­nient d’être impar­faite. Elle repose sur des conven­tions, for­cé­ment arbi­traires mais aus­si mul­tiples et jamais uni­ver­selles. L’al­pha­bet pho­né­tique inter­na­tio­nal, dont l’am­bi­tion est d’être uni­ver­sel, com­porte un nombre de signes bien plus grand que ce dont une langue déter­mi­née a besoin. La diver­si­té et la mul­ti­pli­ci­té des langues entraînent-elles la fata­li­té d’un grand nombre d’écritures ?

Entrons dans plus de détails grâce à quelques exemples. Le chi­nois com­porte essen­tiel­le­ment des mots mono­syl­la­biques qui se dif­fé­ren­cient par un sys­tème de tons (quatre en chi­nois com­mun, celui de Pékin ; au moins sept dans celui de Can­ton). L’é­cri­ture devrait per­mettre la pro­non­cia­tion de ces tons. Le sys­tème des idéo­grammes, aus­si com­pli­qué qu’il soit, évite les confu­sions puis­qu’un carac­tère rend le son d’un mot aus­si bien que son sens. En revanche, il n’y a que très peu de rap­ports entre l’é­cri­ture et la pro­non­cia­tion. Il y en a un peu plus avec la signi­fi­ca­tion du mot.

Noter les tons

Les lettres d’un alpha­bet tel que le nôtre n’ex­priment pas les tons, notre langue n’en com­porte d’ailleurs pas. Les Viet­na­miens ont adop­té un alpha­bet latin avec des voyelles sup­plé­men­taires mais il faut aus­si noter les tons, au nombre de six, par divers accents sup­plé­men­taires. Ce sys­tème ini­tié par le mis­sion­naire Alexandre de Rhodes au milieu du XVIIe siècle est donc très com­plexe, pas for­cé­ment plus simple que celui des idéo­grammes mais les dif­fi­cul­tés ne sont pas les mêmes.

Chaque langue pose des pro­blèmes d’é­cri­ture spé­ci­fiques. L’a­rabe qui ne dis­tingue guère les voyelles brèves ne les écrit pas. Une langue comme le per­san qui est riche en voyelles est donc fort mal adap­tée à l’al­pha­bet arabe. Atatürk a pris la sage déci­sion d’a­ban­don­ner l’é­cri­ture arabe de l’an­cien osman­li mais les Ira­niens n’ont pas pris le risque de frois­ser leurs religieux.

Soixante-quatre voyelles

Autre notion à gar­der pré­sente à l’es­prit : ce sont les langues les plus archaïques qui sont les plus com­pli­quées. Plus la com­mu­ni­ca­tion s’é­tend à des groupes variés, plus les com­pli­ca­tions s’é­rodent. Les décli­nai­sons de l’in­do-euro­péen ne sub­sistent guère que dans les langues slaves et en alle­mand (l’an­glais en garde des traces dans who, whose, whom). Conser­ver la trace de langues mena­cées de dis­pa­ri­tion pré­sente de l’in­té­rêt sur­tout dans la mesure où cela montre la diver­si­té extra­or­di­naire des solu­tions inven­tées par l’es­prit humain pour s’exprimer.

Dans le seul domaine de la pho­né­tique, des langues du Cau­case n’ont que deux voyelles pour plus de 50 consonnes alors que les langues poly­né­siennes n’ont qu’une dizaine de consonnes et bien plus de voyelles. Le bir­man compte 64 voyelles. On com­prend que l’é­cri­ture soit bien impar­faite pour expri­mer les langues. Un seul exemple : la lettre t ne se pro­nonce pas de la même manière en fran­çais et en anglais (to take a un t ini­tial plus explo­sif, il est dit rétro­flexe). Dans les langues du nord de l’Inde, indo-euro­péennes, il existe dans l’al­pha­bet des lettres dis­tinctes pour le t fran­çais et le t anglais et pour d’autres couples de lettres.

Rete­nons sim­ple­ment l’u­ti­li­té, pour com­prendre notre cer­veau, d’ex­plo­rer toutes les solu­tions qu’il a inven­tées pour com­mu­ni­quer, ce qui ne veut pas dire que la com­mu­ni­ca­tion soit facile, même si l’on parle la même langue.

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