Schlumberger : une aventure industrielle

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°590 Décembre 2003Par : Bulletin n° 34 de la SabixRédacteur : Jean-Paul DEVILLIERS (57)

Plusieurs ouvrages ont déjà décrit les suc­cès de l’entreprise créée par Con­rad et Mar­cel Schlum­berg­er. Jacques Dela­cour lui-même, qui fut un col­lab­o­ra­teur direct de Mar­cel, avait rédigé pour La Jaune et la Rouge de novem­bre 1992 un arti­cle qui rap­pelait les réal­i­sa­tions extra­or­di­naires des deux frères. Cepen­dant, en se référant au plaidoy­er en faveur de l’histoire indus­trielle pronon­cé par Mau­rice Bernard dans le bul­letin n° 17, il avait pré­paré pour la Sabix, peu de temps avant son décès, une présen­ta­tion orig­i­nale de l’histoire de Schlum­berg­er. Avec con­ci­sion, les textes choi­sis met­tent bien en évi­dence les cir­con­stances et les straté­gies qui ont déter­miné les réus­sites de la compagnie.

À la suite d’un édi­to­r­i­al où Chris­t­ian Mar­bach rap­pelle notam­ment la place que tien­nent les sociétés de ser­vices pétroliers dans l’économie de la France, Chris­telle Robin, doc­tor­ante en His­toire à la Sor­bonne, résume l’histoire de l’entreprise. Celle-ci prend son orig­ine dans les pre­miers travaux expéri­men­taux sur le pas­sage du courant élec­trique dans le sous-sol, dans les essais de mod­éli­sa­tion math­é­ma­tique réal­isés par Con­rad, et dans les mul­ti­ples inven­tions de Mar­cel. Elle se pour­suit par l’édification d’un out­il indus­triel et l’organisation d’une stratégie com­mer­ciale qui ont assuré le développe­ment et la prospérité de Schlumberger.

Puis Jacques Dela­cour, en s’appuyant sur les remar­quables présen­ta­tions réal­isées pour le pub­lic par la Fon­da­tion Musée Schlum­berg­er dans le château de Crèvecœur-en- Auge, procède à une descrip­tion méthodique de l’enchaînement des inno­va­tions suc­ces­sives qui, à par­tir de la nais­sance des pre­miers con­cepts, ont abouti à la mise au point des out­ils mod­ernes util­isés au fond des puits pétroliers.

La troisième par­tie présente des com­men­taires et des extraits de Sci­ence on the run, un ouvrage pub­lié par MIT Press-Cam­bridge, Mass­a­chu­setts, écrit par un uni­ver­si­taire améri­cain, Geof­frey C. Bowk­er, à la suite d’une explo­ration du fonds d’archives remis à l’École des mines de Paris par Madame Anne Grün­er-Schlum­berg­er, fille de Con­rad. Le chercheur améri­cain s’intéresse au côté soci­ologique de l’histoire de la com­pag­nie. Ses analy­ses, qui por­tent sur la péri­ode 1920–1940, visent d’abord à com­pren­dre com­ment Schlum­berg­er a réus­si à se faire admet­tre sur les champs pétroliers et à y faire de la sci­ence. Les com­pag­nies pétrolières assumant les risques d’investissements lourds dans des con­di­tions de large incer­ti­tude, il faut les per­suad­er de l’intérêt des ser­vices pro­posés par Schlum­berg­er. Il faut choisir les paramètres à mesur­er, met­tre au point les instru­ments, et inter­préter les résul­tats obtenus de façon utile au client. C’est-à-dire savoir tir­er des con­clu­sions quan­tifiées et pré­dic­tives de mesures effec­tuées au fond des sondages où se pro­duisent des phénomènes com­plex­es liés à l’extrême var­iété des car­ac­téris­tiques physic­ochim­iques des ter­rains tra­ver­sés. Il explique les raisons tech­niques, com­mer­ciales ou poli­tiques des dif­fi­cultés ini­tiales de l’entreprise aux USA, de ses suc­cès en URSS et au Venezuela, de la réus­site de son implan­ta­tion défini­tive dans les grandes régions pétro­lifères de l’Amérique du Nord.

Bowk­er insiste sur le rôle d’une organ­i­sa­tion sys­té­ma­tique dans la pro­duc­tion du savoir sci­en­tifique et tech­nique. Il souligne le soin apporté par Schlum­berg­er à la ges­tion des infor­ma­tions con­cer­nant les appareil­lages, les résul­tats de mesures et les inter­pré­ta­tions. Cela à la fois à l’égard des ingénieurs de l’entreprise, de ses clients et de ses concurrents.

La pro­tec­tion du secret est une préoc­cu­pa­tion essen­tielle dans cette indus­trie. En rap­pelant les péripéties de la bataille juridique con­tre Hal­libur­ton, il décrit la stratégie de Schlum­berg­er en matière de brevets, asso­ciée à une stratégie de com­mu­ni­ca­tion ayant pour but de se défendre en jus­tice con­tre les con­cur­rents et les con­tre­fac­teurs, d’asseoir ses méth­odes sans en dévoil­er les secrets et d’accoutumer les com­pag­nies pétrolières à ne plus se pass­er de ses courbes. Il met en relief l’importance de la con­struc­tion d’un dis­cours sci­en­tifique, sup­port indis­pens­able de cette communication.

Jacques Dela­cour ne se con­tentait pas de citer et résumer les pro­pos de Bowk­er. Sur tous les chapitres, ses com­men­taires et com­plé­ments com­plè­tent fort heureuse­ment les extraits du livre. Ils s’appuient sur l’expérience et le dis­cerne­ment d’un ingénieur qui con­nais­sait par­faite­ment l’industrie pétrolière. Il avait lui-même voué sa car­rière pro­fes­sion­nelle à l’invention et au per­fec­tion­nement des appareil­lages des­tinés à l’extraction du pétrole.

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