Six signaux d’alerte

Dossier : X-HEC Capital InvestissementMagazine N°638 Octobre 2008
Par Nicolas BEAUGRAND (94)
Par Claude DAMPIERRE

Si tant d’en­tre­pris­es peinent à réa­gir en péri­ode trou­blée, c’est qu’elles n’ont pas su inter­préter les signes avant-coureurs d’une dégra­da­tion de leur envi­ron­nement comme de leur pro­pre fonc­tion­nement. Pour les investis­seurs, six indi­ca­teurs non financiers ont une impor­tance clé.

Atten­tion aux modes !
L’en­t­hou­si­asme débor­dant (déraison­né ?) pour un secteur de l’é­conomie est lourd de dan­gers. Par exem­ple, à la fin des années qua­tre-vingt-dix, les per­spec­tives dans les télé­coms et l’In­ter­net parais­saient illim­itées, et les investis­seurs ont placé leur argent dans des sociétés aux per­spec­tives réelles de béné­fices et de crois­sance irréal­istes, oubliant dans l’e­uphorie tous les fac­teurs de risque. Plus récem­ment l’im­mo­bili­er, États-Unis en tête, a fait l’ob­jet d’une spécu­la­tion effrénée qui affecte aujour­d’hui notam­ment le secteur financier (crise des sub­primes) et le secteur de la construction.

Le secteur est en difficulté

Un cer­tain nom­bre de secteurs sont réputés comme sin­istrés. Aujour­d’hui, ce sont, par exem­ple, les com­pag­nies aéri­ennes pour lesquelles, aux États-Unis en par­ti­c­uli­er, la sur­ca­pac­ité, la con­cur­rence étrangère, l’en­volée des prix du pét­role, ain­si que la pres­sion des syn­di­cats con­tribuent forte­ment à assom­brir la situation.

Les investis­seurs doivent se deman­der pourquoi une société dans un tel secteur n’est pas en dif­fi­culté, et si la société a les moyens de se main­tenir à l’é­cart des prob­lèmes du secteur.

Il faut com­mencer à se pos­er de sérieuses ques­tions s’il n’y a pas a pri­ori de raisons solides pour qu’elle con­tin­ue à prof­iter d’a­van­tages par rap­port à ses pairs.

À l’op­posé, les secteurs à la mode peu­vent sus­citer la même prudence. 

L’entreprise enregistre de moins bonnes performances que ses pairs

La répu­ta­tion d’une entre­prise dans son secteur d’ac­tiv­ité (c’est-à-dire auprès de ses clients, four­nisseurs et con­cur­rents) est sou­vent un bon indi­ca­teur de sa san­té. Les infor­ma­tions ou rumeurs con­cer­nant des délais de livrai­son dépassés, des prob­lèmes de qual­ité, des clients mécon­tents méri­tent de sérieuses investigations.

Dès qu’il y a la moin­dre indi­ca­tion que l’en­tre­prise a des prob­lèmes de per­for­mance, il devient utile de la com­par­er avec ses pairs du secteur, et de com­pren­dre s’il s’ag­it ou non d’un ” sous per­former ” dont les ventes et les prof­its risquent de dimin­uer durablement. 

La direction générale n’est pas très présente sur le terrain

L’ab­sence de la direc­tion générale sur le ter­rain est révéla­trice d’un malaise et lourde de con­séquences : manque d’at­ten­tion aux détails, employés et clients moins écoutés, vul­néra­bil­ité aux prob­lèmes, dif­fi­culté à les recon­naître et, sou­vent, inca­pac­ité à y réa­gir à temps. 

Les dirigeants changent souvent

Les dirigeants peu­vent quit­ter leur entre­prise pour des raisons par­faite­ment légitimes. En revanche, des départs répétés peu­vent être le signe annon­ci­a­teur, pour le moins de remous, au pire d’une véri­ta­ble crise. Il faut exam­in­er de très près les raisons liées aux départs des cadres dirigeants. En par­ti­c­uli­er si plusieurs dirigeants sont par­tis (ou ont annon­cé leur départ) et si ceux qui les rem­pla­cent sont d’un cal­i­bre moindre. 

Les restructurations se succèdent

Aujour­d’hui, une restruc­tura­tion est sou­vent con­sid­érée par les marchés comme un développe­ment posi­tif pour l’en­tre­prise. Mais des restruc­tura­tions qui se suc­cè­dent peu­vent sig­ni­fi­er aus­si que le man­age­ment ne veut pas, ou ne peut pas, imprimer les change­ments rad­i­caux qui sont néces­saires pour sta­bilis­er la sit­u­a­tion de l’entreprise.

Ces restruc­tura­tions suc­ces­sives coû­tent très cher à l’en­tre­prise : non seule­ment finan­cière­ment, mais aus­si sur un plan organ­i­sa­tion­nel et managérial. 

Une politique d’acquisitions fait suite à une période de croissance organique

Une acqui­si­tion, même si elle paraît ” naturelle ” sur le papi­er, est tou­jours dif­fi­cile à met­tre en oeu­vre. Dans tous les cas, lorsqu’une entre­prise finance une acqui­si­tion par des emprunts, elle aug­mente ses risques et dimin­ue sa flex­i­bil­ité. Si le secteur subit une crise, l’en­tre­prise peut se retrou­ver dans l’im­pos­si­bil­ité d’honor­er ses engage­ments financiers en dépit d’une activ­ité tou­jours florissante.

Une société qui se lance soudain dans une stratégie d’ac­qui­si­tions après une péri­ode con­tin­ue de crois­sance organique émet un sig­nal fort. Elle doit être analysée non seule­ment sous l’an­gle des cash-flows générés, mais aus­si sur sa capac­ité à hon­or­er ses oblig­a­tions finan­cières accrues. 

Mener des analyses poussées et dialoguer avec les dirigeants

Nico­las Beau­grand (94)

Claude Dampierre

Pre­mière­ment, analyser de plus près les indi­ca­teurs financiers : courbes de ventes, évo­lu­tion des parts de marché, des cash-flows, de la rentabil­ité, marge dont l’en­tre­prise dis­pose encore vis-à-vis de ses engage­ments financiers con­tractuels (ses covenants) — est-elle en baisse ? et si néces­saire détail des flux de tré­sorerie. L’essen­tiel est d’analyser l’en­tre­prise sous les angles les plus divers : les pre­miers sig­naux annon­ci­a­teurs d’une crise ne sont pas four­nis par des indi­ca­teurs stricte­ment financiers. Puis, pouss­er l’analyse en creu­sant les ques­tions auprès des dirigeants mais aus­si de tout autre inter­locu­teur clé sus­cep­ti­ble de fournir l’information.

Il faut, par exem­ple, se deman­der ce que fait la société pour attir­er et garder des dirigeants clefs motivés. Les entre­pris­es motivent et récom­pensent sou­vent les respon­s­ables en fonc­tion de l’évo­lu­tion du compte de résul­tat ou de la per­for­mance de l’ac­tion. Les sociétés qui intè­grent spé­ci­fique­ment les besoins en fonds de roule­ment et la généra­tion de tré­sorerie ont moins de chance d’être sur­pris­es par des problèmes.

Dans l’en­vi­ron­nement actuel, très fluc­tu­ant, très tech­nique et haute­ment con­cur­ren­tiel, les investis­seurs en cap­i­tal et les créanciers doivent en per­ma­nence analyser tous les indi­ca­teurs de la san­té de l’en­tre­prise disponibles pour ne pas ris­quer de per­dre tout ou par­tie de leur investissement.Il faut analyser les indi­ca­teurs non financiers autant que les chiffres, car trop de temps sépare générale­ment l’ap­pari­tion des sources de dif­fi­cultés de leur tra­duc­tion dans les comptes. Iden­ti­fi­er les sig­naux d’alerte à l’a­vance per­met de pos­er les bonnes ques­tions et de décor­ti­quer à fond les indi­ca­teurs financiers.

Du point de vue du pro­fes­sion­nel du retourne­ment, plus un prob­lème est décelé tôt, plus les mesures de cor­rec­tion sont entre­pris­es tôt, et plus on dis­pose de flex­i­bil­ité et de marge pour résoudre les prob­lèmes et lim­iter la casse.

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